tag:theconversation.com,2011:/ca/topics/syrie-20354/articlesSyrie – The Conversation2024-02-20T14:44:11Ztag:theconversation.com,2011:article/2234992024-02-20T14:44:11Z2024-02-20T14:44:11ZLafarge, « complice de crimes contre l’humanité » en Syrie ? Vers un procès sans précédent pour une multinationale<p>Le 16 janvier 2024, la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/01/16/lafarge-en-syrie-la-cour-de-cassation-valide-la-mise-en-examen-pour-complicite-de-crime-contre-l-humanite-mais-annule-la-mise-en-danger-des-ouvriers_6211143_3224.html">Cour de cassation</a>, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire en France, a confirmé la mise en examen pour « complicité de <a href="https://theconversation.com/topics/crimes-contre-lhumanite-22671">crimes contre l’humanité</a> » de la société française Lafarge, une première pour une firme de cette envergure. Très attendue par la société civile et les victimes, cette reconnaissance de la compétence des juridictions françaises pour juger des crimes internationaux commis à l’étranger par des acteurs économiques constitue un tournant décisif en ce qui concerne la responsabilité pénale des personnes morales.</p>
<p>Cette affaire qui peut sembler technique, avec à l’origine quatre chefs d’accusation (dont un a été écarté), touche à la question sensible de la possibilité de poursuivre au pénal des entreprises <a href="https://theconversation.com/topics/multinationales-22485">multinationales</a>. Ce terme désigne des ensembles de sociétés réparties dans différents pays et obéissant à une stratégie commune fixée par une société mère. Ces grands groupes semblent parfois bénéficier d’une forme d’impunité, sentiment qui ressort de <a href="https://www.internationalcrimesdatabase.org/Case/43/Presbyterian-Church-Of-Sudan-v-Talisman-Energy/">décisions précédentes</a>, notamment américaines. Le juge français pourrait ainsi venir poser les jalons d’une rupture.</p>
<h2>Différents chefs d’accusation</h2>
<p>Lafarge, société mère de droit français, avait créé en 2010 une filiale de droit syrien pour détenir et exploiter sa cimenterie de Jalabiya, dans le nord de la Syrie. Entre 2010 et 2014, les alentours du site ont fait l’objet de violents affrontements entre divers groupes armés, dont l’État islamique qui a fini par s’en emparer en septembre 2014. Pour poursuivre ses activités malgré le contexte de conflit armé, Lafarge aurait distribué en 2013 et 2014 quelque <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/01/16/lafarge-en-syrie-la-cour-de-cassation-valide-la-mise-en-examen-pour-complicite-de-crime-contre-l-humanite-mais-annule-la-mise-en-danger-des-ouvriers_6211143_3224.html">13 millions d’euros</a> à ces groupes armés commettant de graves exactions selon l’étude d’un cabinet de conseil missionné par Holcim, le groupe suisse qui a racheté Lafarge depuis. L’enquête française a estimé ces versements entre 4,8 et 10 millions d’euros pour le seul groupe État islamique.</p>
<p>En 2016, une <a href="https://www.asso-sherpa.org/affaire-lafarge-syrie">plainte</a> a été déposée en France par le ministère de l’Économie à la suite de révélations dans la presse, puis par l’association Sherpa, le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains et 11 anciens salariés de Lafarge en Syrie, conduisant à l’ouverture d’une information judiciaire. En 2018, la société Lafarge, en tant que personne morale, ainsi que plusieurs de ses cadres, a été mise en examen pour « complicité de crimes contre l’humanité », « financement d’une entreprise terroriste », « mise en danger de la vie d’autrui » et « violation d’un embargo ».</p>
<p>Le <a href="https://www.asso-sherpa.org/confirmation-de-la-mise-en-examen-de-lafarge-complicite-crimes-contre-humanite">18 mai 2022</a>, la Cour d’appel avait confirmé la mise en examen de la société Lafarge pour « complicité de crimes contre l’humanité » et « mise en danger de la vie d’autrui », charges ensuite contestées dans un pourvoi en cassation. </p>
<p>La décision du 16 janvier 2024 est venue confirmer la mise en examen pour « complicité de crimes contre l’humanité », considérant que la multinationale avait connaissance des graves exactions commises par les groupes armés. En revanche, la Cour de cassation a écarté la mise en examen pour la mise en danger de la vie d’autrui, estimant que la loi française n’était pas applicable aux salariés syriens. Un choix <a href="https://www.asso-sherpa.org/lafarge-en-syrie-decision-determinante-de-la-cour-de-cassation-sur-les-mises-en-examen-de-la-multinationale">déploré par Sherpa</a> pour qui pareille interprétation restrictive des règles de conflit de lois, malgré la forte implication de Lafarge dans la gestion de sa filiale syrienne, entrave l’accès à la justice pour les travailleurs de multinationales.</p>
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<p>Pour les deux autres chefs d’accusation, le Parquet national antiterroriste a demandé son renvoi en correctionnel le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/02/09/lafarge-en-syrie-un-premier-proces-requis-contre-le-cimentier-et-neuf-personnes-pour-financement-du-terrorisme_6215693_3224.html">9 février 2024</a> pour financement d’une entreprise terroriste et pour violation d’un embargo, disjoignant ainsi les deux volets de l’affaire.</p>
<h2>Une porte ouverte par le droit français</h2>
<p>S’agissant des infractions de « financement du terrorisme » et de « complicité de crime contre l’humanité », celles-ci sont prévues, d’une part, dans la <a href="https://www.un.org/french/millenaire/law/cirft.htm">Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme de 1999</a>, d’autre part, dans le <a href="https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/NR/rdonlyres/ADD16852-AEE9-4757-ABE7-9CDC7CF02886/283948/RomeStatuteFra1.pdf">Statut de Rome de la Cour pénale internationale de 1998</a>. Ces deux conventions ont été ratifiées par la France respectivement en 2002 et 2000.</p>
<p>Le financement du terrorisme s’entend, selon l’article 2 de la Convention sur le terrorisme, comme tout acte consistant à fournir ou à réunir des fonds « dans l’intention de les voir utilisés ou en sachant qu’ils seront utilisés, en tout ou partie, en vue de commettre » des actes relevant du terrorisme. Le crime contre l’humanité s’entend, quant à lui, selon l’article 7 du Statut de Rome, comme des exactions commises dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre une population civile, incluant des actes tels que le meurtre, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation forcée, la torture ou encore le viol.</p>
<p>Si le Statut de Rome a retenu la seule responsabilité pénale individuelle, son article 25 précise qu’« aucune disposition du présent Statut relative à la responsabilité pénale des individus n’affecte la responsabilité des États en droit international ». La Convention sur le financement du terrorisme dispose, quant à elle, en son article 5 :</p>
<blockquote>
<p>« Chaque État Partie, conformément aux principes de son droit interne, prend les mesures nécessaires pour que la responsabilité d’une personne morale située sur son territoire ou constituée sous l’empire de sa législation soit engagée lorsqu’une personne responsable de la direction ou du contrôle de cette personne morale a, en cette qualité, commis une infraction visée [par la présente convention]. Cette responsabilité peut être pénale, civile ou administrative ».</p>
</blockquote>
<p>À cet égard, le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000021796078/#LEGISCTA000021796940">Code pénal français</a> prévoit des mécanismes répressifs à l’encontre des sociétés transnationales qui relèvent de la législation française ou qui ont commis des infractions pénales sur le territoire français. En outre, son article 121-7, relatif au régime général de la complicité, requiert uniquement que le <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/cour-de-cassation-ouvre-voie-une-mise-en-examen-de-lafarge-pour-complicite-de-crime-contre-l-h">complice</a> ait sciemment facilité la préparation ou la consommation d’un crime, sans critère géographique.</p>
<p>Si, avec l’affaire <em>Lafarge</em>, la France a ainsi l’opportunité de poser les prémices de la poursuite pénale d’une personne morale pour complicité de crime contre l’humanité, cela n’est toutefois pas sans poser de redoutables défis.</p>
<h2>Vers la fin de l’impunité <em>de facto</em> des sociétés transnationales ?</h2>
<p>Depuis longtemps, les multinationales semblent bénéficier d’une certaine forme d’impunité, tirant profit de la complexité des régimes juridiques internationaux et de la difficulté d’imposer des normes juridiques uniformes à l’échelle mondiale. En effet, les règles encadrant leurs activités n’offrent notamment pas un cadre répressif avec des peines adaptées à la nature d’infractions comme le financement du terrorisme ou la complicité pour crimes contre l’humanité. Des efforts ont, certes, été déployés au niveau international pour les rendre responsables de leurs actions, comme l’adoption en 2011 par le Conseil des droits de l’homme des <a href="https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Publications/GuidingPrinciplesBusinessHR_FR.pdf">Principes directeurs des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme</a>. L’absence d’un régime de responsabilité pénale internationale spécifique pour ces entités suggère néanmoins qu’elles pourraient potentiellement esquiver toute responsabilité pour leurs actions.</p>
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<p>Tel a été le cas dans l’affaire <a href="https://www.internationalcrimesdatabase.org/Case/43/Presbyterian-Church-Of-Sudan-v-Talisman-Energy/"><em>Presbyterian Church of Sudan et al. v. Talisman Energy, Inc. and the Republic of the Sudan</em></a>. Des plaignants avaient intenté une action en justice contre l’entreprise Talisman Energy en vertu de l’<em>Alien Tort Statute</em>, une loi américaine de 1789 accordant aux tribunaux fédéraux compétence sur les affaires civiles déposées par des étrangers pour des violations du droit international. Ils alléguaient que cette société pétrolière canadienne était complice de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de graves violations des droits humains perpétrés par le gouvernement soudanais dans les régions pétrolifères où elle opérait. En 2009, la requête a été rejetée et la société n’a pas été tenue pénalement responsable en raison pour partie d’un manque de preuves, mais surtout de la quasi-impossibilité d’engager la responsabilité d’une société transnationale sur le fondement du droit international. Un tel précédent a laissé planer l’ombre de l’impunité des sociétés transnationales et entretenu, à leur égard, le mythe d’une irresponsabilité pénale.</p>
<p>Face à l’inadéquation des mécanismes généraux de la responsabilité internationale et à une société civile de plus en plus déterminée à lutter contre l’impunité des personnes morales, la mise en examen de Lafarge apparaît comme un précédent qui pourrait relancer le débat sur la question de la pénalisation des activités des sociétés transnationales. Lafarge est, en effet, la première société transnationale au monde, en tant que personne morale, à être mise en examen sur le fondement de complicité de crimes contre l’humanité. Les juges français vont ainsi, quelle que soit l’issue du procès, poser d’importants jalons susceptibles d’inspirer une évolution de la justice pénale internationale.</p>
<p>Ces jalons seront d’autant plus importants que d’autres affaires similaires sont en cours. L’association Sherpa, avec d’autres, a notamment déposé une <a href="https://www.asso-sherpa.org/complicite-de-crimes-de-guerre-au-yemen-une-plainte-deposee-contre-des-entreprises-darmement-francaises">plainte pénale</a> contre plusieurs entreprises d’armement pour leur éventuelle complicité dans des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité présumés au Yémen, lesquels auraient été commis grâce à l’exportation d’armes vers l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.</p>
<hr>
<p><em>Kadoukpè Babaodi, étudiant en Master 2 à l’Institut des droits de l’homme de l’Université catholique de Lyon a également contribué à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223499/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Maia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les firmes multinationales semblent parfois jouir d’une forme d’impunité pénale. Que la justice française se saisisse du cas Lafarge pourrait bien marquer une rupture d’envergure.Catherine Maia, Professeure de droit international à l’Université Lusófona (Portugal) et professeure invitée à Sciences Po Paris (France), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2207272024-01-11T14:27:15Z2024-01-11T14:27:15ZIsraël devant la Cour internationale de justice : celle-ci est-elle devenue un substitut à un Conseil de sécurité dysfonctionnel ?<p>Le 29 décembre, l’Afrique du Sud a déposé devant la <a href="https://www.icj-cij.org/fr/accueil">Cour internationale de justice</a> (CIJ), une <a href="https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/192/192-20231228-app-01-00-en.pdf">Requête introductive d’instance</a> contre l’État d’Israël. </p>
<p>La Requête stipule que ses actions dans la bande de Gaza, initiées au nom de son droit à la légitime défense, dans la foulée des attaques menées par le Hamas le 7 octobre 2023, revêtaient « un caractère génocidaire ».</p>
<p>La CIJ a tenu des audiences publiques sur la requête le 11 et 12 janvier à La Haye. </p>
<p>Le fait que <a href="https://theconversation.com/south-africas-genocide-case-against-israel-expert-sets-out-what-to-expect-from-the-international-court-of-justice-220692">l’Afrique du Sud ait choisi de déposer sa requête devant la CIJ</a> n’est pas anodin. En effet, non seulement le bureau du procureur de la <a href="https://www.icc-cpi.int/fr">Cour pénale internationale</a>, qui enquête sur la situation en Palestine depuis plusieurs années, <a href="https://theconversation.com/la-guerre-a-gaza-la-cour-penale-internationale-et-la-lutte-contre-limpunite-219523">n’aboutit pas à des résultats concrets</a>, mais le Conseil de sécurité, l’organe qui devrait être le principal garant du maintien de la paix et de la sécurité internationale, apparaît foncièrement <a href="https://theconversation.com/gaza-war-deadlock-in-the-security-council-shows-that-the-un-is-no-longer-fit-for-purpose-219772">dysfonctionnel</a>. </p>
<p>À l’inverse, la CIJ en est venue à jouer un rôle de plus en plus diligent. <a href="https://www.ejiltalk.org/provisional-but-not-always-pointless-compliance-with-icj-provisional-measures/">Au cours des 10 dernières années</a>, la Cour a ainsi prononcé plus d’ordonnances (11) que durant ses cinquante premières années d’existence (10).</p>
<p>Mes travaux sur la <a href="https://www.pulaval.com/livres/de-la-responsabilite-de-proteger-les-populations-menacees-l-emploi-de-la-force-et-la-possibilite-de-la-justice">responsabilité de protéger</a> et sur le <a href="https://www.cairn.info/annuaire-francais-de-relations--9782376510550-page-95.htm">droit de la guerre</a> m’ont conduit à porter une attention particulière aux modes alternatifs de règlement des différends, notamment par l’intermédiaire des tribunaux internationaux. Deux organes sont fréquemment mentionnés : la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale (CPI).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des personnes sont assises de chaque côté dans une vaste pièce" src="https://images.theconversation.com/files/568670/original/file-20240110-30-2p1xe4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568670/original/file-20240110-30-2p1xe4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568670/original/file-20240110-30-2p1xe4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568670/original/file-20240110-30-2p1xe4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568670/original/file-20240110-30-2p1xe4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568670/original/file-20240110-30-2p1xe4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568670/original/file-20240110-30-2p1xe4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La Cour internationale de justice lors d’une audience.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(UN Photo/CIJ-ICJ/Frank van Beek)</span></span>
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<h2>Des compétences différentes</h2>
<p>La CIJ est le principal organe judiciaire de l’Organisation des Nations unies (ONU). Elle dispose d’une compétence universelle sur les différends d’ordre juridique pouvant survenir entre États. </p>
<p>De son côté, la CPI tire sa compétence d’un traité entré en vigueur en 2002, et dont Israël n’est pas signataire. Ses responsabilités sont d’enquêter et de poursuivre des personnes physiques pour crimes graves de droit international (crimes contre l’humanité, crimes de guerre, génocides et crimes d’agression).</p>
<p>Alors que la CIJ doit être sollicitée par un État avant de pouvoir se saisir d’un contentieux, comme c’est le cas avec la démarche engagée par l’Afrique du Sud, la CPI dispose de l’autorité pour ouvrir une enquête et éventuellement déposer une accusation contre un individu.</p>
<h2>Avant Israël, la Russie</h2>
<p>Dans sa requête contre Israël, l’Afrique du Sud avance que les actions de l’État hébreu (et son défaut de prendre des mesures pour contrecarrer les incitations « directes et publiques » à commettre de telles actions) témoigneraient « de l’intention spécifique… d’entraîner la destruction d’une partie substantielle de la population palestinienne en tant que partie d’un groupe national, racial et ethnique plus large de Palestiniens dans la Bande de Gaza ». </p>
<p>De ce fait, avance l’Afrique du Sud, Israël contreviendrait aux « obligations » lui incombant en vertu de la <a href="https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-prevention-and-punishment-crime-genocide">Convention pour la prévention et la Répression du Crime de Génocide</a>, dont elle est signataire. </p>
<p>La question que la CIJ est appelée à trancher consiste uniquement, selon l’Afrique du Sud, à déterminer si les actions qui sont identifiées dans la Requête sont ou non « susceptibles de relever des dispositions » de la Convention. La Cour n’a pas à se prononcer sur le fond à ce stade. Le cas échéant, cela pourrait prendre des années. </p>
<p>On se rappellera qu’une <a href="https://icj-cij.org/sites/default/files/case-related/182/182-20220227-APP-01-00-FR.pdf">Requête</a> similaire avait également été déposée par l’Ukraine contre la Russie dans la foulée de l’« opération militaire spéciale » initiée par cette dernière le 24 février 2022. </p>
<p>La Russie était alors accusée d’avoir mensongèrement allégué « que des actes de génocide avaient été commis dans les oblasts ukrainiens de Louhansk et de Donetsk » afin de lui permettre de justifier une intervention armée. L’Ukraine affirmait que cette intervention avait engendré « des violations graves et généralisées des droits de la personne de la population ukrainienne ». Dès le 16 mars 2022, la CIJ rendait son <a href="https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/182/182-20220316-ord-01-00-fr.pdf">Ordonnance</a> et intimait à la Russie de « suspendre immédiatement les opérations militaires ».</p>
<h2>Les limites de la CIJ</h2>
<p>Dans le cas de la requête de l’Afrique du Sud, une ordonnance de la CIJ pourrait suivre au cours des prochaines semaines étant donné l’urgence de la situation.</p>
<p>Or, il ne faut pas faire preuve de trop d’optimisme. Car même dans le cas où la Cour indiquerait comme mesure conservatoire la suspension immédiate des opérations militaires, comme elle l’a fait dans le cas de l’Ukraine, et même si cette ordonnance avait bel et bien un « caractère obligatoire », comme l’a avancé la Cour en 2001 dans une autre <a href="https://icj-cij.org/sites/default/files/case-related/104/104-20010627-JUD-01-00-FR.pdf">affaire</a>, cela ne signifierait pas que la situation sur le terrain soit appelée à changer. </p>
<p>Malgré leur caractère obligatoire, les mesures d’exécution sont souvent difficiles à mettre en œuvre dans des situations hautement sensibles et controversées.</p>
<h2>Le nouveau rôle des pays tiers</h2>
<p>Ce qui est relativement nouveau, c’est que la Cour internationale de justice accepte désormais d’entendre des requêtes, telle celle parrainée par l’Afrique du Sud, présentées par un État partie à un traité ou une convention, qui allèguent un manquement à ses obligations <em>erga omnes partes</em>. De telles obligations reposent en effet sur les valeurs que les États partagent en commun et que tout État a donc un intérêt à faire respecter, sans égard au fait d’avoir ou non soi-même subi les conséquences d’un manquement.</p>
<p>Ainsi, en 2019, la Gambie a déposé une <a href="https://icj-cij.org/sites/default/files/case-related/178/178-20191111-APP-01-00-FR.pdf">Requête</a> contre le Myanmar, concernant ses actions envers les membres de la communauté rohingya. C’est aussi sur cette base d’obligations <em>erga omnes partes</em> que le Canada et les Pays-Bas ont déposé en juin 2023 une <a href="https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/188/188-20230608-req-01-00-fr.pdf">Requête</a> contre la Syrie l’accusant de contrevenir à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.</p>
<p>La reconnaissance par la CIJ de telles obligations <em>erga omnes partes</em> revendiquées par un État n’étant pas directement impliqué apparaît comme une innovation majeure. Elle permet, à défaut d’empêcher en amont qu’un État ne contrevienne à ses obligations, de lui rappeler en aval et publiquement ses obligations. </p>
<h2>Assumer un rôle émergent en maintien de la paix</h2>
<p>Au-delà de la question qu’aura à trancher la Cour, le plus important reste le rôle que les États semblent désormais vouloir lui faire jouer en lui soumettant de telles requêtes. La CIJ a compétence en matière de règlement pacifique des différends et, par extension, elle a un rôle à jouer dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale. Mais si ses ordonnances ne sont pas suivies d’effets, sont-elles seulement destinées à marquer les esprits, ce qui contribuerait à politiser la justice internationale ?</p>
<p>S’il est certes douteux qu’une ordonnance incite un État à mettre un terme à sa conduite et à ses activités sur le terrain, la procédure elle-même demeure toutefois importante. Elle peut permettre de documenter une situation et d’établir les faits d’une manière telle qu’il pourrait être plus difficile d’en faire abstraction par la suite. </p>
<p>Ainsi, dans le cas de la Syrie, l’<a href="https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/188/188-20231116-ord-01-00-fr.pdf">Ordonnance</a> rendue par la Cour la sommait de prendre « toutes les mesures en son pouvoir afin de prévenir les actes de torture et autres… traitements cruels, inhumains ou dégradants », et lui intimait de « prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation de tous les éléments de preuve relatifs aux allégations ». Ces éléments pourraient ultérieurement être utilisés dans le cadre de procédures judiciaires ou afin de justifier des réparations.</p>
<p>À cet égard, la Cour pourrait également faciliter la création et l’accès au terrain d’une mission visant à établir les faits et à documenter les circonstances. Il s’agit là d’un aspect important du règlement des différends qui peut contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationale. </p>
<p>Le défi pour la Cour consistera à assumer ce rôle émergent en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationale et à naviguer à travers ces questions d’interprétation qui demeurent éminemment politiques. Les décisions que les juges ont à prendre seront capitales pour le futur d’un ordre international qui apparaît pour le moment bien désordonné.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220727/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-François Thibault ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Cour internationale de justice élargit de plus en plus son mandat, palliant au dysfonctionnement du Conseil de sécurité, qui devrait être le principal garant du maintien de la paix dans le monde.Jean-François Thibault, Professeur en relations internationales, École des hautes études publiques, Université de MonctonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2180692023-11-30T17:00:05Z2023-11-30T17:00:05ZComment les partis politiques kurdes gouvernent leurs populations<p><em>Les Kurdes sont l’un des plus importants peuples apatrides du monde. Ils seraient quelque 30 millions à vivre aujourd’hui en Turquie, en Irak et en Syrie. Plusieurs mouvements politiques militent depuis des décennies pour l’instauration d’autonomies régionales voire d’un Kurdistan indépendant au croisement de ces trois pays. <a href="https://www.karthala.com/accueil/3549-le-gouvernement-des-kurdes-gouvernement-partisan-et-ordres-sociaux-alternatifs.html">« Le gouvernement des Kurdes. Gouvernement partisan et ordres sociaux alternatifs »</a>, qui vient de paraître aux éditions Karthala sous la direction de Gilles Dorronsoro, professeur de sciences politiques à Paris 1 Panthéon-Sorbonne et membre senior de l’Institut universitaire de France, met en évidence le rôle majeur que jouent les partis politiques dans l’instauration des nouveaux ordres sociaux dans les zones où ils détiennent le pouvoir. Nous vous présentons ici un extrait de l’introduction.</em></p>
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<p>Les « conflits kurdes » durent, sous des formes diverses et avec des périodes d’accalmie, depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Ils présentent la particularité de se développer simultanément sur plusieurs espaces étatiques – Turquie, Iran, Irak, Syrie – et mobilisent de plus la diaspora, principalement en Europe.</p>
<p>Depuis les années 1990, des interventions internationales et des guerres civiles, qui n’ont pas les Kurdes pour enjeu central, ont largement redéfini la carte politique du Moyen-Orient. Dans ces dynamiques complexes, qui se développent à de multiples échelles, notre objet d’études est l’émergence de régions kurdes autonomes en Syrie, en Irak et, de façon inaboutie, en Turquie où, même sans perspective réaliste de voir naître un État indépendant, des institutions kurdes administrent, parfois depuis une génération, des populations civiles.</p>
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<figcaption><span class="caption">Qui sont les Kurdes ? Le Monde, octobre 2017.</span></figcaption>
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<p>Ainsi, en Irak, la protection américaine à partir de 1991 a permis la formation d’un Gouvernement régional du Kurdistan (GRK), largement autonome de Bagdad. En Turquie, les partis de la mouvance apoïste ont acquis une forte assise municipale dans les années 1990 et des institutions kurdes ont concurrencé directement le gouvernement central – avant d’être démantelées par l’État turc pendant la « guerre des villes » (2015-2016). Après 2011, la guerre civile syrienne a permis au PYD (Parti de l’union démocratique) – la branche syrienne du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) – de créer des institutions qui administrent des populations kurdes (et non kurdes).</p>
<p>On vérifie ici que les guerres civiles, pourvu qu’elles durent, tendent à multiplier les institutions et à reconfigurer les rapports de pouvoir. En continuité avec le programme de recherches <a href="https://www.civilwars.eu/">« Social Dynamics of Civil Wars »</a>, nous avons souhaité explorer ce gouvernement des Kurdes par les Kurdes dans toute sa complexité et ses variations régionales.</p>
<p>Les régions autonomes sous contrôle de partis kurdes voient, avec un degré d’institutionnalisation variable, l’apparition d’ordres sociaux alternatifs, c’est-à-dire de hiérarchies identitaires, d’économies du droit et de la violence portées par des institutions en concurrence avec celles des régimes en place. Les études réunies ici mettent en évidence le rôle central des partis dans la constitution de la gouvernementalité kurde : genèse de nouvelles institutions, mise en place d’une nouvelle hiérarchie identitaire et, enfin, clientélisation des sociétés.</p>
<p>L’hypothèse sous-jacente à notre travail est que les partis politiques kurdes sont la matrice du gouvernement des populations, car – c’est une particularité par rapport à d’autres guerres civiles –, ils ont une histoire longue, un militantisme très ancré dans les sociétés locales et des projets politiques qui orientent effectivement leur action. Ils constituent la source principale des dispositifs qui façonnent la société – des rapports de genre au droit de la propriété.</p>
<p>Sans postuler une cohérence nécessaire de ces dispositifs, ni l’absence de contestation, au moins par l’inertie ou l’évitement, la capacité des partis – par exemple à juger, à transformer la hiérarchie ethnique ou à définir les règles d’une économie politique – instaure une relation de pouvoir profondément asymétrique avec le reste de la société.</p>
<p>Quel que soit le degré de complétude et de stabilité de ces ordres sociaux alternatifs, les partis politiques sont donc les acteurs qui définissent le nouvel ordre social par le biais de gouvernements partisans (Mède dans ce volume), dont la forme diffère, mais qui donnent à voir une faible autonomie des institutions publiques par rapport aux organisations politiques. Les mouvements politico-militaires qui nous intéressent en premier lieu – le PDK (Partiya Demokrata Kurdistanê, Parti démocratique du Kurdistan), le PKK, voire l’UPK (Union patriotique du Kurdistan) dans une moindre mesure – ont de fait une forte identité partisane.</p>
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<p>Dans ses pratiques, le PDK reprend en partie l’héritage du parti Baas, dans le sens d’un contrôle étroit de la société. En particulier, la convergence de la socialisation familiale et partisane permet une stabilité du militantisme, qui se conjugue avec le contrôle des instances dirigeantes par une élite liée à la famille Barzani.</p>
<p>Pour sa part, le PKK propose une idéologie ethno-nationaliste et internationaliste. Sa conversion au « confédéralisme démocratique » (Grojean dans ce volume) constitue certes une rupture, mais sa structure interne reste celle d’un mouvement léniniste organisé autour de cadres tenus à une discipline militaire, et la production d’un homme nouveau demeure la logique dominante. Par exemple le parti pratique, comme souvent dans les mouvements révolutionnaires, un contrôle de la sexualité, avec l’interdiction du mariage pour les cadres du mouvement (et des sanctions en cas de relations amoureuses).</p>
<p>Si l’on constate une même volonté de contrôle de la société par les partis, la mise en place d’institutions kurdes donne à voir deux modalités un peu différentes de gouvernement partisan. Le PKK cherche à pénétrer la société par la multiplication d’organisations qui sont en dernière instance sous le contrôle du parti. Pour leur part, le PDK et l’UPK limitent autant que possible le fonctionnement des institutions du Gouvernement régional du Kurdistan, notamment son accès aux ressources économiques. Après une période où certaines institutions se sont autonomisées (notamment le parlement), la compétition politique interne au Kurdistan irakien a finalement conduit à l’affirmation des partis au détriment des institutions (Mède dans ce volume).</p>
<p>Les ordres sociaux kurdes émergents imposent une nouvelle hiérarchie identitaire qui réorganise la société locale, notamment à travers les politiques culturelles, l’établissement de quotas, la gestion de la circulation et de l’installation des populations, la modification des circuits économiques (Haenni & Legrand dans ce volume ; Quesnay dans ce volume). Dans les zones de peuplement mixte, ces politiques entraînent une remise en question des solidarités de classe ou de territoire.</p>
<p>Sur un plan culturel, à partir des années 1990, l’autonomie des Kurdes en Irak entraîne initialement un recul de l’arabe au profit du kurde et, pour l’enseignement supérieur, de l’anglais.</p>
<p>Sur le plan démographique, les mouvements kurdes ont renversé les politiques d’arabisation en réinstallant des populations kurdes, notamment à Kirkouk (Quesnay dans ce volume). Les guerres civiles en Syrie et en Irak ont cependant créé des flux de réfugiés internes ou en provenance des pays voisins, qui ont remis en cause, au moins provisoirement, les équilibres démographiques. Par exemple, des centaines de milliers de réfugiés irakiens sunnites se sont réfugiés au GRK ; des Syriens arabes ont afflué dans l’enclave kurde d’Afrin.</p>
<p>Les trois espaces kurdes étudiés fonctionnent au sein d’économies politiques profondément différentes, mais toutes marquées par une compénétration très forte du politique et de l’économique. Ainsi, les partis dans le nord de l’Irak bénéficient d’une économie rentière où les revenus du pétrole sont déterminants, notamment pour le PDK, et ils contrôlent l’accès aux ressources publiques (emploi public, logement, bourses dans l’enseignement, etc.).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=909&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=909&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=909&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1142&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1142&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1142&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Cet extrait est issu de « Le Gouvernement des Kurdes. Gouvernement partisan et ordres sociaux alternatifs », sous la direction de Gilles Dorronsoro, qui vient de paraître aux éditions Karthala.</span>
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<p>Par ailleurs, le cas du Rojava montre l’installation par le PYD d’une économie de guerre qui permet de financer le PKK dans sa lutte sur d’autres espaces (Irak et surtout Turquie). En Turquie, le mouvement kurde légal a cherché ces dernières années à créer les conditions de l’émergence d’un champ économique kurde, mais le projet apoïste a échoué en raison de la répression et, surtout, de l’impossibilité d’autonomiser une économie fortement capitalisée et totalement intégrée dans l’espace national (voir Nicolas Ressler-Fessy dans ce volume).</p>
<p>Le répertoire d’action et le projet politique des partis kurdes sont directement affectés par le contexte international. Tout d’abord, la phase actuelle (depuis 1991) se caractérise par une double action des mouvements kurdes à l’international : mobiliser pour obtenir des soutiens et mimer l’État en reprenant les formes canoniques de la diplomatie (rencontres au sommet, équipes de négociation). Si le PDK multiplie les signes symboliques de la construction d’une représentation paraétatique à l’étranger à partir du GRK – sans, par ailleurs, disposer de soutiens militants significatifs –, l’action du PKK est, elle, marquée par la coexistence d’un double régime, militant et diplomatique.</p>
<p>L’action transnationale de soutien (via le PKK en Europe) mobilise les militants d’extrême gauche autour d’un discours révolutionnaire, mais, en parallèle, le parti s’affiche comme un interlocuteur des États-Unis sans pour autant qu’il n’y ait de perspective de reconnaissance politique d’un parti listé comme terroriste par les puissances occidentales (Haenni & Legrand dans ce volume).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218069/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gilles Dorronsoro ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si les Kurdes n’ont pas su, à ce jour, obtenir un État indépendant et souverain, ils ont tout de même su instaurer dans certaines zones de nouvelles institutions et des ordres sociaux alternatifs.Gilles Dorronsoro, Professeur de science politique, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2163062023-10-30T19:08:14Z2023-10-30T19:08:14ZComment l’Iran mobilise son « Axe de la Résistance » face à Israël<p>L’attaque dévastatrice du Hamas le 7 octobre a changé la donne au Moyen-Orient. Le dossier israélo-palestinien, relégué au second plan depuis au moins une dizaine d’années, est brutalement revenu au cœur de la géopolitique régionale.</p>
<p>Alors que la guerre en cours entre le Hamas et Israël <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/risks-wider-war-iran-and-its-proxies">enhardit les mandataires de l’Iran dans la région</a>, tous les acteurs impliqués (étatiques ou non étatiques) manœuvrent dans un jeu de pouvoir très complexe qui peut conduire à une guerre régionale à part entière ; mais un tel scénario peut être évité par une fin négociée.</p>
<h2>Vers une « unité des fronts »</h2>
<p>Nous sommes entrés en territoire inconnu, car les <a href="https://theconversation.com/quelle-strategie-israelienne-pour-gaza-216050">objectifs politiques et militaires israéliens n’ont pas été définis de façon claire</a>, ce qui rend cette guerre de vengeance différente de toutes les opérations israéliennes précédentes contre le Hamas, que ce soit en termes de durée, d’objectifs ou de nombre de victimes des deux côtés.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>La rhétorique des responsables israéliens, dont certains ont nié l’existence de civils innocents à Gaza, <a href="https://news.yahoo.com/israeli-president-says-no-innocent-154330724.html">comme l’a fait le président de l’État hébreu</a>, a oscillé entre une position maximaliste et minimaliste, allant de l’appel à une occupation totale de Gaza <a href="https://www.lapresse.ca/international/2023-10-15/israel-et-le-hamas-en-guerre/l-occupation-de-gaza-par-israel-serait-une-grave-erreur-selon-biden.php">malgré les avertissements du président américain</a> à la création d’une zone tampon et à la « simple » destruction de l’infrastructure du Hamas.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1716804959881343181"}"></div></p>
<p>Le 7 octobre, au moment où le Hamas déclenchait son opération sans précédent, Mohammed Deif, le commandant militaire de sa branche armée a <a href="https://fr.timesofisrael.com/liveblog_entry/le-commandant-du-hamas-a-gaza-exhorte-les-arabes-israeliens-et-les-etats-voisins-a-prendre-les-armes/">appelé</a> tous les Arabes et musulmans et, spécialement, l’Iran et les États et organisations qu’il domine, à se lancer dans une guerre totale contre Israël. Il a cité, dans cet ordre, le Hezbollah libanais, l’Iran, le Yémen, les milices chiites irakiennes et la Syrie. Il a proclamé ce jour comme « celui où votre résistance contre Israël converge avec la nôtre », dans ce que l’on appelle <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1334129/le-hezbollah-consacre-lunite-des-fronts-.html">« l’unité des fronts »</a>, qui est une stratégie de dissuasion initiée par le Hezbollah.</p>
<p>Cette stratégie de dissuasion consiste à coordonner, politiquement et militairement, les réponses de toutes les milices mandataires de l’Iran dans la région et à se rassembler pour se soutenir mutuellement si l’une d’entre elles est attaquée. La multiplicité des fronts dominés par les milices par procuration de l’Iran peut dissuader les adversaires de Téhéran de passer à l’action… ou au contraire accélérer la descente de la région dans un chaos total.</p>
<h2>Tensions majeures à la frontière libanaise</h2>
<p>Après le 7 octobre, la situation sécuritaire s’est rapidement détériorée à la frontière libanaise d’Israël, du fait d’escarmouches de plus en plus intenses entre Tsahal et le Hezbollah.</p>
<p>De plus, deux nouveaux éléments intéressants sont apparus sur le front libanais. Pour la première fois depuis la fin de la guerre civile, nous avons assisté à la réémergence « temporaire » des forces Al-Fajr, la branche militaire de la Jamaa Islamiya. Cette milice libanaise islamiste sunnite, qui a été dissoute en 1990, a annoncé qu’elle participait aux hostilités au-delà des frontières libanaises israéliennes « en défense de la souveraineté libanaise, de la mosquée Al Aqsa et en solidarité avec Gaza et la Palestine ». Le 29 octobre, elle a <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1355189/israel-intensifie-son-offensive-contre-gaza-internet-en-cours-de-retablissement-dans-lenclave-j-23-de-la-guerre-israel-hamas.html">lancé des missiles depuis le Liban vers Kiryat Shmona, dans le nord d’Israël</a>. Cette milice combat de façon quasi-indépendante du Hezbollah (même s’il existe une coordination militaire entre les deux organisations).</p>
<p>En outre, le <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1354234/le-hezbollah-entraine-le-liban-dans-la-guerre-armee-israelienne.html">Hamas et le Jihad islamique palestinien au Liban</a> ont publié des communiqués assumant l’entière responsabilité de plusieurs attaques contre Israël. Ils ont lancé ces attaques depuis les territoires libanais, rappelant les années où le sud du Liban était dominé par les activités militaires de l’OLP palestinienne (à partir de 1969), au point d’être surnommé <a href="https://www.naharnet.com/stories/en/300905">« Fatah Land »</a>.</p>
<p>Leur participation aux hostilités est encore limitée, mais elle est importante en termes symbolique. Il est clair que le Hezbollah coordonne les activités de toutes les milices opérant à la frontière libanaise pour envoyer un message clair : la zone est ouverte à toutes les factions islamistes et non islamistes, invitées à se joindre, même symboliquement, à la lutte contre Israël dans le but d’exprimer leur solidarité avec Gaza. En d’autres termes, le Hezbollah déclare que ce combat n’est pas sectaire, mais qu’il unit les musulmans et concerne tous les Arabes et les musulmans.</p>
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<p>Ce message d’unité musulmane contre Israël intervient après des années de sectarisation du Moyen-Orient. Le Hezbollah n’a mené que des attaques limitées contre Israël depuis la fin de la guerre israélo-libanaise de 2006, et est <a href="https://www.frstrategie.org/programmes/observatoire-du-monde-arabo-musulman-et-du-sahel/consequences-lintervention-militaire-hezbollah-syrie-sur-population-libanaise-chiite-rapports-avec-israel-2017">intervenu militairement en Syrie pour appuyer le régime de Damas</a>, combattant alors dans le camp opposé au Hamas, lequel s’était porté au soutien du camp anti-Assad.</p>
<p>Cette prise de position avait valu au Hezbollah de devenir très impopulaire aux yeux des populations sunnites de la région. En se joignant à la lutte contre Israël, le Hezbollah se réaffirme aux yeux de l’ensemble des Arabes de la région non pas en tant qu’acteur sectaire, mais plutôt en tant que groupe révolutionnaire islamique qui vise à mettre fin à l’arrogance israélienne.</p>
<p>Ce recadrage correspond à l’image qu’il se faisait de lui-même. Le Hezbollah se considère en effet comme un modèle pour le Hamas et d’autres forces islamiques qui luttent contre Israël. Malgré leurs divergences sur la guerre en Syrie, ils ont restauré leurs relations en août 2007 et les hauts commandants du Hamas, comme <a href="https://youtu.be/pgjiAF98s_s?si=VakJEkLE1cxkRhwc">Ismaël Haniyeh</a> (le chef du bureau politique du Hamas) et <a href="https://youtu.be/Hje4sfEmv0M?si=5gzcb-0hlOfjJy3z">Yahia Sinwar</a> (chef du bureau politique du Hamas à Gaza), ont publiquement remercié l’Iran pour son aide précieuse en matière de financement, de logistique et d’approvisionnement en armes.</p>
<h2>Le rôle des Houthis du Yémen</h2>
<p>L’attaque du Hamas est survenue à un moment au Moyen-Orient où les États-Unis ont tenté d’étendre les <a href="https://www.lepoint.fr/monde/israel-qu-est-ce-que-les-accords-d-abraham-10-10-2023-2538807_24.php">accords de paix d’Abraham</a> (qui ont permis ces dernières années, un rapprochement entre Israël et plusieurs États arabes, sous la férule de Washington) à <a href="https://theconversation.com/rapprochement-arabie-saoudite-israel-le-difficile-pari-de-washington-213139">l’Arabie saoudite</a>.</p>
<p>Ces accords, qui visent à établir les bases d’une nouvelle architecture de sécurité au Moyen-Orient afin d’assurer une meilleure sécurité régionale aux alliés des États-Unis, <a href="https://www.iris-france.org/179388-hamas-israel-quelles-consequences-diplomatiques-et-securitaires-au-moyen-orient/">sont désormais menacés</a>, et la normalisation entre Israël et Riyad <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/09/attaque-du-hamas-le-rapprochement-entre-israel-et-l-arabie-saoudite-a-l-epreuve-de-la-guerre_6193318_3210.html">semble à présent une perspective fort improbable</a>.</p>
<p>L’échec annoncé de ce réchauffement est d’autant plus dommageable pour Washington que les Chinois ont, il y a quelques mois, enregistré un succès diplomatique majeur en <a href="https://theconversation.com/iran-arabie-saoudite-un-compromis-diplomatique-sous-legide-de-pekin-201828">négociant une détente entre l’Arabie saoudite et l’Iran</a>, après de longues années de soutien de Téhéran aux milices yéménites houthies qui combattaient l’Arabie saoudite au Yémen. Dans le cadre de ce rapprochement entre Riyad et Téhéran, des <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230920-guerre-au-y%C3%A9men-apr%C3%A8s-des-entretiens-positifs-les-rebelles-houthis-ont-quitt%C3%A9-riyad">pourparlers se sont tenus entre les houthis et les Saoudiens</a> pour soutenir le processus de paix au Yémen.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1715667908280406330"}"></div></p>
<p>Les <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2018-2-page-17.htm">Houthis</a> sont une autre partie de l’axe iranien dans la région. Leur ascension en tant qu’acteur politique et militaire yéménite les a enhardis. Ils ont déclaré qu’ils étaient <a href="https://www.aa.com.tr/en/middle-east/yemen-rebels-threaten-to-join-hamas-attack-on-israel-if-us-intervenes-in-conflict/3014839">prêts à se joindre au Hamas dans une guerre totale contre Israël</a> pour défendre Gaza et la mosquée Al-Aqsa. En guise de démonstration de force, ils ont lancé le 19 octobre trois missiles de croisière et des drones qui ont été <a href="https://www.opex360.com/2023/10/20/le-navire-americain-uss-carney-a-intercepte-des-missiles-et-des-drones-lances-depuis-le-yemen/">interceptés par un destroyer américain en mer Rouge</a>. Selon les États-Unis, ces missiles se dirigeaient « potentiellement vers Israël ». L’attaque est en soi symbolique, mais elle envoie un message politique fort qui réaffirme la primauté stratégique des liens des Houthis avec <a href="https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2022/10/Asia-Focus-185.pdf">« l’Axe de la résistance »</a> soutenu par l’Iran et signale la volonté de la milice de s’engager militairement dans des guerres ou des tensions régionalisées ou internationalisées.</p>
<p>Cela a été clairement défini dans le <a href="https://youtu.be/3o81HN19Uic?si=f88VMotBX40E8izo">discours de leur chef</a>. Les Houthis disposent d’un formidable <a href="https://www.mei.edu/publications/houthis-red-sea-missile-and-drone-attack-drivers-and-implications">arsenal de missiles à longue portée</a> qui seraient capables de frapper Israël. Tous ont été soit saisis à l’État yéménite en 2014, soit acheminés par l’Iran.</p>
<p>Les attaques de missiles lancées par les Houthis ont coïncidé avec d’autres <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1354940/les-forces-americaines-attaquees-16-fois-en-syrie-et-en-irak-depuis-le-debut-du-mois.html">attaques menées par des milices chiites soutenues par l’Iran</a>, visant des bases américaines et des garnisons accueillant des soldats américains en Irak et en Syrie. L’Iran a stratégiquement externalisé le risque de confrontation directe avec les États-Unis et Israël via son <a href="https://www.defense.gouv.fr/dems/syntheses-documentaires-supprimer/axe-resistance-lexpansionnisme-regional-iranien">Axe de la Résistance</a> : quand de telles attaques ont lieu, sa responsabilité n’est pas directement engagée. Ce positionnement accroît son influence dans les négociations directes et indirectes ainsi que son influence régionale.</p>
<h2>Une guerre totale est-elle possible ?</h2>
<p>Pour conclure, tous les acteurs semblent marcher sur une corde suspendue au-dessus du cratère d’un volcan. Ils attendent tous d’en savoir plus sur les objectifs politiques et militaires de la guerre israélienne à Gaza et de pouvoir évaluer les capacités de résistance du Hamas à l’attaque dont il fait l’objet.</p>
<p>Si l’armée israélienne enregistre des pertes importantes, la position stratégique de l’axe soutenu par l’Iran s’améliorera, sans frais pour Téhéran mais à un coût terrible pour la population de Gaza et à Hamas.</p>
<p>Mais que se passerait-il si Israël menaçait l’existence même du Hamas après une invasion terrestre ? Les intenses escarmouches aux frontières libanaises d’Israël se transformeraient-elles alors en une guerre à part entière ? L’Iran se joindrait-il aux hostilités ? Et si Israël se sentait renforcé par le soutien inconditionnel de l’Occident à son droit à se défendre et considérait cette solidarité comme un blanc-seing pour frapper l’Iran, dont l’ambition nucléaire effraie les responsables de l’État hébreu ? Dans un tel cas de figure, et face à la riposte de Téhéran, les États-Unis utiliseront-ils leurs destroyers dans la région de la Méditerranée orientale pour attaquer l’Iran et défendre Israël ?</p>
<p>À ce stade, impossible d’apporter de réponse tranchée à toutes ces questions. Nous pouvons seulement constater que la région semble se diriger vers une nouvelle phase où la sectarisation des politiques étrangères des acteurs régionaux sera reléguée au second plan, la détente entre l’Iran et l’Arabie saoudite se consolidera, la question palestinienne s’imposera pour longtemps au premier plan, et les milices mandataires iraniennes s’affirmeront de plus en plus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216306/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hussein Abou Saleh ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Iran rechigne à entrer directement en guerre contre Israël, mais mobilise volontiers les Houthis du Yémen et les milices chiites d’Irak, ainsi que le Hezbollah libanais.Hussein Abou Saleh, Docteur associé au Centre d'études et de recherches internationales (CERI), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2073392023-06-13T17:57:44Z2023-06-13T17:57:44ZL’État islamique est-il défait ?<p><em>Si depuis la perte de ses fiefs irakien et syrien, Mossoul et Raqqa, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/etat-islamique-20355">l’État islamique</a> n’administre plus aucun territoire, l’organisation, dont se réclament plusieurs entités terroristes en <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/mali/le-point-sur-les-franchises-de-Daech-qui-frappent-en-afrique_4354447.html">divers points de la planète</a>, continue d’inquiéter. En témoigne un <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/02/1132162">rapport onusien</a> présenté au Conseil de sécurité en 2022 : la <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20220525-afghanistan-l-organisation-%C3%A9tat-islamique-revendique-quatre-attentats-%C3%A0-la-bombe">reprise d’attentats dans ses anciens bastions</a> et son extension sur le continent africain, notamment <a href="https://fr.africanews.com/2023/04/21/au-sahel-le-groupe-etat-islamique-etend-sa-predation/">au Sahel</a>, révèlent entre autres la persistance de l’idéologie de l’État islamique. Dans son nouvel ouvrage <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/l-etat-islamique-est-il-defait/#">« L’État islamique est-il défait ? »</a>, qui vient de paraître aux Éditions CNRS, Myriam Benraad, politologue française spécialiste du monde arabe, professeure en relations internationales à l’Université internationale Schiller et chercheuse associée à l’Institut de Recherches et d’Études sur les Mondes Arabes et Musulmans (IREMAM, unité mixte de recherche qui associe le CNRS et l’Université d’Aix-Marseille) dresse une typologie des facteurs de la défaite de l’organisation jihadiste</em>. </p>
<hr>
<p>« La nuit dernière, sous ma direction, les forces armées américaines, dans le nord-ouest de la Syrie, ont mené avec succès une opération de contre-terrorisme visant à protéger les citoyens américains et nos alliés, et à faire du monde un lieu plus sûr. Grâce à la compétence et au courage de nos forces, nous avons supprimé du champ de bataille Abou Ibrahim al-Hachimi al-Qouraychi, leader de l’État islamique ». </p>
<p>Dans <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2022/02/03/statement-by-president-joe-biden-3/">cette adresse du 3 février 2022</a>, Joe Biden prenait acte de la liquidation d’un des dirigeants jihadistes les plus recherchés au monde. Le président américain se gardait néanmoins d’évoquer une « défaite » de l’État islamique. </p>
<p>Depuis son apparition en Irak à l’automne 2006, plusieurs de ses commandants ont en effet été tués, par trois administrations successives, sans jamais que la mort d’un seul de ces hommes ne conduise à la dissolution définitive du mouvement : <em>[Al-Baghdadi en 2019, puis Al-Qouraychi en février 2022]</em>, puis Abou Hassan, mort quelques mois plus tard en octobre 2022 lors d’une opération de l’Armée syrienne libre dans la province de Deraa, lui-même remplacé par Abou Hussein, vétéran du jihad irakien. Cela étant, les pertes et les destructions endurées par les jihadistes ont été si lourdes au cours des dernières années qu’ils n’ont jamais pu reprendre la main. Dès lors, peut-on raisonnablement parler de défaite de l’État islamique ? </p>
<p>Cette question ne manquera pas d’interpeller les lecteurs, profanes ou fins connaisseurs, tant ce mouvement a fait couler d’encre ces dernières années. Au-delà des réponses hétérogènes que l’on serait tenté d’y apporter, il faut revenir sur la notion de « défaite » pour poser le décor.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/guerre-contre-le-terrorisme-comment-sortir-de-la-spirale-sans-fin-de-la-vengeance-204862">Guerre contre le terrorisme : comment sortir de la spirale sans fin de la vengeance ?</a>
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<p>Relevons qu’il n’existe aucune définition fixe du terme dans le champ des études stratégiques, et en science politique plus largement. Une « défaite » n’est-elle que militaire et physique ? Revêt-elle au contraire une connotation plus symbolique ? De plus, pour s’ancrer dans la durée, une défaite ne doit-elle pas s’assortir de transformations sociopolitiques, économiques et culturelles plus profondes ? </p>
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<p>S’interroger sur la « nature » de la défaite de l’État islamique, pour reprendre <a href="https://www.routledge.com/Understanding-Victory-and-Defeat-in-Contemporary-War/Angstrom-Duyvesteyn/p/book/9780415481649">l’approche théorique développée par Jan Angstrom et Isabelle Duyvesteyn</a>, permet sans doute de repositionner un certain nombre de débats clés, en particulier au moment où les doutes grandissent quant à l’avenir des opérations de contre-insurrection au Moyen-Orient.</p>
<p>Parmi les mouvances jihadistes ayant altéré le cours de l’histoire, il n’est pas excessif de dire que l’État islamique fait figure de chef de file. Partout où il s’est établi, puis déployé, de son terreau moyen-oriental jusqu’en Asie et en Afrique, il a meurtri les sociétés exposées à ses actes, lorsqu’il ne les a pas tout simplement dévastées.</p>
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<p>Chronologiquement, l’État islamique a émergé au croisement d’une trajectoire irakienne brutalisée et d’une transhumance militaire à travers une partie importante du monde musulman. Puisant son inspiration et son orientation dans un registre salafiste-jihadiste, le groupe terroriste n’a jamais eu pour but de réformer les systèmes établis mais plutôt de les anéantir au nom de son utopie.</p>
<p>À ce titre, sa défaite ne fait aucun doute. Tout entier lancé dans une conquête internationale, l’État islamique a échoué à s’ancrer dans l’espace. De la même manière, ses attaques spectaculairement meurtrières ont fini par se retourner contre lui. Ses capacités et ressources sont ainsi fortement diminuées. Assiégé et écrasé dans ses bastions irakien et syrien, l’État islamique a été pourchassé partout où il sévissait. </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Couverture du livre « L’État islamique est-il défait ? »" src="https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu du livre « L’État islamique est-il défait ? » paru aux éditions CNRS le 1ᵉʳ juin 2023.</span>
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<p>Pour autant, aborder la problématique de sa défaite implique de ne pas céder au piège d’une lecture manichéenne, ou d’une simplification de l’idée même de défaite. L’État islamique est vaincu, certes, mais n’oublions pas que le phénomène surpasse sa seule dimension armée. </p>
<p>Il est aussi une militance intergénérationnelle dont les racines remontent au jihad antisoviétique des années 1980, une tentation nihiliste détruisant aussi bien la géographie que l’altérité. Par-delà sa défaite, l’État islamique a surtout su produire du temps, s’implanter aux marges de sociétés en proie à de violents conflits, et transcender sa base partisane première.</p>
<p>Pour mesurer au plus près sa défaite, il faut se méfier en outre des récits officiels et médiatiques en vogue, des perspectives trop statiques, envisager la déroute des jihadistes dans ce qu’elle contient de tangible, d’objectif, de durable. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207339/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Benraad ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des années durant, Daech a terrorisé les populations syrienne et irakienne, et commis de nombreux attentats en Europe, en Afrique, en Asie. Aujourd’hui, peut-on dire que la nébuleuse a disparu ?Myriam Benraad, Responsable du Département Relations internationales & Diplomatie / Schiller International University - Professeure / Institut libre d'étude des relations internationales et des sciences politiques (ILERI) - Chercheure associée / IREMAM (CNRS/AMU), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2056932023-05-17T18:13:24Z2023-05-17T18:13:24ZBachar Al-Assad à la Ligue arabe : le retour du pestiféré syrien sur la scène internationale<p>Ce 19 mai, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/bachar-al-assad-20956">Bachar Al-Assad</a> devrait se rendre à Riyad pour assister au sommet annuel de la <a href="https://www.donneesmondiales.com/alliances/ligue-arabe.php">Ligue arabe</a>.</p>
<p>Le dictateur syrien n’avait plus été convié à ces rencontres depuis mars 2010. En novembre 2011, Damas avait été <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/11/12/la-ligue-arabe-exclut-la-syrie-et-exige-des-sanctions_1603010_3218.html">suspendu de la Ligue</a>, du fait de la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/syrie-la-repression-meurtriere-persiste-malgre-l-ultimatum-des-arabes-17-11-2011-1397430_24.php">violence extrême de la répression</a> qu’il avait déclenchée à l’égard de son opposition intérieure.</p>
<p>Mais le 7 mai dernier, la Syrie a été <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/la-ligue-arabe-reintegre-le-regime-syrien-apres-11-ans-d-absence-20230507">réintégrée</a> ; et le 11 mai, son président a reçu une <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230510-bachar-al-assad-invit%C3%A9-par-l-arabie-saoudite-au-sommet-de-la-ligue-arabe">invitation officielle signée du roi Salmane d’Arabie saoudite</a>.</p>
<p>Ce retour par la grande porte consacre la réhabilitation du régime de Damas au niveau régional. Il constitue aussi, plus largement, le dernier acte dans la reconstitution d’un « Concert arabe » (par analogie avec le Concert européen établi suite au Congrès de Vienne de 1815) que la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/printemps-arabe-27888">vague révolutionnaire de 2011</a> avait temporairement disloqué.</p>
<p>Toutefois, derrière l’apparente unité retrouvée de ce que le politiste Farid El Khazen avait jadis qualifié de <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2006-1-page-59.htm">« cartel autoritaire »</a>, des différences d’approche à l’égard de la question syrienne subsistent entre les États arabes.</p>
<h2>Ces pays qui ont impulsé la réhabilitation de Damas : Irak, Algérie, Émirats, Bahreïn…</h2>
<p>Pour des raisons diverses, plusieurs des 22 États membres de la Ligue arabe avaient dès le départ affiché des réticences face à la suspension de la Syrie décidée en 2011 à l’instigation du Qatar et de l’Arabie saoudite.</p>
<p>Attaché à une stricte neutralité dans les conflits régionaux, Oman avait été la seule monarchie du Golfe à refuser de fermer son ambassade à Damas et, dès 2015, avait accueilli une <a href="https://www.france24.com/fr/20150807-oman-suisse-mediateur-moyen-orient-diplomatie-yemen-ibadisme-qabous-iran-arabie-saoudite">visite officielle du ministre syrien des Affaires étrangères</a>.</p>
<p>Dominés par des partis proches de l’Iran, allié du régime syrien, les gouvernements libanais et irakien rejetaient également l’ostracisation d’Assad. L’Algérie avait <a href="https://sana.sy/fr/?p=26420">adopté une ligne similaire</a> pour des raisons tenant à la fois à une opposition de principe aux ingérences étrangères dans les affaires des États de la région, et à une mise en parallèle du conflit syrien avec l’insurrection islamiste que le pays avait connue dans les années 1990.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1635490138540187649"}"></div></p>
<p>C’est en 2018, suite à la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/des-rebelles-remettent-leurs-armes-dans-le-centre-de-la-syrie-04-05-2018-2215815_24.php">reprise des régions rebelles du Sud et du centre</a> de la Syrie par les forces loyalistes, que le groupe des pays arabes favorables à la réhabilitation d’Assad commence à s’élargir.</p>
<p>Le mouvement est lancé par les Émirats arabes unis et le royaume du Bahreïn qui, fin 2018, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2018/12/27/syrie-les-emirats-rouvrent-leur-ambassade-a-damas_5402756_3210.html">rouvrent leurs ambassades à Damas</a>. Tant Abu Dhabi que Manama avaient jusqu’alors suivi une ligne ambiguë vis-à-vis de la question syrienne. Farouchement hostiles aux mouvements révolutionnaires de 2011 (qui avaient <a href="https://www.cairn.info/revue-tumultes-2012-1-page-213.htm">menacé la monarchie bahreïnie sur son propre sol</a>), les deux monarchies avaient soutenu certains éléments de l’opposition syrienne afin d’y réduire le poids relatif des islamistes. Parallèlement, elles continuaient d’accueillir non seulement des ambassades du gouvernement de Damas, mais aussi des figures proches du régime (dont la <a href="https://www.reuters.com/article/us-syria-crisis-bushra-idUSBRE88Q1LS20120927">propre sœur d’Assad, Bouchra</a>) désireuses de se mettre à l’abri, avec leurs fortunes, lorsque les combats faisaient rage en Syrie.</p>
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<p>Une fois acquise la victoire militaire du régime de Damas, se rapprocher de ce dernier relève, pour les monarchies concernées, d’une volonté de fermer définitivement la parenthèse des mouvements révolutionnaires du début de la décennie, dont les répliques de 2019 (en <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/10/25/en-irak-une-journee-de-manifestation-sanglante_1759713/">Irak</a>, en <a href="https://theconversation.com/larmee-algerienne-a-lepreuve-du-mouvement-citoyen-du-hirak-131798">Algérie</a>, au <a href="https://www.bbc.com/afrique/region-47899322">Soudan</a> et au <a href="https://theconversation.com/les-libanais-entre-exaltation-et-angoisse-vent-debout-contre-la-corruption-des-elites-125610">Liban</a>) vont bientôt montrer qu’ils ne sont pas un simple souvenir. Pour les Émirats, reprendre langue avec Assad s’inscrit également dans une stratégie d’endiguement de l’influence de la Turquie, alors à couteaux tirés avec Damas.</p>
<h2>Avec Joe Biden, la fin de l’inflexibilité américaine</h2>
<p>L’ouverture de 2018 était initialement restée sans lendemain du fait des sévères avertissements de l’administration Trump à l’endroit de ses alliés régionaux et de la mise en œuvre, l’année suivante, de <a href="https://www.aljazeera.com/news/2021/3/9/us-sanctions-challenge-syrias-return-to-arab-fold-says-uae">nouveaux trains de sanctions américaines</a> et <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2019/03/04/syria-eu-adds-7-ministers-to-sanctions-list/">européennes</a> contre la Syrie.</p>
<p>Il a donc fallu attendre l’arrivée de Joe Biden en 2021 pour que reprennent les tentatives de réhabiliter Assad. Divisé entre tenants de l’intransigeance (<a href="https://www.reuters.com/world/us-lawmakers-introduce-bill-combat-normalization-with-syrias-assad-2023-05-11/">très influents au Congrès</a>) et partisans d’une normalisation à bas bruit via un <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/syria/2019-04-16/hard-truths-syria">accord entre le régime et les Forces démocratiques syriennes soutenues par Washington</a>, le gouvernement américain se refuse à tout changement dans ses relations bilatérales avec Damas… tout en laissant <em>de facto</em> le champ libre à ses alliés régionaux pour renouer avec Assad.</p>
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<p>C’est dans ce contexte que survient un nouveau réchauffement des relations bilatérales entre le régime syrien et les Émirats qui aboutit, en mars 2022, à la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/assad-aux-emirats-premiere-visite-dans-un-pays-arabe-depuis-le-debut-du-conflit-en-syrie-18-03-2022-2468791_24.php">première visite d’Assad dans une capitale arabe depuis le début du conflit</a>.</p>
<h2>Jordanie, Égypte, Arabie saoudite : un rapprochement conditionnel avec Damas</h2>
<p>Dans l’intervalle, un nouveau protagoniste est monté dans le train de la normalisation avec Damas : la Jordanie. Soucieux de dynamiser son économie, le royaume hachémite rétablit en 2021 les communications terrestres et aériennes avec son voisin syrien. D’emblée, cependant, la Jordanie s’inscrit explicitement dans une <a href="https://english.aawsat.com/home/article/3221771/secret-jordanian-document-proposes-%E2%80%98change-behavior%E2%80%99-syrian-regime">stratégie du « pas-à-pas »</a>, appelant à une normalisation graduelle en échange de mesures concrètes.</p>
<p>Celles-ci concernent en particulier le retour des réfugiés syriens, dont plus de 600 000 continuent de résider dans ce pays de 11 millions d’habitants. Elles portent, par ailleurs, sur la présence dans le Sud de la Syrie de milices pro-iraniennes, que la Jordanie souhaiterait voir éloignées de sa frontière, ainsi que sur le trafic de Captagon, une drogue dont le commerce a permis aux acteurs militaires et paramilitaires syriens de compenser la chute des revenus tirés, jusqu’en 2018, des droits de passage entre zones loyalistes et poches rebelles. Porte d’entrée des lucratifs marchés du Golfe, la Jordanie identifie le trafic de drogue comme un problème de sécurité nationale, allant jusqu’à mener le 8 mai dernier (soit le lendemain du retour d’Assad dans la Ligue arabe) un <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20230508-un-trafiquant-de-captagon-syrien-tu%C3%A9-par-un-raid-jordanien-%C3%A0-l-est-de-soue%C3%AFda">raid aérien en Syrie</a> contre des sites de production de Captagon.</p>
<p>Un autre partisan « conditionnel » de la réhabilitation régionale d’Assad est l’Égypte, qui a souligné que la réadmission de Damas dans la Ligue arabe <a href="https://www.aa.com.tr/en/africa/egypt-says-syrias-return-to-arab-league-does-not-entail-full-normalization/2893825">n’équivaut pas à une normalisation pleine et entière</a>. Médiateur entre Israël et les factions armées palestiniennes, Le Caire attend du régime syrien qu’il exerce une influence modératrice sur ces dernières et sur leurs alliés du Hezbollah libanais, de manière à prévenir des incidents tels que le tir, en avril dernier, de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/israel-intercepte-une-roquette-tiree-du-liban-et-risposte-avec-des-frappes_5755952.html">plusieurs dizaines de roquettes depuis le Sud-Liban en direction d’Israël</a>.</p>
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<p>Bien que réunissant un nombre croissant de suffrages, le retour de la Syrie dans la Ligue arabe se heurtait encore, lors du <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20221101-en-alg%C3%A9rie-la-ligue-arabe-tient-son-premier-sommet-depuis-la-pand%C3%A9mie-de-Covid-19">sommet tenu à Alger en 2022</a>, aux réticences de l’Arabie saoudite.</p>
<p>Celles-ci seront finalement surmontées quelques mois plus tard à la faveur de deux développements majeurs. Le premier est le <a href="https://theconversation.com/pourquoi-il-y-a-des-seismes-en-cascade-en-turquie-et-en-syrie-199350">séisme meurtrier du 6 février 2023</a>, qui permet de justifier un mouvement multilatéral de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1334542/la-syrie-et-la-tunisie-vont-retablir-leurs-relations-diplomatiques.html">normalisation avec le régime syrien</a>) sous couvert <a href="https://www.rtbf.be/article/seisme-en-syrie-premier-avion-saoudien-d-aide-humanitaire-depuis-plus-de-dix-ans-11152470">d’assistance humanitaire</a>. Le second est la conclusion, en mars suivant, d’un accord portant sur le <a href="https://theconversation.com/iran-arabie-saoudite-un-compromis-diplomatique-sous-legide-de-pekin-201828">rétablissement des relations diplomatiques entre le royaume saoudien et l’Iran</a>, détente qui atténue ce qui constituait jusqu’alors l’un des principaux contentieux entre Riyad et Damas, à savoir l’alliance de cette dernière avec Téhéran.</p>
<p>Le rapprochement avec Damas avait été initialement présenté par Riyad et Abu Dhabi (notamment auprès des partenaires occidentaux) comme une manière <a href="https://amwaj.media/media-monitor/syria-s-assad-continues-normalization-push-with-gulf-arab-states">d’éloigner Assad de l’orbite iranienne</a>. Ainsi, les investissements des monarchies du Golfe dans la reconstruction de la Syrie devaient supposément contrebalancer l’influence que Téhéran exerce dans le pays à travers le déploiement de milliers de combattants affiliés aux Gardiens de la Révolution. Mais, en réalité, pour l’Arabie, l’actuelle normalisation avec Damas s’apparente beaucoup plus à une acceptation du protectorat de fait de l’Iran sur la Syrie qu’à une tentative de le contester.</p>
<p>Embourbé au Yémen et désillusionné quant à la crédibilité du soutien militaire américain, le royaume saoudien a opté pour un désengagement des conflits régionaux, espérant ainsi promouvoir une stabilité bénéfique à <a href="https://www.vision2030.gov.sa/">ses ambitieux projets de développement économique</a>. Comme les Jordaniens, les Saoudiens espèrent que leur normalisation avec Damas encouragera Assad à <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/arabs-bring-syrias-assad-back-into-fold-want-action-drugs-trade-2023-05-09/">juguler les exportations de Captagon au départ de son territoire</a>.</p>
<h2>L’hostilité du Maroc, du Qatar et du Koweït… et la suspicion des autres</h2>
<p>Même après le retour d’Assad dans le giron arabe, il reste un <a href="https://www.wsj.com/articles/saudi-push-to-bring-syria-back-to-arab-fold-faces-resistance-aa0b4e70">petit groupe d’irréductibles</a> qui, pour des raisons diverses, se refusent à normaliser leurs relations bilatérales avec les autorités de Damas.</p>
<p>Outre le Qatar, sponsor le plus enthousiaste de l’opposition syrienne, ce « camp du refus » inclut le Maroc, qui reproche au régime syrien son soutien politique aux indépendantistes sahraouis du Front Polisario ; le Koweït, où les révolutionnaires syriens conservent de solides soutiens, notamment parmi les députés islamistes au Parlement ; et le gouvernement yéménite en exil, qui voit logiquement d’un mauvais œil le fait que Damas héberge une ambassade du mouvement Houthi.</p>
<p>Aucun des acteurs précités n’a l’envie ou les moyens de s’opposer à l’axe Riyad-Abu Dhabi sur la question syrienne. Toutefois, le (relatif) consensus arabe sur la réhabilitation d’Assad reste fragile et pourrait se fissurer à l’avenir, sous l’effet de deux facteurs.</p>
<p>Le premier est la capacité éprouvée du régime syrien à trahir ses engagements, qui pourrait échauder les partisans d’une normalisation sous conditions. Le second serait un affrontement militaire majeur entre Israël et l’Iran, dont la probabilité reste faible mais s’accroît du fait de la détente saoudo-iranienne. Du point de vue des responsables israéliens, en effet, cette détente les contraint à <a href="https://www.jpost.com/middle-east/article-742131">assumer seuls la tâche d’endiguer l’influence de Téhéran dans la région</a>. Un tel affrontement, qui se jouerait en grande partie sur le sol syrien, mettrait à nu les contradictions des réalignements stratégiques dont Damas constitue aujourd’hui le pivot. En cas de guerre, ceux-là mêmes qui renouent aujourd’hui avec Assad auraient probablement du mal à cacher leur espoir de voir durablement affaibli son allié iranien, qu’ils perçoivent depuis plus de quatre décennies comme la principale menace stratégique à leur encontre.</p>
<p>En attendant, sa participation au sommet du 19 mai marque indéniablement une grande victoire politique pour Bachar Al-Assad, et une <a href="https://syrianobserver.com/news/82902/opposition-condemns-assad-regimes-return-to-arab-league.html">terrible désillusion pour l’opposition</a>. Certes, le président syrien avait, au cours de ces dernières années, rencontré certains dirigeants étrangers, comme <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230315-vladimir-poutine-et-bachar-al-assad-s-entretiennent-%C3%A0-moscou-r%C3%A9conciliation-turco-syrienne-au-menu">Vladimir Poutine</a> ou <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230503-ebrahim-ra%C3%AFssi-se-rend-%C3%A0-damas-premi%C3%A8re-visite-d-un-pr%C3%A9sident-iranien-en-syrie-depuis-2010">Ebrahim Raïssi</a> ; mais être accueilli à Riyad et se retrouver à nouveau sur la photo de groupe en compagnie des représentants de 21 autres États arabes constitue une étape supplémentaire dans le retour au premier plan d’un homme qui, il y a quelques années encore, apparaissait comme un paria absolu…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205693/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Pierret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Après onze ans de suspension, la Syrie vient d’être réintégrée à la Ligue arabe. Pour cette influente organisation régionale, Bachar Al-Assad n’est plus un paria.Thomas Pierret, Chargé de recherches à l’Institut de Recherches et d’Études sur les Mondes Arabes et Musulmans (IREMAM), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2037822023-04-19T16:57:04Z2023-04-19T16:57:04ZLa Turquie, une puissance médiatrice entre la Russie et l’Ukraine ?<p>Au cours de ces dernières années, la politique étrangère conduite par la Turquie – en <a href="https://www.cairn.info/la-guerre-de-l-information-aura-t-elle-lieu--9782100759729-page-196.htm">Syrie</a>, en <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2021-HS3-page-70.htm">Libye</a> au <a href="https://theconversation.com/haut-karabagh-cessez-le-feu-sur-une-ligne-de-faille-geopolitique-149958">Haut-Karabakh</a> ou encore en <a href="https://theconversation.com/que-veut-la-turquie-en-mediterranee-orientale-147694">Méditerranée orientale</a> – a souvent été perçue par ses partenaires occidentaux traditionnels (États-Unis et UE) comme excessivement interventionniste, voire agressive. Les tensions étaient multiples entre Ankara d’un côté, Washington et les Européens de l’autre.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/tensions-entre-la-turquie-et-la-france-un-effet-miroir-149245">Tensions entre la Turquie et la France, un effet miroir ?</a>
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<p>Depuis février 2022, le conflit en Ukraine a rebattu les cartes. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/13/guerre-en-ukraine-erdogan-se-pose-en-mediateur-aupres-de-poutine_6145659_3210.html">Se positionnant en tant que médiatrice</a> entre Kiev et Moscou, Ankara est redevenue un acteur incontournable sur la scène internationale.</p>
<p>Au même titre que la crise économique ou les <a href="https://theconversation.com/seisme-en-turquie-pourquoi-autant-de-degats-et-dimpuissance-203191">séismes du 6 février dernier</a>, l’activisme diplomatique turc pèsera sans doute sur les prochaines élections présidentielle et législatives, qui se tiendront le 14 mai et pourraient aboutir à la fin de l’ère Recep Tayyip Erdogan et de son parti AKP, entamée en 2002.</p>
<h2>Ankara-Moscou : vingt ans de rapprochement</h2>
<p>Alors que durant la guerre froide, la <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2003-3-page-209.htm">Turquie et l’URSS avaient été des adversaires idéologiques</a>, Ankara a développé avec la Russie, au cours des vingt dernières années, un <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/russieneireports/russia-and-turkey-strategic-partners-and-rivals">« partenariat stratégique » fondé sur une relation ambivalente</a> : coopération politique, économique et militaire renforcée d’un côté, rivalités régionales de l’autre (en Syrie, en Libye et au Haut-Karabakh, les deux parties ont soutenu, et soutiennent encore, des camps opposés).</p>
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<p>Le volume des échanges commerciaux <a href="https://data.tuik.gov.tr/">n’a cessé de croître depuis vingt ans</a> et la Turquie est aujourd’hui fortement dépendante de Moscou pour ses besoins énergétiques (la Russie est <a href="https://www.dailysabah.com/business/energy/turkeys-gas-imports-up-65-in-august-as-russia-top-supplier">son premier fournisseur de gaz</a>) et la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-d-anthony-bellanger/histoires-du-monde-du-mardi-17-mai-2022-5201337">société russe Rosatom est en train d’y construire une centrale nucléaire</a>. Le <a href="https://fr.euronews.com/2022/09/15/rebond-du-tourisme-en-turquie-les-touristes-russes-sont-nombreux-sur-les-rives-du-bosphore">tourisme en provenance de Russie</a>, estimé à plusieurs millions de visiteurs par an, représente aussi un apport de devises essentiel pour la Turquie.</p>
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<p>Dans le contexte de la dégradation des relations entre la Russie et les pays européens, ces échanges devraient sans doute se renforcer dans l’avenir, facilités par l’absence de visa pour voyager entre les deux pays et le maintien de liaisons aériennes directes entre la Turquie et la Russie malgré les sanctions européennes.</p>
<p>De plus, de nombreux entrepreneurs russes utilisent la Turquie pour acheter des marchandises européennes en contournant les sanctions occidentales, ce qui conduit certains à considérer la Turquie comme le <a href="https://www.courrierinternational.com/article/le-chiffre-du-jour-la-turquie-cheval-de-troie-des-sanctions-contre-la-russie">« cheval de Troie » des sanctions contre la Russie</a>.</p>
<p>Enfin, le rapprochement stratégique entre les deux pays s’est traduit par la mise en œuvre d’une coopération militaire dont témoigne <a href="https://www.frstrategie.org/publications/defense-et-industries/export-russe-systemes-anti-aeriens-s-400-intentions-strategiques-atouts-industriels-politiques-limites-2019">l’achat par Ankara en 2017 de systèmes de défense antiaérienne S-400</a> auprès de Moscou, ce qui a entraîné les protestations des alliés de la Turquie au sein de l’OTAN et l’adoption de sanctions par les États-Unis : en juillet 2019, l’administration Trump a exclu la participation de la Turquie du programme de construction de l’avion de chasse américain F-35. En décembre 2020, les <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20201214-les-%C3%A9tats-unis-sanctionnent-la-turquie-pour-l-achat-de-missiles-russes-s-400">États-Unis interdisent tout nouveau permis d’exportation d’armes</a> à l’agence gouvernementale turque en charge des achats d’armement. À terme, ces sanctions étatsuniennes pourraient conduire la Turquie à se rapprocher d’autres partenaires que ses alliés occidentaux.</p>
<h2>Ankara-Kiev : un partenariat militaire intense</h2>
<p>Parallèlement à cette <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2018-1-page-113.htm?ref=doi">proximité croissante avec la Russie</a>, la Turquie a développé depuis la disparition de l’URSS des relations économiques importantes avec l’Ukraine, les deux pays étant riverains de la mer Noire.</p>
<p>Ankara importe des céréales et des oléagineux depuis l’Ukraine, dont les touristes affluent tout au long de l’année sur les côtes turques (2 millions en 2021, en troisième position après la Russie et l’Allemagne). Le tourisme en provenance de Russie et Ukraine, qui représentait un quart du total en 2021, s’est <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/en-direct-du-monde/en-turquie-la-guerre-en-ukraine-gache-la-saison-touristique_4976706.html">brutalement arrêté à partir de février 2022</a>, malgré les efforts des autorités turques pour le relancer. Par ailleurs, la Turquie est devenue un <a href="https://data.unhcr.org/en/situations/ukraine">pays d’accueil pour de nombreux réfugiés ukrainiens ayant fui la guerre</a>, mais aussi pour de nombreux Russes qui fuient la répression dans leur pays, la mobilisation ou les effets des sanctions occidentales.</p>
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<p>Surtout, depuis l’affaiblissement de ses liens avec ses partenaires occidentaux, Ankara s’est tournée vers Kiev pour développer une coopération renforcée en matière d’industrie de défense et exporter sa production de drones. En mai 2016, un premier accord d’armement officiel acte la fourniture des drones turcs Bayraktar à l’Ukraine.</p>
<p>En août 2020, un accord bilatéral prévoit une coopération accrue entre les industries de défense turque et ukrainienne, avec la mise en place de projets communs en matière de production de navires de guerre, de drones et un échange de savoir-faire et d’équipements. En 2021, des marins militaires ukrainiens sont formés par la Turquie. Un accord est signé pour la production conjointe de drones en novembre 2021 et <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/turquie-arbitre-guerre-ukraine-2022">l’ouverture d’une usine qui produira le drone turc TB2 Bayraktar SİHA en Ukraine est prévue pour fin 2023</a>.</p>
<p>Les drones turcs ont été <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/l-ukraine-utilise-des-drones-turcs-pour-frapper-les-s%C3%A9paratistes-dans-la-r%C3%A9gion-du-donbass/2404410">utilisés par l’Ukraine contre les séparatistes pro-russes du Donbass</a> pour la première fois en octobre 2021. Depuis le déclenchement de l’agression russe en 2022, ils ont été employés à de multiples reprises contre les colonnes blindées russes en Ukraine, et auraient aussi joué un rôle dans l’attaque du croiseur russe Moskva en avril 2022, suscitant <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/04/18/guerre-en-ukraine-les-drones-bayraktar-pomme-de-discorde-entre-ankara-et-moscou_6122641_3210.html">l’irritation de Vladimir Poutine</a>. </p>
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<p>Lors d’une visite du président Erdogan à Kiev début février 2022, les deux pays ont signé un accord de libre-échange qui favorise l’approfondissement de la coopération militaire et technologique bilatérale à travers la multiplication de projets de défense communs, incluant notamment des transferts de technologies. Au cours du premier trimestre 2022, les exportations d’armements turcs vers l’Ukraine ont été <a href="https://www.reuters.com/world/ukraines-defence-imports-turkey-jumped-30-fold-q1-turkish-data-2022-04-06/">multipliées par 30</a>. La Turquie bénéficie aussi, pour le développement de ses drones, du niveau technologique de l’Ukraine en matière de motorisation aérienne.</p>
<h2>Une posture de médiation</h2>
<p>La relation de dépendance de la Turquie à l’égard de la Russie, dont témoigne le <a href="https://www.mfa.gov.tr/relations-between-turkey-and-the-russian-federation.en.mfa">fort déséquilibre des échanges économiques et commerciaux entre les deux pays</a>, combinée à ses liens privilégiés avec l’Ukraine sur les plans économique et militaire, a conduit Ankara à ne pas prendre totalement parti pour l’un ou l’autre camp dans le conflit, et à tenter de jouer un rôle de médiation.</p>
<p>D’un côté, la Turquie a toujours exprimé sa solidarité à l’égard de l’Ukraine dans son conflit avec la Russie. Elle a condamné l’annexion de la Crimée en 2014 et <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/erdogan-reconnaitre-les-republiques-separatistes-pro-russes-est-inacceptable-20220222">n’a jamais reconnu les républiques autoproclamées</a> du Donbass. Elle a dénoncé l’agression russe contre l’Ukraine, appelé Moscou à retirer ses troupes et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/03/guerre-en-ukraine-la-turquie-verrouille-ses-detroits-aux-navires-russes_6115976_3210.html">fermé les détroits de la mer Noire</a> au passage des navires de guerre russes. Mais, de l’autre côté, elle n’applique pas les sanctions européennes contre Moscou. C’est dans ce contexte qu’elle a proposé ses bons offices pour le règlement du conflit.</p>
<p>Depuis février 2022, trois rencontres ont été organisées entre les diplomaties russe et ukrainienne sur le territoire turc. Parallèlement, Recep Tayyip Erdogan est l’un des rares dirigeants mondiaux à pouvoir s’entretenir avec Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky, qu’il a tous deux rencontrés personnellement au cours de l’année 2022.</p>
<p>La Turquie a également joué un rôle décisif en signant en juillet 2022 <a href="https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/cereales-ukrainiennes-les-enjeux-de-l-accord-entre-l-ukraine-la-russie-et-la-turquie-1658494066">l’accord céréalier</a>, ukraino-russe sous l’égide de l’ONU, qui a permis à près de 25 millions de tonnes de céréales ukrainiennes d’être exportées en sortant du blocus imposé à l’Ukraine et d’atteindre leur destination au Moyen-Orient et Afrique pour éviter une crise alimentaire mondiale. En mars 2023, la Turquie et l’ONU ont annoncé la <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/extension-de-120-jours-de-laccord-sur-les-cereales-ukrainiennes-20230318_DDEISXC43RF2HHB34D42RJRAJA/">prolongation de l’accord international sur l’exportation des céréales ukrainiennes</a>. </p>
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<img alt="Recep Tayyip Erdogan serre la main du secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres sous les yeux de Volodymyr Zelensky" src="https://images.theconversation.com/files/521316/original/file-20230417-16-9ekbcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521316/original/file-20230417-16-9ekbcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521316/original/file-20230417-16-9ekbcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521316/original/file-20230417-16-9ekbcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521316/original/file-20230417-16-9ekbcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521316/original/file-20230417-16-9ekbcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521316/original/file-20230417-16-9ekbcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Recep Tayyip Erdogan serre la main du secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres devant Volodymyr Zelensky à Lviv (Ukraine), le 18 août 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Mykola Tys/Shutterstock</span></span>
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<p><a href="https://www.liberation.fr/international/turquie-la-crise-ukrainienne-est-une-opportunite-historique-pour-erdogan-de-montrer-son-importance-20220608_KKIQYMHA3JGPZFTVGH7PYXBHGE/">Certains observateurs</a> ont interprété cette posture comme une opportunité, pour la Turquie, de redynamiser sa politique étrangère, confrontée à de multiples errements et échecs au cours des dernières années dans la région. </p>
<h2>Quelles conséquences sur les relations avec les alliés de la Turquie ?</h2>
<p>Au plus bas à cause des facteurs cités plus haut, les relations entre Ankara et l’Occident se sont dernièrement réchauffées, les Occidentaux appréciant l’intérêt que présente la posture d’intermédiaire entre Moscou et Kiev qu’a adoptée la Turquie et, bien sûr, sa position stratégique, qui fait d’elle la gardienne des détroits de la mer Noire. Aux yeux des partenaires occidentaux, la Turquie retrouve une valeur stratégique qu’elle semblait avoir perdue.</p>
<p>En outre, face à la menace plus sensible que jamais posée par la Russie, la Finlande et la Suède, traditionnellement neutres, ont décidé de rejoindre l’OTAN. La Turquie, membre de l’Alliance, est incontournable dans le processus d’adhésion des deux nouveaux pays candidats en raison de l’unanimité requise des pays membres de l’organisation.</p>
<p>Si la <a href="https://theconversation.com/finlande-une-nouvelle-ere-203576">Finlande a été admise en mars 2023</a>, la Suède voit pour l’instant son adhésion bloquée par la Turquie (ainsi que la Hongrie). Les autorités turques <a href="https://fr.euronews.com/2023/01/21/adhesion-a-lotan-la-turquie-annule-une-visite-du-ministre-suedois-de-la-defense-a-ankara">reprochent à la Suède d’héberger des militants kurdes</a> qu’elle considère comme des terroristes, et réclame leur extradition. Plusieurs <a href="https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20230124-otan-nouvel-incident-diplomatique-entre-la-turquie-et-la-su%C3%A8de-apr%C3%A8s-une-manifestation">incidents diplomatiques</a> ont également dégradé les relations entre les deux pays, malgré de nombreux contacts au plus haut niveau et un <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/organismes-internationaux/otan/la-turquie-donne-son-accord-pour-soutenir-l-entree-de-la-suede-et-de-la-finlande-dans-l-otan-580f39f2-f713-11ec-8d9e-ebb0bb3f5c46#">mémorandum d’accord</a> levant le blocage d’Ankara à la candidature de Stockholm (et de Helsinki) signé en juin 2022.</p>
<h2>Et après le 14 mai ?</h2>
<p>Le conflit russo-ukrainien offre ainsi à la Turquie un levier qu’elle peut utiliser aussi bien envers la Russie pour affaiblir son influence en mer Noire par une coopération renforcée avec l’Ukraine qu’envers ses partenaires occidentaux, afin de leur rappeler qu’elle demeure un allié utile dans ce conflit en sa qualité de puissance régionale médiatrice, puisqu’elle est le seul pays membre de l’OTAN à dialoguer avec les deux belligérants.</p>
<p>L’inconnue demeure l’évolution de la politique étrangère turque après les élections du 14 mai 2023. En cas de victoire de l’opposition, une inflexion dans le discours des autorités turques pourrait être envisageable. La « table des six », qui réunit six partis d’opposition autour de son candidat unique Kemal Kiliçdaroglu, a promis le retour à une diplomatie institutionnalisée et une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/03/elections-en-turquie-les-dirigeants-europeens-doivent-se-preparer-a-l-eventualite-d-une-alternance-au-sommet-de-l-etat-turc_6168028_3232.html">normalisation des rapports avec l’OTAN</a>. Dans la pratique, en revanche, une certaine continuité des orientations de la politique étrangère d’Ankara semble toutefois probable sur plusieurs enjeux (question chypriote, relations avec la Russie), en raison de la position géopolitique de la Turquie et de ses liens de dépendance avec ses voisins.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203782/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La Turquie de Recep Tayyip Erdogan cherche à jouer les médiateurs dans le conflit russo-ukrainien, retrouvant ainsi une place centrale dans la géopolitique régionale, voire mondiale.Nicolas Monceau, Maître de conférences en science politique, Université de BordeauxBayram Balci, Chercheur au CERI-Sciences Po, ancien directeur de l'Institut français d'études anatoliennes-Georges Dumézil d'Istanbul, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2010402023-03-13T19:55:39Z2023-03-13T19:55:39ZQui sont les « infréquentables » sur la scène internationale ?<p>Le terrible séisme qui a dévasté une zone située à la frontière syro-turque s’est inséré dans l’agenda international d’un acteur qui, depuis près de douze ans, était devenu infréquentable aux yeux de la majorité des pays de la communauté internationale : le dirigeant syrien Bachar Al-Assad. S’imposant comme destinataire d’une grande partie de l’aide destinée aux régions syriennes sinistrées, <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20230301-apr%C3%A8s-le-s%C3%A9isme-en-syrie-bachar-el-assad-plus-fr%C3%A9quentable">il instrumentalise ce drame pour reconquérir une forme de légitimité auprès des acteurs étrangers</a>, avec un succès certain auprès de plusieurs pays de la Ligue arabe, <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/11/12/la-ligue-arabe-exclut-la-syrie-et-exige-des-sanctions_1603010_3218.html">dont la Syrie a été exclue en 2011</a>. </p>
<p>Déjà passé du statut de paria à celui d’interlocuteur il y a quinze ans (il avait été ostracisé après <a href="https://www.lejdd.fr/International/proces-de-lassassinat-de-rafiq-harir-le-spectre-de-bachar-el-assad-a-la-haye-3762554">l'assassinat du premier ministre libanais Rafic Hariri en 2005</a>, avant de redevenir fréquentable en 2008, quand Nicolas Sarkozy l’avait <a href="https://www.liberation.fr/planete/2008/06/11/le-dictateur-syrien-bachar-el-assad-invite-officiel-au-defile-du-14-juillet_21147/">invité à assister aux festivités du 14 juillet à Paris</a>), Bachar Al-Assad semble profiter d’un mouvement de balancier bien connu en relations internationales. Les exemples abondent dans l’histoire, jusqu’à nos jours : on se souvient, par exemple, du <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/la-rencontre-trump-kim-jong-un-a-singapour-en-2018-la-communication-contre-le-desarmement-2421821">sommet de Singapour entre Donald Trump et Kim Jong-Un en 2018</a> ; encore plus près de nous, certaines voix plaident avec insistance pour que Vladimir Poutine, malgré la guerre d’Ukraine, reste considéré <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/guerre-en-ukraine/point-de-vue-faut-il-dialoguer-avec-vladimir-poutine-f8726c50-a8f5-11ec-9ac1-ea170a3bd944">comme un homme avec lequel on peut parler</a>.</p>
<p>« Infréquentable » est donc un label fluctuant. Il n’en reste pas moins que ce label existe et est régulièrement mobilisé ; qui l’attribue, selon quelles modalités et quelles temporalités ?</p>
<h2>Labelliser l’infréquentable</h2>
<p>Expliquant sa démission du poste de médiateur de l’ONU en Syrie en novembre 2019, Staffan de Mistura <a href="https://www.lefigaro.fr/international/staffan-de-mistura-l-ex-mediateur-de-l-onu-en-syrie-qui-ne-voulait-plus-serrer-la-main-de-bachar-el-assad-20191106">déclare</a> : « Je ne pouvais pas être celui qui serre la main d’Assad en disant : “<em>Malesh</em>” (Ce n’est pas grave). » Supposé dialoguer avec toutes les parties en conflit, il se trouve là face à la figure de l’infréquentable qui finit par s’imposer dans toute son épaisseur. Bachar Al-Assad, par sa réponse militaire aux mobilisations populaires de 2011 et ses <a href="https://theconversation.com/le-massacre-de-tadamon-une-enquete-secrete-de-chercheurs-sur-la-politique-dextermination-en-syrie-184212">violations répétées du droit international</a>, notamment humanitaire, incarne cette infréquentabilité.</p>
<p>Mais il n’est pas le seul affublé de cette étiquette, et ne se prive pas d’arguer qu’il existe plus infréquentable que lui avec l’entrée en jeu de l’État islamique, proclamé en juin 2014. Par ailleurs, l’irruption de la crise syrienne a conduit certains appareils diplomatiques à fréquenter d’anciens infréquentables : ceux que le régime de Damas traquait, comme les Frères musulmans (en Syrie, <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/1381">être Frère musulman est puni de la peine de mort</a>) qui participent dès 2011 à la construction d’une opposition politique.</p>
<p>Que signifie être fréquentable pour un appareil diplomatique ? Le terme contient une dimension pratique (de même qu’une route que l’on peut emprunter, un acteur fréquentable est un interlocuteur avec lequel le dialogue peut aboutir) et morale (un lieu fréquentable est un lieu dans lequel on ne se compromet pas). Pour qui s’intéresse aux relations internationales et à la fabrique de la politique étrangère, il permet surtout de dépasser la dichotomie ami/ennemi et de saisir la complexité des choix, des justifications et des bifurcations.</p>
<p>La question de l’infréquentable commence par la labellisation des acteurs qui dérogent à la norme établie (au sens légal ou comme standard de comportement) pour justifier leur exclusion du champ politique.</p>
<p>Du fait de l’inégale répartition de la puissance sur la scène internationale, les « labellisateurs », qui affirment leur légitimité à qualifier et donc à disqualifier, sont d’abord les gouvernements les plus dotés. Mais le processus n’est pas exempt de débats. Dans la crise syrienne, l’exécutif français ostracise le régime à partir de 2011, mais les services de renseignement mobilisent l’agenda de la lutte contre le terrorisme pour suggérer une relance des contacts avec Damas et un <a href="https://hal.science/hal-01947200/document">petit nombre de parlementaires organise des visites dans le pays</a>.</p>
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<p>Les politiques peuvent également différer entre alliés stratégiques. Les décalages temporels sont alors des plus instructifs : ainsi, les États-Unis classent le Hezbollah ou le PKK kurde sur leur liste noire bien avant les Européens.</p>
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<p>Par ailleurs, poser le sceau de l’infréquentabilité n’est pas une prérogative des dominants sur la scène internationale. Le régime iranien est à l’origine d’une rhétorique au succès certain, celle du « Grand Satan » (formule qui désigne les États-Unis), qui vise à <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Stigmate-2092-1-1-0-1.html.">renverser le stigmate</a>. De même, nombre d’acteurs cherchent à (re)gagner leur statut d’interlocuteur en dénonçant plus infréquentables qu’eux. Au Yémen, Abd Rabbo Mansour Hadi désigne son camp sous le nom explicite d’<em>al-shari’a</em> (la légitimité) et se positionne comme interlocuteur unique de la communauté internationale. Quant au régime syrien, il déshumanise ses opposants, <a href="https://observers.france24.com/fr/20110621-reactions-discours-bachar-al-assad-il-fait-promesses-parfaitement-irrealisables-syrie">Bachar Al-Assad les qualifiant de microbes contre lesquels il faut s’immuniser</a>, dès ses premiers discours en juin 2011, pour justifier son refus de négocier. Le mimétisme est enfin poussé jusqu’à employer les mêmes labels que les puissances occidentales, notamment celui du terrorisme.</p>
<p>Outre les acteurs et les processus, quels sont les objectifs de la labellisation ? S’agit-il de neutraliser et isoler un acteur réfractaire ou, dans une version plus « positive », de contraindre les labellisés à renoncer au comportement dénoncé ? Ce second postulat pose la question du dialogue et permet de nourrir, à renfort de nouvelles archives, l’intérêt pour l’histoire contrefactuelle : aurait-on dû considérer tel infréquentable comme fréquentable ? Ou fréquenter l’infréquentable lui a-t-il permis de profiter du temps de la négociation et du statut d’équivalent moral pour défendre son propre agenda (syndrome de Munich) ?</p>
<p>Le profil des criminels de guerre est au centre de ces débats : un acteur peut-il être fréquentable pour les diplomates et infréquentable pour les procureurs ? Le questionnement est central pour le chercheur comme pour le praticien. « Comment puis-je, à la fois, prendre le thé avec Milošević pour trouver un règlement négocié au conflit et, dans le même temps, le traiter en criminel de guerre ? », <a href="https://www.researchgate.net/publication/314863286_Pierre_Hazan_2010_La_paix_contre_la_justice_Comment_reconstruire_un_%C3%89tat_avec_des_criminels_de_guerre_Bruxelles_gripAndre_Versaille_editeur_128_p">s’interrogeait</a> un ambassadeur occidental. La question revêt aujourd’hui une actualité nouvelle à travers les doutes sur l’opportunité d’un dialogue avec Vladimir Poutine.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-crimes-commis-en-ukraine-pourront-ils-un-jour-faire-lobjet-dun-proces-international-181021">Les crimes commis en Ukraine pourront-ils un jour faire l’objet d’un procès international ?</a>
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<p>L’infréquentabilité sert parfois, à l’inverse, à rendre l’élimination acceptable. Pour les relations internationales contemporaines, la Seconde Guerre mondiale fait figure de matrice d’interprétation, à travers la comparaison de responsables politiques avec Hitler – Gamal Abdel Nasser au moment de la crise de Suez, Saddam Hussein pendant les guerres du Golfe, le président George H. Bush qualifiant l’envahisseur du Koweït de « Hitler revisité » en 1990. Aujourd’hui, le label du « terrorisme » permet, de même, de donner à la disqualification un caractère absolu. L’infréquentabilité semble alors irréversible à profil constant, à moins de se dédire dangereusement.</p>
<h2>Justifier l’infréquentabilité</h2>
<p>Si la labellisation de fréquentable est l’imposition unilatérale d’une sorte d’attestation de conformité à un référentiel défini, en quoi celui-ci consiste-t-il ? Sur la période contemporaine, quelques critères sont posés avec une relative constance.</p>
<p>Dans le monde westphalien, le statut étatique apparaît comme une première condition de fréquentabilité et explique la difficulté à reconnaître des mouvements de libération, des gouvernements en exil ou des conseils transitoires. En théorie des relations internationales, cette posture est défendue par les réalistes comme <a href="https://openyls.law.yale.edu/bitstream/handle/20.500.13051/13336/58_55YaleLJ1067_1945_1946_.pdf">Hans Morgenthau</a>. Mais la fréquentabilité ne découle pas de la simple qualité étatique – que l’on songe aux États qualifiés de « voyous ». Comme le montre <a href="https://journals.openedition.org/conflits/18467?lang=en.">Axel Honneth</a>, il relève du choix discrétionnaire d’un État de décider de l’établissement – ou non – de « contacts intensifs et bienveillants ».</p>
<p>Un second critère, venant infléchir le premier, est celui de la représentativité, toute la difficulté étant de l’établir. Les appareils diplomatiques se réservent le droit d’interpréter la légitimité par les urnes. Ainsi, l’autoritarisme « amélioré » (<a href="https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2016/06/10arabworld.pdf"><em>upgrading authoritarianism</em></a> des années 1990, affichant une compatibilité cosmétique avec les exigences libérales, permet à des dirigeants de s’imposer comme fréquentables dans le monde globalisé, en l’absence pourtant d’élections concurrentielles. À l’inverse, des acteurs élus – comme le Hamas aux législatives palestiniennes de 2006 – restent infréquentables au nom d’autres critères, entraînant une contradiction entre la norme démocratique promue et l’issue électorale réfutée.</p>
<p>Saisir la représentativité peut également consister à prendre en compte <a href="https://www.persee.fr/issue/polix_0295-2319_1996_num_9_35">l’« entrée en politique » de certains acteurs</a>. Ainsi le cas des conseils nationaux ou conseils de transition qui émergent comme alternative aux autoritarismes mis en cause par les soulèvements arabes de 2011. Face à la lourdeur des appareils diplomatiques, la prise en compte de ces nouveaux interlocuteurs est souvent faite de tâtonnements et d’informalité.</p>
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<p>Le troisième critère est le respect du droit (la force contraignante des droits de l’homme s’impose ainsi parce qu’elle est devenue, pour certains, constitutive de ce qu’est un <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ei/2017-v48-n1-ei03300/1042356ar/">État (ou un groupe) légitime et fréquentable</a>) ou les méthodes de gouvernement. Tant le massacre de civils que la nature illégale des armes employées (comme l’utilisation d’armes chimiques par le régime syrien) peuvent disqualifier leurs auteurs.</p>
<p>Au début des années 2000, la Cour pénale internationale et le principe onusien de la responsabilité de protéger font pleinement entrer la question des crimes contre l’humanité dans le répertoire de l’infréquentabilité. Le cas syrien est encore une fois éclairant : les preuves photographiques de la torture pratiquée dans les prisons sont au fondement du <a href="http://horizonsstrategiques.com/le-caesar-act-lete-americain-en-syrie-et-au-liban/"><em>Caesar Act</em></a> voté par le Congrès américain pour empêcher la normalisation des relations avec le régime.</p>
<h2>L’infréquentabilité se joue dans la comparaison</h2>
<p>Si l’exercice intellectuel peut être stimulant, l’objectivation par l’énumération de ces critères est toutefois partiellement vaine.</p>
<p>Revenons au cas du Hamas : si le critère de la représentativité semble respecté lors des élections de 2006, celui du renoncement à la violence, exigée par le Quartet, ne l’est pas. Cette fluidité explique aussi les changements d’étiquette par les labellisateurs au moment des alternances démocratiques. Barack Obama renoue avec l’Iran, quand Donald Trump ouvre le dialogue avec la Corée du Nord et les talibans, etc. La temporalité semble alors jouer du côté des infréquentables. Lorsque le dialogue achoppe en 2019 avec les talibans, ils revendiquent : <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/09/09/afghanistan-recit-du-pari-diplomatique-rate-de-donald-trump_5508027_3210.html">« Vous avez la montre, nous avons le temps »</a>.</p>
<p>Dès lors, sont-ce les critères qui fixent le caractère fréquentable ou non d’un acteur, ou bien l’intérêt à nouer des relations avec lui qui guide l’élaboration de critères venant a posteriori légitimer ce choix ? Autrement dit, l’infréquentabilité ne nous renseigne-t-elle pas davantage sur le labellisateur et sa perception de ses opportunités stratégiques que sur le labellisé ? Ce questionnement invite à poser que l’infréquentabilité n’est pas absolue mais relative. Elle se joue dans la comparaison : on est moins fréquentable que, ou plus fréquentable que… En différents contextes s’est ainsi imposée la <a href="https://www.puf.com/content/Chirac_Assad_et_les_autres">rhétorique du « moindre mal »</a> ou du mal nécessaire, avec sa charge comparative. Si les exemples moyen-orientaux sont nombreux, c’est aussi, dans une certaine mesure, un des ressorts du « pré carré » africain, reposant sur des relations avec « the devil we know ».</p>
<p>Intérêts et représentations œuvrent à la fabrique de l’infréquentabilité, pas seulement du point de vue du labellisateur, mais dans l’interaction avec l’interlocuteur concerné. Que les infréquentables assument ce label comme une rente stratégique ou cherchent à le contourner, il apparaît que l’infréquentabilité finit par devenir une co-construction entre labellisateurs et labellisés. On ne sait plus dans ce schéma qui est l’infréquentable de l’autre…</p>
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<p><em>Pour une réflexion approfondie sur ces questions, lire l’ouvrage collectif <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/relations-internationales/frequenter-les-infrequentables">« Fréquenter les infréquentables »</a>, dirigé par Manon-Nour Tannous, qui vient de paraître aux éditions du CNRS</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201040/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Manon-Nour Tannous ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Bachar Al-Assad, Kim Jong‑un, Vladimir Poutine aujourd’hui, Mouammar Kadhafi, Fidel Castro et bien d’autres hier : de nombreux infréquentables deviennent un jour fréquentables, et inversement.Manon-Nour Tannous, Docteure en relations internationales, maitresse de conférences en science politique à l'Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA), chercheure associée au Collège de France, chercheure associée au centre Thucydide, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2000272023-03-02T20:03:04Z2023-03-02T20:03:04ZAu Liban, la périlleuse traversée de la Méditerranée, seule issue pour des milliers de personnes désespérées<p>Le 6 février 2023, à l’occasion de la <a href="https://www.liberation.fr/societe/journee-de-commemoration-pour-les-morts-aux-frontieres-on-veut-migrer-pour-vivre-pas-pour-mourir-20230207_6IBCSHNYMRBYRMQ5TB22G2JFPI/">Journée internationale de la commémoration des morts et des disparus en mer et aux frontières</a>, j’ai assisté à Tripoli, au Liban, à un rassemblement et à une réunion organisés par un certain nombre d’organisations de la société civile locales et internationales.</p>
<p>Celles-ci ont rappelé à cette occasion le <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/au-moins-71-migrants-partis-du-liban-meurent-noyes-au-large-de-la-syrie-20220923_6FTKKQH22JG2RAINI3TIH4ETVY/">destin tragique qu’ont connu de nombreux migrants illégaux</a> ayant voulu rejoindre l’Europe par la mer Méditerranée au cours de ces dernières années.</p>
<p>En effet, chaque année, des centaines de Libanais, mais aussi de Syriens et de Palestiniens réfugiés au Liban, prennent la mer sur des embarcations souvent très fragiles afin d’échapper aux <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Liban-chronologie-dune-crise-bancaire-financiere-nen-finit-pas-2023-02-17-1201255646">très difficiles conditions économiques</a> que subit actuellement le pays. Ils cherchent de l’espoir, un avenir meilleur, une stabilité, mais surtout et avant tout la dignité.</p>
<p>Cet article présente une tentative d’analyse anthropologique de cette immigration particulière. Sans juger les familles qui risquent leur vie et celle de leurs enfants, il s’agit de comprendre leurs motivations dans une dimension cognitive. Les dimensions politiques, économiques et sociales, ainsi que les réseaux des passeurs méritent une autre étude.</p>
<h2>Une litanie de catastrophes</h2>
<p>Un récent rapport de l’UNICEF estime que, au Liban, <a href="https://www.unicef.org/media/112421/file/2022-HAC-Lebanon.pdf">2,3 millions de Libanais vulnérables</a>, de réfugiés palestiniens et de migrants essentiellement syriens, dont 700 000 enfants, sont confrontés à une crise humanitaire et à des privations multiples. Il ressort également de cette enquête que 30 % des jeunes Libanais (âgés de 15 à 24 ans) ont abandonné leurs études pour chercher un emploi, tandis qu’environ 41 % d’entre eux estiment que ce n’est qu’en s’installant à l’étranger qu’ils pourront trouver du travail.</p>
<p>Le nombre de Libanais cherchant à quitter le pays est en constante augmentation depuis le <a href="https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2022/01/24/lebanon-s-crisis-great-denial-in-the-deliberate-depression">début de la crise économique en 2019</a>. Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/45814/le-naufrage-dun-bateau-de-migrants-au-large-du-liban-fait-deux-morts-200-personnes-secourues">38 bateaux transportant plus de 1 500 passagers</a> ont quitté illégalement le pays par la mer en 2021.</p>
<p>Le 23 avril 2022, un bateau transportant environ 84 personnes <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/09/le-naufrage-d-un-bateau-de-migrants-suscite-la-colere-a-tripoli_6125371_3210.html">a coulé au large de Tripoli, au Liban</a>. L’armée libanaise a recueilli 45 survivants et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/09/le-naufrage-d-un-bateau-de-migrants-suscite-la-colere-a-tripoli_6125371_3210.html">sept corps ont été retrouvés</a>, dont un bébé de 40 jours, tandis que les passagers restants sont toujours portés disparus à ce jour.</p>
<p>Le 21 septembre 2022, un bateau transportant environ 150 personnes a coulé près de l’île d’Arwad, au large de Tartous en Syrie au nord du Liban. Les opérations de recherche et de sauvetage ont confirmé <a href="https://www.lecourrierdelatlas.com/naufrage-au-large-de-la-syrie-au-moins-94-morts-et-plusieurs-disparus/">qu’au moins 70 personnes ont trouvé la mort dans le naufrage</a>.</p>
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<p>Le 31 décembre 2022, l’armée libanaise, en coopération avec la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL), a secouru plus de 200 migrants après qu’un bateau les transportant a coulé au large de la région de Selaata au Liban, dont la plupart seraient des Syriens. Après avoir été secourus, la plupart d’entre eux ont <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/01/lebanon-syrians-who-survived-boat-sinking-allegedly-deported/">été illégalement expulsés et remis aux autorités syriennes</a>.</p>
<h2>Une crise économique dévastatrice</h2>
<p>La crise économique et financière qui a débuté en octobre 2019 a été exacerbée par le double impact de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1285850/le-liban-touche-par-une-nouvelle-vague-de-la-pandemie.html">l’épidémie de Covid-19</a> et de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/liban/explosions-a-beyrouth/explosion-a-beyrouth-les-dessous-du-drame_4067889.html">l’explosion du port de Beyrouth en août 2020</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-port-de-beyrouth-symbole-detruit-dune-ville-en-crise-144093">Le port de Beyrouth, symbole détruit d’une ville en crise</a>
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<p>Selon le <a href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/394741622469174252/pdf/Lebanon-Economic-Monitor-Lebanon-Sinking-to-the-Top-3.pdf">Lebanon Economic Monitor</a> du printemps 2021, la crise économique et financière du Liban se classe parmi les pires crises économiques mondiales depuis le milieu du XIX<sup>e</sup> siècle. Le PIB nominal a chuté de près de 52 milliards de dollars en 2019 à un montant estimé à 23,1 milliards de dollars en 2021. La contraction économique prolongée a entraîné une baisse marquée du revenu disponible. Le PIB par habitant a chuté de 36,5 % entre 2019 et 2021, et le Liban, pays à revenu intermédiaire supérieur depuis près de 25 ans, a été <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1304933/le-liban-passe-dans-la-categorie-revenu-moyen-inferieur-dun-classement-de-la-banque-mondiale.html">reclassé par la Banque mondiale</a> dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire inférieur.</p>
<p>Dans ce contexte, les droits sociaux et économiques de la majorité des Libanais ne sont plus garantis, les familles à faible revenu étant les premières victimes. Une étude de Human Rights Watch met en lumière les <a href="https://al24news.com/fr/hrw-met-en-garde-contre-les-niveaux-alarmants-de-pauvrete-et-dinsecurite-alimentaire-au-liban/">niveaux alarmants de pauvreté et d’insécurité alimentaire au Liban</a> en raison de la baisse de l’activité économique, de l’instabilité politique et de l’augmentation du coût de la vie. Selon HRW, la réponse des autorités ne garantit pas le droit de chacun à un niveau de vie suffisant, y compris le droit à l’alimentation, alors que 90 % des foyers libanais vivent avec <a href="https://icibeyrouth.com/liban/165438">moins de 377 dollars par mois</a>. Le système de protection sociale du Liban est très fragmenté, laissant la plupart des travailleurs informels, les personnes âgées et les enfants sans aucune protection, et renforçant les inégalités sociales et économiques.</p>
<h2>L’émigration comme échappatoire</h2>
<p>La notion de crise, en tant qu’expérience dans des domaines recouvrant tous les registres de la vie individuelle ou sociale, réclame une analyse susceptible de dégager les caractéristiques et les dynamiques qui la spécifient. Dans son article <a href="https://cpp.numerev.com/pdf/articles/revue-14/395-crises">« Crise(s) »</a> paru dans <em>Les Cahiers de psychologie politique</em>, la spécialiste de psychologie sociale Jacqueline Barus-Michel décortique les différentes phases de la crise économique de 2008, caractérisées par un brusque retour du refoulé entraînant défaillance de symbolisation et déferlement d’un imaginaire négatif incontrôlable. Elle indique que la crise a des effets de contamination sur les unités sociales ou les systèmes affectés de proche en proche par la dérégulation. Les symptômes psychiques et sociaux de l’anomie se manifestent sur les modes dépressifs et violents.</p>
<p>Les crises sociales, politiques et économiques ne sont crises que parce que chaque fois elles affectent des personnes, des groupes, des populations dans leur vie matérielle, psychique et relationnelle. Dans le cas libanais, l’intervention des événements déclencheurs de l’explosion du port, de la crise de Covid-19 et de la crise économique a signé l’irruption d’une réalité refoulée « contredisant l’imaginaire et le mode de fonctionnement qui en découlait ». Au niveau des sujets, la crise s’est manifestée par une désorientation et une transgression qui a donné lieu à ces vagues d’émigration par la mer. Au niveau de l’unité sociale, elle a suscité le désinvestissement, un sentiment d’insécurité, des conduites au coup par coup, dans l’immédiateté, le défaut de projet, et le développement de l’esprit de fuite.</p>
<p>Les conséquences psychologiques de la crise sont partagées par les Libanais et les réfugiés syriens et palestiniens. Devant cette réalité, l’appartenance nationale s’efface. Leurs intérêts convergent dans la recherche d’une sortie digne pour une vie digne. Ces individus et familles ne trouvent plus leur place au Liban et vont à la recherche d’autres places ailleurs, optant pour une stratégie de risque dans une <a href="https://editions.flammarion.com/la-societe-du-risque/9782081218888">« société du risque »</a> (Beck, 1992) où prime le sentiment d’insécurité. Pour Ulrich Beck, le risque peut être défini comme une façon systématique de traiter les dangers et insécurités induits et introduits par la modernité elle-même.</p>
<p>Cette migration illégale comme sortie logique est choisie par ces populations, au risque de perdre la vie. Elles sont ainsi vues par leurs pairs et les détenteurs de pouvoir comme produisant leurs propres (nouveaux), risques, dangers, contingences et formes d’insécurité. Sur le plan social et politique, elles semblent réclamer une nouvelle forme de relation entre le pays (ou le lieu de résidence) et l’ailleurs. La crise a produit un processus d’individualisation croissant à la suite duquel les individus se sont réunis en <a href="https://www.editionslatableronde.fr/le-temps-des-tribus/9782710390305">nouveaux réseaux</a> revendiquant une plus grande marge de liberté et d’autonomie. Ces voyageurs illégaux aspirent à une émancipation par un passage à l’acte risqué, mais conscient. Leur conviction qu’il existe une vie meilleure ailleurs donne un sens à leur acte.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200027/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Kortam ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pourquoi autant de Libanais et de réfugiés palestiniens et syriens au Liban prennent-ils la mer vers l’Europe au péril de leur vie ?Marie Kortam, Chercheure associée à l’Institut français du Proche-Orient (IFPO – Beyrouth) et membre du Conseil arabe des sciences sociales, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1993502023-02-08T19:59:02Z2023-02-08T19:59:02ZPourquoi il y a des séismes en cascade en Turquie et en Syrie<p>Ce lundi 6 février, à 4h17 du matin, un <a href="https://theconversation.com/fr/topics/seismes-27199">séisme</a> de magnitude 7,8 a frappé la Turquie et la Syrie. Les séismes dans cette région du monde sont courants, mais l’ampleur de celui-ci est clairement impressionnante : pour trouver un séisme aussi violent sur cette faille, il faut <a href="https://doi.org/10.1017/CBO9781139195430">remonter en 1114</a>.</p>
<p>Une dizaine de minutes après le séisme le plus puissant, une réplique de magnitude 6,7 s’est produite à proximité de l’épicentre et d’autres répliques continuent aujourd’hui de se produire dans une zone allongée sur plus de 350 kilomètres, depuis l’est de la Turquie jusqu’à la frontière syrienne. Ces « répliques », les séismes qui se produisent après un grand tremblement de terre, sont attendues et leur comportement statistique est bien connu.</p>
<p>De façon plus étonnante et surtout dramatique, un second séisme de magnitude 7,5 a eu lieu à 13h24 heure locale, plus au nord. Ce séisme n’est pas une réplique : d’après les premières données traitées en direct par les grandes agences sismologiques internationales, il se serait produit sur une faille est-ouest coupant la rupture principale.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/508950/original/file-20230208-23-8rad2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/508950/original/file-20230208-23-8rad2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508950/original/file-20230208-23-8rad2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508950/original/file-20230208-23-8rad2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508950/original/file-20230208-23-8rad2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508950/original/file-20230208-23-8rad2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508950/original/file-20230208-23-8rad2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508950/original/file-20230208-23-8rad2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La micro-plaque Anatolienne est poussée vers l’ouest par la remontée de la plaque Arabie vers le nord, et tractée à l'ouest. Ce mouvement vers l’ouest est accommodé par deux grandes failles tectoniques : la faille nord-anatolienne (2 cm par an de mouvement relatif entre les plaques Anatolie et Eurasie) et la faille est-anatolienne (entre 5 mm et 1 cm par an de mouvement relatif entre les plaques Arabie et Anatolie). Nous savons bien comment et pourquoi l’Anatolie bouge, mais cette connaissance est encore trop parcellaire pour prévoir les séismes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Jolivet/ENS. Fond de carte GoogleEarth</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Nous n’avons pas encore toutes les <a href="https://theconversation.com/seisme-en-mer-egee-que-savent-les-scientifiques-apres-quelques-jours-de-travail-149246">informations que fournissent les images satellites et les mesures GPS</a>, mais il est possible que le second séisme ait été causé par le premier, une hypothèse qu’il va falloir vérifier dans les jours à venir avec les données qui arrivent au compte-goutte.</p>
<p>Cette activité sismique majeure sur deux failles proches reflète que les contraintes qui sont à l’origine des tremblements de terre se réorganisent petit à petit. L’autre grande faille de la région (la faille « nord-anatolienne ») a vu se propager une séquence de séismes au long du XX<sup>e</sup> siècle, comme une série de dominos, jusqu’à la mer de Marmara et la mégalopole d’Istanbul.</p>
<p>Toute la communauté scientifique, ainsi que les autorités turques, <a href="https://doi.org/10.1038/35005054">attendent un séisme</a> proche de cette ville de 16 millions d’habitants. Nous ne savons pas quand ce séisme aura lieu ni quelle sera sa taille. Nul ne peut, en l’état actuel des connaissances, proposer une date et une magnitude pour ce séisme à venir, et le séisme de ce lundi nous rappelle malheureusement que la Turquie peut aussi être frappée durement ailleurs.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/seismes-pourquoi-on-ne-peut-pas-les-prevoir-58754">Séismes : pourquoi on ne peut pas les prévoir</a>
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<h2>Des répliques et un second séisme</h2>
<p>Le comportement des répliques suite au séisme de lundi n’est en lui-même pas du tout une surprise. En 1894, Omori observait déjà une décroissance logarithmique du nombre de répliques avec le temps (selon une loi en 1/t, t étant le temps écoulé depuis le choc principal).</p>
<p>Ces mêmes lois empiriques, dites « lois d’échelles », prévoient que la plus grosse réplique aura une magnitude d’un ordre de grandeur inférieur au choc principal : ici, la plus grosse réplique du premier séisme a été d’une magnitude de 6,7, proche des 6,8 attendus. Rappelons que cette échelle est logarithmique, et qu’un séisme de magnitude 6 libère 30 fois moins d’énergie qu’un séisme de magnitude 7.</p>
<p>Les répliques s’arrêtent lorsque les forces engendrées par le séisme principal sont accommodées, un peu comme lorsque, après avoir mis un coup de pied dans un tas de sable, les grains continuent de rouler les uns après les autres, puis se stabilisent.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/508937/original/file-20230208-16-1zh76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/508937/original/file-20230208-16-1zh76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508937/original/file-20230208-16-1zh76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508937/original/file-20230208-16-1zh76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508937/original/file-20230208-16-1zh76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508937/original/file-20230208-16-1zh76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=942&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508937/original/file-20230208-16-1zh76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=942&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508937/original/file-20230208-16-1zh76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=942&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Essaims de répliques des deux séismes ayant eu lieu à la frontière entre Turquie et Syrie le 6 février.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Jolivet/ENS. Fond de carte Google Earth</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Mais le séisme de magnitude 7,5 de 13h24 sort complètement de ce comportement statistiquement vérifié depuis 1894 sur des milliers de séismes dans le monde : ce n’est pas une réplique mais bien un second séisme. Il faut ainsi noter qu’il s’est produit sur une faille qui semble orientée à 45° par rapport à la faille Est-Anatolienne, comme en témoigne la forme de l’essaim de répliques qui l’ont suivi.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/seisme-au-maroc-les-satellites-peuvent-aider-les-secours-a-reagir-au-plus-vite-183675">Séisme au Maroc : les satellites peuvent aider les secours à réagir au plus vite</a>
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<p>On parlera donc plutôt ici de « séisme déclenché », ou tout du moins, on tentera d’explorer des mécanismes permettant d’expliquer la coïncidence temporelle entre ces deux grands séismes.</p>
<h2>Un risque pour Istanbul</h2>
<p>Certains séismes sont effectivement liés les uns aux autres : en « accommodant » les contraintes qui s’accumulent au niveau des failles tectoniques, ils relâchent de l’énergie et réorganisent ces contraintes, ce qui peut déclencher de nouveaux séismes.</p>
<p>Sur la faille nord-anatolienne, très active et qui accommode un déplacement relatif d’environ 2 centimètres par an entre les plaques Anatolie et Eurasie, une série de séismes de magnitude supérieure à 7 a eu lieu en cascade d’est en ouest sur environ 800 kilomètres au cours du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Le point notable est que toute la longueur de la faille nord-anatolienne a rompu entre 1939 et 1999. Le dernier segment n’ayant pas rompu se trouve en mer de Marmara, tout près d’Istanbul, entre les séismes de Izmit en 1999 et de Ganos en 1912.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/508948/original/file-20230208-13-485i1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="carte de la région avec les failles, mouvement des plaques tectoniques et seismes historiques" src="https://images.theconversation.com/files/508948/original/file-20230208-13-485i1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508948/original/file-20230208-13-485i1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508948/original/file-20230208-13-485i1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508948/original/file-20230208-13-485i1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508948/original/file-20230208-13-485i1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508948/original/file-20230208-13-485i1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508948/original/file-20230208-13-485i1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une séquence historique de séismes s’est produite au XXᵉ siècle : initiée à l’est avec le séisme de Erzincan en 1939 (7,8), elle a continué avec des séismes en 1943, 1944, 1967 et enfin en 1999 avec les deux séismes d’Izmit (7,6) et Duzce (7,3), séparés d’à peine quelques mois.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Jolivet, ENS. Fond de carte GoogleEarth</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Cette succession de séismes s’explique par le transfert de la contrainte tectonique d’un segment à l’autre de la faille. Un séisme relâche localement les contraintes accumulées par le mouvement relatif des plaques, mais en même temps, augmente celles sur les segments de faille adjacents qui se rapprochent donc d’une rupture future.</p>
<p>Si ce segment est déjà bien chargé (proche de la rupture), alors un séisme peut en déclencher un autre. Sinon, il faudra attendre que le mouvement des plaques tectoniques apporte le reste de contrainte nécessaire pour déclencher un séisme. On parle ici de « déclenchement statique » car l’état de la croûte après le séisme est la cause du séisme suivant.</p>
<h2>Quand des séismes géants déclenchent d’autres séismes… à distance</h2>
<p>Il existe aussi un type de déclenchement dit « dynamique ». Dans certains cas, la variation de contrainte résultant d’un grand séisme n’est pas assez grande pour expliquer l’occurrence de certains séismes, notamment s’ils sont situés à plusieurs centaines de kilomètres de l’épicentre du choc principal.</p>
<p>Par exemple, suite aux séismes californiens de Landers en 1992 et Hector Mine en 1999, des essaims de séismes ont été observés à plusieurs centaines de kilomètres de l’épicentre. Il a été démontré que <a href="https://doi.org/10.1038/35078053">ces séismes ont eu lieu exactement lors du passage des ondes sismiques les plus fortes émises par ces deux séismes</a>.</p>
<p>Des observations similaires ont été effectuées en laboratoire pour démontrer que <a href="https://doi.org/10.1038/nature04015">lors du passage de ces ondes sismiques, le matériau qui constitue le cœur de la faille s’affaiblit</a>, provoquant un relâchement des contraintes par glissement, c’est-à-dire un séisme.</p>
<p>Ce genre de comportement vient de la physique des milieux granulaires, qui lorsqu’ils sont secoués, peuvent se comporter comme des fluides. Secouer rapidement un tas de sable va le conduire à s’aplatir sous son propre poids alors que sans ces secousses, il tient très bien tout seul.</p>
<p>Secouer rapidement une faille peut donc la conduire à glisser, produisant ainsi des séismes. Il a aussi été observé que <a href="https://doi.org/10.1029/2012JB009160">ces ondes sismiques peuvent déclencher des glissements lents à des distances colossales</a>. Les ondes sismiques émises par le séisme de Maule, un séisme de magnitude 8,9 en 2010 au Chili, ont provoqué un glissement lent le long de la subduction du Mexique, à environ 7 000 kilomètres de l’épicentre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199350/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Romain Jolivet a reçu des financements de Conseil Européen pour la Recherche (ERC), de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) ainsi que du Centre National pour la Recherche Scientifique (CNRS) et de l'Institut Universitaire de France (IUF).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Laurent Jolivet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les séismes peuvent en déclencher d’autres : des répliques, mais aussi des séismes plus distants.Romain Jolivet, Professeur des Universités, École normale supérieure (ENS) – PSLLaurent Jolivet, Professeur, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1988382023-02-01T19:08:25Z2023-02-01T19:08:25ZCorruption et guerre : deux fléaux qui se nourrissent l’un de l’autre<p>L’ONG <a href="https://www.transparency.org/">Transparency International</a> vient de publier son <a href="https://www.transparency.org/en/press/2022-corruption-perceptions-index-reveals-scant-progress-against-corruption-as-world-becomes-more-violent">palmarès des pays du monde selon le niveau de corruption perçue en 2022</a>.</p>
<p>L’étude de ce document confirme, une fois de plus, les liens étroits qui existent entre le degré de corruption d’un pays et le risque que ce pays soit engagé dans une guerre, extérieure ou civile. Dans un cercle vicieux inextricable, un pays plongé dans un conflit voit aussi son niveau de corruption croître.</p>
<h2>Comment évalue-t-on la corruption dans un pays ?</h2>
<p>Depuis sa création en 1995, l’<a href="https://www.transparency.org/en/news/how-cpi-scores-are-calculated">Indice de perception de la corruption (IPC</a>) est devenu le principal indicateur, à l’échelle mondiale, de la corruption dans le secteur public.</p>
<p>Il permet de classer 180 pays et territoires plus ou moins corrompus, en utilisant des données provenant de 13 sources externes, dont celles de la Banque mondiale, du Forum économique mondial, de sociétés privées de conseil et de gestion des risques, de groupes de réflexion et autres.</p>
<p>Les scores attribués – sur une échelle qui va de zéro (0 = forte corruption) à cent (100 = aucune corruption), en fonction du degré de perception de la corruption dans le secteur public – reflètent l’opinion d’experts et de personnalités du monde des affaires.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/507339/original/file-20230131-4525-l80beb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/507339/original/file-20230131-4525-l80beb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/507339/original/file-20230131-4525-l80beb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=278&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/507339/original/file-20230131-4525-l80beb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=278&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/507339/original/file-20230131-4525-l80beb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=278&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/507339/original/file-20230131-4525-l80beb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=349&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/507339/original/file-20230131-4525-l80beb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=349&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/507339/original/file-20230131-4525-l80beb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=349&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Indice de perception de la corruption 2022. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Transparency International</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<h2>La corruption ronge les États…</h2>
<p>La médaille d’or au <a href="https://www.transparency.org/en/cpi/2022">concours des pays les plus corrompus</a> vient d’être remise à la Somalie, suivie du Soudan du Sud, de la Syrie, du Venezuela, du Yémen, de la Libye, du Burundi, de la Guinée équatoriale, de Haïti, et de la Corée du Nord.</p>
<p>Détentrice du titre peu envié de pays le plus corrompu de la planète depuis 2007, la Somalie a <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14747730701695729">plusieurs points communs</a> avec ses « challengers » liés à leur haut niveau de corruption.</p>
<p>Les pays très corrompus sont caractérisés par une grande faiblesse de l’État. La Somalie n’a quasiment plus d’État. Depuis 30 ans, elle a connu deux guerres civiles, des <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/reporters/20221014-somalie-le-cycle-de-la-famine">famines catastrophiques</a>, des <a href="https://journals.openedition.org/rha/7214">interventions internationales ratées</a>, des <a href="https://www.unhcr.org/fr/news/stories/2021/8/611cc7aea/deplaces-refugies-somaliens-peinent-reprendre-cours-vie-face-frequentes.html">flux de réfugiés</a>, des morts par centaines de milliers, la corruption entraînant une absence continue de services et d’institutions étatiques même rudimentaires.</p>
<p>Les Somaliens <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/03056240500329379">vivent dans un environnement de prédations</a>, de menaces omniprésentes et de privations, cette insécurité impliquant des comportements de survie, comme le recours à la corruption pour avoir accès à de la nourriture ou à des médicaments.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/LrvwxAHxu4k?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>La faiblesse d’un État détérioré par la guerre et la corruption se manifeste aussi au niveau du système judiciaire. Quand l’État est déstabilisé, c’est la loi du plus fort qui s’applique et le plus corrompu peut avoir gain de cause dans un procès, même s’il est coupable. C’est ainsi le cas de la <a href="https://www.stabilityjournal.org/articles/10.5334/sta.522/">Syrie</a>, deuxième sur la liste (à égalité avec le Soudan du Sud), où l’enchevêtrement de la <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2020/07/26/madame-assad-au-coeur-de-la-corruption-detat-en-syrie/">corruption</a> et de la terrible guerre civile a fait du système judiciaire une <a href="https://www.stabilityjournal.org/articles/10.5334/sta.522/">jungle où gagnent ceux qui corrompent le mieux les juges</a>.</p>
<p>Naturellement, la corruption entraîne une perte de confiance des populations dans les institutions publiques, <a href="https://www.researchgate.net/publication/320862388_Corruption_in_sub-Saharan_Africa%E2%80%99s_established_and_simulated_democracies_the_cases_of_Ghana_Nigeria_and_South_Sudan">détruisant la moindre considération dans le système politique</a>, ce qui accroît le risque d’une chute dans la violence politique, comme on le constate notamment au <a href="https://www.brookings.edu/book/dragon-in-the-tropics-2nd-edition/">Venezuela</a>, classé quatrième, qui s’est retrouvé ces dernières années <a href="https://www.rcf.fr/articles/actualite/le-venezuela-un-pays-au-bord-de-la-guerre-civile">au bord de la guerre civile</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-corruption-peut-elle-assassiner-la-democratie-lecons-du-venezuela-111268">La corruption peut-elle assassiner la démocratie ? Leçons du Venezuela</a>
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<h2>… tue la démocratie…</h2>
<p>La corruption détériore le système démocratique par différents biais : les populations reçoivent de l’argent pour voter en faveur du pouvoir, les commissions électorales sont achetées pour proclamer des plébiscites en faveur des dirigeants en place, les candidats indépendants sont menacés et même parfois assassinés…</p>
<p>Ainsi, le <a href="https://www.hrw.org/world-report/2021/country-chapters/south-sudan">Soudan du Sud, deuxième du classement, est un cauchemar démocratique</a>. Ce pays indépendant depuis 2011 et <a href="https://www.msf.fr/decryptages/soudan-du-sud-un-pays-devaste-par-la-guerre">dévoré par la guerre civile depuis 2013</a> est le théâtre de violations permanentes des droits de l’homme : arrestations arbitraires, détentions illégales, tortures, meurtres… Avec la guerre, l’insécurité s’accroît et la corruption se développe encore plus.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>En outre, la <a href="https://diginole.lib.fsu.edu/islandora/object/fsu:204413/datastream/PDF/view">corruption détruit la liberté de la presse</a>. Dans des pays très mal classés en <a href="https://rsf.org/en/index">termes de liberté de la presse</a>, comme la Corée du Nord ou la Russie, la propagande des autorités se déploie sans que le moindre désaccord ne puisse être formulé dans l’espace public, ce qui laisse se propager le discours belliqueux des dirigeants et les agressions se multipliaient.</p>
<p>Pays particulièrement corrompu, le Yémen, cinquième au classement établi par Transparency International, est <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2018-2-page-17.htm">ravagé par la guerre depuis 2014</a> – un conflit alimenté par la sous-information des populations du fait d’une presse aux ordres des acteurs qui contrôlent les diverses zones du pays. L’ONG Reporters Sans Frontières <a href="https://rsf.org/fr/pays/y%C3%A9men">présente ainsi</a> la situation du pays : « Les médias yéménites sont polarisés par les différents acteurs du conflit et n’ont d’autre choix que de se conformer au pouvoir en place, en fonction de la zone de contrôle dans laquelle ils se trouvent, sous peine de sanctions. »</p>
<h2>… et accroît les inégalités économiques</h2>
<p>Enfin, dans une nation où règne la corruption, une <a href="http://www.accessecon.com/Pubs/EB/2013/Volume33/EB-13-V33-I4-P240.pdf">petite minorité accapare la richesse nationale</a>, la corruption pouvant être <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1056492615579081">définie</a> comme « l’utilisation de son pouvoir personnel à des fins d’intérêts privés contre l’intérêt collectif ».</p>
<p>Quand l’injustice sociale règne, les tensions économiques se développent, ce qui crée un terreau particulièrement favorable à la guerre civile. Le Soudan du Sud a été ainsi dépeint comme une <a href="https://sites.tufts.edu/reinventingpeace/2014/07/30/when-kleptocracy-becomes-insolvent-brute-causes-of-the-civil-war-in-south-sudan/">kleptocratie</a>, un système dans lequel la <a href="https://www.amazon.fr/Thieves-State-Corruption-Threatens-Security/dp/0393239462">classe dirigeante s’approprie les ressources publiques</a> pour son propre profit au détriment du bien-être public.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1230736929953480704"}"></div></p>
<p>L’histoire d’Haïti est également parsemée de despotes, comme la <a href="https://www.jstor.org/stable/pdf/165747.pdf">famille Duvalier</a>, qui ont mis en place un système de prédation économique visant à les enrichir au détriment de leur population.</p>
<h2>Cercle vicieux</h2>
<p>Au final, un cercle vicieux s’est installé qui débute par la corruption, impliquant des tensions permanentes puis des conflits et, par suite, plus de crimes et de guerres.</p>
<p>Comme le montre le dernier indice de corruption de Transparency International, les pays les plus corrompus sont tous des pays instables économiquement, politiquement et socialement. Si tous ne sont pas en guerre, tous sont, selon des modalités différentes en crise profonde.</p>
<p>Au fil des conflits, toutes les institutions de gouvernance ont été détruites. L’insécurité incite à se livrer à tous les trafics. Sans institutions de contrôle, un sentiment d’impunité totale s’installe et la corruption devient systémique. La diffusion de la corruption en fait alors une norme sociale : « corrompre, c’est la seule manière de survivre », pourraient s’exclamer en cœur les populations des pays les plus corrompus…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198838/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bertrand Venard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’examen du classement mondial des pays selon le degré de corruption que vient de rendre public Transparency International confirme que la corruption alimente la guerre, et réciproquement.Bertrand Venard, Professor, AudenciaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1921442022-11-06T16:24:55Z2022-11-06T16:24:55ZL’Union européenne en Syrie : un discours trop complaisant ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/490035/original/file-20221017-12-9swe4m.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C0%2C2032%2C1529&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dan Stoenescu, chef de la délégation de l’UE pour la Syrie, lors d’un déplacement sur les territoires contrôlés par le régime de Damas, effectué à bord d’un avion du Programme alimentaire mondial, le 8&nbsp;août 2022.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/photo/?fbid=603503987803706&set=pcb.603504244470347">Dan Stoenescu/Facebook</a></span></figcaption></figure><p>Si l’UE a longtemps prôné la fermeté face au régime de Bachar Al-Assad, coupable depuis 2011 de nombreux <a href="https://onu.delegfrance.org/bachar-al-assad-s-est-rendu-coupable-de-crimes-de-guerre">crimes de guerre</a> avérés à l’égard de son propre peuple (le bilan humain est estimé <a href="https://www.ohchr.org/en/press-releases/2022/06/un-human-rights-office-estimates-more-306000-civilians-were-killed-over-10">entre 306 000</a> et <a href="https://www.syriahr.com/en/243125/">610 000 victimes</a>), ce n’est plus réellement le cas.</p>
<p>Au nom du pragmatisme, la <a href="https://www.eeas.europa.eu/syria/who-we-are_en?s=209">délégation de l’UE pour la Syrie</a> – qui a déménagé à Beyrouth en 2012 et dont le rôle est de promouvoir les valeurs européennes et de superviser localement la politique de l’UE en matière de relations extérieures et d’aides – tend dernièrement à changer de ton à l’égard du pouvoir syrien en place. Avec quelles conséquences ?</p>
<h2>Une fermeté qui n’a duré qu’un temps</h2>
<p>En juillet 2011, six mois après le début de la révolution syrienne, <a href="https://www.wilsoncenter.org/person/the-right-honourable-catherine-ashton-baroness-upholland">Catherine Ashton</a>, alors Haute Représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/speech_11_504">exige le départ de Bachar Al-Assad</a>, en accord avec la stratégie adoptée par les États-Unis et une majorité de pays européens, dont la France et le Royaume-Uni, au sein du Conseil de sécurité de l’ONU.</p>
<p>De son côté, le président américain Barack Obama définit en août 2012 une <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/ethics-and-international-affairs/article/syrian-views-on-obamas-red-line-the-ethical-case-for-strikes-against-assad/5D328A19C288C247F2BAC83742E20145">« ligne rouge »</a> à ne pas dépasser par le régime de Damas, sous peine de conséquences dévastatrices : l’utilisation d’armes chimiques.</p>
<p>Pourtant, <a href="https://information.tv5monde.com/info/attaques-chimiques-en-syrie-retour-sur-un-massacre-163230">l’attaque de la Ghouta orientale</a> en août 2013 reste sans conséquences, Washington décidant de s’abstenir d’intervenir. Un revirement qui annonce celui, progressif, de l’UE.</p>
<p>En effet, à partir de 2015, la peur d’une « crise des réfugiés », couplée aux premiers succès de <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2017-7-page-30.htm">l’intervention russe</a> et à l’implantation de <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Comprendre-zones-desescalade-Syrie-2017-05-07-1200845219">« zones de désescalade »</a> en Syrie, conduit l’UE à adopter une ligne essentiellement centrée sur les sanctions économiques et l’aide humanitaire. Elle écarte ainsi la possibilité d’essayer de faire preuve d’influence politique pour faciliter la résolution du conflit.</p>
<p>À cette période, comme le <a href="https://www.iemed.org/publication/the-ins-and-outs-of-the-eus-shortcomings-in-syria/">constatent</a> le chercheur Dimitris Bouris et l’ancien chef de la délégation de l’UE pour la Syrie Anis Nacrour, « l’UE réduit sa marge de manœuvre au rôle de partenaire financier et fournisseur d’assistance technique aux initiatives de médiation des Nations unies ».</p>
<p>Ce revirement européen observé dès l’automne 2015 n’a pas été sans conséquences pour la stratégie de communication des alliés de Damas qui, constatant que les Occidentaux ne réclamaient plus avec la même vigueur le départ d’Al-Assad, se mirent à affirmer que ce dernier avait gagné la guerre – et ce, malgré la persistance de <a href="https://snhr.org/blog/2022/09/04/the-most-notable-human-rights-violations-in-syria-in-august-2022/">violences systématiques</a>, voire <a href="https://aljumhuriya.net/en/2019/09/19/terror-genocide-and-the-genocratic-turn/">génocidaires</a>, imposées au peuple syrien par le régime.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Z7OlvYr4YKU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Syrie : l’aide humanitaire de l’UE, 24 avril 2018.</span></figcaption>
</figure>
<p>Actuellement, l’UE, qui a adopté progressivement l’idée d’un plan de <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/opportunities-strengthening-resilience-and-advancing-early-recovery-syria_en">« réhabilitation précoce »</a>, est fortement impliquée en Syrie aux côtés de l’ONU, qui continue à demander un cessez-le-feu associé à une solution politique à l’initiative des Syriens depuis l’adoption à l’unanimité par les membres du Conseil de sécurité de la <a href="https://press.un.org/en/2015/sc12171.doc.htm">résolution 2254 en décembre 2015)</a>.</p>
<p>Cette coopération se manifeste notamment dans la <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/international-ministerial-meetings/2022/05/10/">conférence annuelle sur l’aide à apporter pour l’avenir de la Syrie et des pays de la région</a> : en mai 2022, 6,4 milliards d’euros ont ainsi été mobilisés.</p>
<h2>Mouvements diplomatiques récents au sein de la délégation de l’UE en Syrie</h2>
<p>Jusqu’à l’automne 2021, la délégation de l’UE en Syrie restait discrète quant à la composition de son équipe, ses activités et ses déplacements à Damas. Sa <a href="https://www.facebook.com/EUinSyria">page Facebook</a> affichait essentiellement des informations relatives aux acteurs de l’UE engagés en Syrie ainsi que dans les pays limitrophes.</p>
<p>Effective dès septembre 2021, la <a href="https://www.rri.ro/en_gb/april_17_2021-2635454">nomination</a> à sa tête du diplomate roumain <a href="https://www.eeas.europa.eu/node/410120_nl?s=209">Dan Stoenescu</a> inaugure une nouvelle ère en termes de relations diplomatiques, d’engagements humanitaires et de stratégie de communication.</p>
<p>Moins d’un mois après son arrivée, <a href="https://www.facebook.com/EUinSyria/posts/pfbid02fKLKchSbPkpxNxCyV2BhMGbAvoY6kPcjsRCjMZBFG2mSG1MHdiTKVZJcmXcUCAjgl">12 photographies</a> mettent en scène son premier déplacement officiel à Damas, où il rencontre Imran Raza, coordinateur résident des Nations unies, de même que des représentants d’agences d’aide humanitaire dont la Croix-Rouge, le PNUD, l’OMS et le Programme alimentaire mondial, des diplomates bulgares, roumains, grecs, omanais, hongrois et tchèques, sans oublier Mario Zineri, nonce apostolique et ambassadeur papal.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/490025/original/file-20221017-17-77xwso.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490025/original/file-20221017-17-77xwso.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490025/original/file-20221017-17-77xwso.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490025/original/file-20221017-17-77xwso.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490025/original/file-20221017-17-77xwso.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490025/original/file-20221017-17-77xwso.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490025/original/file-20221017-17-77xwso.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dan Stoenescu, en costume bleu au centre, aux côtés du président du Comité international de la Croix-Rouge, Christophe Martin, et d’autres personnes, à Damas, le 27 septembre 2021.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/photo?fbid=2985836848370514&set=pcb.2985841275036738">Page Facebook de la Délégation de l’UE en Syrie</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Centrée sur la personnalité du chef de la délégation, la médiatisation de ce voyage est en rupture avec les positions originelles de l’UE : par cette première visite assumée dans la zone contrôlée par le régime, Stoenescu brise la promesse européenne de ne pas favoriser la quête de légitimité d’Al-Assad.</p>
<p>La présence sur les clichés de diplomates européens dont les ambassades avaient fermé à partir de 2012, (seule l’ambassade de République tchèque était restée ouverte en Syrie ; actuellement, sept ambassades européennes sont ouvertes) abonde également dans ce sens et rompt le tabou de la reprise d’une forme d’échanges.</p>
<p>Les visites deviennent régulières et sont décrites en toute transparence sur les pages Facebook de la délégation et de Stoenescu. Le 8 août 2022, ce dernier effectue une « <a href="https://www.facebook.com/DanStoenescuofficial/posts/pfbid031k9xXuqixD9QXhZSmbkGYjuRkZeMbSXD9N1zN8gnMLXME7aAnpvk5ewPbzkkvhocl">mission humanitaire de quatre jours</a> » aux côtés d’<a href="https://reliefweb.int/report/syrian-arab-republic/head-european-union-delegation-joint-field-visit-aleppo-homs-hama">Imran Raza</a>. Sont visitées pour la première fois trois villes sous contrôle du régime : Homs, Hama et Alep, <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Alep-sous-controle-regime-syrien-2016-12-23-1200812506">ville martyre symbole de la victoire d’Assad</a>.</p>
<h2>Archétypes du discours humanitaire et de la reconstruction</h2>
<p>La communication de la délégation est celle d’un service diplomatique s’adressant à un public européen spectateur d’une <a href="https://ia800307.us.archive.org/22/items/OnRevolution/ArendtOn-revolution.pdf">« souffrance à distance »</a>, pour reprendre la formule d’Hannah Arendt. À travers son rôle de médiateur, elle doit informer les citoyens des pays membres mais aussi du monde entier et <a href="https://www.econstor.eu/bitstream/10419/208779/1/cbs-phd2011-12.pdf">véhicule sa conception d’une forme de responsabilité sociale</a>.</p>
<p>Or on constate que ses publications, textes et photographies exposent la situation du peuple syrien de manière très édulcorée. Aucun coupable n’est nommé : la délégation n’opte donc pas pour ce que le sociologue Luc Bolstanski définit comme la <a href="https://www.cairn.info/la-souffrance-a-distance--9782864241641-page-91.htm">« topique de la dénonciation »</a>, qui « se détourne de la considération déprimante du malheureux et de ses souffrances pour aller chercher un persécuteur », mais au contraire pour la <a href="https://www.cairn.info/la-souffrance-a-distance--9782864241641-page-117.htm">« topique du sentiment »</a>, qui « oriente l’attention vers la possibilité d’une bienfaisance accomplie par un bienfaiteur ».</p>
<p>Ainsi, la responsabilité est ici humanitariste : elle mobilise l’<a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1111/1468-0424.00298">« iconographie du secours</a> ». Tout cas de souffrance nécessite une bonne action, <a href="https://www.econstor.eu/bitstream/10419/208779/1/cbs-phd2011-12.pdf">« indépendamment de ce qui a provoqué la souffrance ou des conséquences de l’assistance »</a>.</p>
<p>L’action européenne se divise en deux pans : reconstruction précoce dans les territoires sous contrôle du régime, et aide humanitaire pour les réfugiés et déplacés. La portée politique de cette stratégie est, quant à elle, reléguée au second plan. La <a href="https://www.facebook.com/DanStoenescuofficial/posts/pfbid02S3J2LA5u8p5Xz883QkgVvJjFNiTQVVxxvTSS2jnuTEb6aAFy1HEWyeAFdu6CaqSZl">réaction</a> de Dan Stoenescu à l’adoption par le Conseil de sécurité de la <a href="https://reliefweb.int/report/syrian-arab-republic/security-council-renews-cross-border-aid-operations-syrias-north-west-six-months-adopting-resolution-2642-2022-compromise-amid-divisions">résolution 2642</a> qui limite les opérations d’aide transfrontalières dans le nord-ouest de la Syrie à six mois seulement, pour éviter que la Russie n’utilise son pouvoir de véto et bloque totalement la situation, en est un exemple :</p>
<blockquote>
<p>« Les besoins humanitaires des Syriens, dont la majorité sont des femmes et des enfants, ne devraient pas être politisés ! […] Les opérations transfrontalières doivent être dépolitisées et doivent augmenter. »</p>
</blockquote>
<p>Par le biais de <a href="https://www.facebook.com/DanStoenescuofficial/posts/pfbid0BrwfHHq7wqyERtqftXxSeTRvt5AJrJXENfqPE6GCSxTzrJJVtkYsywGAzxYz51Rnl">formes passives</a> se concentrant sur le sort des victimes, le nom des responsables des exactions est soigneusement évité, induisant un effet de déresponsabilisation :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis scandalisé par les récentes attaques dans le Nord de la Syrie qui auraient tué plus de 17 personnes […] Des innocents continuent d’être victimes de ce conflit ! »</p>
</blockquote>
<p>Les Syriens, quant à eux, sont ici décrits tels un groupe homogène, ce qui efface l’existence d’oppresseurs et d’opprimés. Citons le <a href="https://www.eeas.europa.eu/delegations/syria_en ?s=209">site officiel de la délégation</a> : « L’UE et les Syriens ont un objectif commun : une Syrie stable et en paix » ; « notre intérêt, en tant qu’Européens, est le même que ce que veulent les Syriens ».</p>
<p>Pour étayer son discours, la délégation a recours à des photographies de citoyens, et plus particulièrement d’enfants, relançant le débat quant à la relation de pouvoir entre le photographe et ses sujets dans un contexte autoritaire et le respect de leur dignité. Ici, les nombreux clichés viennent compléter le tableau d’un peuple se « reconstruisant » grâce à la <a href="https://www.facebook.com/watch/ ?v=1208355293327527">réhabilitation des écoles, des infrastructures médicales, ainsi que de structures électriques</a> et <a href="https://www.facebook.com/DanStoenescuofficial/posts/pfbid088VMS5E1bYnQQSJkyQjT2tD9o9TFzrVxMRwPD5W6TDhsLAkmn92azNoyaX5Kj5gSl">hydrauliques</a>.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/490027/original/file-20221017-17-ujmh1q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490027/original/file-20221017-17-ujmh1q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490027/original/file-20221017-17-ujmh1q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490027/original/file-20221017-17-ujmh1q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490027/original/file-20221017-17-ujmh1q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490027/original/file-20221017-17-ujmh1q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490027/original/file-20221017-17-ujmh1q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Dan Stoenescu dans une école à al-Qusayr, le 9 août 2022.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/photo?fbid=604297797724325&set=pcb.604299651057473">Page Facebook de Dan Stoenescu</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces mises en scène au pouvoir affectif certain s’installent dans l’imaginaire d’un public souvent peu averti, organisent sa <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php ?isbn=9780674008014">« connaissance culturelle »</a> de la région, et consolident une conception idéalisée de la situation politique en Syrie. Ainsi, les lecteurs européens découvrent des enfants « résilients » <a href="https://www.facebook.com/DanStoenescuofficial/posts/pfbid02rDsyh29SBjKTyYdZkm6JqGFRAyd9FYrkBFS49QXAmuLaFzjLrtLxApPw6FuwqyQ5l">coloriant et chantant en chœur</a> dans un centre de jeunesse à <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Syrie-Damas-reconquete-dAlep-2016-09-23-1200791259">Alep</a>, ou <a href="https://www.facebook.com/DanStoenescuofficial/posts/pfbid0PLoDgC684AMMWVrvbDhvZQbqG1eMJ8sATgKqQpTM86QCcvjCokjfAPC5mK4Wx2LWl">jouant de la musique</a> à <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/qusayr-rules-syrian-regimes-changing-way-war">al-Qusayr</a>.</p>
<p>Toutefois, d’autres clichés issus de la <a href="https://civil-protection-humanitarian-aid.ec.europa.eu/index_fr">Direction générale pour la protection civile et les opérations d’aide humanitaire européennes</a> ou du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés viennent parfois contrebalancer les images idéalisées des enfants des « zones de gouvernement » : on y voit des enfants réfugiés, cette fois-ci démunis, <a href="https://www.facebook.com/EUinSyria/posts/pfbid02ghGzhXBpdxGZ5xtLuWph7qfFZXsHKFjVAjDjHk2gZaz9ipMtiEa6ywhN81NPwjF8l">assis sur des caisses estampillées « UNICEF »</a>, ainsi que des <a href="https://www.facebook.com/EUinSyria/posts/pfbid02DnZ93CGdJhYz7339bRmnNQn3Szbk5jnGe3eu49JxJcVgmGULbLDGm243uLMNPrEql">mères et leur nourrisson</a> souffrant du froid des camps au Nord-Est de la Syrie. Ces images font appel <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1111/1468-0424.00298">au trope de la culture visuelle du tiers monde</a> et insistent sur la nécessité de maintenir l’assistance humanitaire internationale en l’état.</p>
<h2>Politique de réhabilitation précoce : quels risques ?</h2>
<p>La vision du conflit véhiculée par l’UE et l’ONU est dénoncée par de nombreuses personnalités, dont des politiciens, activistes, chercheurs et<a href="https://ifit-transitions.org/wp-content/uploads/2022/04/Conclusions-and-Raecommendations-Towards-More-Principled-International-Support-A-Dialogue-between-Syrians-and-the-International-Community-31-March-2022-1.pdf">organisations de la société civile syrienne</a>, qui militent pour une autre lecture des faits et avertissent que cette politique ne doit pas se transformer en un soutien politico-financier à Bachar Al-Assad.</p>
<p>En cause, les détournements de fonds organisés par le régime syrien, qui sont <a href="https://www.theguardian.com/global-development/2021/oct/21/assad-regime-siphons-millions-in-aid-by-manipulating-syrias-currency">connus</a> et <a href="https://www.hrw.org/sites/default/files/report_pdf/syria0619_web3.pdf">documentés</a>. Le fait que les agences humanitaires en Syrie travaillent notamment avec <a href="https://www.middleeasteye.net/news/syria-war-assad-millions-un-procurement-costs-companies">l’organisation Syria Trust</a>, fondée par Asma Al-Assad (l’épouse de Bachar), en est un exemple : l’aide internationale enrichit largement le premier cercle du président qui ne rend aucun compte, ni aux habitants de la Syrie, ni aux contribuables internationaux.</p>
<p>De même, le <a href="https://carnegie-mec.org/2019/09/04/paradox-of-syria-s-reconstruction-pub-79773">scandale ayant affecté les agences onusiennes</a> présentes en 2018 à Alep illustre les risques de cooptation : alors que les bombardements systématiques de la partie Est de la ville par le régime ont entraîné la destruction d’écoles, d’hôpitaux, de quartiers résidentiels, d’infrastructures électriques et hydrauliques, les experts de l’ONU n’ont pas pu imposer la liste de quartiers prioritaires qu’ils avaient identifiés et ont été contraints par le régime à ne travailler que dans les quartiers d’Alep Ouest.</p>
<p>Dans un tel contexte de pillage de l’aide internationale, le récent voyage de Stoenescu à al-Qusayr, <a href="https://ctc.westpoint.edu/the-battle-for-qusayr-how-the-syrian-regime-and-hizb-allah-tipped-the-balance/">ancienne ville rebelle reconquise dans la plus grande violence par le Hezbollah et les milices chiites en 2013</a>, interroge. Décrite comme apolitique et humanitaire, cette visite officielle de la « ville vitrine » d’Assad a adoubé la stratégie du régime : à al-Qusayr, en 2019, le <a href="https://www.reuters.com/article/us-syria-security-qusayr-idUSKCN1U20LP">retour des réfugiés escortés par le Hezbollah</a> constitua une étape clé du discours officiel décrivant une Syrie désormais stabilisée et sûre. La présence du représentant de l’UE ne s’opposait pas non plus à la <a href="https://harmoon.org/wp-content/uploads/2017/04/Demographic-change-in-Syria-fr.pdf">stratégie de changement démographique</a> mise en place dans cette région par le Hezbollah sur une base sectaire, visant à fortifier et protéger une « <a href="https://harmoon.org/wp-content/uploads/2017/04/Demographic-change-in-Syria-fr.pdf">Syrie utile</a> ».</p>
<p>Enfin, le plan implémenté par les agences internationales n’est pas sans conséquences dramatiques pour les Syriens en quête de justice et de responsabilisation des coupables : la reconstruction peut conduire à l’effacement de crimes de guerre, par exemple dans le cas des <a href="https://www.hrw.org/report/2013/06/05/safe-no-more/students-and-schools-under-attack-syria">écoles bombardées par le régime</a>.</p>
<p>En conséquence, la stratégie actuelle de l’ONU et de l’UE doit être remise en cause de manière à ce que, à l’avenir, elle s’appuie sur des intermédiaires locaux de confiance, et fasse de ces derniers un élément central de la résolution du conflit. Une telle action limitera la fuite des fonds européens, la corruption et la cooptation des aides humanitaires, ainsi que le processus de normalisation des relations avec le régime.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192144/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Élise Daniaud a reçu un contrat doctoral de l'université LUISS Guido Carli. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Yahia Hakoum a reçu une bourse de recherche. </span></em></p>Au nom de la volonté de contribuer à la reconstruction de la Syrie, l’UE est-elle en train de réhabiliter Bachar Al-Assad ?Élise Daniaud, PhD candidate on Syria/Russia/Middle-East, LUISS Universita Guido CarliYahia Hakoum, Chercheur au Centre de Recherches Internationales (CERI), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1922852022-10-26T18:34:37Z2022-10-26T18:34:37ZBonnes feuilles : « La Syrie au-delà de la guerre. Histoire, politique, société »<p><em>Dans <a href="http://www.lecavalierbleu.com/livre/syrie-dela-de-guerre/">La Syrie au-delà de la guerre : Histoire, politique, société</a>, publié aux éditions Le Cavalier Bleu, Manon-Nour Tannous évalue la justesse de nombreuses idées reçues très répandues – pas nécessairement totalement erronées pour autant – sur la Syrie, plongée depuis 2011 dans une guerre d’une grande violence, qui a déjà causé plusieurs centaines de milliers de morts et contraint des millions de personnes à quitter leur foyer. L’une de ces idées reçues a trait à la relation du régime de Damas avec Moscou. Nous présentons ici le chapitre de l’ouvrage qui examine l’assertion « La Syrie et la Russie sont liées par une alliance stratégique » en analysant la relation bilatérale de l’époque de la guerre froide jusqu’aux développements les plus récents.</em></p>
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<blockquote>
<p>« Il était devenu évident que les forces au pouvoir étaient prêtes à développer des relations étroites avec l’URSS. Cependant, les relations entre les deux pays n’ont vraiment décollé qu’en 1970, avec l’ascension d’un régime encore plus radical sous Hafez Assad. […] La Syrie de Hafez Assad était devenue le pilier de la politique soviétique au Moyen-Orient. » (Yevgeny Primakov, ancien ministre des Affaires étrangères et premier ministre russe, <a href="https://www.foreignaffairs.com/reviews/capsule-review/2009-12-19/russia-and-arabs-behind-scenes-middle-east-cold-war-present">« Russia and the Arabs »</a>, 2009.)</p>
</blockquote>
<p>L’URSS est l’un des premiers pays à reconnaître la Syrie comme État nouvellement indépendant en 1943, la même année que les États-Unis, tous deux faisant pression pour la fin du <a href="https://books.openedition.org/ifpo/3204?lang=fr">mandat français</a>. Soucieuse de son indépendance, la Syrie se méfie pourtant de ces puissances qui reconnaissent par ailleurs la création de l’État d’Israël en 1948, et préfère dans un premier temps construire sa politique étrangère en multipliant les accords avec diverses nations, poursuivant un principe de neutralité (<em>hiyâd</em>).</p>
<p>L’imposition des logiques de Guerre froide au Moyen-Orient fait pourtant bouger le curseur. L’année 1955 constitue à ce titre un tournant. Face au <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Pacte-de-Bagdad.html">pacte de Bagdad</a> pro-occidental annoncé en février incluant entre autres la Turquie et l’Irak, et revenant de la <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1458">conférence de Bandung des nations afro-asiatiques</a>, la classe politique syrienne oscille entre neutralisme et ouverture à l’est. Une première délégation parlementaire syrienne se rend à Moscou et la Syrie signe son premier accord d’armement avec un pays du bloc communiste, la Tchécoslovaquie. En 1957, l’énonciation de la <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1958_num_4_1_1369">doctrine Eisenhower</a>, qui promet une aide à tout pays de la région luttant contre le communisme, précipite ces choix. </p>
<p>Le 6 août, la Syrie conclut un accord de coopération avec l’URSS, destiné à soutenir les efforts de développement du pays (irrigation, transports, industrie). Le soupçon d’un volet militaire à cet accord (<a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100429600">Carrère d’Encausse, 1975</a>) conduit les Américains à l’interpréter comme un basculement de la Syrie dans le camp soviétique. Les autorités syriennes annoncent par ailleurs la découverte d’une tentative de coup d’État soutenue par les Américains et refusent un prêt de la Banque mondiale assorti de conditions occidentales inacceptables pour sa souveraineté.</p>
<p>En fait, si la classe politique intègre peu à peu une grille de lecture bipolaire des événements régionaux, l’appui du bloc socialiste est une alliance sans contenu idéologique, ce qui la rend compatible avec le neutralisme revendiqué. Quant à l’URSS, son soutien aux régimes progressistes est un levier pour affaiblir le bloc occidental. Contrairement à Staline, Khrouchtchev est convaincu que l’affrontement entre les deux Grands ne se joue plus seulement en Europe, mais au Moyen-Orient. L’Égypte et la Syrie constituent les deux piliers de cette tactique qui se construit par tâtonnements. Le nationalisme arabe de ces pays s’exprime en premier lieu contre les anciennes puissances coloniales et le bloc occidental, sans empêcher l’expression d’intérêts nationaux (<a href="https://www.foreignaffairs.com/reviews/capsule-review/2009-12-19/russia-and-arabs-behind-scenes-middle-east-cold-war-present">Primakov, 2009</a>). Ce sont donc des relations classiques d’État à État qui se dessinent.</p>
<p>Le conflit israélo-arabe devient par ailleurs structurant dans les relations bilatérales. La Syrie module son alliance avec l’URSS en fonction de l’engagement de cette dernière, et Moscou conçoit ce conflit sous l’angle de son rapport avec les États-Unis. En 1956, alors que le président syrien Chukri Al-Quwatli se trouve à Moscou, la nationalisation de la compagnie du canal de Suez par Nasser puis l’intervention anglo-franco-israélienne contre l’Égypte figurent comme un test de confiance. Pour la première fois, l’URSS soutient diplomatiquement les positions arabes. Cette position est confirmée lors de la guerre de 1967 : Moscou œuvre aux Nations unies pour imposer un cessez-le-feu, puis remplace le matériel militaire syrien et égyptien et envoie entre 2 000 et 3 000 conseillers militaires pour former leurs homologues mais aussi éviter la préparation d’une nouvelle guerre.</p>
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<p>En 1970, le président Salah Jadid, favorable à l’alliance soviétique, est renversé par Hafez Al-Assad qui inspire à Moscou une certaine méfiance. Avant son arrivée au pouvoir, en tant que ministre de la Défense, il déplorait la dépendance économique de son pays envers l’URSS, permise par l’aile gauche du parti Ba’th au pouvoir, au détriment selon lui du développement militaire. Il donne cependant rapidement des gages en se rendant à Moscou dès février 1971, en intégrant les communistes syriens au Front progressiste et en confirmant une politique anti-impérialiste.</p>
<p>La même année, l’URSS désireuse de renforcer sa présence avec la V<sup>e</sup> escadre (<em>Pyataya Eskadra</em>) face à la VI<sup>e</sup> flotte américaine en Méditerranée, négocie l’accès aux bases de Tartous et Lattaquieh. La Syrie prend en outre une place stratégique dans la politique régionale de l’URSS, à mesure que l’Égypte d’Anouar Al-Sadate se rapproche des États-Unis, dans les suites de la guerre de 1973. L’URSS aide à construire des infrastructures, comme le barrage sur l’Euphrate. Le rapprochement de la Syrie est également notable avec d’autres pays du bloc Est comme la Tchécoslovaquie et la RDA, cette dernière assurant en 1985 les trois quarts de la production syrienne en ciment. La porosité entre les sociétés se manifeste enfin par l’augmentation du nombre de mariages mixtes syro-russes.</p>
<p>Malgré des désaccords sur les questions irakienne, libanaise et palestinienne – l’ancien ministre des Affaires étrangères Yevgeny Primakov (2009) explique notamment que la ligne anti-Arafat ne peut être suivie par Moscou –, les deux pays signent un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1980/10/10/signe-par-le-president-assad-a-moscou-le-traite-sovieto-syrien-ne-va-pas-plus-loin-que-les-accords-conclus-avec-d-autres-pays-du-tiers-monde_3146286_1819218.html">traité d’amitié en 1980</a>, alors que l’URSS est fragilisée par son intervention en Afghanistan et sa mise à l’écart du processus de Camp David parrainé par les États-Unis.</p>
<p>Mais il serait erroné de lire la relation syro-soviétique comme dictée par le partenaire le plus puissant. Contrairement à l’Irak et l’Égypte, la Syrie a résisté pendant dix ans aux pressions russes pour signer ce traité. La politique étrangère de Hafez Al-Assad rend son concours indispensable et son contournement potentiellement nuisible. Cela relève en partie de ce que Jean-Pierre Filiu résume par la notion de <em>tawrît</em>, qui désigne dans un tandem le processus par lequel la partie locale, « faible », attire à son profit son puissant allié extérieur dans les affaires régionales (<a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/le-nouveau-moyen-orient-9782213671673">Filiu, 2013</a>).</p>
<p>En se faisant adopter par de puissants parrains, la Syrie des années 1970 et 1980 ne cède en rien de sa souveraineté ou de sa marge de manœuvre. Ainsi, la Russie peine à transformer son soutien en influence, et Assad reste attentif aux éventuelles ouvertures américaines (comme la visite du président Nixon en 1974 rétablissant les relations diplomatiques interrompues en 1967, ou celle de l’ancien président Jimmy Carter en 1987, juste avant la visite d’Assad à Moscou) (<a href="https://link.springer.com/book/10.1007/978-1-349-11482-5">Karsh, 1991</a>). Pays débiteur, la Syrie diffère en outre chaque année les <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/00263206.2022.2081556">remboursements de sa dette</a> contractée envers l’URSS. Au milieu des années 1980, celle-ci s’élève à 4 milliards de dollars de dette civile (soit un quart du PIB syrien) et au moins 8 milliards de dettes militaire. Elle sera finalement effacée aux trois quarts en 2005.</p>
<p>Mais avec l’arrivée de Gorbatchev et la perestroïka, l’URSS cherche à diversifier ses alliances et à rationaliser son aide à la Syrie pour la diriger vers les secteurs productifs comme l’industrie textile. Moscou signifie par ailleurs à Assad qu’il ne doit plus s’attendre à être soutenu dans son objectif de « parité stratégique » avec Israël et, s’inquiétant des capacités de remboursement de Damas, reconsidère le montant de son aide économique et militaire.</p>
<p>Dès lors, le président syrien modifie la configuration de ses alliances. La guerre du Golfe (1990–1991) puis le <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/qu-est-ce-que-le-processus-de-barcelone/">processus de Barcelone</a> (1995) sont l’occasion de donner des gages aux États-Unis d’une part, à l’Europe d’autre part. Il en tire des bénéfices économiques (l’Europe lève les sanctions mises en place en 1987) et une crédibilité stratégique susceptible de conforter son successeur.</p>
<p>Le rôle de la Russie redevient central à la faveur de la crise que traverse le régime à partir de 2011. À la veille du soulèvement, en mai 2010, Dmitri Medvedev effectue la première visite d’un chef d’État russe en Syrie. L’année suivante, il se défend d’être l’allié d’Assad, soulignant la nécessité de changements, mais durcit sa position suite à l’intervention de l’OTAN en Libye. Il soutient d’abord le régime sur les plans économique et politique. Le veto russe bloque toutes les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies dont l’objet est de condamner la répression.</p>
<p>La négociation politique menée par Vladimir Poutine, redevenu président en 2012, avec Barack Obama permet en outre d’éviter une riposte occidentale après l’emploi d’armes chimiques en août 2013, pourtant qualifié par ce dernier de « ligne rouge » à ne pas franchir. Sur le plan militaire, après l’envoi de conseillers, la Russie engage directement ses forces, notamment aériennes, à partir de septembre 2015. Sous prétexte de lutte contre le terrorisme, elle cible prioritairement les groupes d’opposition les plus crédibles pour incarner une alternative à l’autoritarisme et sauve le régime au bord de l’effondrement. Cette intervention modifie en profondeur le rapport de force entre les grandes puissances sur la crise syrienne. Sur le plan diplomatique, les négociations se déroulent dès 2017 dans l’espace d’influence de la Russie (Astana et Sotchi). Supposée permettre d’ouvrir les possibles faces aux négociations onusiennes bloquées à Genève, à la manière d’une <em>track-two diplomacy</em> (un canal diplomatique parallèle), cette médiation russe symbolise l’évolution du centre de gravité en faveur du régime syrien.</p>
<p>Cet engagement trouve un premier élément d’explication en étant mis en parallèle avec la crise ukrainienne, les guerres de Tchétchénie et les révolutions de couleur. Il s’agit d’une répulsion russe pour tout soulèvement populaire, en particulier s’il peut donner l’avantage soit à l’Islam politique, soit à des acteurs pro-occidentaux. La position stratégique du port de Tartous, seul accès russe aux mers chaudes et base pour renforcer les capacités opérationnelles et de projection de la Russie (même s’il était largement inactif avant 2011), ou encore l’utilisation de la guerre en Syrie comme vitrine pour une industrie de défense en expansion (plus de 200 types d’armes russes auraient été déployés en Syrie en 2018) contiennent également une part de dimension explicative.</p>
<p>Mais l’intérêt essentiel pour Moscou est l’instrumentalisation de la crise comme tremplin pour une restauration internationale. Bien avant la guerre en Ukraine, Poutine parvient à la redéfinition tant attendue de ses rapports avec les États-Unis. Celle-ci se fait sur la défense de nouveaux principes à même de convaincre nombre de gouvernements des pays du sud, las de l’unilatéralisme occidental : une approche restrictive de la souveraineté impliquant la non-ingérence, même en cas de crimes contre des civils, et l’opposition à tout changement de régime.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/491066/original/file-20221021-27-ds3i1p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/491066/original/file-20221021-27-ds3i1p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/491066/original/file-20221021-27-ds3i1p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=882&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/491066/original/file-20221021-27-ds3i1p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=882&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/491066/original/file-20221021-27-ds3i1p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=882&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/491066/original/file-20221021-27-ds3i1p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1108&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/491066/original/file-20221021-27-ds3i1p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1108&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/491066/original/file-20221021-27-ds3i1p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1108&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu de « La Syrie au-delà de la guerre Histoire, politique, société », paru récemment aux éditions Le Cavalier Bleu.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.lecavalierbleu.com/livre/syrie-dela-de-guerre/">Le Cavalier Bleu</a></span>
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<p>Si cette alliance a permis la reconquête militaire par le régime, la pérennité politique de la solution russe est plus incertaine. Concentrée sur la refonte des appareils de sécurité syriens, Moscou doit attirer des partenaires pour financer la reconstruction, c’est-à-dire trouver un terrain d’entente minimal avec les Occidentaux sans perdre le gain de son investissement auprès de Bachar Al-Assad. L’estime envers le dirigeant syrien est en outre ostensiblement absente, ce dernier faisant de plus en plus l’objet de critiques dans la presse pro-russe, notamment sur le thème de la corruption, et étant contraint d’accepter régulièrement un cérémoniel vexatoire lors de ses interactions avec son protecteur russe.</p>
<p>Si les effets de mémoire peuvent jouer des tours à l’analyse, tant les enjeux évoluent, la relation syro-russe reste donc stratégique. Moscou a sauvé un régime allié et aujourd’hui vassal. C’est dans ces conditions qu’elle a pérennisé sa présence militaire par un <a href="http://www.opex360.com/2017/12/21/deputes-russes-approuvent-laccord-base-navale-de-tartous-syrie/">accord en 2017</a>, concernant la base navale de Tartous (agrandissement et bail de 49 ans renouvelable) et la base aérienne Hmeimim. Sa politique a placé le régime syrien dans une situation de dépendance et de redevabilité inédites, fort éloignée de la rhétorique sur la souveraineté qu’il continue à mobiliser pour sa propre légitimation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192285/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Manon-Nour Tannous ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La proximité entre Damas et Moscou, qui remonte à la guerre froide, s’est dernièrement muée en une véritable relation de vassalité.Manon-Nour Tannous, Docteure en relations internationales, maitre de conférences en Science politique, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1842122022-06-05T16:24:25Z2022-06-05T16:24:25ZLe massacre de Tadamon : une enquête secrète de chercheurs sur la politique d’extermination en Syrie<p><em>Le Parquet national antiterroriste français a <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/massacre-a-tadamon-en-syrie-en-2013-la-justice-examine-les-fichiers-transmis-au-quai-d-orsay-20220817">indiqué ce 17 août</a> avoir reçu «une importante documentation relative à de possibles crimes commis par les forces du régime syrien (…) lors du massacre de Tadamon, à Damas, en 2013». Selon le Quai d'Orsay, «les faits allégués sont susceptibles d'être constitutifs de crimes internationaux les plus graves, notamment de crimes contre l'humanité et crimes de guerre», crimes pour lesquels la justice française dispose d'une compétence universelle. Ce nouveau développement nous incite à vous proposer de relire cet article/entretien consacré à l'enquête édifiante qui a permis de révéler au grand jour le massacre de Tadamon et l'identité de certains de ses auteurs.</em></p>
<p>Début 2019, à Paris, Uğur Ümit Üngör, chercheur au <a href="https://www.niod.nl/en">NIOD Institute of War, Holocaust & Genocides Studies</a> de l’université d’Amsterdam, participe à une conférence universitaire lorsqu’un activiste syrien résidant dans la capitale française demande à le rencontrer discrètement. Quelques heures plus tard, le professeur se retrouve en possession de 27 vidéos uniques et inédites. Elles viennent d’arriver de Syrie, exfiltrées par un jeune milicien pro-Assad depuis un ordinateur des renseignements militaires à Damas. Sur ces enregistrements : des scènes d’atrocités de masse commises par les services syriens.</p>
<p>Trois ans plus tard, le 27 avril 2022, <em>The Guardian</em> <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/apr/27/massacre-in-tadamon-how-two-academics-hunted-down-a-syrian-war-criminal">publie</a> des images choc de l’exécution de 41 civils. Le journal britannique explique que ce massacre, qui a eu lieu le 16 avril 2013 dans une banlieue sud de Damas, Tadamon, a été révélé par deux chercheurs de l’Université d’Amsterdam : <a href="https://www.niod.nl/en/staff/ugur-umit-ungor">Uğur Ümit Üngör</a> et sa collègue syrienne Annsar Shahhoud, chercheuse sur la violence de masse dans le conflit syrien.</p>
<p>Le lendemain de cette révélation, les deux chercheurs publient dans le <a href="https://newlinesmag.com/reportage/how-a-massacre-of-nearly-300-in-syria-was-revealed/">magazine américain <em>New Lines</em> un article</a> expliquant le cadre académique de leur enquête dissimulée (<em>Covert Research</em>) auprès des assassins. Celle-ci leur a pris trois ans de travail secret, dont ils n’ont rien dit à quiconque, pas même aux membres de leurs familles respectives.</p>
<p>La vidéo publiée, affirment-ils, ne montre pas tout ; le massacre Tadamon a vu l’exécution de 288 civils, dont 7 femmes et 12 enfants. C’est là une courte séquence d’un long film de nettoyage, d’extermination et de diverses formes de violence à l’encontre de la population civile.</p>
<p>Après avoir terminé l’enquête sur le massacre de Tadamon, Uğur et Annsar ont remis toutes les vidéos en leur possession aux services publics compétents aux Pays-Bas, en France et à d’autres États européens. Ils ignorent l’usage qui sera fait de ces vidéos et n’en sont plus les propriétaires.</p>
<p>Dans le cadre de mes recherches sur le récit et le vocabulaire du conflit syrien, et dans le but d’informer le public francophone à propos du massacre Tadamon, j’ai tenté, par le biais d’un activiste et ancien prisonnier politique syrien, de contacter Annsar et Uğur.</p>
<p>Le lendemain de ma requête, j’ai obtenu une rencontre avec eux sur Zoom. En voici le compte-rendu, qui reprend tout le fil de cette enquête secrète.</p>
<h2>La décision de ne pas diffuser immédiatement les vidéos</h2>
<p>Les deux chercheurs ont gardé le secret des 27 vidéos en leur possession depuis le moment où ils les ont reçues, en juin 2019, jusqu’au mois d’avril 2022. Seule la police néerlandaise en était informée, raconte Uğur à <a href="https://www.theguardian.com/news/audio/2022/apr/27/investigating-a-war-crime-part-1-searching-for-the-shadow-man-podcast"><em>Today in Focus</em></a>, afin que les chercheurs et leur centre assurent leur « obligation fiduciaire » en ce qui concerne leur usage temporairement privé de ces vidéos.</p>
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<p>« Notre ambition était de parler à ces professionnels de la violence de masse. Ils ne savaient pas que nous avions des vidéos de leurs crimes ! »Uğur Ümit Üngör</p>
</blockquote>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/467029/original/file-20220604-12-wv5u00.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/467029/original/file-20220604-12-wv5u00.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/467029/original/file-20220604-12-wv5u00.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/467029/original/file-20220604-12-wv5u00.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/467029/original/file-20220604-12-wv5u00.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/467029/original/file-20220604-12-wv5u00.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/467029/original/file-20220604-12-wv5u00.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le quartier Tadamon dans la banlieue sud de Damas.</span>
<span class="attribution"><span class="source">The Guardian</span></span>
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<p>Uğur nous apprend qu’il se trouvait devant deux possibilités ; rendre les vidéos publiques de manière immédiate par le biais des médias, ou les intégrer au projet du NIOD sur la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/14623528.2021.1979907">violence de masse en Syrie</a> à l’université d’Amsterdam.</p>
<p>« Notre ambition était de parler à ces professionnels de la violence de masse. Ils ne savaient pas que nous disposions des vidéos de leurs crimes ! », explique Uğur.</p>
<p>« Rendre les vidéos publiques ne rendait aucun service », affirme-t-il ; certes, les activistes syriens « allaient identifier et dénoncer les auteurs du massacre sur les réseaux sociaux », mais ça aurait été du gâchis devant la possibilité d’une enquête. La révélation des vidéos aurait simplement permis aux « coupables de se dissimuler et au régime syrien de nier l’authenticité des documents ». La publication immédiate des vidéos aurait signifié « 5 minutes de sensations fortes », de surutilisation « émotionnelle » sur les réseaux sociaux, mais sans résultats profonds. Qui plus est, conclut-il, « nous ne pouvions pas rendre les vidéos publiques avant que le jeune milicien qui les avait copiées ne puisse quitter la Syrie (fin 2021) ».</p>
<h2>« Anna Sh. », un personnage Facebook infiltré dans les réseaux loyaux à Assad</h2>
<p>Quand Uğur rentre de Paris avec les vidéos, milieu 2019, Annsar Shahhoud prépare une thèse sur <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14623528.2021.1979908?needAccess=true&journalCode=cjgr20">« le rôle des médecins syriens dans les meurtres et tortures organisés par le régime depuis 2011 »</a>.</p>
<p>Déjà, elle utilise un compte Facebook mi-faux mi-vrai où elle s’appelle « Anna Sh. » et où elle se présente comme une chercheuse syrienne installée aux Pays-Bas, alaouite et loyaliste à Assad. Elle enquêtait, disait-elle à ses interlocuteurs, sur la « réussite » de l’armée syrienne dans le conflit ayant démarré en 2011.</p>
<p>Par le biais de ce compte, Annsar dispose d’un réseau d’amis Facebook composé de plusieurs dizaines d’affiliés au régime syrien : militaires de l’armée régulière, agents des services internes de renseignements et membres des Forces de Défense nationale (milices loyalistes).</p>
<p>Les vidéos amenées par Uğur ouvrent à Annsar et à son personnage « Anna Sh. » de nouvelles pistes d’enquêtes. Ils ont enquêté sur trois vidéos de six minutes chacune où des soldats se filmaient pendant qu’ils exécutaient, avec lassitude et ennui, un groupe de 41 civils.</p>
<h2>Les faits et l’enquête</h2>
<p>Voici ce que l’on voit sur <a href="https://www.youtube.com/watch?v=r5wMtWrH2PE">l’unique vidéo rendue publique jusque là</a>. Un visionnage que nous déconseillons aux personnes sensibles.</p>
<p>Entouré et filmé par ses collègues en plein jour, un soldat tue, une par une, 41 personnes. Les yeux bandés, les mains attachées dans le dos, les victimes sont sorties des minibus qui les ont acheminées. On leur donne l’ordre de courir pour échapper à un prétendu « sniper du quartier ». Elles se mettent à courir.. et chutent dans une fosse préalablement creusée. Elles sont alors abattues d’une ou deux balles. À la tombée de la nuit, leurs corps sont brûlés comme le montrent les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=_J1gqCp6C0s&t=35s">images obtenues par <em>The Guardian</em></a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/466373/original/file-20220531-26-q5hf4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/466373/original/file-20220531-26-q5hf4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=659&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/466373/original/file-20220531-26-q5hf4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=659&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/466373/original/file-20220531-26-q5hf4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=659&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/466373/original/file-20220531-26-q5hf4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=828&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/466373/original/file-20220531-26-q5hf4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=828&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/466373/original/file-20220531-26-q5hf4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=828&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sur l’une des vidéos, on voit un soldat exécuter plusieurs dizaines de personnes. Il s’agirait d’un sous-officier des renseignements militaires à Damas (Branche 227), également responsable de la sécurité du front sud de la banlieue de Damas depuis le soulèvement en 2011.</span>
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<p>Grâce à l’examen des métadonnées des vidéos, Uğur et Annsar ont pu découvrir la date du massacre, le 16 avril 2013, mais rien ne leur permettait d’identifier le lieu, les auteurs et les services responsables. Pendant un an, ils ont cru que la tuerie avait probablement eu lieu à Yelda, une autre banlieue de Damas, jusqu’à ce que des Syriens du sud de Damas parviennent à identifier une rue du quartier Tadamon, à la vue de certaines séquences des vidéos envoyées par les chercheurs.</p>
<p>En janvier 2021, après un an et demi de recherche, un coup de théâtre : « Anna Sh. », ayant consulté des milliers de profils liés à son réseau Facebook, réussit à découvrir le profil de l’homme que l’on voit sur la vidéo exécutant la quasi-totalité des victimes.</p>
<p>Elle entre en contact avec lui. Des appels rapides, des réponses méfiantes de la part du sous-officier. Mais six mois plus tard, il rappelle et s’ouvre. Anna Sh. réussit à tenir et enregistrer deux appels vidéo avec lui.</p>
<p>Il s’agit d’un sous-officier des renseignements militaires syriens, du nom d'Amjad Youssef. Il ne lui a pas parlé de Tadamon, mais il a reconnu « ne même pas se souvenir du nombre de personnes qu’il avait tuées, tellement il en avait tuées ».</p>
<p>Avec cette enquête, les chercheurs ne réussissent pas seulement la tâche de l’identification du présumé assassin, mais aussi et surtout de son affiliation directe aux renseignements militaires syriens (<a href="https://www.vdc-sy.info/index.php/en/reports/militarybranch227#.YpqcBp3P1pg">Branche 227</a>). Il s’agit de la première preuve visuelle et entièrement documentée de l’implication de l’appareil sécuritaire du régime syrien dans des faits d’extermination ou de crimes contre l’humanité.</p>
<p>Quelques jours après nos échanges, le Réseau syrien des droits de l’homme <a href="https://snhr.org/blog/2022/05/30/the-syrian-regime-detains-the-criminal-amjad-yousef-who-killed-dozens-of-syrians-and-raped-dozens-of-women-in-al-tadamun-neighborhood-in-damascus/">assurait</a> qu'Amjad Youssef était désormais « détenu » par le régime syrien (sans savoir dans quel cadre et quel sort lui sera réservé), suite à l’enquête de New Lines.</p>
<p>Quant aux victimes du massacre, elles sont passées du statut de <a href="https://reliefweb.int/report/syrian-arab-republic/tenth-annual-report-enforced-disappearance-syria-international-day">« cas de disparitions forcées depuis 2013 »</a> à celui de « victimes du massacre de Tadamon », massacre commis - et filmé - par des forces du régime syrien.</p>
<h2>Le cadre de recherche de l’enquête Tadamon</h2>
<p>En tant que spécialistes de la violence de masse et experts du dossier syrien, Uğur et Annsar étudient le conflit qui ravage ce pays dans un cadre théorique plus large que celui offert par la vidéo de Tadamon. Ils l’observent également dans des micro-espaces restreints et en deçà de la totalité territoriale de la Syrie.</p>
<p>Ils expliquent que le massacre de Tadamon n’est qu’une « séquence instantanée » illustrant une politique sécuritaire appliquée dans l’« ensemble des banlieues sud de Damas » à partir de 2012. Comme conséquence de cette politique étatique, se dessine petit à petit, affirment-ils, un « tableau de nettoyages et d’exterminations systématiques ».</p>
<blockquote>
<p>« Dans le contexte de violence syrien, il y a une différence importante à faire : la violence de masse perpétrée par les Mukhabarat (services de renseignements internes), qui émane d’une formation professionnelle, et la violence des amateurs, à savoir les civils engagés dans le conflit armé. » Uğur Ümit Üngör</p>
</blockquote>
<p>Pour expliquer le type de nettoyage pratiqué, les deux chercheurs emploient une méthodologie d’« études de cas » qui consiste à diviser le conflit « en micro-espaces – provincial, citadin, de quartier ou de village – où l’analyse de l’évolution de la violence conduit à des résultats plus fructueux ». L’ambition étant d’établir, poursuivent-ils, une chaîne de commandement aussi complète que possible incriminant les institutions sécuritaires et leurs hiérarchies politiques, jusqu’à la tête du régime syrien et son président.</p>
<p>Ansar Shahhoud précise :</p>
<blockquote>
<p>« Nos études sur les micro-espaces en Syrie nous ont également permis de faire la distinction entre l’approche générale du régime – pousser vers l’escalade de la violence –, et son approche locale et particulière – la manipulation des tensions communautaires dans un environnement spatial particulier. À Homs, par exemple, en 2011, c’est-à-dire avant le début des manifestations, les enlèvements de part et d’autre (entre quartiers sunnites et alaouites) avaient très tôt installé une atmosphère de guerre civile. Ce que l’on voit dans la vidéo de Tadamon est caractéristique de la politique menée par le régime dans différents micro-espaces syriens. Je suppose que la nature sociale d’un espace, sa fabrique communautaire et d’autres facteurs jouent un rôle dans les moyens adoptés par le régime pour atteindre les objectifs de cette politique d’escalade. »</p>
</blockquote>
<p>Autrement dit, dans certaines zones comme Tadamon ou la ville de Homs, les oppositions politiques (pro- et anti-régime) s’emmêlent avec des oppositions identitaires et confessionnelles (alaouites et sunnites). Mais lorsque ces oppositions identitaires font défaut (comme à Alep), le régime applique sa politique de violence de masse à l’ensemble de la population civile des zones tenues par les rebelles.</p>
<h2>Comment qualifier le conflit syrien : révolution, guerre civile ou guerre d’extermination ?</h2>
<p>Par son cadre théorique (la violence de masse), son approche micro-spatiale (les études de cas) et les données collectées par « Anna Sh. » (notamment l’enquête dissimulée sur Tadamon), le projet de l’université d’Amsterdam s’impose comme une contribution incontournable à l’élaboration méthodologique du récit sur le conflit syrien.</p>
<p>D’une certaine manière, la confusion sur la nature des facteurs ayant précipité la société syrienne dans la guerre civile commence à se dissiper, du moins en partie.</p>
<p>Dans son <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/14623528.2021.1979907">article</a> sur la violence de masse en Syrie, Uğur souligne que pour désigner les formes de violence dans un contexte de conflit, il convient d’abord d’opérer une séparation conceptuelle entre « l’ampleur des combats des factions militaires entre elles » et « l’ampleur de la violence de masse visant les civils ».</p>
<p>L’escalade rapide en Syrie après le soulèvement de 2011 a bien produit, pour lui, « une guerre civile complexe et asymétrique », mais du côté du régime syrien, les formes et l’échelle de la violence proposée exprimaient « une dynamique génocidaire délibérée » visant de « manière indiscriminée l’entière population des zones prises par les rebelles ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/466375/original/file-20220531-18-h22f6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/466375/original/file-20220531-18-h22f6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/466375/original/file-20220531-18-h22f6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/466375/original/file-20220531-18-h22f6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/466375/original/file-20220531-18-h22f6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/466375/original/file-20220531-18-h22f6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/466375/original/file-20220531-18-h22f6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Uğur nous a fourni ce diagramme qui situe leur projet de recherche par rapport au conflit syrien. Le cadre général, c’est le « conflit », l’opposition armée entre deux ou plusieurs belligérants. À l’intérieur de ce conflit, il y a une « révolution » dont une partie des partisans s’est imbriquée dans un conflit civil (identitaire et/ou idéologique). Mais, parallèlement à l’ensemble de ces faits de violence caractéristiques des guerres civiles, il y a un type de violence très développé mais peu étudié, caractéristique du cas syrien, la « Mass Violence », la violence d’État qui vise la population civile en tant que cible propre et distincte.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Ainsi, dans le contexte syrien, nous affirme-t-il, l’application de la notion de « guerre civile » n’est pas erronée en tant que résultat de l’escalade du conflit. Mais l’usage de « guerre civile » a également le défaut de faire de l’ombre à la factualité corroborée de la « violence de masse organisée et orchestrée par le régime syrien depuis le début de la révolution ».</p>
<p>Or, la vidéo du massacre de Tadamon révèle également un aspect problématique en ce qui concerne le récit sur le conflit syrien et la nature de celui-ci. La description littérale ou immédiate que l’on peut tirer de cette vidéo lorsqu’on est syrien est une description simpliste et caractéristique des guerres civiles : un soldat alaouite (reconnu à son accent) abat méthodiquement 41 civils de la banlieue de Damas, de confession sunnite.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/466420/original/file-20220531-24-npsaet.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/466420/original/file-20220531-24-npsaet.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=636&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/466420/original/file-20220531-24-npsaet.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=636&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/466420/original/file-20220531-24-npsaet.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=636&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/466420/original/file-20220531-24-npsaet.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=799&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/466420/original/file-20220531-24-npsaet.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=799&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/466420/original/file-20220531-24-npsaet.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=799&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En réaction à l’entretien donné par Annsar et Uğur à la chaîne YouTube Syria TV (une chaîne d’opposition basée en Turquie), un commentaire donne les noms de ceux qu’il appelle « les auteurs du massacre de Tadamon ». Il poursuit : « 6 assassins ; 5 alaouites et Un Druze » et « diffusez cette information partout mes frères ».</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Uğur précise :</p>
<p>« La réalité, c’est que l’un des assassins dans la vidéo était alaouite, mais l’autre, qui le filmait, était druze. Leur supérieur est sunnite, mais le supérieur de leur supérieur est alaouite. Ces identités nominales ne sont pas propres au conflit syrien, et la seule et véritable secte en Syrie, d’après ma conviction, s’appelle les Mukhabarat. »</p>
<p>Depuis la construction d’un empire sécuritaire par Hafez Al-Assad, le terme <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2014-2-page-15.htm">Mukhabarat</a> bénéficie d’un effet <em>Big Brother</em> sur la société syrienne. Il renvoie aux agents secrets présents partout, dans les câbles téléphoniques, au travail ou même quelque part au foyer.</p>
<p>Selon Uğur, l’appartenance aux Mukhabarat dote ces individus d’une personnalité fantasmée et quelque part surnaturelle qu’expriment les surnoms rimés et inidentifiables de leurs membres : « Abu Ali », « Abu Stef », « Abu Saqr », etc.</p>
<p>Annsar ajoute, suivant ses entretiens avec des membres des Mukhabarat :</p>
<blockquote>
<p>« Même en parlant avec un Mukhabarat, il ne faut pas prononcer le mot “Mukhabarat” car leurs membres ont eux aussi peur des Mukhabarat ! C’est un cercle sans début ni fin de peur, de paranoïa et de terreur. »</p>
</blockquote>
<p>Concernant l’interpellation d’Amjad Youssef, le Réseau Syrien des Droits de l’Homme a précisé qu’aucun mandat ni justification de l’arrestation n’ont été mentionnés.</p>
<p>Uğur nous l’avait dit :</p>
<p>« Ce régime est intelligent et garde ses criminels sous contrôle. Il les espionne, les maintient ensemble ou s’en débarrasse s’il y en a besoin. Ce pays est un coffre fermé, un état de tueurs. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184212/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohamad Moustafa Alabsi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Deux universitaires ont identifié les auteurs d’un massacre commis en 2013 par les forces loyalistes syriennes. Un épisode qui en dit long sur la réalité de la Syrie de ces dix dernières années.Mohamad Moustafa Alabsi, Chercheur postdoctoral au Mellon Fellowship Program, Columbia Global Centers, Amman, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1810222022-04-13T18:41:53Z2022-04-13T18:41:53ZDe la Syrie à l’Ukraine, les crimes de guerre de Vladimir Poutine<p>Beaucoup l’ont dit et répété à l’envi ces derniers jours : les <a href="https://www.amnesty.org/en/latest/news/2022/04/ukraine-russian-forces-extrajudicially-executing-civilians-in-apparent-war-crimes-new-testimony/">crimes de guerre</a>, voire <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2022/mar/13/observer-view-russian-war-crimes-against-humanity-ukraine">contre l’humanité</a> ou de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/massacre-de-boutcha-peut-on-parler-d-un-genocide-perpetre-par-l-armee-russe-en-ukraine-comme-le-dit-volodymyr-zelensky_5062009.html">génocide,</a> commis par le régime russe en Ukraine, s’inscrivent dans la lignée de ceux perpétrés en <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/03/03/l-onu-accuse-la-russie-de-crimes-de-guerre-en-syrie_1780442/">Syrie</a> depuis 2015 et en <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2003/11/25/massacres-en-tchetchenie-un-document-officiel-accable-l-armee-russe_343409_3214.html">Tchétchénie</a> en 1999-2000. À Marioupol, Boutcha, Kramatorsk, Borodianka, chaque jour apporte son lot de révélations macabres.</p>
<p>Les dirigeants occidentaux ont multiplié les <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/guerre-en-ukraine/video-guerre-en-ukraine-apres-le-massacre-a-boutcha-les-reactions-internationales-tombent-4ea2f78f-76c8-4129-802a-3af5a936e826">déclarations indignées et sidérées</a>. Mais cet étonnement paraît lui-même presque sidérant tant la « communauté internationale » a détourné le regard des crimes précédents du régime russe. Au vu des agissements de l’armée de Vladimir Poutine en Tchétchénie et en Syrie, mais aussi des déclarations de Poutine sur ses intentions en Ukraine, le sort réservé aux Ukrainiens était prévisible. Et de nouveaux crimes se produiront prochainement, sans que tout soit fait pour les prévenir : de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/ukraine-l-offensive-de-l-armee-russe-dans-l-est-va-etre-tres-violente-parce-que-l-armee-russe-ne-peut-plus-reculer-selon-le-general-dominique-trinquand_5065867.html">grandes offensives</a> sont, en effet, annoncées dans le Donbass et sans doute ailleurs… Comme en Syrie, tout était prévisible et prévu.</p>
<h2>La continuation du crime</h2>
<p>Comme en Syrie aussi, les <a href="https://www.bbc.com/news/health-60866669">hôpitaux sont délibérément visés</a>, de nombreux civils <a href="https://apnews.com/article/russia-ukraine-zelenskyy-kyiv-europe-war-crimes-ffe9c24e89689b081b93518c6b7bff1f">assassinés</a> et nul ne sait si, demain, le régime russe n’utilisera pas <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/vladimir-poutine/guerre-en-ukraine-la-menace-de-l-utilisation-d-armes-chimiques-est-elle-credible_5044186.html">l’arme chimique</a> comme il avait autorisé son allié Bachar Al-Assad <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210412-selon-l-oiac-la-syrie-a-utilis%C3%A9-des-armes-chimiques-lors-d-une-attaque-en-2018">à le faire</a>. En Syrie, ne l’oublions pas, les forces russes <a href="https://forward.com/opinion/440051/russia-is-carrying-out-a-scorched-earth-policy-in-syria-and-theyre-getting/">ont tué à elles seules plus de civils syriens</a>, dont de nombreux enfants, que Daech.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-guerre-dextermination-en-syrie-et-la-fin-du-sens-commun-66342">La guerre d’extermination en Syrie et la fin du sens commun</a>
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<p>Comme en Syrie, le Kremlin développe à propos de l’Ukraine une propagande débridée et indécente, qui n’a même plus vocation à être crue. L’essentiel est de semer le doute. Ainsi, sur le <a href="https://www.rferl.org/a/ukraine-mariupol-hosital-bombed-russia/31744934.html">bombardement</a> de <a href="https://www.liberation.fr/international/bombardement-de-lhopital-pediatrique-de-marioupol-une-femme-enceinte-et-son-bebe-nont-pas-survecu-20220314_62O3EBVDSRBF7NVHAWAHX5VWME/">l’hôpital pédiatrique de Marioupol</a>, il n’a pas hésité à présenter au moins trois versions différentes et contradictoires – certes moins que pour la <a href="https://www.bellingcat.com/news/uk-and-europe/2018/01/05/kremlins-shifting-self-contradicting-narratives-mh17/">destruction en vol par un missile russe de l’avion MH17</a> au dessus de l’Ukraine le 17 juillet 2014. Le pouvoir russe a ainsi affirmé successivement : « ce sont les Ukrainiens qui l’ont fait », « les images étaient fausses » et, finalement, « oui, nous l’avons bien détruit, mais il servait de refuge à un bataillon nationaliste ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1501914305566027780"}"></div></p>
<p>Les propagandistes du régime à l’étranger ont volontiers repris son affirmation selon laquelle en Ukraine la Russie serait avant tout confrontée à des néonazis, toujours en citant l’exemple du <a href="https://desk-russie.eu/2022/04/08/le-regime-azov.html">bataillon Azov</a>, non sans simplifications et mensonges. Ils avaient fait la même chose pour la Syrie en dupliquant le discours du Kremlin sur les djihadistes qui se cacheraient dans les écoles et les hôpitaux. En utilisant les termes « nazis » ou « terroristes », ils désignent en fait des civils à abattre, des personnes qui n’ont pas le droit à la vie.</p>
<h2>La permanence de l’inaction</h2>
<p>Toutefois, est-ce là la leçon essentielle ? Sont-ce là aussi les points de comparaison uniques ? En réalité, ce en quoi le cas ukrainien rappelle le plus tragiquement le cas syrien, c’est d’abord dans le fait que les gouvernements occidentaux n’osent pas entreprendre d’action susceptible de changer radicalement la donne, autrement dit de sauver l’Ukraine et de faire en sorte que la Russie perde – totalement.</p>
<p>Certes, ces gouvernements aident l’Ukraine par la <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/loccident-multiplie-les-livraisons-darmes-a-lukraine-1394442">fourniture d’armes</a> défensives ; de <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/restrictive-measures-against-russia-over-ukraine/sanctions-against-russia-explained/">lourdes sanctions</a> ont été adoptées à l’encontre du régime russe ; une conscience plus large s’est fait jour sur sa réalité ; les crimes de guerre ont, non sans hésitation, finalement été <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-le-president-du-conseil-europeen-parle-d-horreur-absolue-et-attend-que-la-justice-internationale-qualifie-les-crimes-commis_5020676.html">nommés comme tels</a> ; et les Européens seraient généralement <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20220224-invasion-russe-en-ukraine-l-ue-est-pr%C3%AAte-%C3%A0-accueillir-des-r%C3%A9fugi%C3%A9s-ukrainiens">prêts à accueillir les réfugiés ukrainiens</a>, ce qu’ils n’avaient guère fait, sauf l’Allemagne, pour les Syriens.</p>
<p>Mais ces progrès réels rendent encore plus accablantes nos insuffisances. Nul ne peut être certain aujourd’hui que le sort de l’Ukraine dans quelques mois ou années ne révèle pas de nouveaux points de comparaison avec la Syrie : de même que le pouvoir criminel d’Assad règne toujours sur la Syrie et multiplie, avec l’aide de la Russie, des <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2021/12/08/syrie/russie-12-civils-tues-pres-didlib-par-des-tirs-dartillerie">attaques meurtrières sur la région d’Idlib</a>, peut-être une partie de l’Ukraine restera-t-elle encore en guerre et occupée, avec son lot de victimes et de désolations. Sommes-nous totalement prêts à éviter un tel scénario ?</p>
<p>D’abord, l’aide militaire est très parcimonieusement accordée, malgré quelques timides progrès récents. Elle permet certes à Kiev de mieux riposter à l’armée de Poutine, mais la lenteur occidentale a un coût terrible en termes de vies humaines et risque d’entraver la possibilité d’une victoire décisive de l’Ukraine.</p>
<p>Ensuite, les sanctions restent encore insuffisantes et il est difficile de comprendre pourquoi elles n’ont pas été, dès le début de la nouvelle offensive russe contre l’Ukraine, totales : embargo absolu sur le gaz et le pétrole russes, déconnexion de toutes les banques russes du système de paiement interbancaire Swift et gel des avoirs et interdiction de voyager d’un plus grand nombre de personnalités russes proches du pouvoir. Cela fait d’ailleurs longtemps, bien avant la guerre, que ces mesures auraient dû être prises et le gazoduc Nord Stream 2 abandonné.</p>
<p>En outre, si conscience plus grande de la réalité du régime de Poutine il y a, <a href="https://tenzerstrategics.substack.com/p/how-the-kremlins-narratives-are-still?s=w">certains continuent</a> à pratiquer leur religion poutinienne en silence et n’ont en rien abjuré leur foi ancienne qui redeviendra vivace dès la guerre terminée. Rien, dès lors, ne garantit que, demain, la lassitude aidant, on ne revienne aux mêmes erreurs. Par ailleurs, si les crimes de guerre ont été effectivement nommés, certains hésitent encore à désigner comme criminel de guerre leur principal responsable. On en connaît la raison fallacieuse : une telle assignation publique représenterait une « provocation » qui rendrait Poutine moins enclin au compromis. Comme si, compte tenu de l’immensité de ses crimes, cela devrait changer quoi que ce soit à son comportement futur.</p>
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<figcaption><span class="caption">Drone footage shows scale of devastation in Mariupol, Guardian News, 24 mars 2022.</span></figcaption>
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<p>Quant à la remarquable solidarité observée en Europe envers les réfugiés ukrainiens, nul ne sait si elle se maintiendra dans la durée.</p>
<p>Cette solidarité humanitaire peut exercer un puissant effet de distraction de la part de certains gouvernants. Là, l’analogie avec la Syrie est majeure : beaucoup s’étaient déjà concentrés sur la « crise humanitaire », manière commode de s’excuser de l’inaction face à Assad.</p>
<p>Il pourrait en aller de même pour l’Ukraine : comme en Syrie, la prétendue « solution humanitaire » ne fait que cacher le renoncement à la seule solution, qui est d’augmenter considérablement l’aide militaire fournie à Kiev pour lui permettre de repousser l’agresseur en dehors de l’Ukraine. Se focaliser sur les aspects humanitaires, aussi nécessaire que ce soit, ne résoudra ni la question humanitaire ni celle de la guerre russe contre l’Ukraine – on le voit en Syrie où la <a href="https://reliefweb.int/report/syrian-arab-republic/syria-8000-idps-rukban-camp-need-urgent-humanitarian-intervention-enar">misère des camps de réfugiés</a>, l’exil forcé de 6 millions de déplacés syriens et la poursuite des massacres par le régime et ses alliés continuent simultanément.</p>
<h2>L’emprise persistante de la rhétorique du Kremlin</h2>
<p>On retrouve aussi dans le conflit ukrainien les mêmes éléments rhétoriques si doux à l’oreille du Kremlin qu’on entendait déjà en Syrie.</p>
<p>Le premier est le discours sur les prétendues « lignes rouges ». En raison du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2017/04/07/le-jour-ou-barack-obama-avait-efface-sa-ligne-rouge-sur-la-syrie_5107363_3210.html">précédent désastreux</a> de la volte-face de Barack Obama après les attaques chimiques de la Ghouta, nul ne pouvait reprendre ce discours tel quel, mais les <a href="https://information.tv5monde.com/info/guerre-en-ukraine-que-sont-les-armes-chimiques-et-biologiques-450163">avertissements de Joe Biden</a> sur l’emploi d’armes chimiques ou bactériologiques en Ukraine y ressemblent.</p>
<p>En réalité, ce discours est intenable sur les plans juridique et stratégique.</p>
<p>Juridiquement, les armes chimiques et bactériologiques sont certes prohibées par les conventions internationales, mais il en va de même des armes à sous-munitions, particulièrement destructrices pour les populations civiles, et dont <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2022/03/17/ukraine-usage-repete-darmes-sous-munitions-russes-mykolaiv">plusieurs enquêtes montrent</a> qu’elles ont été utilisées par la Russie en Ukraine.</p>
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<figcaption><span class="caption">Ukraine : usage de bombes à sous-munitions par la Russie, un « crime de guerre » ? • FRANCE 24, 5 mars 2022.</span></figcaption>
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<p>Stratégiquement, donner le sentiment d’une réponse particulière en raison de l’emploi d’armes chimiques ou bactériologiques revient implicitement à minimiser les crimes commis de manière « classique » contre les populations. C’est, d’une certaine manière, se défausser de la nécessité d’agir si des crimes de guerre sont perpétrés autrement ; si ligne rouge il doit y avoir, elle réside dans les crimes de guerre et contre l’humanité. C’est ce qui s’est passé en Syrie dans une guerre <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/revolte-en-syrie/syrie-on-va-vers-une-famine-salarme-le-medecin-raphael-pitti_4638683.html">qui a causé bien plus d’un million de morts</a>.</p>
<p>Ensuite, on continue d’entendre, fut-il devenu un peu moins explicite, le mantra diplomatique : « La solution à la crise ne peut être que politique. » Outre que ce n’est pas une crise, mais une guerre, on sait à quoi ce langage a conduit en Syrie. Il n’y a pas eu de solution politique parce qu’il ne pouvait tout simplement pas y en avoir tant qu’Assad resterait au pouvoir. Les dirigeants se sont enfermés dans des résolutions inopérantes de l’ONU et la fiction d’un <a href="https://onu.delegfrance.org/syrie-la-france-veut-voir-le-comite-constitutionnel-remplir-son-mandat">comité constitutionnel</a> qui n’a obtenu de manière prévisible aucun résultat. Cela n’a fait que conforter Assad et ses alliés russe et iranien. Penser qu’il puisse en aller autrement à propos de la guerre russe contre l’Ukraine relève du même déni de responsabilité.</p>
<p>Enfin, l’illusion d’une voie de sortie par le biais de négociations continue d’être promue dans certains cercles. Certains diront que le président Zelensky est ouvert à des négociations ; c’est le cas, mais à deux conditions <em>sine qua non</em> :</p>
<ul>
<li><p>d’abord, toute solution devra s’accompagner d’une garantie internationale de sécurité en contrepartie de la neutralité de l’Ukraine – neutralité qui, rappelons-le, était le statut de l’Ukraine en 2014 en vertu du mémorandum de Budapest violé par la Russie. Cette garantie devrait être équivalente à celle prodiguée par <a href="https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_110496.htm">l’article 5</a> du Traité de l’Atlantique Nord, voire plus, comme l’a dit explicitement le chef des négociateurs ukrainiens, ce qui implique une garantie qui s’appliquerait automatiquement, ce qui n’est pas le cas de celle de l’article 5.</p></li>
<li><p>ensuite, <a href="https://www.lopinion.fr/international/guerre-en-ukraine-zelensky-defend-lintegrite-territoriale-de-son-pays-en-amont-de-pourparlers-avec-la-russie">l’intégrité territoriale de l’Ukraine n’est pas négociable</a>, ce qui signifie qu’il ne saurait être question d’une occupation durable par les Russes du Donbass et de la Crimée.</p></li>
</ul>
<p>Ces exigences que nous devons soutenir intégralement vont à l’encontre des projets de Poutine, qui tient à ce que sa mainmise sur le Donbass et la Crimée, et sans doute sur toute la zone qui relie ces deux territoires, soit reconnue par Kiev. Son projet est d’ailleurs la <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/stephane-courtois-le-revisionnisme-de-poutine-et-la-veritable-histoire-de-la-nation-ukrainienne-20220301">destruction de l’Ukraine en tant que nation libre</a>.</p>
<h2>A-t-on appris la leçon syrienne ?</h2>
<p>Si certains gouvernements occidentaux cherchaient à pousser Kiev à accepter des concessions sur ces points, ils remettraient en cause la souveraineté de l’Ukraine, mais aussi les fondements du droit international. L’exemple syrien nous avait déjà appris que le fait même d’entrer dans un <a href="https://theconversation.com/pourquoi-il-ne-faut-pas-negocier-avec-la-russie-de-poutine-54748">tel jeu de négociations</a> ne fait que permettre au régime russe de renforcer ses positions et son armée, et qu’elles se traduisent par une déroute du monde libre.</p>
<p>Les leçons de la Syrie doivent s’appliquer à l’Ukraine. Tout recul, tout accommodement, tout apaisement avec le régime de Poutine se traduisent sur le terrain par le renforcement du crime. Si l’Occident tarde à aider de manière décisive l’Ukraine à reconquérir son territoire en lui fournissant tous les armements nécessaires pour ce faire, cela se traduira par des milliers de morts supplémentaires. Toute tentative de négociation ne respectant pas les deux principes clés édictés par Zelensky aura le même résultat. En laissant faire des pouvoirs criminels en Syrie, nous avons affaibli le camp de la liberté. Si nous recommençons la même faute devant l’histoire en Ukraine, son effondrement sera achevé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181022/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Tenzer est président du Centre d'étude et de réflexion pour l'Action politique (CERAP), une association indépendante des partis et de tout groupe d'intérêts, directeur du journal Desk Russie et non-resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA).</span></em></p>Il n’y a pas lieu de s’étonner de l’ampleur des crimes commis par la Russie en Ukraine : Poutine avait déjà annoncé la couleur en Syrie.Nicolas Tenzer, Chargé d'enseignement International Public Affairs, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1799932022-03-27T17:27:26Z2022-03-27T17:27:26ZArmes chimiques : de quoi s’agit-il ?<p>Sur les zones de conflits, les armées disposent de deux types d’armes : celles dites conventionnelles, et d’autres dites « non conventionnelles ». Incluses dans la classification des armes de destruction massive, elles regroupent les armes nucléaires, radiologiques, bactériologiques et chimiques – des <a href="https://www.un.org/disarmament/fr/amd/armes-chimiques/">poisons potentiellement mortels qui peuvent être disséminés sous forme de gaz, d’aérosols ou de liquides</a>.</p>
<p>Pour ces armes « NRBC », l’impact peut être très étendu et frapper de manière indiscriminée et incontrôlée tant les troupes que les civils. Ce qui renforce le sentiment de vulnérabilité.</p>
<p>Ces caractéristiques des armes chimiques en font donc aussi des instruments de terreur. Elles ne blessent pas seulement le corps : le risque, diffus, souvent imperceptible, nuit tout autant à la santé mentale des soldats et des populations menacées.</p>
<h2>Caractéristiques des agents chimiques</h2>
<p>Il existe <a href="https://www.icrc.org/fr/document/cinq-choses-savoir-sur-les-armes-chimiques-ces-tueuses-implacables">quatre types d’agents chimiques</a> :</p>
<ul>
<li><p>Les agents suffocants ou asphyxiants (chlore, phosgène…). Ils provoquent une irritation des voies respiratoires et endommagent les poumons en y causant la formation d’œdème (ils se remplissent de liquide).</p></li>
<li><p>Les agents sanguins (cyanure d’hydrogène, chlorure de cyanogène gazeux, etc.) Ce sont des poisons puissants et à action rapide et diverse. Ils peuvent bloquer la respiration au niveau des cellules et, partant, empêcher le fonctionnement des organes vitaux. Ils peuvent également attaquer des enzymes, ces protéines qui catalysent presque toutes les réactions biologiques du corps. Ce qui paralyse la synthèse des molécules utilisées comme source d’énergie, et entraîne des vomissements, des vertiges, une perte de conscience et la mort.</p></li>
<li><p>Les agents vésicants (ypérite sulfureuse, ou gaz moutarde, la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lewisite">léwisite</a>…) Profondément irritants, ils brûlent et endommagent la peau, les yeux, les muqueuses – comme à l’intérieur des poumons – et d’autres tissus du corps.</p></li>
<li><p>Les agents neurotoxiques ou innervants, qui sont divisés en deux groupes : les agents de la série V (pour venimeux) et les agents de la série G (car produit à l’origine par IG Farben, en Allemagne). (<em>Le Novitchok entre dans cette catégorie, ndlr</em>)</p></li>
</ul>
<p>Ces deux groupes désactivent des enzymes essentielles du système nerveux, ce qui entraîne une perte du contrôle de son corps, des convulsions et la mort par paralysie respiratoire. Même en faible concentration, ils peuvent blesser en provoquant essoufflement, déficience visuelle, etc.</p>
<p>Au sein de la série V, l’<a href="https://www.cdc.gov/niosh/ershdb/emergencyresponsecard_29750005.html">agent le plus connu est le VX</a>, poison mortel qui pénètre dans le corps par contact avec la peau. Les autres sont les VE, VM, VG et V-gas. Les informations détaillées sur leurs caractéristiques, qui permettraient de travailler à s’en prémunir, sont peu disponibles en littérature ouverte.</p>
<p>L’utilisation de l’agent VX comme poison a été largement débattue après le <a href="https://www.theguardian.com/world/2017/feb/24/kim-jong-nam-north-korea-killed-chemical-weapon-nerve-agent-mass-destruction-malaysian-police">meurtre de Kim Jong-nam</a>, le demi-frère du dirigeant nord-coréen Kim Jong‑un, en février 2017 en Malaisie.</p>
<p>Les agents de la série G comprennent notamment les gaz soman (GD), sarin (GB) et tabun (GA). Ils provoquent principalement la mort suite à leur inhalation.</p>
<p>En mars 1995, une <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0234967">attaque au sarin perpétrée dans le métro de Tokyo</a> par la secte Aum Shinrikyo a fait douze morts et un millier de blessés. Plus de 5 000 personnes ont dû se faire soigner suite à cet événement.</p>
<h2>Un usage désormais officiellement interdit</h2>
<p>(<em>La <a href="https://www.opcw.org/fr/propos/histoire">Première guerre mondiale</a>,rappelle l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, qui a vu être déversées plus de 124 000 tonnes de chlore, gaz moutarde, etc., a laissé plus d’un million de soldats marqués à vie. 90 000 autres sont morts dans des circonstances terribles au combat. Autant d’horreur qui ont poussé à la réflexion et la rédaction de plusieurs protocoles visant à bannir leur usage, ndlr</em>)</p>
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<img alt="Des soldats aveuglés, yeux bandés, se tiennent en file indienne. Photo noir et blanc d’époque" src="https://images.theconversation.com/files/454430/original/file-20220325-25-1caa0d6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/454430/original/file-20220325-25-1caa0d6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=372&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/454430/original/file-20220325-25-1caa0d6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=372&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/454430/original/file-20220325-25-1caa0d6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=372&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/454430/original/file-20220325-25-1caa0d6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=467&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/454430/original/file-20220325-25-1caa0d6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=467&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/454430/original/file-20220325-25-1caa0d6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=467&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’utilisation des gaz lors de la Première Guerre mondiale a causé des ravages (soldats anglais de la 55ᵉ division aveuglés par une attaque à Ypres, dans les Flandres, en avril 1918).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Photo de Thomas Keith Aitken (Second Lieutenant), collections of the Imperial War Museums</span></span>
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</figure>
<p>Le <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1989_num_35_1_2892">protocole de Genève</a>, qui a été signé en 1925, interdit l’utilisation d’armes chimiques (et biologiques) à la guerre… Ce qui n’a toutefois pas empêché que certaines soient employées ensuite. Si les gaz et leurs ravages sont le plus souvent associés à la Première Guerre mondiale, des usages plus récents sont ainsi toujours identifiés lors de conflits.</p>
<p>En 2017, la Croix-Rouge a annoncé que des civils à Mossoul, en Irak, <a href="https://www.nytimes.com/reuters/2017/03/04/world/middleeast/04reuters-mideast-crisis-mosul-chemical.html">avaient été exposés à des agents vésicants</a> lors des combats entre les combattants de l’État islamique et les forces irakiennes soutenues par les États-Unis. (<em>Leur <a href="https://www.who.int/fr/news/item/05-04-2017-who-alarmed-by-use-of-highly-toxic-chemicals-as-weapons-in-syria">utilisation est aussi débattue en Syrie</a>, ndlr</em>)</p>
<p>Les contrôles internationaux des exportations réglementent la vente d’équipements utilisés pour leur production à grande échelle. Il est donc assez difficile d’acquérir des matières premières à cet usage. Or la plupart des agents chimiques ne se trouvant pas dans la nature, leur obtention passe par une synthèse industrielle et un investissement certain si l’on veut une production de masse.</p>
<p>Cependant, cette technologie est désormais disponible pour une large part d’agents chimiques. Et le matériel permettant leur fabrication à petite échelle peut être acheté auprès d’enseignes non spécialisées.</p>
<h2>Les impacts des armes chimiques</h2>
<p>Les armes chimiques, notamment sous forme de gaz, sont particulièrement effrayantes. Il n’existe en effet pas encore de moyen de lutter contre les nuages de gaz, et certains produits sont capables de traverser le caoutchouc naturel, rendant ainsi les protections inutiles.</p>
<p>De plus, la plupart des quatre types d’agents sont invisibles, insipides, inodores, silencieux et insidieux – ce qui démultiplie encore l’aura de terreur qui les entoure.</p>
<p>Néanmoins, certains ont des odeurs typiques, que soldats et civils pourraient être formés à reconnaître. Par exemple, l’ypérite sent l’ail, le cyanure d’hydrogène l’amande amère, le phosgène le foin fraîchement coupé et la léwisite le géranium.</p>
<p>Mais en présence d’un nuage chimique, les soldats ne peuvent qu’attendre que le gaz s’éloigne – et espérer que leurs masques et respirateurs vont être efficaces. Si bien qu’ils développent parfois une <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/1603385">« phobie du masque à gaz »</a>, ou un sentiment de claustrophobie, lorsqu’ils portent des masques de protection.</p>
<p>En outre, lorsque les soldats sont incapables d’éviter ces situations anxieuses, ils peuvent devenir nerveux, paniqués, irrationnels ou subir des changements de leur personnalité, se sentir détachés d’eux-mêmes. Par exemple, ils peuvent enlever leur masque à gaz ou courir sans se soucier de rien. Il s’agit de symptômes courants chez les anciens combattants et les civils souffrant de <a href="http://www.ptsd.va.gov/professional/PTSD-overview/Dissociative_Subtype_of_PTSD.asp">syndrome de stress post-traumatique</a> (PTSD).</p>
<p>La terreur qu’elles provoquent est partie intégrante de la composante psychologique des armes chimiques. Les soldats peuvent ressentir un sentiment accru de stress et de peur d’une attaque chimique juste en voyant l’artillerie, les avions, missiles ou autres systèmes pouvant servir à leur diffusion.</p>
<p>Cette angoisse due à l’insaisissabilité des gaz peut amener les soldats à penser, à tort, que des symptômes bénins de stress, d’anxiété et de maladies infectieuses mineures (écoulement nasal, éruptions cutanées, ampoules, irritation oculaire, essoufflement et diarrhée) <a href="http://www.kcl.ac.uk/kcmhr/publications/assetfiles/cbrn/Jones2008-psychologicaleffectsofchemicalweapons.pdf">sont les signes précoces d’exposition à des agents chimiques</a>.</p>
<h2>Se protéger face aux agents chimiques</h2>
<p>Le fait qu’un usage reste possible malgré l'interdiction impose aux armées de penser à la protection de leurs soldats. Au fil des conflits et de l’évolution de la connaissance des agents chimiques, de nombreuses techniques sont apparues.</p>
<p>Lors de la guerre du Golfe de 1991, les troupes américaines se protégeaient ainsi à l’aide d’équipements tels que des masques à gaz, des casques, des gants en caoutchouc, des sur-vêtements de combat (ou BDO, pour « battle-dress over-garment »), des cagoules et des sur-bottes. (<em>La France dispose de ses <a href="http://www.opex360.com/2019/05/24/les-equipements-des-militaires-francais-contre-les-risques-nrbc-seront-bientot-tous-remplaces/">propres équipements de protection</a>, ndlr</em>)</p>
<p>Le BDO est une combinaison (manteau et pantalon) composée d’une couche intérieure de mousse de polyuréthane imprégnée de charbon destiné à absorber et piéger les agents chimiques, et d’une couche extérieure de coton avec des marques de camouflage. S’il confère une bonne protection, le port du BDO limite considérablement la capacité de combat – surtout s’il est porté longtemps.</p>
<p>BDO et cagoules associées provoquent une hausse rapide de la température corporelle, ce qui augmente ensuite le risque de coup de chaud et d’épuisement (dans le désert notamment). Les gants en caoutchouc limitent le sens du toucher et la capacité à effectuer des manipulations délicates. Les masques à gaz réduisent également la capacité à parler, entendre et voir.</p>
<p>Mais, comme les militaires l’ont réalisé dès le premier conflit mondial, si les masques à gaz avec respirateurs protègent le plus souvent les voies respiratoires et les yeux, certains agents comme le gaz moutarde sont capables de les traverser.</p>
<p>Pendant la Première Guerre mondiale, les Allemands ont utilisé de la poudre de blanchiment pour traiter les surfaces de peau attaquées. Cette méthode n’était pas optimale du fait de la quantité de produit nécessaire. De plus, les boîtes de poudre représentaient un fardeau supplémentaire à porter.</p>
<p>L’application de crème protectrice avant une attaque s’est également avérée inefficace, car elle n’offrait pas un rempart durable. Les unités mobiles américaines de bain, destinées à décontaminer les soldats, semblaient également inefficaces, car trop peu nombreuses et très lourdes.</p>
<p>Un autre angle de défense contre les attaques chimiques consistait en un système de détection portable sur le champ de bataille. Comme de nombreux agents chimiques sont inodores, les troupes avaient besoin d’un détecteur automatique et d’un système d’alarme pour les avertir à temps et leur permettre de mettre leur masque à gaz à temps.</p>
<p>Néanmoins, le détecteur présentait plusieurs faiblesses majeures. Il ne fonctionnait pas à des températures inférieures au point de congélation, pouvait tomber en panne de batterie et nécessitait un entretien fréquent.</p>
<p>Tout ceci donne aux armes chimiques un statut particulier. S’il a été prouvé qu’elles n’ont pas d’impact décisif sur l’issue d’un conflit, leur effet psychologique (sur les soldats comme sur les populations civiles) fait qu’elles continuent à être employées – au moins comme menace. Elles ont ainsi davantage une efficacité comme arme de terreur ou tactique (pour frapper un secteur déterminé limité) que comme armes de destruction massive stricto sensu.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179993/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mutti Anggitta ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le risque chimique est dans tous les esprits. Classés armes de destruction massive, les gaz frappent les corps et terrifient les populations. Quels sont leurs effets ? Peut-on s’en protéger ?Mutti Anggitta, Analis Utama Keamanan dan Perempuan, Laboratorium Indonesia 2045Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1784512022-03-03T19:58:35Z2022-03-03T19:58:35ZL’aide internationale, indispensable sur la durée en Ukraine… et ailleurs<p>Alors que le sort de l’Ukraine est toujours incertain et que sa population subit la violence d’un conflit qu’elle n’a pas souhaité, s’exprime de toutes parts en Europe une large solidarité. </p>
<p>On ne peut que s’en réjouir. Mais aussitôt émergent les symptômes d’une compassion à géométrie variable.</p>
<h2>Les « bons » réfugiés, et les « mauvais »</h2>
<p><a href="https://www.rtbf.be/article/accusations-de-racisme-envers-des-africains-et-des-indiens-qui-tentent-de-quitter-lukraine-que-sait-on-10945008">Les étrangers non européens</a> présents en Ukraine ne se sont pas vu octroyer les mêmes facilités de prise en charge pour pouvoir quitter le pays en guerre. <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/03/01/guerre-en-ukraine-le-difficile-exode-des-etudiants-africains_6115635_3212.html">Des étudiants</a> et travailleurs originaires d’Afrique, d’Asie ou du Moyen-Orient sont <a href="https://www.politis.fr/articles/2022/02/ukraine-le-tri-racial-des-refugies-44139/">sommés d’attendre</a>, sur place, des jours meilleurs. La levée de boucliers induite dans les opinions publiques par cette attitude de certaines autorités ukrainiennes comme européennes des pays limitrophes semble avoir mis un terme à la discrimination initiale.</p>
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<figcaption><span class="caption">Guerre en Ukraine : des réfugiés discriminés en raison de leur couleur de peau, Courrier International, 28 février 2022.</span></figcaption>
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<p>En France, quelques éditorialistes et responsables politiques se laissent aller à des commentaires choquants. Citons, par exemple, le député centriste Jean Louis Bourlanges, <a href="https://www.europe1.fr/politique/guerre-en-ukraine-on-aura-une-immigration-de-grande-qualite-dont-on-pourra-tirer-profit-4095961">invité au micro d’une grande radio</a> :</p>
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<p>« (Du fait de la situation en Ukraine) « on aura une immigration de grande qualité dont on pourra tirer profit. »</p>
</blockquote>
<p>Ou bien un journaliste sur une <a href="https://mobile.twitter.com/Portia15963173/status/1496932116759785487">chaîne d’informations en continu</a> :</p>
<blockquote>
<p>« On ne parle pas ici de réfugiés syriens qui fuient les bombardements du régime syrien ; on parle d’Européens qui partent dans des voitures qui ressemblent à nos voitures et qui essaient juste de sauver leur vie. »</p>
</blockquote>
<p>Parce que les Syriens, non ?</p>
<p>De tels propos – inacceptables – illustrent une forme de « double standard » décomplexé entre les « bons » déplacés forcés et ceux qui seraient « négligeables ». </p>
<p>Ils traduisent, dans la bouche de leurs auteurs, la réaffirmation d’un occidentalo-centrisme dans la lecture des affaires internationales auquel les organisations humanitaires doivent elles-mêmes <a href="https://msf-crash.org/fr/publications/guerre-et-humanitaire/y-t-il-une-hierarchie-dans-la-souffrance">être très vigilantes</a>.</p>
<h2>L’impact de la mobilisation pour l’Ukraine sur les autres crises humanitaires</h2>
<p>Outre les questions éthiques soulevées par ces postures, un autre danger se profile : on pourrait assister à un <a href="https://www.thenewhumanitarian.org/analysis/2022/03/02/how-russias-invasion-will-worsen-global-hunger">brusque coup de frein</a> sur les financements des <a href="https://executiveboard.wfp.org/document_download/WFP-0000129031">crises majeures et prolongées</a> (Syrie, RDC, RCA, Yémen, Bangladesh, Soudan du Sud…) pour réorienter les dons des principaux pays contributeurs vers la crise ukrainienne.</p>
<p>Si tel devait être le cas, les conséquences seraient très graves pour le sort des populations alors délaissées. D’autant plus que le conflit en Europe aura de lourdes conséquences sur les <a href="https://www.capital.fr/entreprises-marches/ukraine-les-cours-du-ble-senvolent-1429718">prix et sur les possibilités de transport du blé</a>, l’Ukraine constituant le premier fournisseur du Programme alimentaire Mondial (420 000 tonnes de produits alimentaires en 2020).</p>
<p>En toile de fond se trouve ainsi à nouveau posée la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/10/aide-internationale-le-modele-financier-pour-repondre-aux-besoins-des-populations-en-danger-sur-les-terrains-de-crise-est-obsolete_6072541_3232.html">question du mode de financement</a>) de l’aide humanitaire internationale. Ce modèle repose pour les trois quarts de l’enveloppe annuelle (de 40 milliards de dollars) sur les contributions volontaires d’une vingtaine de pays membres de l’OCDE – essentiellement occidentaux – et pour un quart sur la générosité de donateurs individuels issus des mêmes pays.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-necessaire-transformation-de-laide-humanitaire-internationale-145671">La nécessaire transformation de l’aide humanitaire internationale</a>
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<p>La crise ukrainienne, par son ampleur, va encore accroître le différentiel annuel qui prévaut au niveau mondial entre les besoins estimés nécessaires par le <a href="https://www.un.org/sg/fr/global-leadership/office-for-the-coordination-of-humanitarian-affairs/all">Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires des Nations unies (OCHA)</a> et les recettes obtenues. Il est <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/lonu-alerte-contre-un-%C3%A9puisement-des-fonds-et-le-risque-de-linterruption-des-activit%C3%A9s-humanitaires-au-y%C3%A9men/2399081">déjà chroniquement déficitaire</a> : 40 % des sommes appelées ne sont pas obtenues.</p>
<p>Le système humanitaire international ne peut plus fonctionner efficacement avec une telle équation économique. Elle est soumise à la fois à une subjectivité compassionnelle que l’on sait éphémère, et aux logiques d’une générosité aléatoire. La mobilisation est intimement liée aux proximités culturelles, géographiques, économiques ou politiques des individus et des États donateurs avec les populations confrontées à des crises.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/emmP4XLOMcM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Les images choc du petit Aylan, dont le corps sans vie fut retrouvé sur une plage de Turquie après le naufrage de l’embarcation qui le transportait avec ses parents ayant fui la Syrie, ont été vite oubliées. Il aura fallu la sortie récente d’un film qui lui est consacré, et dont le tournage s’est fait à l’insu de la famille, pour qu’éclate une <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/17847/un-film-sur-la-mort-daylan-kurdi-suscite-la-polemique">nouvelle polémique</a>. Cet épisode a réactivé la mémoire de ce petit garçon et du drame dont sa mort a résulté.</p>
<h2>Une crise chasse l’autre</h2>
<p>Ainsi, pendant que l’attention se focalise brusquement sur le sort de la population ukrainienne, seuls 10 % des fonds <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/13/l-appel-de-l-onu-a-lever-5-milliards-de-dollars-d-aide-pour-l-afghanistan-reste-sans-reponse_6109311_3210.html">appelés par l’ONU pour lutter contre la famine en Afghanistan</a> ont été obtenus. Six mois après les images – diffusées en boucle sur toutes les télés du monde – des foules afghanes massées sur l’aéroport de Kaboul pour fuir l’arrivée des talibans au pouvoir, le gouvernement danois met en place les <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/38562/au-danemark-la-commission-dasile-se-prononce-pour-la-reprise-des-expulsions-dafghans">premières procédures d’expulsion</a> de réfugiés issus de ce pays présents sur son sol.</p>
<p>Au Yémen, où perdure une situation dramatique, les <a href="https://lemonde-arabe.fr/28/02/2021/au-yemen-une-baisse-des-financements-humanitaires-fait-craindre-une-catastrophe/">financements de l’aide ont baissé de 40 %</a> l’an dernier.</p>
<p>Trop empreinte d’une générosité émotionnelle, l’aide internationale ne peut se déployer de façon satisfaisante pour les populations fragilisées par des crises dont bon nombre s’étalent sur des années. La durée de séjour moyenne de séjour dans un camp de réfugiés est de <a href="https://blogs.worldbank.org/fr/voices/combien-de-temps-dure-l-exil-des-refugies-2018">plus de dix ans</a>. Pour les organisations humanitaires, la plus grande des vigilances reste de mise. Partout dans le monde aujourd’hui, et peut-être en Ukraine demain…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178451/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Micheletti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La crise ukrainienne survient alors que l’ONU peine à financer son action en Afghanistan et a dû mettre fin à ses activités au Yémen. Dès lors, comment mobiliser l’aide humanitaire nécessaire ?Pierre Micheletti, P résident d’Action Contre la Faim – France. Concepteur et responsable pédagogique du diplôme universitaire « Santé Solidarité Précarité » à la Faculté de Médecine., Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1711322021-11-18T21:57:38Z2021-11-18T21:57:38ZLes multiples conséquences du retrait américain du Moyen-Orient<p>À l’heure où la <a href="https://www.economist.com/by-invitation/2021/08/18/francis-fukuyama-on-the-end-of-american-hegemony">prise de conscience</a> du déclin relatif de la puissance des États-Unis s’impose peu à peu, les acteurs régionaux du Moyen-Orient s’apprêtent à remplir le vide stratégique laissé par le départ des forces américaines.</p>
<p>Deux facteurs majeurs ont contribué au <a href="https://www.lopinion.fr/edition/international/jean-pierre-filiu-moyen-orient-americain-est-mort-nos-yeux-253913">recul des États-Unis dans la région</a>.</p>
<p>D’un côté, la rivalité de puissance engagée entre Washington et Pékin s’est exacerbée ces dernières années. Depuis 2008 et l’annonce du <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2013-2-page-7.htm">pivot vers l’Asie</a> par Barack Obama, les Américains sont préoccupés par l’endiguement de la Chine, qu’ils exercent via le soutien à la sécurité et à la défense du Japon, de Taïwan, de la Corée du Sud, et aussi via le dialogue stratégique et diplomatique avec l’Inde et une partie de l’Asie du Sud-Est. Les États-Unis, de plus en plus mobilisés par ce front, ont aujourd’hui moins de capacités à consacrer au Moyen-Orient. Cette redéfinition des priorités stratégiques a <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20210901-turning-from-afghanistan-the-us-sets-focus-on-china">précipité leur retrait d’Afghanistan</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-quad-pilier-de-la-strategie-indo-pacifique-de-ladministration-biden-158966">Le Quad, pilier de la stratégie indo-pacifique de l’administration Biden ?</a>
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<p>D’un autre côté, la stratégie américaine au Moyen-Orient s’est soldée par une succession d’échecs. La « guerre au terrorisme » <a href="https://www.journaldemontreal.com/2021/08/26/echec-total-loccident-a-t-il-perdu-la-guerre-contre-le-jihad">n’a pas permis</a> de refaçonner le paysage régional conformément aux intérêts de Washington. Quant à la stratégie de pression maximale sur Téhéran employée par Donald Trump, elle s’est révélée politiquement inefficace voire contre-productive, le régime de Téhéran ayant fait la démonstration de sa résilience en poursuivant le développement de son <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/le-monde-est-a-nous-les-missiles-balistiques-symbole-de-la-puissance-militaire-iranienne_3758291.html">potentiel militaire et balistique</a> et en renforçant sa capacité de projection de forces selon un axe régional qui s’étend du <a href="https://www.al-monitor.com/originals/2021/10/iran-pakistan-work-strengthen-ties-afghan-situation-remains-fluid">sud du Pakistan</a> à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/18/le-savoir-faire-iranien-au-service-des-factions-palestiniennes-de-gaza_6080584_3210.html">Gaza</a>.</p>
<h2>La fin de la présence globale américaine</h2>
<p>Désormais, la capacité des États-Unis à maintenir une présence globale adéquate par le biais de leurs bases stratégiques est remise en question.</p>
<p>En mars dernier, une équipe spéciale composée de quinze hauts fonctionnaires du Pentagone a <a href="https://www.politico.com/news/2021/02/10/biden-pentagon-task-force-china-468413">commencé à œuvrer</a> à l’élaboration d’un plan global visant à préparer les forces américaines, déployées dans diverses parties du monde, à une éventuelle mission pour faire face à la menace chinoise. Washington a d’ores et déjà <a href="http://politico.com/news/2021/09/11/missile-defense-saudi-arabia-511320">retiré</a> d’Arabie saoudite certains matériels militaires lourds, notamment des batteries de missiles Patriot ainsi qu’un porte-avions, dans le but de redéployer ces équipements sur le front asiatique. Cette idée d’un retrait progressif a été confortée par les révélations des médias américains sur le projet du Pentagone de créer une <a href="https://gnews.org/1328566/">« force permanente » dans le Pacifique occidental</a> pour faire face à la Chine.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1407387830494638084"}"></div></p>
<p>Au Moyen-Orient, la plus grande base militaire américaine est la <a href="https://militarybases.com/overseas/qatar/al-udeid/">base aérienne d’Al-Udeid</a>, au Qatar, qui accueille <a href="https://www.aljazeera.com/news/2021/9/10/infographic-us-military-presence-around-the-world-interactive.">11 000 membres des services américains et de la coalition</a> anti-Daech agissant dans le cadre de l’opération <a href="https://www.inherentresolve.mil/">Inherent Resolve</a>.</p>
<p>Aux installations militaires dans le Golfe s’ajoute une présence en Irak où <a href="https://www.aljazeera.com/news/2021/9/10/infographic-us-military-presence-around-the-world-interactive">2 500 soldats</a>) américains sont déployés dans le cadre d’un accord de sécurité avec le gouvernement de Bagdad, et en Syrie où se trouveraient encore <a href="https://www.lalibre.be/international/moyen-orient/2021/02/09/les-forces-americaines-en-syrie-ne-sont-plus-la-pour-proteger-le-petrole-264FIWKMLFEC7HWJW2MWPT3YHI/">900 militaires américains</a>) à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/20/en-syrie-une-base-americaine-visee-par-une-attaque_6099290_3210.html">al-Tanf</a>, dans le sud-est du pays, ainsi qu’au nord-est aux côtés des Forces démocratiques syriennes (coalition hétéroclite de forces sous la direction des Kurdes).</p>
<p>Dans la perspective d’un désengagement inéluctable de Syrie et d’<a href="https://www.bbc.com/news/world-us-canada-57970464">Irak</a>, et de l’allègement de la présence américaine dans le Golfe – des développements dictés par l’impératif stratégique de la confrontation avec la Chine –, une nouvelle donne s’esquisse et le rôle des acteurs régionaux semble appelé à se renforcer.</p>
<h2>Un Moyen-Orient reconfiguré par les acteurs régionaux ?</h2>
<p>En dépit du <a href="https://www.cairn.info/le-moyen-orient-et-le-monde--9782348064029-page-145.htm">retour en force de la Russie au Moyen-Orient</a> et des ambitions que nourrit la Chine pour cette région dans le cadre de sa confrontation stratégique avec Washington, Moscou et Pékin n’entendent pas y jouer un rôle aussi central que celui que les États-Unis y ont tenu au cours des vingt dernières années.</p>
<p>Les dynamiques régionales restructurant déjà la scène géopolitique devraient encore s’affermir au détriment du « Grand jeu » des puissances internationales, qui apparaît moins décisif qu’auparavant. Confrontés à la perspective d’un retrait militaire américain prochain qui laisserait les mains libres à un Iran plus assuré, les alliés régionaux de Washington ont cherché à s’adapter à la nouvelle donne.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1432578323582967808"}"></div></p>
<p>En septembre 2019, des forces yéménites alliées à Téhéran ont mené une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/09/14/arabie-saoudite-deux-installations-petrolieres-attaquees-par-des-drones_5510368_3210.html">attaque majeure</a> contre les installations du géant pétrolier saoudien Aramco, sans que cet épisode n’entraîne de réaction de la part de Washington. Cet événement a ébranlé la confiance que Riyad pouvait avoir dans la pérennité du soutien des États-Unis.</p>
<p>Quelques jours plus tard, le ministre émirati des Affaires étrangères <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1187322/les-eau-jouent-la-moderation-face-a-liran.html">s’est rendu en Iran</a> pour chercher l’apaisement, les Émirats étant alliés à l’Arabie saoudite. Avec l’arrivée de la nouvelle administration américaine, qui se distancie de la politique saoudienne en <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210204-joe-biden-met-fin-au-soutien-am%C3%A9ricain-%C3%A0-la-coalition-saoudienne-au-y%C3%A9men">mettant fin à son appui à la guerre du Yémen</a> et en réengageant des discussions avec l’Iran, Riyad a, à son tour, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1278226/entre-riyad-et-teheran-le-rapprochement-saccelere.html">amorcé des négociations avec Téhéran</a>. La préoccupation de Riyad et d’Abu Dhabi est donc de limiter les répercussions de la politique de la nouvelle administration américaine sur les questions clés du Moyen-Orient – principalement l’Iran – et de compenser les pertes qui en découlent.</p>
<h2>Vers un retour dans le jeu du régime de Damas</h2>
<p>Le retrait américain d’Afghanistan semble annoncer un retrait militaire plus général des États-Unis de la région – une idée qu’accréditent les développements récents et, notamment, la <a href="http://www.opex360.com/2021/10/21/une-base-americaine-situee-dans-le-sud-de-la-syrie-a-ete-la-cible-dune-attaque-coordonnee/">prise pour cible de la base américaine d’al-Tanf en Syrie par des forces alliées à l’Iran</a>, ainsi que les attaques répétées contre les intérêts américains ces dernières années en Syrie et en Irak. La Syrie ne revêt en effet aujourd’hui qu’une <a href="https://foreignpolicy.com/2021/08/25/assad-middle-east-preparing-united-states-exit-syria/">importance limitée</a> pour l’administration Biden, qui n’a pas nommé d’envoyé spécial dans ce pays.</p>
<p>En conséquence, les pays arabes qui, depuis 2011, s’étaient montrés hostiles au régime syrien ont progressivement engagé un processus de normalisation. Les Émirats arabes unis avaient rouvert une ambassade <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20181228-syrie-emirats-arabes-unis-rouvrent-leur-ambassade-damas">à Damas</a> dès 2018 ; le 27 septembre dernier, Amman a <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20210929-les-vols-commerciaux-entre-la-jordanie-et-la-syrie-vont-reprendre">rouvert</a> le principal poste-frontière entre la Jordanie et la Syrie ; un <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1274092/importation-de-gaz-egyptien-un-plan-de-travail-approuve-lors-dune-reunion-quadripartite-a-amman.html">accord</a> a été trouvé entre l’Égypte, la Jordanie, la Syrie et le Liban pour acheminer du gaz égyptien vers Beyrouth via Damas ; et l’Égypte se dit désormais favorable à la <a href="https://www.al-monitor.com/originals/2021/09/egypt-steps-efforts-restore-syrias-position-arab-world">réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe</a>, dont elle avait été suspendue en 2011.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1456282589371719680"}"></div></p>
<p>Ces convergences avec Damas doivent permettre aux acteurs régionaux de préserver leurs intérêts et de jouer un rôle dans la phase post-conflit en cas de retrait américain de Syrie. Quant à la Turquie, si elle demeure hostile au régime d’Assad, Ankara ne nourrit cependant plus, dans un contexte où le rapport de forces a significativement évolué en faveur de Damas et ses alliés, d’ambition de changement politique en Syrie.</p>
<p>En Irak, bien que les États-Unis maintiennent encore une présence militaire, de nouveaux acteurs de nouveaux acteurs entrent en jeu, à l’exemple de la France (Total s’est récemment vu accorder un <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2021/09/12/27-milliards-pour-un-siecle-de-total-en-irak/">important contrat d’investissement</a>). Surtout, Bagdad ne veut plus être un champ de confrontation entre l’Iran et l’Arabie saoudite, et cherche au contraire à jouer un <a href="https://atalayar.com/fr/content/lirak-est-de-retour-sur-la-carte-diplomatique-en-tant-que-nouveau-m%C3%A9diateur-du-moyen-orient">rôle de médiation</a> dans le processus de négociations entre ces deux acteurs.</p>
<p>Les discussions bilatérales en cours pourraient aboutir à une <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/iran-des-discussions-constructives-en-cours-avec-larabie-saoudite-pour-parvenir- %C3 %A0-la-paix-au-y %C3 %A9men/2374433">entente</a>, le ministre saoudien des Affaires étrangères ayant récemment qualifié la relation avec l’Iran d’« amicale », signe que l’Arabie se montre moins encline à poursuivre une politique régionale offensive à présent qu’elle ne bénéficie plus d’un soutien américain. Le processus de négociations n’est cependant pas exempt de contradictions, comme l’illustre la récente <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/larabie-saoudite-coupe-contact-avec-le-liban-1360064">crise diplomatique entre Riyad et Beyrouth</a>, Riyad rejetant le poids grandissant du Hezbollah, allié organique de l’Iran, au Liban. Un accord aurait toutefois inéluctablement des implications sur la solution politique au Yémen et pourrait favoriser une stabilisation au Liban.</p>
<h2>La politique ambivalente des Émirats arabes unis</h2>
<p>En un an, Abu Dhabi a développé des relations de coopération très avancées avec Israël. Depuis la signature des <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/05/20/les-accords-d-abraham-signes-entre-israel-et-plusieurs-etats-arabes-doivent-etre-preserves_6080883_3232.html">accords d’Abraham</a> le 15 septembre 2020, les échanges ont été croissants, comme l’illustre la <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/rencontre-usa-israel-emirats-pour-relancer-la-dynamique-des-accords-de-normalisation_2160357.html">rencontre trilatérale</a> du 13 octobre dernier entre Américains, Israéliens et Émiratis pour aborder les progrès accomplis depuis un an et les perspectives de collaboration économique et politique à venir, réunion au cours de laquelle Tel-Aviv et Abu Dhabi ont affiché une <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1277828/nucleaire-iranien-israel-et-abou-dhabi-intensifient-la-pression-sur-washington.html">convergence de vues</a> sur la question du nucléaire iranien.</p>
<p>Pour autant, les Émirats restent pragmatiques et soucieux de maintenir un dialogue avec l’Iran. En effet, l’action d’Abu Dhabi n’est pas inféodée à son partenariat avec l’Arabie saoudite, ni même à sa coopération plus récente avec Israël. Rappelons que les Émirats ont <a href="https://www.courrierinternational.com/article/peninsule-arabique-les-emirats-retirent-des-troupes-du-yemen-ont-ils-une-autre-idee-en-tete">retiré la plupart de leurs troupes terrestres du Yémen</a> en 2019 et réengagé un dialogue avec l’Iran la même année à la suite des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/13/la-marine-americaine-assiste-deux-navires-attaques-dans-le-golfe-d-oman_5475675_3210.html">attaques attribuées à Téhéran contre des pétroliers dans le détroit d’Ormuz</a>, décision motivée par la crainte d’une offensive militaire iranienne et par un doute sur une implication américaine à leurs côtés en cas de concrétisation d’un tel scénario.</p>
<p>Cette tendance à la coopération s’est poursuivie notamment à travers le <a href="https://english.alaraby.co.uk/news/uae-releases-700-million-frozen-iranian-funds">déblocage de fonds iraniens qui étaient gelés dans les banques émiraties</a> et la fourniture à plusieurs reprises d’une <a href="https://atalayar.com/fr/content/les-emirats-envoient-une-quatri %C3 %A8me-aide-m %C3 %A9dicale- %C3 %A0-liran-pour-lutter-contre-la-pand %C3 %A9mie">aide médicale à l’Iran</a> durant la crise sanitaire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1333144450613260288"}"></div></p>
<p>Les observateurs avertis <a href="https://www.inss.org.il/publication/uae-foreign-policy/">notent</a> que la volonté d’Abu Dhabi d’augmenter son implication et ses investissements dans la bande de Gaza est une orientation qui résulte également du changement d’administration aux États-Unis et de la politique adoptée par le président Joe Biden sur des questions d’importance stratégique, au premier rang desquelles l’Iran.</p>
<p>Ainsi, si la représentation partagée entre les Émirats et Israël d’une menace régionale incarnée par l’Iran justifiant le rapprochement perdure, elle a toutefois <a href="https://www.inss.org.il/publication/abraham-accords-one-year/">perdu de son acuité</a> avec le changement intervenu aux États-Unis. Les choix stratégiques de l’administration actuelle et les nouvelles dynamiques régionales entraînent des réactions très inquiètes en Israël.</p>
<h2>Israël, grand perdant des nouvelles dynamiques régionales ?</h2>
<p>Les commentaires politiques qui ont accompagné la tenue de la réunion trilatérale du 13 octobre dernier témoignent de l’amplitude de la divergence entre Israéliens et Américains au sujet de l’Iran.</p>
<p>Comme le rapporte le média <a href="https://www.al-monitor.com/originals/2021/10/lapids-washington-visit-brings-israel-little-assurance-iran"><em>Al Monitor</em></a>, lors de cette réunion, les Israéliens souhaitaient obtenir de Washington l’assurance d’un « plan d’urgence opérationnel conjoint » en cas d’échec des négociations avec Téhéran, mais les Américains sont restés muets sur les moyens à adopter dans pareil scénario, se limitant à exprimer leur intention d’explorer « d’autres options si l’Iran ne change pas de direction ». Comme l’a <a href="https://www.haaretz.com/israel-news/.premium.HIGHLIGHT-israel-s-daily-warnings-on-iran-are-falling-on-deaf-ears-in-washington-1.10342291">résumé</a> dernièrement le journaliste israélien Amos Harel dans <em>Haaretz</em>, les Israéliens ne sont pas parvenus « à inciter l’administration Biden à accroître la pression sur Téhéran ».</p>
<p>Ces réticences américaines à envisager l’option militaire pour retarder la « maturation nucléaire » de l’Iran sont également évoquées par l’ancien premier ministre travailliste Ehud Barak qui considère que <a href="https://www.haaretz.com/middle-east-news/iran/as-iran-nears-a-nuclear-warhead-israel-might-have-to-reveal-its-own-atomic-power-1.10233347">l’Iran se trouve déjà au seuil de l’arme nucléaire</a>.</p>
<p>Selon lui, sur la question du nucléaire, l’Iran n’est pas la principale préoccupation des États-Unis :</p>
<blockquote>
<p>« Ils peuvent accepter l’Iran comme un État du seuil. Pour nous, ce défi est beaucoup plus menaçant et plus proche, surtout à long terme […] Il n’est pas certain que les États-Unis possèdent actuellement des plans militaires opérationnels capables de retarder la maturation de la capacité nucléaire iranienne pendant un nombre considérable d’années. De même, il n’est pas clair si même Israël a des plans d’urgence réalisables pour retarder de quelques années l’obtention par l’Iran de l’arme nucléaire. »</p>
</blockquote>
<p>Israël est tout autant inquiet de la relation que développent les pays du Golfe avec la Chine et voit d’un mauvais œil l’ambition de Pékin de mettre à profit le retrait américain pour renforcer son influence. La principale crainte de Tel-Aviv est de voir les technologies israéliennes exportées vers le Golfe fuir vers la Chine et, de là, vers l’Iran.</p>
<hr>
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<em>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/chine-arabie-saoudite-a-lassaut-de-lor-noir-167205">Chine–Arabie saoudite : à l’assaut de l’or noir</a>
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</em>
</p>
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<p>L’autre appréhension d’Israël concerne les investissements des entreprises du Golfe dans les infrastructures israéliennes. Yoel Guzansky et Galia Lavi, chercheurs à l’INSS, <a href="https://www.inss.org.il/publication/china-gulf-states">pointent</a> « le risque d’une plus grande exposition aux entreprises chinoises qui ont des liens étroits avec les entreprises du Golfe, investissent dans celles-ci et peuvent éventuellement les acquérir à un moment donné ».</p>
<p>Le reflux de l’influence américaine aura donc des conséquences inévitables sur Israël en tant qu’acteur organiquement lié aux États-Unis, qui doit à la fois composer avec les nouvelles orientations stratégiques américaines, éloignées de ses préoccupations sécuritaires immédiates, et avec les nouvelles dynamiques régionales qui confortent la position de l’Iran.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171132/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Absorbés par leur rivalité avec la Chine, les États-Unis se détournent du Moyen-Orient. Une reconfiguration complexe s’annonce dans la région.Lina Kennouche, Doctorante en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1660642021-09-02T17:55:46Z2021-09-02T17:55:46ZSyrie : pourquoi le groupe Lafarge est-il resté si longtemps malgré la guerre ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/415859/original/file-20210812-26-zmc7q6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C1258%2C823&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Cour de cassation doit rendre sa décision, le 7&nbsp;septembre, sur les pourvois portant sur les accords financiers passés entre le cimentier Lafarge et Daech.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Wikimedia commons</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le 7 septembre, la Cour de cassation a <a href="https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2021/09/07/lafarge-en-syrie-la-cour-de-cassation-invalide-l-annulation-des-poursuites-pour-complicite-de-crimes-contre-l-humanite-en-syrie_6093747_1653578.html">invalidé</a> les annulations des poursuites pour « complicité de crimes contre l’humanité » concernant les activités du groupe Lafarge en Syrie entre 2011 et 2014, et plus particulièrement les accords financiers passés avec des groupes armés, dont Daech. </p>
<p>Différentes parties civiles et des ONG de lutte contre les crimes économiques étaient à l’origine de ces pourvois. Elles contestaient l’annulation par la chambre de l’instruction, en novembre 2019, de la mise en examen du groupe en tant que personne morale pour « complicité de crime contre l’humanité », prononcée l’année précédente par les juges d’instruction. Avec cette décision, la Cour de cassation renvoie à présent le dossier vers une autre chambre de l’instruction afin qu’elle se prononce à nouveau.</p>
<p>Cette décision était attendue au-delà de l’affaire Lafarge. En effet, elle <a href="https://theconversation.com/le-cas-lafarge-dans-le-debat-des-presidentielles-entreprises-et-crimes-contre-lhumanite-76301">pourrait influencer de prochaines instructions menées contre des multinationales</a>, comme dans le cas de la récente affaire du groupe viticole Castel, dont une filiale est soupçonnée d’avoir <a href="https://www.challenges.fr/politique/une-filiale-du-groupe-castel-accusee-de-financer-des-groupes-armes-en-centrafrique_777460">financé des groupes armés en Centrafrique</a>. Dans ces cas, les processus de mise en accusation restent néanmoins toujours délicats car la responsabilité de l’entreprise en tant que telle reste difficile à prouver par rapport aux responsabilités individuelles à cause, notamment, de la complexité organisationnelle.</p>
<p>Ainsi, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0007650320934389">notre recherche</a> sur le cas Lafarge montre que semble s’être développé ce que nous appelons une « myopie organisationnelle ». Celle-ci aurait conduit le cimentier à poursuivre ses activités en Syrie jusqu’en 2014, alors que des entreprises comme Total ou Air Liquide quittaient le pays dès le début de la guerre civile en 2011.</p>
<p>Cette « myopie organisationnelle » repose sur plusieurs éléments centraux, dont une volonté sans faille de protéger les investissements sur place. Toutefois, les logiques économiques restent insuffisantes pour expliquer que la production n’ait pas été arrêtée. Une interprétation défaillante du danger entre le siège et la filiale ainsi que des décisions entraînant une dépendance forte à un nombre restreint d’acteurs locaux apparaissent aussi comme des facteurs de cette « myopie organisationnelle ».</p>
<h2>Une lente montée en pression</h2>
<p>La chronologie du cas est à ce sujet éclairante. Dans une première phase, entre mi-2011 et juillet 2012, l’entreprise ne va pas réellement voir l’intérêt de partir, malgré les tensions. Quelques mois plus tôt, en octobre 2010, Lafarge inaugurait la <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2010/02/08/grace-au-rachat-de-l-egyptien-orascom-lafarge-tisse-sa-toile-au-moyen-orient_1302664_3234.html">plus grande cimenterie de la région</a> moyenne orientale dans le nord de la Syrie, à environ 60 kilomètres de la frontière turque. Le coût du projet est de 680 millions d’euros, ce qui représente pour l’époque un très gros investissement pour l’entreprise.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/415857/original/file-20210812-23-lvi6g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/415857/original/file-20210812-23-lvi6g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/415857/original/file-20210812-23-lvi6g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=494&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/415857/original/file-20210812-23-lvi6g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=494&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/415857/original/file-20210812-23-lvi6g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=494&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/415857/original/file-20210812-23-lvi6g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=621&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/415857/original/file-20210812-23-lvi6g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=621&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/415857/original/file-20210812-23-lvi6g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=621&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Localisation de la cimenterie de Lafarge en Syrie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Capture d’écran Google maps.</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Au départ, les salariés sont très satisfaits de cette implantation, notamment dans une région où les opportunités d’emploi sont très rares. Les premières contestations de début 2011 ne sont localisées que dans l’est de la Syrie, assez loin de l’usine et ce n’est que le 1<sup>er</sup> décembre 2011, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme déclare la Syrie en état de guerre civile.</p>
<p>En mars 2012, la France décide de <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/la-revolte-syrienne/20120207.OBS0770/la-france-rappelle-son-ambassadeur-en-syrie.html">rappeler son ambassadeur en Syrie</a>. L’entreprise décide alors de rapatrier ses expatriés, mais aucune décision n’est prise quant à un arrêt des activités sur place. L’entreprise mise alors sur un dialogue et des négociations avec les parties prenantes, notamment <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2016/11/12/le-jeu-dangereux-de-lafarge-en-syrie_5030048_3210.html">différents groupes armés</a> présents dans la région.</p>
<p>Un premier intermédiaire, un Syrien possédant une participation dans l’usine, est choisi pour assurer les discussions et les transactions. L’entreprise décide, par ces mesures, d’assurer la continuité de ses activités et la sécurité de ses salariés, mais dans une zone qui commence à se tourner vers une <a href="https://www.mediterraneanaffairs.com/wp-content/uploads/2015/07/ECFR97_SYRIA_BRIEF_AW.pdf">économie de guerre</a> basée sur le racket.</p>
<p>Certes, dans cette zone de gouvernance limitée (c’est-à-dire où l’autorité étatique n’était que partiellement reconnue), il était très difficile, à l’époque, de distinguer la création de groupes armés issus de la lutte anti-Damas (kurdes ou de l’Armée syrienne libre) d’autres groupes aux obédiences diverses et volatiles, attirés uniquement par l’appât du gain que représente la seule multinationale présente localement. Néanmoins, la décision de Lafarge n’était déjà pas en accord avec leur <a href="https://www.holcim.com/sites/default/files/atoms/files/04102012-press_publication-2011_annual_report-uk.pdf">code de conduite</a> de l’époque.</p>
<p>Une autre décision organisationnelle peut permettre de mieux comprendre le contexte de la prise de décision. À cette même période de l’été 2012, le directeur de la filiale est envoyé de Damas au Caire d’où il gérera les activités. Si cette mesure s’explique aisément pour sa sécurité personnelle dont doit légalement répondre l’entreprise, cette décision va entraîner une gestion à distance dont les <a href="https://go.gale.com/ps/i.do?id=GALE%7CA20916740&sid=googleScholar&v=2.1&it=r&linkaccess=abs&issn=00178012&p=AONE&sw=w&userGroupName=anon%7E8839d7e9">travaux académiques</a> en sciences de gestion ont déjà montré les grandes limites en temps de paix, à savoir la compréhension des problèmes locaux et la transmission de l’information qui se révèlent souvent partielles.</p>
<h2>Un excellent réseau d’informateurs</h2>
<p>L’entreprise, et notamment son comité de sûreté composé de cadres dirigeants et du directeur général adjoint, entérine ainsi sa décision de rester sur place malgré les premières alertes et le conflit civil.</p>
<p>Mais à partir de l’été 2012, une nouvelle période plus tendue se profile. Plusieurs salariés sont kidnappés. Lafarge paye une rançon mais pas à chaque fois. À partir de ce moment, le comité de sûreté analyse, en novembre 2012, la situation de la façon suivante : « Nous ne pouvons en aucun cas garantir que nous soyons capables de nous opposer avec succès à une action d’enlèvement ». Il existe une <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/01/16/menaces-par-Daech-ces-salaries-que-lafarge-a-abandonnes-en-syrie_1622870">« menace directe et nominative contre Lafarge »</a> et « la présence des extrémistes du Front al-Nosra constitue une menace supplémentaire ».</p>
<p>Cette dernière référence montre que les dirigeants du siège semblent informés de la dangerosité de certains groupes par rapport à d’autres, mais aussi avoir conscience des dangers encourus par leurs salariés sur place.</p>
<p>Une grande partie de la compréhension de ce cas (avec les données actuelles) porte alors sur cette décision de rester dans un pays en guerre, avec des groupes armés qui ne répondent plus forcément qu’à une logique économique et de racket mais à des logiques politiques et idéologiques fortes. La présence dans la zone du Front al-Nosra constituait une première alerte par sa proximité notoirement connue avec Al-Qaida.</p>
<p>En outre, <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/offensive-jihadiste-en-irak/video-un-echange-de-mails-revele-que-lafarge-versait-25-000-euros-par-mois-a-Daech_2667508.html">plusieurs e-mails</a> montrent que Lafarge avait mis en place depuis le début des événements un excellent réseau d’informateurs. À tel point que des rencontres entre le directeur de la sécurité du groupe et la direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE) auraient amené à des <a href="https://www.lepoint.fr/monde/lafarge-en-syrie-le-role-trouble-de-la-dgse-22-03-2018-2204690_24.php">échanges d’informations</a>, Lafarge restant un point d’observation absolument stratégique (par la localisation de l’usine dans une zone frontalière et étant une des très rares grandes multinationales restant dans le pays).</p>
<p>Pour légitimer le fait de rester sur place, certains responsables de Lafarge mettent en avant le fait que le Quai d’Orsay aurait demandé à l’entreprise de rester, étant donné les informations qui pouvaient être prodiguées par l’entreprise. Une version contestée par le ministère des Affaires étrangères. L’enquête est toujours en cours.</p>
<h2>Daech entre en jeu</h2>
<p>Entre fin 2012, début 2013, un nouveau groupe apparaît dans la région en provenance d’Irak. Il s’agit de Daech. En mars 2013, Raqqa (à 87 kilomètres au sud de la cimenterie) est prise par différents groupes islamistes, dont le Front Al-Nosra, qui prête allégeance à Al-Qaida et tombe donc sous le coup des sanctions du Conseil de Sécurité́ de l’ONU.</p>
<p>En octobre 2013, le Conseil européen confirme les sanctions à l’encontre de certaines entités terroristes, dont le Front Al-Nosra, Al-Qaida et Daech. À ce moment-là, Lafarge sait donc que tout contact avec ces groupes les expose à des sanctions internationales (et plus à un simple délit de corruption).</p>
<p>Au même moment, le directeur de la sécurité de l’usine demande son retour au siège se disant recherché par le régime, les groupes rebelles et Daech. Devant cette situation, Lafarge recrute un autre directeur de la sécurité, un Syrien non qualifié dans ce domaine, qui va interagir avec ces nouveaux acteurs locaux.</p>
<p>Les premiers paiements à Daech semblent intervenir à partir de novembre 2013, toujours par le même intermédiaire et avec l’intervention d’un second. Au-delà des paiements, c’est également des achats de pétrole et la vente de ciment au groupe terroriste qui seraient en cause.</p>
<p>La dernière période qui s’ouvre en 2014 va marquer un point de non-retour. En mars 2014, Daech envahit la ville de Manbji où résident la plupart des salariés de Lafarge et leurs familles (sur demande de Lafarge depuis 2012). Ces derniers poussent leurs familles à partir, sans l’aide réelle de l’entreprise.</p>
<p>En parallèle, d’un point de vue organisationnel, en mai 2014, le directeur de la filiale syrienne en poste en Égypte, est remplacé par un nouveau directeur. Ces changements nécessitent un <a href="https://link.springer.com/article/10.1057/palgrave.jibs.8490083">temps d’ajustement</a>, comme le montrent des travaux académiques, et sont souvent source de déperdition d’informations lors du transfert de connaissances entre les deux expatriés.</p>
<p>Dans une période normale, ces problèmes ne sont pas insurmontables, mais dans un contexte aussi conflictuel, la compréhension des enjeux géopolitiques locaux et internationaux était cruciale. Or, il semble à la lecture des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2017/09/20/ce-que-revele-l-enquete-judiciaire-sur-les-agissements-du-cimentier-lafarge-en-syrie_5188546_3210.html">témoignages du second dirigeant de la filiale</a> et des comptes rendus d’une rencontre de celui-ci avec l’ambassade de France en Jordanie que cette compréhension ait été limitée.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/415861/original/file-20210812-24-1xm8s6v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/415861/original/file-20210812-24-1xm8s6v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/415861/original/file-20210812-24-1xm8s6v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/415861/original/file-20210812-24-1xm8s6v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/415861/original/file-20210812-24-1xm8s6v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/415861/original/file-20210812-24-1xm8s6v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/415861/original/file-20210812-24-1xm8s6v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La menace Daech a-t-elle était sous-estimée par les dirigeants de Lafarge ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/130163120@N03/16275643438">Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>En outre, le fait de ne pouvoir se rendre sur place a créé une dépendance involontaire sur un nombre limité d’acteurs réellement problématique (d’autant plus que les salariés ayant porté plainte ont exprimé beaucoup de doutes sur les liens du responsable de l’usine avec les groupes armés locaux et sur ses compétences managériales). Si le contexte général n’est pas la responsabilité de l’entreprise, le choix des personnes pour le gérer l’est pourtant bien.</p>
<p>Pendant l’été 2014, plusieurs attaques de Daech sont perpétrées contre des camions de l’usine. Le 15 août 2014, une résolution des Nations unies interdit toute relation financière avec les groupes terroristes présents en Syrie. Au même moment, de nouvelles sommes auraient été versées à Daech. Sur le site, la production est suspendue quelques jours puis reprend jusqu’à mi-septembre 2014. À cette date, Daech envahit l’usine sans que Lafarge ait mis en place un plan d’évacuation d’après les ex-salariés. Les locaux resteront occupés jusqu’à fin 2015, puis repris par la coalition.</p>
<h2>Transfert de connaissance altéré</h2>
<p>Il ressort de cette brève chronologie séquentielle qu’il serait beaucoup trop simpliste de réduire cette succession de décisions à une logique strictement économique (même si elle est bien entendu présente). Des logiques organisationnelles semblent avoir également joué. Tout d’abord, le groupe a pu tirer de la confiance d’une certaine « culture du risque » puisqu’il a déjà été présent dans d’autres zones sensibles, notamment en Afrique. Certaines pratiques, comme recours rapide à des intermédiaires pour réaliser les transactions financières, semblent en témoigner.</p>
<p>Par ailleurs, le choix des expatriés aux postes clés (direction de la filiale et de la sécurité notamment) et leur capacité à comprendre le contexte, surtout à distance, ainsi que leur sensibilité à l’éthique, ont pu aussi peser sur la décision de rester. En outre, le <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/0148296392900257">transfert de connaissance a pu être altéré</a> dans la relation siège/filiale par les changements de personnel à ces mêmes postes clés, dans un lieu de conflit et où la situation politique, les groupes armés et les allégeances pouvaient changer de mois en mois.</p>
<p>Enfin, le respect de ses propres règles de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et de ses engagements internationaux (l’entreprise avait <a href="https://www.lafargeholcim.com/sites/default/files/atoms/files/06152005-publications_sustainable_development-lafarge_sustainable_report_2004-fr.pdf">signé les principes du Global Compact des Nations unies</a>) apparaît comme un dernier élément important : est-ce que des garde-fous internes avaient été mis en place à différents niveaux pour évaluer la dangerosité ou la légalité des actions, comme annoncé ? Si oui, alors ceux-ci ne semblent pas avoir correctement fonctionné.</p>
<p>Il faut donc retenir que, dans cette affaire, les logiques internes de l’entreprise doivent être aussi observées à la lumière de la culture organisationnelle et pas uniquement au travers de la rationalité économique. Elles doivent surtout être repensées quand l’entreprise se retrouve en zone de conflit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166064/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nathalie Belhoste ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les impératifs économiques ne suffisent pas à expliquer la poursuite des activités du cimentier entre 2011 et 2014. Des facteurs liés à l’organisation de l’entreprise ont également pu peser.Nathalie Belhoste, Enseignant chercheur, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1655502021-08-05T17:43:02Z2021-08-05T17:43:02ZQuel avenir pour les États du Moyen-Orient ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/414394/original/file-20210803-27-146x94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3892%2C3034&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Nés en large partie des décisions des anciennes autorités coloniales, les États du Moyen-Orient sont-ils encore viables&nbsp;?
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/middle-east-under-magnifier-162063665">Popartic/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article est publié dans le cadre du cycle <a href="https://www.ipev-fmsh.org/fr/transition-from-violence-lessons-from-the-mena-region/">IPEV Live – Transition from violence : lessons from the MENA</a>, une série de 8 discussions en ligne, tous les mardis du 18 mai au 29 juin 2021.</em></p>
<p>Depuis leurs indépendances et jusqu’à l’avènement du Printemps arabe, les États du Moyen-Orient ont souffert de leur principe constituant, attribué aux volontés et arrangements entre les anciennes puissances coloniales. Si les exigences d’autonomie, d’arabité et de souveraineté exprimées par les habitants de la région furent satisfaites par l’indépendance, ces États n’en constituaient pas moins, du point de vue aussi bien de leurs peuples que de leurs élites et de leurs dirigeants, des entités artificielles créées et découpées à la guise des diplomaties occidentales.</p>
<p>Les guerres entre Arabes et Israéliens et le sort malheureux du peuple et des réfugiés palestiniens ont marqué et, en quelque sorte, confisqué l’histoire moderne de la région. Tout comme les <a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/asie/syrie-Sykes-Picot-1916.htm">accords de Sykes-Picot</a> et leur part de responsabilité dans la transformation du projet culturel de renaissance arabe en un projet nationaliste et idéologique.</p>
<h2>L’impact de plusieurs décennies de nationalisme arabe</h2>
<p>Or, ce fut le nationalisme arabe qui a largement empêché l’émergence du pluralisme politique et du débat civil au sein de ces sociétés. Les guerres avec Israël ont essentiellement servi d’excuses, dans de nombreux pays de la région, pour justifier des coups d’État et la mainmise des militaires sur la vie publique et constitutionnelle. Il suffit, pour s’en convaincre, de calculer le nombre de décennies passées au pouvoir par chacun des dictateurs arabes, y compris les chefs et les cadres de l’Autorité palestinienne.</p>
<p>Mais l’entreprise la plus radicale et la plus totalisante fut celle des régimes baasistes en Irak et en Syrie, surtout à la suite des accessions au pouvoir de Hafez Al-Assad et de Saddam Hussein, respectivement en 1970 et 1979. Le parti Baas a assumé une mission <em>déconstituante</em> de l’État en Irak et en Syrie pendant plus de trois décennies. Citoyens et élèves apprenaient en effet, dans les manuels scolaires et même dans la Constitution – syrienne en l’occurrence – que les États arabes étaient illégitimes, provisoires et voués à la disparition.</p>
<p>Ce messianisme politique promettant une unité arabe par la révolution baasiste s’accompagnait d’un déni démographique et culturel à l’égard des minorités, notamment les Kurdes. Un déni qui est allé jusqu’au <a href="http://guerredugolfe.free.fr/kurdes.htm">rasage de milliers de villages kurdes</a> dans le nord irakien durant la première guerre du Golfe, sans oublier les <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1998/03/NEZAN/3615">tueries massives aux armes chimiques</a> commises sous la dictature de Saddam Hussein. En Syrie, malgré les <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2015-1-page-e29.htm">changements constitutionnels de 2014</a> qui tentaient de relégitimer le pouvoir en place face à la rébellion, les droits culturels des Kurdes ne sont toujours pas reconnus. De telles semences idéologiques et criminelles implantées pendant à peu près un demi-siècle ne pouvaient que conduire à un éclatement social et institutionnel au moindre affaiblissement de ces Régimes-États.</p>
<p>Aujourd’hui, avec la désintégration territoriale des souverainetés syrienne et irakienne, les Kurdes ne veulent ni cohabiter ni construire leur avenir avec les Arabes. Or, tout comme les Arabes lors de leurs indépendances, les Kurdes se trouvent aujourd’hui devant l’impasse de l’hétérogénéité territoriale ; là où ils sont dominants, ils ne sont pas seuls, mais seulement majoritaires.</p>
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<p>Un <em>statu quo</em> territorial qui conserverait les États existants tout en favorisant une évolution des régimes et la mise en place de systèmes pluralistes et inclusifs ne semble pas à l’ordre du jour. Malgré le Printemps arabe et ses revendications sociales et post-idéologiques, l’heure est à la stagnation et à l’<a href="https://theconversation.com/moyen-orient-le-retour-a-letat-de-nature-64399">indétermination post-étatique</a>.</p>
<h2>La relation entre régime et État</h2>
<p>La crise syrienne a commencé en 2011 avec des <a href="https://www.liberation.fr/planete/2012/03/14/quand-la-syrie-se-revolta_803029/">manifestations populaires</a> exigeant des réformes politiques de la part du régime de Bachar Al-Assad. Ces revendications ne portaient ni sur le contenu identitaire ni sur les frontières nationales de l’État syrien. Elles élaboraient, et c’est là que se justifie leur caractère révolutionnaire, une conscience sociale et post-idéologique de la politique et un esprit constitutionnaliste de l’État.</p>
<p>Or, au Moyen-Orient, il n’y a pas de gouvernements dans un État mais plutôt des Régimes-États. Au sein des monarchies de cette région, le monarque ne symbolise pas l’unité de son peuple mais donne leur nom et leur nationalité à ses sujets. Ainsi, les populations de l’Arabie s’appellent bien « saoudiens » par référence à la souveraineté des Saoud. Les autres monarchies du Golfe présentent moins ce défaut, mais n’en restent pas moins articulées à un régime politique dépassé et sans avenir juridiquement sécurisé, celui de la monarchie médiévale et absolue. De même dans les systèmes dits « républicains » de la région, il n’y pas d’État pour ses habitants, mais seulement des États à hiérarchie ethnique : État nationaliste juif, État nationaliste arabe et peut-être, bientôt, État nationaliste kurde.</p>
<p>Autrement dit, l’homogénéité normative fait totalement défaut et tout conflit est donc voué à dépasser la dialectique justice/injustice, liberté/tyrannie ou peuple/régime politique. En effet, le cadre étatique finalisé au sein duquel se déroulerait l’affrontement entre plusieurs légitimités politiques n’existe pas encore, car la question de la légitimité politique au Moyen-Orient se pose au niveau de <a href="https://theconversation.com/espace-legal-et-espace-legitime-au-moyen-orient-49002">la <em>nature</em> de l’État</a> et non au niveau des luttes sociales et politiques au sein de celui-ci.</p>
<p>L’ouverture de l’espace syro-irakien aux influences régionales et internationales en a constitué la meilleure démonstration dans la mesure où, à la surprise générale, plusieurs embryons et types d’État ont fait surface.</p>
<p>Les Turcs, les Qataris et les Frères musulmans en général ne rêvaient pas d’une démocratie constitutionnelle et pluraliste en Syrie mais d’une constitutionnalité électorale et majoritaire de l’État, copiant les régimes de Morsi en Égypte, d’Erdogan en Turquie ou de Poutine en Russie. Ils ont réussi, d’après plusieurs opposants syriens, à accaparer et orienter les corps représentatifs de l’opposition syrienne, que ce soit au niveau diplomatique ou sur le terrain de guerre.</p>
<p>Quant à l’Iran et au Hezbollah, présents et très ambitieux en Syrie et en Irak, ils se réclament de l’islam chiite révolutionnaire et du système politique des mollahs et des ayatollahs. Ils jouent la carte des minorités de la région et orientent les conflits vers une irréductible opposition entre chiites et sunnites. Daech appartenait à la catégorie saoudienne et médiévale de la monarchie absolue, y ajoutant le devoir religieux du djihad et de l’expansion territoriale. Les Kurdes recopiaient et recopient encore l’erreur arabe et juive de l’État nationaliste et monolithique, et ainsi de suite.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"971675852999098370"}"></div></p>
<p>L’homogénéité normative signifie la <a href="http://www.revistasconstitucionales.unam.mx/pdf/3/art/art8.pdf"><em>sécurité juridique</em></a>. On peut traduire cette notion pour le Moyen-Orient comme ayant deux versants : l’accrochage de tout système politique à la légitimité populaire pour le versant philosophique (le Contrat), et l’accrochage des institutions de l’État à la souveraineté de la loi et des droits de l’homme pour le versant juridique (le Constitutionalisme).</p>
<p>Aujourd’hui, un changement de régime au Moyen-Orient pourrait signifier une transformation, voire une disparition de l’État, suivies d’une multitude de possibilités spatiales imprévisibles et impossibles à anticiper. L’existence juridique de la Syrie ou de l’Arabie saoudite, de l’Irak ou même de l’État d’Israël pourrait très facilement être remise en question. Les alternatives constituantes à ces États sont aussi variées que le nombre de minorités et d’ethnies présentes dans la région (Kurdes, Palestiniens, Druzes, chiites, etc.)</p>
<h2>Les questions d’avenir</h2>
<p>Le Printemps arabe a fait entrevoir, à ses débuts, un possible dépassement des idéologies identitaires et des régimes politiques au profit d’une fixation institutionnelle des États et d’une constitutionnalisation de leur vie politique. S’il est encore vivant, et si l’on veut entretenir sa suite et ses conséquences, il nous faudrait penser les problématiques suivantes :</p>
<ul>
<li><p>Quel est le statut historique du droit à l’autodétermination ? S’agissait-il d’un expédient et d’un d’idéal illusoire mais indispensable pour la sortie de l’Empire aux débuts du XX<sup>e</sup> siècle ? L’État du XXI<sup>e</sup> siècle devrait-il toujours représenter une expression identitaire du politique ?</p></li>
<li><p>Y a-t-il assez de place, d’espace, ou d’homogénéité démographique dans cette région pour satisfaire l’ensemble des légitimités politiques dites constituantes ? Où est la place de l’individu, de sa propre identité et de ses droits sociaux et politiques ?</p></li>
<li><p>La lutte du peuple kurde et celle du peuple palestinien devraient-elles se poursuivre dans le sens de l’autodétermination et de l’indépendance ? Ou bien faudrait-il repenser l’avenir de la région au sein d’États pluralistes et démocratiques, au service de tous leurs habitants et de tous leurs citoyens ? Cela ne résoudrait-il pas également les interrogations existentielles de certaines minorités émergentes, tels les alaouites en Syrie, les sunnites en Irak ou les chiites au Liban et ailleurs ?</p></li>
<li><p>Qu’en est-il des questions émergentes et extrêmement urgentes pour l’avenir de la région, comme le défi écologique, la gestion durable et la répartition équitable des ressources naturelles entre États ? La multiplication et l’apparition de nouveaux États ne constitueraient-elles pas, à cet égard, une menace encore plus grave que celle des conflits identitaires ?</p></li>
<li><p>Enfin, quelles sont les réponses que devraient apporter les initiatives civiles et privées face aux défis éthiques de la technologie, du flux des idées radicales par le web, ou du non-accès de millions de réfugiés à l’éducation et à l’information ? Comment former un <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03264927/document">pouvoir social-numérique</a> dépassant frontières et régimes et contribuant à une représentation civile et citoyenne de la chose politique ?</p></li>
</ul>
<p>Autant d’interrogations nécessaires pour les années à venir…</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/165550/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohamad Moustafa Alabsi a reçu des financements de Mellon Foundation Porgam for Displaced Scholars. </span></em></p>Au Moyen-Orient, les événements de la décennie passée ont profondément remis en cause les États existants, au point de menacer leur existence même.Mohamad Moustafa Alabsi, Chercheur postdoctoral au Mellon Fellowship Program, Columbia Global Centers, Amman, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1646752021-07-29T17:14:43Z2021-07-29T17:14:43ZSyrie : une stabilisation en trompe-l’œil<p>Le 26 mai dernier, le président syrien Bachar Al-Assad était réélu pour un quatrième septennat. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/27/syrie-bachar-al-assad-reelu-president-avec-95-1-des-voix_6081789_3210.html">Remporté avec 95 % des voix</a> face à deux <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210520-pr%C3%A9sidentielle-en-syrie-mahmoud-mare%C3%AF-l-opposant-choisi-par-le-r%C3%A9gime-pour-d%C3%A9fier-bachar-al-assad">figurants</a>, le scrutin fut avant tout l’occasion d’intensifier le culte de la figure présidentielle dans un contexte ambivalent. Alors que la précédente élection s’était tenue en 2014, soit à la veille des défaites militaires qui allaient provoquer l’intervention russo-iranienne l’année suivante, celle de 2021 survient alors que le régime est redevenu maître des <a href="https://www.courrierinternational.com/article/carte-la-syrie-morcelee-apres-dix-ans-de-guerre">deux tiers</a> du territoire national.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1417149083047931908"}"></div></p>
<p>La relative position de force de Damas ne doit toutefois pas occulter le fait que le pouvoir est économiquement exsangue par l’effet combiné des destructions de guerre, du contrôle des principales ressources pétrolières, situées dans l’Est, par les Forces démocratiques syriennes, et des sanctions occidentales : en mars 2021, tandis que s’aggravaient les <a href="https://newlinesinstitute.org/syria/syrian-regime-no-longer-able-to-provide-for-loyalists/">multiples pénuries</a>, la livre syrienne tombait temporairement à 1 % de sa valeur d’avant-guerre.</p>
<p>La traduction politique la plus spectaculaire de cette crise fut l’accroissement des tensions au sein du clan dirigeant, illustré par les messages vidéos qu’a diffusés en 2020 le magnat de l’économie nationale et cousin du président Rami Makhluf, protestant contre la saisie de ses actifs. Cette dernière mesure était elle-même liée, semble-t-il, à une <a href="http://hdl.handle.net/1814/67027">lutte d’influence</a> entre Makhluf et des hommes d’affaires associés à la première dame Asma al-Akhras.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/412708/original/file-20210722-23-g6rbno.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Carte de l’état du conflit en juillet 2021" src="https://images.theconversation.com/files/412708/original/file-20210722-23-g6rbno.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/412708/original/file-20210722-23-g6rbno.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=496&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/412708/original/file-20210722-23-g6rbno.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=496&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/412708/original/file-20210722-23-g6rbno.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=496&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/412708/original/file-20210722-23-g6rbno.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=623&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/412708/original/file-20210722-23-g6rbno.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=623&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/412708/original/file-20210722-23-g6rbno.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=623&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La situation militaire en Syrie en juillet 2021 : en rose, les zones contrôlées par les loyalistes, en jaune, celles maîtrisées par les forces kurdes des FDS. La région d’Idlib est partagée entre zones soumises à des organisations d’opposition, en vert clair, et celles sous l’autorité des islamistes du Gouvernement Syrien de Salut, en blanc. La bande verte au Nord est sous contrôle de rebelles syriens alliés aux forces turques. La poche turquoise au sud-est correspond au territoire des « commandos de la Révolution », groupe rebelle soutenu par l’armée États-Unienne. Enfin, les territoires en violet et orange font l’objet de trêves entre le régime et respectivement des groupes rebelles et les FDS.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ermanarich/Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>La mainmise du régime sur la société reste fragile</h2>
<p>Largement contenu par la main de fer des autorités, le mécontentement populaire provoqué par les conditions économiques s’est toutefois exprimé, notamment durant la présidentielle, par des <a href="https://www.courrierinternational.com/article/contestation-nouvelles-manifestations-anti-assad-soueida-en-syrie">manifestations dans des localités du Sud</a>. Celles-ci demeurent aux mains d’anciens rebelles dits « réconciliés » en vertu d’accords négociés par la Russie en 2018, dans les provinces de Deraa et Quneitra, ou de milices locales d’autodéfense, s’agissant de la région druze de Suweida.</p>
<p>Rien n’indique que ces modestes épisodes de protestation soient les prémices d’un mouvement qui, à l’échelle nationale, parviendrait à surmonter à la fois la polarisation confessionnelle renforcée par le conflit, et la peur d’une nouvelle réponse impitoyable de la part du régime. En revanche, les actes d’opposition <em>armée</em> au régime ont d’ores et déjà repris un caractère endémique dans deux régions du pays. Dans la Badiya (désert), les attaques de l’organisation de l’État islamique (EI) ont fait cinq cents victimes en 2020, soit deux fois plus que l’année précédente, avant de refluer, sans disparaître, suite à un <a href="https://www.mei.edu/publications/new-general-and-fragile-peace-deir-ez-zor?s=09">sursaut militaire loyaliste</a>.</p>
<p>Dans les provinces méridionales de Deraa et Quneitra, des affrontements violents ont opposé d’anciens rebelles aux forces du régime qui tentaient d’investir leurs fiefs à la recherche d’auteurs supposés <a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/2021-03-16/syrie/au-moins-21-soldats-du-regime-assad-tues-dans-une-embuscade-dans-le-sud.php">d’attaques armées</a>. En juin 2021, notamment, les hommes de Damas ont assiégé les quartiers de Deraa tenus par les anciens rebelles pour les contraindre à remettre leurs armes légères.</p>
<p>Dans ce contexte, il est extrêmement difficile d’attribuer la responsabilité des assassinats quotidiens et autres opérations de faible envergure qui secouent actuellement le sud du pays. Tandis que des combattants loyalistes et leurs collaborateurs locaux ont été assassinés par des vestiges de l’Armée syrienne libre et des cellules de l’EI, d’ex-commandants rebelles « réconciliés » semblent avoir payé de leur vie le fait d’entraver la volonté de Damas de révoquer les accords de 2018 pour <a href="https://carnegie-mec.org/diwan/83873">rétablir un contrôle direct sur la région.</a></p>
<h2>Les loyalistes divisés face à une guerre inachevée</h2>
<p>D’autres morts violentes, encore, paraissent liées aux rivalités entre les <a href="https://carnegie-mec.org/diwan/83873">différentes forces loyalistes</a> qui se disputent l’allégeance des anciens rebelles, dont les services de renseignements militaires du régime, des groupes pro-iraniens comme le Hezbollah libanais et la 4<sup>e</sup> Division blindée, ou encore le 5<sup>e</sup> Corps d’armée inféodé à la Russie. Ces rivalités se manifestent aussi sur la rive occidentale de l’Euphrate, où la Russie a coopté des unités de groupes paramilitaires comme les Forces de Défense nationale ou la Brigade al-Quds. Téhéran, lui, recrute <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210629-en-syrie-des-milices-pro-iraniennes-r%C3%A9pliquent-aux-raids-am%C3%A9ricains">ses affidés locaux</a> par le biais de ses Pasdaran (Corps des gardiens de la révolution islamique).</p>
<p>La prolifération des paramilitaires nourrit aussi la violence dans la province à majorité druze de Suweida. Face au déclin des financements alloués par le régime, certains groupes locaux se sont lancés dans le rançonnement de sunnites de la province voisine de Deraa, ranimant de ce fait un vieux <a href="https://hdl.handle.net/1814/70657">conflit foncier entre les deux communautés</a> : en 2020, des affrontements entre miliciens druzes et combattants prorusses du 5<sup>e</sup> Corps ont fait des dizaines de morts.</p>
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<p>L’autre grande limite de la « victoire » du régime est bien sûr son incapacité à reprendre le tiers restant du pays. Au nord-ouest, les rebelles sont protégés par l’armée turque, tandis que l’est de l’Euphrate est tenu par les Forces démocratiques syriennes (FDS) commandées par des militants kurdes et soutenues par les forces américaines. En juillet 2021, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=dPQnQwdn2ng">aucune modification significative des lignes de front</a> n’était survenue depuis le cessez-le-feu conclu le 5 mars 2020 par la Russie et la Turquie. Cette dernière, inquiète d’un nouvel afflux de réfugiés sur son territoire, venait alors de lancer une opération militaire d’envergure contre les forces du régime de Damas qui s’approchaient dangereusement de la ville d’Idlib tenue par les rebelles.</p>
<h2>À l’extérieur comme à l’intérieur des territoires du régime, chaos et violence</h2>
<p>Comme les territoires contrôlés par le régime, ceux qu’administrent ses rivaux connaissent également leur lot de crise économique, de contestation et de violence. S’agissant des territoires gouvernés par l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie, pendant civil des FDS, des <a href="https://syriadirect.org/beyond-conscription-what-does-manbijs-unrest-reveal-about-sdf-rule-in-northeast-syria/">manifestations violemment réprimées</a> en juin dernier dans la ville de Manbij sont venues souligner le ressentiment d’une partie des populations arabes envers un leadership kurde auquel elles reprochent notamment son régime de conscription.</p>
<p>Sur le plan militaire, les FDS combattent sur trois fronts. Dans le nord des provinces d’Alep et de Raqqa, des accrochages les opposent régulièrement à l’armée turque et aux factions rebelles unifiées par Ankara au sein de l’Armée nationale syrienne (ANS). Les relations avec le régime se sont aussi considérablement tendues après l’échec de négociations organisées début 2020 en vue d’un rapprochement politique. Les tensions ont culminé en avril dernier lorsque les FDS ont arraché à Damas le <a href="https://www.al-monitor.com/originals/2021/04/syrian-government-kurdish-forces-end-dispute-qamishli">contrôle de la quasi-totalité de la ville de Qamishli</a> après en avoir expulsé des paramilitaires des Forces de Défense nationale recrutés parmi les tribus arabes locales. Enfin, les FDS font, elles aussi, face à l’<a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/syrie-deux-ans-apres-la-chute-de-son-califat-le-groupe-etat-islamique-continue-d-etendre-son-influence_4325747.html">insurrection de basse intensité</a> que mène l’EI dans la province arabophone de Deir ez-Zor.</p>
<p>Les trois enclaves <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/syrie/offensive-turque-en-syrie/l-article-a-lire-pour-comprendre-l-offensive-turque-contre-les-forces-kurdes-en-syrie_3652771.html">directement contrôlées par l’armée turque</a> le long de la frontière nord (Afrin, A’zaz al-Bab et Tell Abiyad Ras al-’Ayn) sont fréquemment le théâtre d’attentats à la bombe et d’attaques armées perpétrés à la fois par des combattants kurdes des YPG (colonne vertébrale des FDS, liés au Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) opérant en Turquie) et par des cellules de l’EI.</p>
<p>La violence dans la région est aussi le produit de combats fratricides qui opposent régulièrement entre elles les factions rebelles inféodées à la Turquie. Principalement motivés par des considérations économiques telles que le contrôle de la contrebande, ces affrontements font émerger des lignes de fracture régionales (entre des factions locales et d’autres originaires de Deir ez-Zor ou de Damas) ou ethniques (entre Turkmènes et Arabes).</p>
<h2>Idlib, futur épicentre de l’implosion qui vient ?</h2>
<p>À Idlib, enfin, les islamistes de Hay’a Tahrir al-Sham (HTS) et leur façade civile, le Gouvernement syrien de salut, ont <a href="https://www.mei.edu/publications/hts-not-al-qaeda-it-still-authoritarian-regime-be-reckoned?s=09">renforcé leur mainmise sur la province</a> en réprimant à la fois la société civile et les factions jihadistes radicales. Celles-ci, à l’instar des pro-al-Qaïda de Hurras al-Din, dénoncent les compromis idéologiques d’HTS et en particulier sa coopération avec l’armée turque. En réponse à cette répression ont émergé de nouvelles formations jihadistes obscures qui ont posé des engins explosifs improvisés au passage de véhicules russes et turcs patrouillant dans la province.</p>
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<p>Les menaces extérieures pesant sur Idlib sont toutefois d’une tout autre ampleur. La <a href="https://www.la-croix.com/Syrie-Assad-prete-serment-quatrieme-septennat-2021-07-17-1301166730">reprise des bombardements loyalistes</a> durant le printemps 2021 pèse sur la vie des habitants, de même que la menace russe d’un veto contre la prolongation par le Conseil de Sécurité de l’ONU de l’aide humanitaire transfrontalière vers la province rebelle. À ce mécanisme, Moscou oppose sa demande de corridors humanitaires partant des territoires contrôlés par le régime, première étape vers le rétablissement graduel de la souveraineté de Damas sur Idlib.</p>
<p>Un compromis sur la poursuite de l’aide transfrontalière pour une durée de douze mois fut arraché de justesse en juillet 2021 mais la question du veto russe se posera à nouveau dans un an. Un tel veto <a href="https://www.thenewhumanitarian.org/analysis/2021/5/26/syria-aid-at-risk-in-security-council-vote">compromettrait très gravement la sécurité alimentaire</a> des trois millions d’habitants de la province d’Idlib. Par là même, elle exposerait cette dernière à un risque d’implosion économique qui pourrait, à son tour, mettre un point final au (très) relatif statu quo militaire qui prévaut en Syrie depuis seize mois.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164675/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Pierret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que Bachar Al-Assad vient d’être réélu président, l’illusion de stabilité du pays cache mal un chaos généralisé, susceptible de dégénérer à court terme.Thomas Pierret, Chargé de recherches à l’Institut de Recherches et d’Études sur les Mondes Arabes et Musulmans (IREMAM), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1616962021-06-18T16:54:29Z2021-06-18T16:54:29ZBonnes feuilles : « Des sons pour survivre, des sons pour tuer »<p><em>Quels sens donner aux pratiques sonores et musicales dans les situations de violence organisée ? Comment penser la relation dynamique qu’entretient le son, la musique et le silence avec l’expérience sensible des lieux, des personnes et des événements ? Pour tenter de répondre à ces questions, Laetitia Atlani-Duault et Luis Velasco-Pufleau publient <a href="https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.28800">l’ouvrage collectif</a> « Lieux de mémoire sonore. Des sons pour survivre, des sons pour tuer » traitant des <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/autour-de-la-question/20210518-quels-sons-pour-survivre-et-quels-sons-pour-tuer-lieux-de-m%C3%A9moire-sonore">pratiques sonores et musicales</a> en contexte de violence organisée. Extraits de l’introduction (légèrement modifiée).</em></p>
<hr>
<p>Les pratiques sonores peuvent faire partie de ce que nous proposons d’appeler des « <a href="https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.28835">lieux de mémoire sonore</a> ». Loin d’être fixes ou canonisés, ces lieux de mémoire sonore sont en perpétuel mouvement, permettant de garder et d’actualiser les traces et les mémoires d’un passé au cœur de la constitution de la subjectivité.</p>
<p>Indissociables de l’expérience individuelle et collective des lieux, ils constituent des réseaux de relations non prédéterminées, dans lesquels la mémoire des silences, des musiques et des sons se construit et s’actualise.</p>
<p>Par ailleurs, ces lieux de mémoire sonore peuvent être appréhendés sous une double perspective, qui constituent la face noire et la face lumineuse d’un même phénomène. D’une part, le son, la musique et le silence sont utilisés comme des armes en contexte de violence organisée, que cela soit par exemple dans certains lieux de détention ou en situation de guerre ou de conflit politique. D’autre part, ils constituent des ressources symboliques qui contribuent à la (re)construction de subjectivités, notamment dans des situations faisant suite à des expériences d’exil forcé et de violence organisée.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/407120/original/file-20210617-20-100diuz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/407120/original/file-20210617-20-100diuz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=556&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/407120/original/file-20210617-20-100diuz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=556&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/407120/original/file-20210617-20-100diuz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=556&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/407120/original/file-20210617-20-100diuz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=699&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/407120/original/file-20210617-20-100diuz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=699&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/407120/original/file-20210617-20-100diuz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=699&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Collection de CDs des chansons vietnamiennes d’avant 1975, intitulée Tiếng Hát Và Kỷ Niệm (traduction littérale : « Voix et souvenirs chantés »). Image : Kathy Nguyen.</span>
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<p>Comment peuvent-ils être saisis dans leurs réalités à la fois matérielles et symboliques ? En voici quatre exemples tirés de l’ouvrage où, pour réfléchir ensemble à ce nouveau concept de lieu de mémoire sonore nous avons rassemblé un <a href="https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.29505">collectif de chercheurs et de musiciens</a> travaillant en Europe (France, Allemagne, Suisse), en Afrique (Soudan), au Moyen-Orient (Syrie), en Amérique du Nord (Canada, États-Unis) et latine (Colombie, Venezuela), en Asie (Vietnam) et dans les îles du Pacifique (Vanuatu).</p>
<h2>Prisonniers du son, la prison de Saydnaya en Syrie</h2>
<p>Sur la base de témoignages d’anciens prisonniers, la prison syrienne de <a href="https://saydnaya.amnesty.org">Saydnaya</a>, située à quelques kilomètres de Damas, constitue pour Maria Ristani un « lieu de mémoire sonore » marqué par <a href="https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.28885">l’utilisation du silence et du son comme armes et comme ressources de survie</a>. À Saydnaya, aucun son n’est permis : aucun bruit, aucune parole, aucun chuchotement, même pas les cris sous la torture. Cette privation sensorielle extrême fait partie du dispositif de contrôle. On n’y entend rien, aucun son jour et nuit, rien d’autre que la voix de ceux qui viennent d’arriver et qui ne connaissent pas encore les règles de silence absolu, apprises rapidement ; rien d’autre que les râles de ceux qui meurent sous les coups.</p>
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<p>Les détenus sont maintenus aveugles et n’ont que le son comme repère, alors qu’il est réduit à l’extrême. Contraints de vivre dans le noir et le silence, les détenus décrivent une perception auditive qui s’affine et une géographie de la prison et de sa vie collective qui se construit progressivement, sur les variantes du silence imposé, à partir de percées de sons – de portes, de coups, de câbles électriques, de cris. L’écoute du silence et de ses nuances devient un outil de survie. En même temps, les rares bruits qui rompent le silence – la plupart du temps des cris de torture – sont comparés dans ce texte à des « attaques soniques ». Une forme de torture en elle-même, décuplée encore dans le cocon du silence total imposé aux prisonniers. Pour les survivants qui ont pu témoigner, Saydnaya constitue aussi un lieu de mémoire sonore qui les marque jusque dans leur plus profonde intimité.</p>
<h2>A Chatila, un camp de réfugiés comme marqueur identitaire</h2>
<p><a href="https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.28925">Nicolas Puig s’intéresse quant à lui à un lieu de mémoire sonore du quotidien</a>, à l’échelle d’un quartier dans le camp de réfugiés palestiniens de Chatila au Liban, et l’analyse comme un marqueur d’identité et de résistance aux violences politiques par une population placée depuis plus de soixante-dix ans « dans une marge citoyenne du monde ». Il se base sur <a href="https://doi.org/10.5281/zenodo.4012489">trois types de données</a> : les paroles de chansons qui décrivent la vie à Chatila, les pratiques sonores ordinaires dans le camp de réfugiés, et les perceptions de ces lieux par leurs habitants à partir d’un recueil de « parcours sonores ».</p>
<p><audio preload="metadata" controls="controls" data-duration="74" data-image="" data-title="Écouter Chatila. 30 octobre 2012, micro binaural, enregistré par Um Abdallah. " data-size="2951836" data-source="" data-source-url="https://zenodo.org/record/4012489" data-license="CC BY" data-license-url="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">
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Écouter Chatila. 30 octobre 2012, micro binaural, enregistré par Um Abdallah.
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a><span class="download"><span>2,82 Mo</span> <a target="_blank" href="https://cdn.theconversation.com/audio/2198/son6-ecouter-chatila-2019.mp3">(download)</a></span></span>
</div></p>
<p>Puig décrit l’existence d’une communauté acoustique et analyse de quelle façon la production et la perception sensorielle renvoient à l’existence de politiques du sensible. C’est ainsi que les pratiques d’aménagement de l’environnement acoustique du camp représentent autant de tentatives pour avoir prise sur le monde dans un contexte de limitation des possibles. Les pratiques sonores permettent ainsi aux habitants « d’agir sur et dans leur lieu de vie » et confèrent au camp de réfugiés, devenu avec le temps un quartier cosmopolite de Chatila, une identité spécifique.</p>
<h2>Défier des assignations identitaires</h2>
<p>Les pratiques sonores et musicales peuvent également constituer des leviers pour défier des assignations identitaires surplombantes, fixes et souvent misérabilistes – notamment celles de la victime, du criminel ou du héros – qui peuvent être mobilisées par certains médias, autorités politiques ou ONGs, et agir comme des instruments d’émancipation et de survie.</p>
<p>Le musicien kurde d’Irak <a href="https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.29300">Beshwar Hassan et Émilie DaLage</a> se sont rencontrés dans le camp français de Grande-Synthe alors que Beshwar Hassan était en chemin pour la Grande-Bretagne, la destination choisie de son long parcours de migration.</p>
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<p>Ils montrent, en suivant le parcours du musicien, comment la musique peut être un lieu de production d’une mémoire commune non seulement au cercle familial – via les réseaux sociaux avec les frères et sa mère de Beshwar Hassan, éparpillés sur le chemin de l’exil – mais au collectif formé avec les musiciens réfugiés rencontrés tout au long du parcours migratoire et en particulier dans le camp de Grande-Synthe. La matérialité des instruments et des traces musicales produites par des enregistrements sonores et vidéo à chaque étape de l’exil constitue autant de « points d’ancrage » qui configurent un lieu de mémoire sonore, qui se trouve de plus partagé via les réseaux sociaux tout au long de l’exil.</p>
<h2>Des imaginaires politiques</h2>
<p>La musique, en tant que lieu de mémoire sonore, construit et actualise des imaginaires politiques. Sa dimension performative joue un rôle central dans la construction de récits sur la violence organisée.</p>
<p>Elle peut aussi être mobilisée au sein de dispositifs médiatiques afin de transformer la dimension politique des conflits en impératif moral. Les grands concerts dits humanitaires peuvent ainsi constituer des armes de guerre, comme le montre <a href="https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.29045">Fernando Garlin Politis dans son analyse</a> de deux concerts produits en miroir. Organisés des deux côtés de la frontière entre la Colombie et le Venezuela en février 2019, le Venezuela Aid Live et le Hands Off Venezuela illustrent comment la dimension performative de la musique peut permettre la construction d’altérités nécessaires à l’exacerbation des tensions politiques.</p>
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<p>Du côté colombien de la frontière, le Venezuela Aid Live a pour objectif affiché de collecter des fonds pour endiguer la crise humanitaire au Venezuela, tout en soutenant le leader d’opposition vénézuélien Juan Guaidó par la mobilisation d’un discours de résistance au régime autoritaire de Nicolas Maduro. Du côté vénézuélien de la frontière, le Hands Off Venezuela mobilise un discours de résistance face à l’ingérence internationale et notamment étasunienne. La « bataille des deux concerts » constitue une mise en scène du conflit soutenu par la rhétorique propre à chaque camp politique.</p>
<h2>Résister à l’oubli</h2>
<p>Les lieux de mémoire sonore peuvent également constituer des formes de résistance à l’oubli et des ressources symboliques essentielles suite à des ruptures existentielles provoquées par l’expérience de la violence organisée. La matérialité de la musique participe à la reconfiguration des mémoires individuelles et de la nostalgie qui les accompagnent, tout en faisant résonner les silences et les absences du passé. <a href="https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.29185">Kathy Nguyen revisite</a> ainsi un corpus de musiques et de chants de guerre et de soldats vietnamiens d’avant 1975, soit d’un pays ayant connu un conflit sanglant puis la victoire radicale d’un camp sur l’autre.</p>
<p><audio preload="metadata" controls="controls" data-duration="320" data-image="" data-title="Tâm Sự Người Thương Binh, Tú Nhi/Chế Linh" data-size="7685152" data-source="" data-source-url="https://archive.org/details/ex.-2-tam-su-nguoi-thuong-binh-pre-75" data-license="CC BY" data-license-url="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">
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Tâm Sự Người Thương Binh, Tú Nhi/Chế Linh.
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a><span class="download"><span>7,33 Mo</span> <a target="_blank" href="https://cdn.theconversation.com/audio/2197/ex-2-ta-m-su-ngu-o-i-thu-o-ng-binh-pre-75.mp3">(download)</a></span></span>
</div></p>
<p>À partir de ce corpus, complété par des enquêtes auprès de vétérans vietnamiens réfugiés aux États-Unis, elle montre comment ces musiques et ces chants, d’abord armes de guerre, ont pu devenir dans un second temps un lieu de mémoire sonore de la guerre et de l’exil qui s’en est suivi pour le camp des vaincus, puis dans un troisième temps une arche de survie pour ces derniers. Elle donne en effet la possibilité de rendre audible des expériences trop souvent ignorées par les historiens et les historiens de la guerre du Viet Nam et montre que cette musique de guerre d’avant 1975 est aujourd’hui mobilisée, chez les vaincus, comme un instrument de survie.</p>
<p>Ressources immatérielles constitutives des êtres humains, les pratiques sonores et musicales en contexte de violence organisée peuvent être mobilisées tout autant comme des outils de survie que comme des dispositifs de surveillance, de torture et destruction. Investir les lieux de mémoire sonore permet de déplacer notre attention vers les expériences sensibles des individus et la dimension sonore des traces matérielles du passé, de ce qui est audible et inaudible, des sons et des silences.</p>
<hr>
<p><em>Les auteurs viennent de publier <a href="https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.28800">l’ouvrage collectif</a>, « Lieux de mémoire sonore. Des sons pour survivre, des sons pour tuer », Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2021</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161696/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les lieux de mémoire sonore sont en perpétuel mouvement, permettent de garder et d’actualiser les traces et les mémoires d’un passé. Bonnes feuilles.Laetitia Atlani Duault, Anthropologue, Institut de recherche pour le développement (IRD)Luis Velasco-Pufleau, Musicologue, University of BernLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1569862021-03-21T17:42:12Z2021-03-21T17:42:12ZLa carte kurde dans le jeu de Joe Biden face à l’Iran<p>La politique syrienne de l’administration Biden ne peut être décorrélée de son approche des relations avec l’Iran. Or, en la matière, en dépit d’une <a href="https://www.nytimes.com/2021/02/18/us/politics/biden-iran-nuclear.html">volonté proclamée de négocier avec la République islamique</a>, la stratégie des pressions se poursuit, compliquant pour l’instant toute perspective de pourparlers avec Téhéran.</p>
<p>Le 28 février dernier, l’Iran a <a href="https://www.washingtonpost.com/national-security/iran-rejects-early-nuclear-talks-us/2021/02/28/e62ee95c-79f2-11eb-85cd-9b7fa90c8873_story.html">rejeté</a> une proposition de discussion informelle avec les pays européens et les États-Unis dans une configuration où Washington <a href="https://www.challenges.fr/monde/les-etats-unis-ne-leveront-pas-pour-l-instant-les-sanctions-contre-l-iran-dit-biden_749892">maintient les sanctions contre Téhéran</a> et refuse toujours de donner son consentement au déblocage des <a href="https://www.eastasiaforum.org/2021/02/19/resolving-south-koreas-iran-conundrum">fonds iraniens gelés en Corée du Sud</a>.</p>
<h2>Des soutiens de poids à la cause kurde au sein de la nouvelle administration</h2>
<p>L’administration Biden a en fait adopté une politique duale envers l’Iran, maintenant à la fois des canaux de négociation et de pression, notamment contre le principal allié de Téhéran, le régime syrien de Bachar Al-Assad.</p>
<p>La stratégie mise en œuvre sous le mandat de Donald Trump et consistant à dénier au régime syrien l’accès à une <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Dans-le-contexte-de-l-operation-militaire-turque-Source-de-paix-retour-sur-les.html">région particulièrement riche en ressources agricoles et énergétiques</a>, le nord-est du pays, sous contrôle des Forces démocratiques syriennes (FDS, coalition hétéroclite de forces supervisée par le PYD, branche syrienne du PKK), est poursuivie par une <a href="https://foreignpolicy.com/2021/03/05/biden-middle-east-team-pentagon-state-department-nsc/">nouvelle administration</a> qui compte en son sein d’ardents promoteurs de la cause kurde, à l’instar du coordinateur pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord au Conseil de sécurité nationale <a href="https://telquel.ma/2021/01/18/qui-est-brett-mcgurk-le-coordinateur-de-la-politique-americaine-au-moyen-orient-et-en-afrique-du-nord_1708148">Brett Mc Gurk</a> ou de la directrice pour la Syrie et l’Irak à ce même Conseil de sécurité nationale <a href="https://npasyria.com/en/37006/">Zehra Bell</a>.</p>
<p>Le premier a réaffirmé, à plusieurs reprises, le rôle incontournable joué par les FDS dans la stabilisation de la Syrie et défendu l’option d’un renforcement du soutien aux Kurdes, allant jusqu’à <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2018/dec/22/us-anti-isis-envoy-brett-mcgurk-quits-trump-syria-withdrawal">démissionner en décembre 2018</a> de son poste d’émissaire américain auprès de la coalition internationale anti-Daech pour marquer son opposition à la décision de Trump de retirer ses troupes de Syrie et d’abandonner ses alliés.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1359185290276048898"}"></div></p>
<p>Zehra Bell, en charge au sein de l’administration Biden des dossiers Syrie et Irak et proche collaboratrice de Brett Mc Gurk, a su quant à elle concilier sa précédente mission de chef de l’équipe d’intervention pour l’assistance à la transition en Syrie avec celle de conseillère informelle de Mazloum Abdi, commandant des FDS à Kobané.</p>
<p>Enfin, le nouveau secrétaire d’État, Antony Blinken, préconisait pour sa part en 2019 de renforcer le volet dissuasion de l’approche américaine, estimant qu’en Syrie, Washington a fait <a href="https://www.brookings.edu/blog/order-from-chaos/2019/01/04/america-first-is-only-making-the-world-worse-heres-a-better-approach/">« l’erreur de ne pas en faire assez »</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, dans les faits, l’administration américaine semble reconduire le pari stratégique du soutien aux Kurdes dans une zone d’<a href="https://www.mei.edu/publications/syrian-oil-crisis-causes-possible-responses-and-implications">importance vitale</a>. Cette mobilisation du facteur kurde est une constante de la politique américaine en Syrie.</p>
<h2>L’instrumentalisation des Kurdes au gré des priorités de l’agenda américain</h2>
<p>À mesure de l’évolution du conflit, les Kurdes se sont trouvés dans un rapport de dépendance stratégique trop élevé vis-à-vis de l’acteur américain, bien qu’ils n’aient jamais renoncé à leurs revendications nationalistes.</p>
<p>En 2011, dans le contexte de la crise, ils se distancient de l’opposition syrienne sous influence turque, en proie à des contradictions internes et accusée de ne pas reconnaître l’« identité kurde ». En juillet 2012, les Kurdes perçoivent dans le retrait partiel de l’armée syrienne du nord du pays l’opportunité d’occuper le vide et de concrétiser progressivement leurs aspirations. Mais l’évolution du rapport de force sur le terrain pulvérise cette dynamique autonome. Après l’offensive éclair du groupe État islamique (EI) en Syrie, les Kurdes se retrouvent <a href="https://www.reuters.com/article/ofrtp-syrie-islamistes-kobani-idFRKCN0HS1EH20141003">assiégés en octobre 2014 à Ain Arab</a> (Kobané), leur survie dépendant de l’aide des Américains après que les Russes, alliés à Damas, se soient montrés peu enclins à les soutenir.</p>
<p>Le poids de la réalité géopolitique et de ses contraintes impose donc aux Kurdes une alliance avec les États-Unis qui rend obsolète leur engagement idéologique – le PYD étant l’avatar du PKK turc, qui prône une idéologie <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=54A2DwAAQBAJ">anti-impérialiste</a> et est inscrit sur la <a href="https://www.state.gov/foreign-terrorist-organizations">liste américaine des organisations terroristes</a>.</p>
<p>Perçus comme la principale force combative et efficace dans la lutte contre le groupe EI, notamment après l’échec du <a href="https://www.lepoint.fr/monde/syrie-le-pentagone-reduit-son-programme-d-entrainement-de-rebelles-09-10-2015-1972215_24.php">programme américain de formation et d’équipement de rebelles syriens modérés</a>, les Kurdes deviennent le fer-de-lance de Washington et empêchent l’EI d’établir une liaison entre ses deux « capitales », Mossoul (en Irak) et Raqqa (en Syrie).</p>
<p>Cette coopération étroite entre les Américains et les Kurdes s’expliquerait, <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/syria/2019-04-16/hard-truths-syria">selon Brett Mc Gurk</a>, par la position intransigeante de la Turquie qui oppose une fin de non-recevoir aux demandes américaines de coordination opérationnelle dans le cadre de la lutte contre le groupe EI.</p>
<p>Une divergence d’approche dans la gestion de la crise syrienne a refroidi les relations entre Ankara et Washington. Alors que la Turquie réclamait une intervention militaire américaine massive à ses côtés pour favoriser un changement de régime en Syrie, elle se heurte au refus de Barack Obama en mai 2013. Les accrocs se sont multipliés à mesure que les États-Unis renforçaient leur soutien aux Kurdes sous couvert de lutte contre le groupe EI. Dans la perception d’Ankara, c’est bien l’aide américaine aux forces kurdes de Syrie – toutes liées au PKK perçu comme une menace pour l’intégrité territoriale et l’unité nationale de la Turquie – qui a dans une large mesure conforté les ambitions kurdes. De leur côté, les États-Unis voyaient d’un mauvais œil <a href="https://info.arte.tv/fr/turquie-daesherdogan-liaisons-dangereuses">l’attitude complaisante des Turcs à l’égard de l’EI</a> (une attitude s’expliquant par le fait que, aux yeux des Turcs, les deux dangers principaux étaient les <a href="https://information.tv5monde.com/info/kurdes-pour-la-turquie-pkk-plus-menacant-que-ei-46862">Kurdes</a> et le régime de Damas, plus que les groupes djihadistes).</p>
<p>Pourtant en dépit d’une alliance tactique avec les forces kurdes, Washington tente de ménager les intérêts de son partenaire stratégique turc. À plusieurs reprises, les Kurdes sont abandonnés à leur sort : l’épisode de la <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/2018/02/09/31002-20180209ARTFIG00284-bataille-d-afrine-la-trahison-des-kurdes-par-les-occidentaux.php">bataille d’Afrine</a> en 2018 en est une illustration éclatante.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/J_XRAyto87U?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le soutien aux Kurdes demeure ainsi tributaire des priorités de l’agenda américain, qui évolue au gré du contexte. Après l’annonce, en décembre 2018, du retrait américain de Syrie, vécue comme une <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/En-Syrie-Kurdes-sentent-trahis-2018-12-21-1200991068">véritable trahison par les Kurdes</a>, Trump réaménage sa décision, souscrivant au point de vue des néoconservateurs. La priorité donnée à l’objectif de l’affaiblissement de l’Iran conduit les États-Unis à utiliser à la fois les sanctions en tant que leviers de pressions politiques contre le régime iranien, et à recourir aux instruments de la guerre hybride à travers les opérations spéciales comme <a href="https://www.lepoint.fr/monde/mort-de-soleimani-une-operation-sans-precedent-pour-l-armee-americaine-03-01-2020-2356024_24.php">l’élimination du général iranien Soleimani</a>, et le soutien aux minorités, notamment les Kurdes en Syrie.</p>
<h2>Changement d’administration mais continuité de la politique américaine en Syrie</h2>
<p>La nouvelle administration conforte certains principes directeurs de la politique syrienne de la précédente.</p>
<p>Pour traiter avec l’Iran, qui n’a cessé de <a href="http://www.opex360.com/2020/07/09/liran-va-renforcer-la-defense-aerienne-syrienne/">renforcer sa présence militaire en Syrie</a>, ses capacités balistiques et son soutien aux groupes qui lui sont organiquement liés comme le Hezbollah, il est devenu important pour Washington de réduire son potentiel de nuisance à l’échelle régionale. La stratégie de <em>Ressources Denial</em> privant d’accès le régime de Damas aux ressources du nord-est syrien crée un enjeu politique intérieur majeur, avec le risque d’une résurgence de la contestation, d’autant que l’<a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/menasource/2021-budget-reveals-the-depth-of-syrias-economic-woes/">économie syrienne est exsangue</a>.</p>
<p>Mais cette approche est surtout conçue dans une logique de marchandage dans la perspective des négociations à venir avec l’Iran – bien que, pour l’instant, les <a href="https://responsiblestatecraft.org/2021/02/28/iran-rejects-meeting-as-bidens-slow-diplomacy-hits-predictable-snag/">conditions ne semblent pas réunies</a> pour progresser dans la direction d’un retour à l’accord nucléaire.</p>
<p>Les deux options – discuter avec l’Iran et faire pression sur la Syrie – ne sont pas contradictoires mais devraient permettre à terme aux Américains de négocier en position de force en posant de nouvelles conditions. Il s’agit également d’un gage donné à Israël <a href="https://newlinesmag.com/reportage/israel-to-biden-tehran-can-wait/">inquiet des perspectives d’un retour à l’accord sur le nucléaire et de la politique moyen-orientale</a> de la nouvelle administration américaine.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1327254837902401536"}"></div></p>
<p>Les <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-56205056">récentes frappes américaines en Syrie</a> en réponse aux attaques menées contre le personnel américain et de la coalition en Irak illustrent également cette volonté de l’administration Biden de ne pas séparer le cadre propre à la politique syrienne de celui, plus général, de la confrontation avec l’Iran, l’affaiblissement du rôle régional de ce dernier demeurant une priorité.</p>
<h2>Un pari risqué pour les Kurdes</h2>
<p>Quant aux Kurdes, s’ils s’enhardissent dans leurs prétentions territoriales en mettant à profit ce nouveau contexte, cette stratégie n’est pas sans conséquences.</p>
<p>D’un côté, l’engagement américain est loin d’être indéfectible et si l’équipe Biden voit aujourd’hui dans le facteur kurde un atout stratégique majeur, la configuration est susceptible d’évoluer au gré de la redéfinition des intérêts de Washington.</p>
<p>De l’autre, la gestion des ressources dans le nord-est de la Syrie est de plus en plus contestée par les populations arabes locales et réveille les antagonismes latents. Comme l’a rappelé, en janvier dernier, l’ex-ambassadeur américain en Syrie, Robert Stephen Ford <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/turkey/2021-01-25/us-strategy-syria-has-failed">dans un article pour Foreign Affairs</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les alliés kurdes syriens des États-Unis ont exacerbé les tensions régionales de longue date entre Arabes et Kurdes. Parmi les communautés arabes en particulier, il existe une frustration généralisée face à la domination politique kurde – rendue possible par les États-Unis – et au contrôle kurde des champs pétrolifères locaux. Les résidents arabes protestent également contre la corruption administrative présumée des FDS, les opérations antiterroristes brutales et les pratiques de conscription. Pour leur part, les forces kurdes ont commis des attentats à la voiture piégée contre des villes arabes sous contrôle militaire turc. Dans un tel environnement, chargé de tensions ethniques et de conflits tribaux, l’État islamique peut opérer avec l’acceptation tacite des communautés locales et recruter dans leurs rangs. »</p>
</blockquote>
<p>Sans le soutien américain, les Kurdes ne pourraient assumer cette politique de plus en plus affirmée de revendication territoriale. Mais en faisant le pari exclusif de Washington pour parvenir à former une entité territoriale enclavée dans le nord-est de la Syrie, ils courent le risque, cette fois, d’un conflit ethnique. </p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156986/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Affaiblir l’Iran en promouvant l’autonomie kurde dans le nord-est de la Syrie voisine : telle est la ligne complexe choisie par l’administration Biden.Lina Kennouche, Doctorante en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1506812020-11-29T17:52:19Z2020-11-29T17:52:19ZQuelle politique pour l’administration Biden au Moyen-Orient ?<p>L’arrivée de Joe Biden à la tête des États-Unis entraîne une redéfinition de la politique américaine au Moyen-Orient. Des <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/united-states/2020-01-23/why-america-must-lead-again">inflexions de fond</a> sont attendues ; pour autant, le président élu ne semble pas inscrire son engagement dans une rupture totale par rapport aux choix politiques de son prédécesseur.</p>
<p>Selon l’adage « Policy is People », il est essentiel de connaître la composition définitive de l’équipe que va former Biden avant de tirer des conclusions trop tranchées sur le contenu de la politique moyen-orientale de la nouvelle administration. L’expérience Trump a illustré une nouvelle fois que le président ne peut se prévaloir d’un rôle sans partage en matière de politique étrangère : une pluralité de conseillers interviennent dans ce domaine et les opinions ne sont pas unanimes en ce qui concerne sa conduite. Les <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20201123-etats-unis-joe-biden-annonce-les-premiers-noms-de-la-future-%C3%A9quipe-dirigeante">nominations annoncées</a> de Tony Blinken au département d’État, de Jake Sullivan à la direction de la Sécurité nationale, et d’Avril Haines à la tête du renseignement national, tous proches collaborateurs de Biden, portent pour l’instant à croire que la tendance qu’imprimera la nouvelle équipe à la politique américaine dans la région sera en phase avec les déclarations d’intention de Joe Biden et de sa vice-présidente, Kamala Harris, ainsi qu’avec leurs prises de position publiques sur certains dossiers.</p>
<h2>Soutien attendu à Israël</h2>
<p>Sur l’épineux dossier israélo-palestinien, l’équipe Biden ne remettra sans doute pas en cause les acquis de la politique du fait accompli initiée sous l’administration précédente, à commencer par le <a href="https://www.lapresse.ca/international/etats-unis/2020-04-29/joe-biden-dit-qu-il-maintiendra-l-ambassade-des-etats-unis-a-jerusalem-s-il-est-elu">transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem</a>) et la reconnaissance de l’<a href="https://www.jns.org/senior-campaign-official-says-biden-would-keep-golan-heights-recognition/">annexion par Israël du plateau du Golan</a>. La ligne défendue par Kamala Harris, partisane déclarée d’Israël, en est le garde-fou principal.</p>
<p>« <a href="https://www.timesofisrael.com/5-jewish-things-to-know-about-us-vice-president-candidate-kamala-harris">Plutôt Aipac que JStreet</a> » – autrement dit, plus proche de l’American Israel Public Affairs Committee, groupe de pression défendant les intérêts de la droite dure israélienne, que de l’organisation rassemblant des membres du Congrès et de la communauté juive américaine favorables à la solution à deux États –, elle a publiquement réaffirmé l’engagement de Joe Biden à maintenir un « soutien inconditionnel à Israël » et à garantir sa « <a href="https://www.middleeasteye.net/news/kamala-harris-pledges-unconditional-support-israel">supériorité militaire qualitative</a> ».</p>
<p>L’amitié, le soutien et l’admiration de Harris pour Israël s’enracinent dans son histoire personnelle. La vice-présidente <a href="https://www.timesofisrael.com/radical-left-try-again-on-israel-vp-elect-harris-may-be-to-right-of-biden">l’évoque volontiers</a> : dans sa jeunesse, elle a milité au sein du Jewish National Fund, organisation-sœur américaine du <a href="https://www.kkl-jnf.org/about-kkl-jnf/">KKL</a>, qui est une association israélienne en charge de planter des arbres sur les ruines des villages palestiniens et qui se trouve engagée, selon <em>Haaretz</em>, dans des batailles juridiques pour <a href="https://www.haaretz.com/israel-news/.premium-jnf-working-to-evict-palestinian-family-from-east-jerusalem-1.5630218">faire expulser des familles palestiniennes de Jérusalem-Est</a>. L’engagement personnel de Harris emporte la conviction que, lors du mandat qui s’ouvre, la défense des intérêts sécuritaires d’Israël continuera de représenter la priorité de Washington, bien plus qu’une juste résolution de la question palestinienne.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1325746436139520000"}"></div></p>
<p>De surcroît, bien que Joe Biden n’ait pas d’alchimie personnelle avec Benyamin Nétanyahou, qui vient de perdre un <a href="https://theconversation.com/lelection-de-joe-biden-vue-disrael-149706">ami intime en la personne de Donald Trump</a>, il n’en demeure pas moins un allié et « grand ami d’Israël », comme l’a déclaré le premier ministre israélien lui-même dans un <a href="https://www.leparisien.fr/international/presidentielle-americaine-netanyahou-felicite-biden-grand-ami-d-israel-et-remercie-trump-08-11-2020-8407216.php">tweet de félicitations au nouveau président élu</a>. Sa proximité moins grande avec Nétanyahou ne suffit donc pas à considérer qu’il reviendra sur les décisions de son prédécesseur. Néanmoins, et dans la mesure où Biden, conformément à la position traditionnelle du Parti démocrate, se déclare en <a href="https://fr.timesofisrael.com/biden-dit-au-roi-de-jordanie-etre-desireux-de-soutenir-une-solution-a-2-etats">faveur de la « solution des deux États</a> », il pourrait être enclin à rouvrir le consulat américain à Jérusalem-Est, à <a href="https://www.trtworld.com/middle-east/un-agency-for-palestinians-hopes-biden-will-restore-funding-41295">rétablir la participation des États-Unis au budget de l’UNRWA</a> et à réaffirmer son soutien à l’Autorité palestinienne, qui a d’ores et déjà annoncé la <a href="https://in.reuters.com/article/israel-palestiniens-idFRKBN27X2DB">reprise de sa coopération sécuritaire avec Israël</a>.</p>
<p>Pour autant, les <a href="https://www.middleeasteye.net/news/us-election-2020-joe-biden-will-not-condition-aid-israel-campaign-adviser-says">propos</a> du futur secrétaire d’État de Joe Biden, Tony Blinken, accréditent l’hypothèse du maintien inconditionnel de l’aide militaire américaine à Israël. Le président du groupe JStreet reconnait lui-même que le <a href="https://fr.timesofisrael.com/j-street-sapprete-a-proner-une-reintegration-dans-laccord-nucleaire-iranien/">« retour à une approche équilibré sur Israël »</a> ne figure pas au rang des priorités de Biden.</p>
<p>L’intellectuel américano-palestinien Rachid el-Khalidi, professeur à Colombia, estime dans son livre <a href="https://news.wttw.com/2013/04/25/brokers-decei"><em>Brokers of Deceit : How the U.S. Has Undermined Peace in the Middle East</em></a> qu’il s’agit là d’une constante de la politique conduite par Washington. Selon lui, derrière le discours en trompe-l’œil sur la solution des deux États, toutes les administrations américaines successives ont cautionné la politique du fait accompli et exercé des pressions sur la partie palestinienne pour l’amener à négocier dans les conditions les plus désavantageuses.</p>
<h2>Un retour à l’accord de 2015 sur l’Iran ? Pas si simple…</h2>
<p>Sur le volet des relations avec l’Iran, Biden s’inscrit dans la continuité de Barack Obama, dont il partage la conviction que pour contrer la montée en puissance de la Chine, il est nécessaire d’atténuer les tensions avec Téhéran. Or un réchauffement des relations américano-iraniennes implique préalablement de trancher la question du retour des États-Unis dans l’accord sur le nucléaire de 2015 ou de le renégocier pour y inclure des restrictions sur le programme balistique iranien. Rappelons que lorsque les États-Unis ont signé le JCPOA en juillet 2015, l’Iran était affaibli par les sanctions, ostracisé sur la scène internationale et acculé en Syrie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1328535422927065088"}"></div></p>
<p>La convergence entre l’Arabie saoudite et la Turquie sur le terrain syrien a donné naissance à l’Armée de la Conquête qui mène une <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20150425-syrie-prise-jisr-al-choughour-idlib-bastion-regime-assad">série d’offensives victorieuses dans le Nord</a>, et prend Jisr Choughour et Idlib, progressant jusqu’à Sahl el Ghab, aux portes de Lattaquié. En très mauvaise posture, les alliés du régime syrien en appellent à l’implication militaire de la Russie qui intervient finalement en septembre 2015 pour inverser la vapeur.</p>
<p>Avec l’entrée en action de Moscou, non seulement Damas et ses alliés reprennent du terrain mais Téhéran exploite le contexte pour accroître sa présence militaire en Syrie (c’est plus qu’un renforcement du soutien militaire au régime syrien). Afin de contrer le développement de ce potentiel militaire de l’Iran en Syrie, lsraël initie alors la stratégie des « Operations between Wars » et mène, de l’aveu même de l’ancien chef d’état-major interarmées israélien Gadi Ezeinkot, <a href="https://www.israelhayom.com/2019/01/13/eizenkot-israel-has-attacked-thousands-of-targets-in-syria/">« des milliers d’attaques »</a> contre les Iraniens en Syrie, sans parvenir à freiner cette dynamique.</p>
<p>Dès lors, la dimension balistique apparaît comme un problème central car la dissuasion iranienne modifie les règles du jeu stratégique sur le terrain, comme l’a illustré en juin 2019 l’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/13/la-marine-americaine-assiste-deux-navires-attaques-dans-le-golfe-d-oman_5475675_3210.html">attaque par Téhéran de deux pétroliers dans le détroit d’Ormuz</a>.Il est donc peu plausible que la nouvelle administration, dans un contexte géopolitique transformé, accepte un simple retour à l’accord de 2015. Mais reste à savoir si Biden fera montre de flexibilité tactique en levant les sanctions et en acceptant dans un premier temps le cadre du JCPOA pour renégocier par la suite, ou s’il énoncera dès le départ fermement les grands paramètres d’un nouvel accord (qui comportera donc des restrictions imposées au programme balistique iranien). De son côté, l’Iran est résolument opposé à l’idée d’une renégociation, faisant toutefois connaître sa disposition <a href="https://www.arabnews.fr/node/33086/monde-arabe">à revenir « automatiquement » au respect intégral de ses engagements du JCPOA</a> en cas de levée des sanctions.</p>
<h2>Inquiétudes à Riyad</h2>
<p>Concernant l’Arabie saoudite et les Émirats, la différence d’approche est claire entre Trump et Biden. Tandis que le premier s’est illustré dans le choix inédit et remarqué de <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2017/05/20/pourquoi-trump-a-choisi-larabie-saoudite-pour-son-premier-depla_a_22097037/">visiter Riyad</a> immédiatement après son élection, le second a, dans une critique aux accents déplaisants, qualifié durant sa campagne l’Arabie saoudite d’<a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/2020-11-10/apres-l-indulgence-de-trump-riyad-face-a-la-fermete-proclamee-de-biden.php">« État-paria »</a>.</p>
<p>Les déclarations de Biden scellent donc une détérioration réelle de la relation avec les Saoudiens et Émiratis qui <a href="https://spectator.us/whistleblower-andy-khawaja-micropayments/">ont financé la campagne</a> de Trump en 2016 et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/12/elections-americaines-les-pays-du-golfe-craignent-un-nouvel-obama_6059462_3210.html">craignent un retour à la vision d’Obama</a>. Le lâchage par ce dernier des régimes de Moubarak et de Ben Ali, pourtant alliés de Washington, <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2016-4-page-18.htm">son acceptation des Frères musulmans</a> ainsi que <a href="https://www.liberation.fr/planete/2009/03/20/la-main-tendue-d-obama-a-l-iran_547398">sa main tendue à l’Iran</a>, ont constitué de sérieux sujets de préoccupation pour Riyad.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1326033391851102209"}"></div></p>
<p>La volatilité du contexte stratégique a ainsi conduit l’Arabie saoudite à développer ses liens avec Moscou et Pékin, principaux concurrents des États-Unis, une situation nouvelle qui pourrait ouvrir la voie à une diversification des partenariats. Biden n’a aucune sympathie pour le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salmane et ses positions belliqueuses, et exprime <a href="https://inthesetimes.com/article/joe-biden-yemen-war-saudi-arabia-presidential-election-foreign-policy">son opposition à la guerre au Yémen</a> ; pour autant, le partenariat stratégique avec Riyad, qui traduit également la prégnance des <a href="https://merip.org/2020/06/the-defense-industrys-role-in-militarizing-us-foreign-policy/">intérêts du complexe militaro-industriel</a>, dans l’élaboration de la politique étrangère américaine, reste solide.</p>
<h2>L’Irak, la Syrie et le Liban vus à travers le prisme iranien</h2>
<p>Pour ce qui est de l’Irak, le nouveau président américain apparaît comme une figure problématique : partisan de l’intervention américaine en 2003, il a également été l’instigateur d’un <a href="https://www.nytimes.com/2007/07/30/world/americas/30iht-letter.1.6894357.html">plan pour la partition</a> du pays en trois États. Aujourd’hui, en dépit de l’importance que revêt Bagdad sur l’échiquier régional, dans un contexte de rivalité sino-américaine et de priorité donnée à l’endiguement de la puissance chinoise, un désengagement militaire de la région semble inéluctable, même si la question divise profondément l’establishment américain. Malgré une <a href="https://www.fr24news.com/fr/a/2020/08/trump-reaffirme-son-intention-de-retirer-toutes-les-troupes-americaines-dirak.html">intention maintes fois réitérée</a> par Donald Trump, la crainte que le vide laissé par un retrait américain soit comblé par l’Iran a jusqu’ici empêché la concrétisation de cette décision.</p>
<p>Aussi, sur la politique que conduira Biden en Irak, les orientations ne se dessinent pas encore de façon claire. Mais il est en revanche certain que, dans la perspective des négociations avec l’Iran, les Américains devront conserver une capacité de nuisance en s’ouvrant à de nouvelles forces y compris au sein de la Marjaïya, la plus haute autorité religieuse chiite, pour contrer l’influence iranienne. Depuis la chute du régime de Saddam Hussein, cette autorité tient un rôle prépondérant au sein de la communauté chiite irakienne. C’est sur pression de la Marjaïya que les forces américaines ont accepté la tenue d’élections législatives en 2005. En 2014, dans le contexte de l’offensive de l’EI sur Mossoul, cette autorité émet une fatwa sur le « djihad défensif » qui conduit un million de chiites à se porter volontaires pour combattre le groupe.</p>
<p>L’approche américaine du dossier syrien demeure la grande inconnue, mais elle pèsera également lourdement sur les perspectives de négociations avec l’Iran. Si Washington entend renouer le dialogue avec Téhéran, il le fera en appuyant sur les points de faiblesse de ce dernier, notamment la Syrie. Pour les États-Unis, il demeure indispensable de refouler l’influence régionale de l’Iran ; or, jusqu’ici, la bataille menée par Trump pour affaiblir le potentiel militaire de Téhéran a été un échec patent. Il est fort probable que l’offensive se poursuive sous l’administration Biden qui, tout en cherchant à négocier, entendra également mettre en difficulté l’Iran sur le terrain syrien. La <a href="https://www.lecommercedulevant.com/article/29903-les-enjeux-de-la-loi-cesar">loi César</a>, qui prévoit notamment le gel de l’aide à la reconstruction et des sanctions contre le régime de Damas et toutes les personnes et entreprises collaborant avec celui-ci, demeure dans cette optique un instrument incontournable pour maintenir la pression sur le pouvoir de Bachar Al-Assad.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1329752622656614401"}"></div></p>
<p>Enfin, vis-à-vis du Liban, la posture américaine pourrait se révéler moins intransigeante sous la nouvelle administration. La ligne adoptée par Trump se résumait par « étrangler le Liban pour étrangler le Hezbollah », mais cette politique s’est avérée totalement <a href="https://libnanews.com/les-sanctions-contre-le-hezbollah-non-productives-emmanuel-macron-a-donald-trump/">contre-productive</a> comme l’a fait remarquer en août dernier Emmanuel Macron à son homologue américain. La nouvelle administration pourrait marquer sa différence en revenant à une politique de pression plus ciblée contre le Hezbollah… même s’il est encore bien tôt pour démêler les intentions de la politique concrète qui sera mise en œuvre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150681/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quelle politique Joe Biden conduira-t-il à l’égard des pays du Proche et du Moyen-Orient ? Ce tour d’horizon montre qu’il ne fera pas systématiquement l’inverse de son prédécesseur.Lina Kennouche, Doctorante en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1498582020-11-15T17:04:34Z2020-11-15T17:04:34ZPrix Nobel de la paix 2020 : le combat sans fin du Programme alimentaire mondial de l’ONU<p>Le président américain élu Joe Biden a promis, dès l’annonce de son élection, de faire revenir les États-Unis dans <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/etats-unis-accord-paris-climat-joe-biden_fr_5fa3ad79c5b69c36d952565c">l’Accord de Paris</a> sur le climat. C’est un signe positif pour le multilatéralisme, incarné par l’ONU et par ses accords et conventions universelles.</p>
<p>Un autre signe positif pour l’ONU est l’attribution en octobre 2020 du <a href="https://www.un.org/africarenewal/fr/a-la-une/le-prix-nobel-de-la-paix-attribu%C3%A9-au-programme-alimentaire-mondial">prix Nobel de la paix</a> au Programme alimentaire mondial, agence de l’ONU créée en 1961 afin de lutter contre la faim dans le monde. C’est la <a href="https://www.un.org/fr/sections/nobel-peace-prize/united-nations-and-nobel-peace-prize/index.html">12e fois</a> qu’une agence ou un dirigeant de l’ONU reçoit le prix Nobel, après notamment les Casques bleus en 1988, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) en 2005, ou encore le Groupe international d’experts sur le climat (GIEC) en 2007.</p>
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<figcaption><span class="caption">Prix Nobel de la paix : le Programme alimentaire mondial distingué.</span></figcaption>
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<p>Le PAM apporte chaque année de l’aide alimentaire à près de <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/10/09/en-distinguant-le-programme-alimentaire-mondial-le-comite-nobel-alerte-sur-l-urgence-de-la-faim-dans-le-monde_6055483_3244.html">100 millions</a> de personnes dans le monde, dans près de 80 pays. En 2019, il a fourni plus de <a href="https://onu-rome.delegfrance.org/Presentation-du-PAM">4 millions de tonnes</a> de produits alimentaires. Son plus important terrain d’action actuellement est le Yémen où, depuis le début de la guerre civile commencée en 2015, la famine menace les deux tiers des 30 millions d’habitants. Le PAM agit actuellement dans <a href="http://www.fao.org/3/na714fr/na714fr.pdf">18 pays</a> : outre le Yémen, ses terrains d’intervention majeurs sont aujourd’hui la République démocratique du Congo, le Mozambique, le nord du Nigéria, le Soudan du Sud et la Syrie, c’est-à-dire essentiellement des zones de conflits.</p>
<h2>De la création du PAM aux premières actions concrètes</h2>
<p>C’est il y a presque soixante ans, le 24 novembre 1961, qu’a été créé le PAM, <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1966_num_12_1_1890">initialement</a> pour une durée temporaire de trois ans, à l’instigation du président américain, le Républicain <a href="https://fr.wfp.org/histoire">Dwight Eisenhower</a>, qui avait prononcé un discours à l’Assemblée générale de l’ONU le 1<sup>er</sup> septembre 1960, préconisant la mise sur pied d’un « dispositif pour fournir de l’aide alimentaire par le canal de l’ONU ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1314593885750996997"}"></div></p>
<p>L’histoire du PAM a été retracée notamment par <a href="https://www.palgrave.com/gp/book/9780333676684">l’économiste américain John D. Shaw</a>, qui y a servi comme consultant. À l’époque de sa création, il s’agissait de renforcer l’action de la FAO (Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, agence spécialisée de l’ONU créée en 1945) en répartissant les surplus alimentaires produits par les pays riches auprès des populations démunies des pays du Tiers monde. Depuis 1945, les États-Unis, grands producteurs de céréales, apportaient déjà une telle aide alimentaire de manière bilatérale à plusieurs pays du Sud, ce qui leur permettait d’étendre leur influence sur ces pays, ce qu’on appelle le « soft power ». « Le PAM est né de la volonté du gouvernement américain de soutenir son agriculture nationale en rachetant les surplus agricoles aux États-Unis et en les distribuant dans les pays en voie de développement », <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/10/09/qu-est-ce-que-le-pam-le-programme-alimentaire-mondial-de-l-onu-qui-vient-de-recevoir-le-nobel-de-la-paix_6055484_3244.html">explique</a> un fonctionnaire du PAM souhaitant rester anonyme.</p>
<p>Le PAM va effectuer sa première opération d’aide d’urgence à la suite du séisme de Buin Zahra en Iran en septembre 1962, qui laisse les populations iraniennes en détresse. Le PAM leur fournira 1 500 tonnes de blé. Puis, en 1963, il <a href="https://fr.wfp.org/histoire">aide 50 000 Nubiens</a> (habitants du sud de l’Égypte) à se réinstaller sur de nouvelles terres et à y faire des récoltes, après l’engloutissement de leurs villages suite à la création du barrage d’Assouan. En novembre 1963, le PAM développe un projet pilote de fourniture de repas scolaires à <a href="https://fr.wfp.org/histoire">5 000 écoliers du Togo</a>.</p>
<h2>Des actions d’urgence de grande ampleur</h2>
<p>Ayant démontré son utilité, le PAM devient en 1965 un programme permanent de l’ONU. Il va intervenir pour assister les populations lors des <a href="https://www.cairn.info/famines-et-politique--9782724608739-page-89.htm">grandes famines</a> de la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle, comme au Biafra (1967-1970), au Sahel (1968-1972), en Éthiopie (années 1980), en Somalie (1991-1992), etc. En 1973, le PAM apporte une aide d’urgence par avion au <a href="https://fr.wfp.org/histoire">Sahel</a> : plus de 30 avions cargos, fournis par 12 pays différents, sont mobilisés pour l’occasion de 1973 à 1976.</p>
<p>En 1980, le PAM <a href="https://fr.wfp.org/histoire">aide 370 000 réfugiés cambodgiens</a> à fuir vers la Thaïlande pour échapper aux violences dans leur pays dominé alors par les khmers rouges, et pourvoit à leur alimentation. Tout au long des années 1980, sous la direction de l’Australien <a href="https://www.academia.edu/11928084/Widerstand_am_Ort_der_Macht_Zwei_UN_Exekutivchefs_als_Widerstandsk%C3%A4mpfer">James Ingram</a>, le PAM se concentre davantage sur l’assistance aux victimes de désastres naturels et aux personnes déplacées du fait de guerres et conflits internes. Ainsi, en 1983, le PAM livre 2 millions de tonnes <a href="https://fr.wfp.org/histoire">d’aide alimentaire aux Éthiopiens</a>, frappés par la pire famine dans le monde depuis un siècle.</p>
<p>En 1989, avec l’opération « Lifeline Sudan », le PAM, aidé par 40 ONG, affrète vingt avions cargo pour lancer des tonnes d’aide alimentaire sur le <a href="https://fr.wfp.org/histoire">Sud du Soudan</a>, touché par la guerre civile. C’est la plus grande opération aérienne d’aide alimentaire jamais réalisée. En 1992, le PAM fournit des rations aux centaines de milliers d’ex-Yougoslaves piégés dans leur pays par la guerre civile. Puis, en 1994, le PAM fournira de la nourriture aux réfugiés du génocide rwandais, installés dans les pays voisins du Rwanda. Et en septembre 1998, ce sont des millions de Bangladais qui sont secourus par le PAM suite aux dramatiques inondations qui ont touché le pays.</p>
<h2>Les États-Unis à la manœuvre</h2>
<p>Le PAM va être au fil du temps dominé – et financé – essentiellement par les États-Unis : depuis 1992, son dirigeant a toujours été un Américain. Cette année-là, c’est la fonctionnaire américaine Républicaine <a href="https://www.ru.nl/politicologie/io-bio-bob-reinalda/io-bio-biographical-dictionary-sgs-ios/">Catherine Bertini</a>, sur la recommandation du président Bush, qui est nommée à la tête du PAM. Première femme à diriger l’institution, elle opère des réformes managériales à l’intérieur du programme, et redéfinit la mission du PAM selon trois axes : 1) sauver des vies lors des crises d’urgence et des situations où il y a des réfugiés (« food for life »), 2) améliorer la nutrition et la qualité de vie dans les situations critiques (« food for growth ») et 3) donner des moyens d’action aux pauvres et les aider à avoir confiance en eux-mêmes (« food for work »). À son poste, elle doit gérer des situations humanitaires sensibles : en 2000, elle est nommée par le Secrétaire général de l’ONU Kofi Annan envoyée spéciale dans la Corne de l’Afrique, pour prévenir une famine liée à la sécheresse.</p>
<p>En 2002, le <a href="https://fr.wfp.org/histoire">PAM entre au Livre Guiness des Records</a> comme la plus grande agence humanitaire mondiale, avec 14 500 employés. Depuis cette date, il développe des partenariats avec des entreprises privées pour accroître ses ressources. En décembre 2004, il lance une <a href="https://fr.wfp.org/histoire">opération</a> d’assistance humanitaire massive aux 14 pays, essentiellement asiatiques, victimes du tsunami. En décembre 2010, il aide les 4,5 millions de victimes du tremblement de terre en <a href="https://fr.wfp.org/histoire">Haïti</a>. Enfin, depuis 2011, il aide les victimes de la guerre civile en Syrie, et depuis 2014 les 3 millions d’Africains de l’Ouest affectés par l’épidémie d’Ebola.</p>
<p>L’actuel secrétaire exécutif du PAM est depuis 2017 l’ancien gouverneur Républicain de la Caroline du Sud, le juriste David Beasley. Toutefois, sa gestion du personnel du PAM a <a href="https://foreignpolicy.com/2019/10/08/world-food-program-un-survey-finds-abuse-discrimination/">suscité des critiques</a>.</p>
<h2>Un effort pour valoriser les petits paysans et les marchés locaux</h2>
<p>En 2020, le besoin de financement du PAM, qui provient essentiellement de contributions volontaires des États membres, est fixé à <a href="https://onu-rome.delegfrance.org/Presentation-du-PAM">10,6 milliards de dollars</a>, en augmentation par rapport à 2019 (8,3 milliards de dollars). Il emploie aujourd’hui environ 12 000 personnes, dont plus de 90 % travaillent directement sur le terrain.</p>
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<p>Aujourd’hui, le PAM ne se borne pas à fournir de l’aide alimentaire, ce qui laisserait les populations réceptrices dans une situation de passivité : depuis 2008 et le lancement du programme <a href="https://www.wfp.org/purchase-for-progress">« Purchase for Progress »</a>, le PAM achète à des petits paysans leurs produits locaux, puis les distribue aux populations dans le besoin, ce qui permet de protéger les marchés locaux en évitant de les submerger par des produits extérieurs.</p>
<p>Ce dispositif vise à répondre aux critiques visant le PAM, qui font valoir que l’aide alimentaire serait en fait <a href="https://library.stanford.edu/sites/default/files/widget/file/zalite_wfp_unday2013_0.pdf">nuisible</a> aux pays pauvres, encourageant la corruption des dirigeants politiques chargés de la répartir, qui monnayeraient cette aide contre des voix aux élections et revendraient les stocks de nourriture au marché noir. Mais les critiques demeurent minoritaires et, au sein d’une ONU souvent dénoncée comme impuissante, le PAM reste considéré comme un <a href="https://www.rienner.com/title/The_World_Food_Programme_in_Global_Politics">programme efficace</a> par l’opinion mondiale.</p>
<h2>La crise de la Covid-19 et l’objectif faim zéro</h2>
<p>Actuellement, alors que plus de <a href="https://www.un.org/fr/sections/issues-depth/food/index.html">821 millions de personnes</a> dans le monde souffrent de faim chronique, la situation est en aggravation du fait de la pandémie de Covid-19, et <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/10/09/en-distinguant-le-programme-alimentaire-mondial-le-comite-nobel-alerte-sur-l-urgence-de-la-faim-dans-le-monde_6055483_3244.html">l’objectif faim zéro</a> que l’ONU s’est fíxé pour <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/10/09/en-distinguant-le-programme-alimentaire-mondial-le-comite-nobel-alerte-sur-l-urgence-de-la-faim-dans-le-monde_6055483_3244.html">2030</a> semble hors d’atteinte : la pandémie de Covid a eu pour effet de faire baisser drastiquement les dons d’aide alimentaire. Le PAM <a href="https://histoires.wfp.org/le-monde-doit-agir-et-d%C3%A8s-maintenant-pour-%C3%A9viter-une-pand%C3%A9mie-de-la-faim-caus%C3%A9e-par-le-covid-19-820e75df38c0">s’alarme</a> d’une possible « pandémie de la faim », qui s’ajouterait à la pandémie actuelle.</p>
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<figcaption><span class="caption">Covid-19 : « Nous sommes au bord d’une pandémie de faim », avertit l’ONU.</span></figcaption>
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<p>Cela montre bien l’imbrication étroite des problèmes sanitaires, alimentaires, et même géopolitiques. C’est pourquoi seule l’ONU, institution universelle, multilatérale, et agissant sur plusieurs domaines (la santé avec l’OMS, la culture et l’éducation avec l’Unesco, l’alimentation et l’agriculture avec la FAO, etc.), peut agir efficacement.</p>
<p>Il est donc nécessaire que les États membres lui fournissent les financements nécessaires et lui donnent les moyens d’agir. </p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/149858/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Chloé Maurel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le prix Nobel de la Paix 2020 a été attribué au Programme alimentaire mondial. Retour sur près de 60 ans de lutte contre la faim par la plus grande agence d’aide alimentaire mondiale.Chloé Maurel, SIRICE (Université Paris 1/Paris IV), Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.