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Les RH dans tous leurs états

Caméras au travail : une question de confiance

Dans la rue, l'installation de caméras de surveillance est source de méfiance. Matthew Henry / Unsplash

L’installation de caméras sur la voie publique a entraîné de nombreux débats éthiques et philosophiques à propos de la protection des libertés individuelles. Souvent perçue comme liberticide, cette technologie a rencontré l’hostilité de nombreuses associations, dont la Ligue des droits de l’homme. Les opposants à ces systèmes de surveillance évoquent souvent leur esprit orwellien, dénonçant l’intrusion dans la vie privée. Dans l’entreprise, ces arguments, qui vont à l’encontre de l’acceptabilité de la vidéo-protection, sont des freins.

Une installation très encadrée

Fort heureusement, la vidéo-protection est très strictement encadrée lors de sa mise en place, que ce soit sur la voie publique ou dans l’espace privé. Si le dispositif est installé dans un lieu public ou ouvert au public ou dans un lieu privé ce sont alors les dispositions différentes qui s’appliquent.

Au sein des entreprises, les salariés sont en première ligne. Mais être citoyen et salarié comporte des différences, et les facteurs d’acceptation peuvent diverger. Il apparaît que l’individu-citoyen n’est pas toujours favorable aux caméras, comme l’ont relevé plusieurs sociologues comme Muriel Ory. Selon elle,

« La vidéosurveillance est acceptée quand la rue est conçue comme un simple couloir de circulation. Elle est refusée quand on la considère comme un espace de rencontre, un espace de discussion ou un lieu d’expression politique parce que la rue joue un rôle vital dans l’exercice de la liberté d’opinion et d’expression. »

L’individu-salarié, lié à son employeur par un contrat de travail, semble en revanche davantage s’accommoder des caméras.

Obligation d’acceptation

Une étude menée en 2015 a révélé que les employés acceptent la présence de caméras sur le lieu de travail pour différentes raisons : leur expérience passée, des critères inhérents aux salariés, à l’entreprise ou à l’environnement de cette dernière. Si ces facteurs d’acceptation existent bel et bien, la question d’éventuelles stratégies d’évitement des caméras demeure malgré tout.

Car la mise en place de caméras dans les organisations résulte d’un souci de protéger les personnes et les biens. Dans certains secteurs réglementés, la vidéo-protection est une technologie obligatoire : les agences bancaires notamment, par exemple, n’ont donc d’autre choix que d’installer des caméras. Elles sont en effet soumises au décret 97-46 du 15 janvier 1997 relatif aux obligations de surveillance ou de gardiennage incombant à certains propriétaires, exploitants ou affectataires de locaux professionnels ou commerciaux.

Ces entreprises n’ont donc pas mis en œuvre cette technologie de contrôle par choix, mais afin de se conformer à une obligation de sécurité. Les salariés qui les rejoignent consentent de fait, en contractant avec l’employeur, à être filmés : leur acceptation est impérative, liée au secteur d’activité dans lequel ils évoluent. Les salariés qui subissent ainsi la présence des caméras pourraient être tentés d’élaborer des stratégies d’évitement.

Un risque d’évitement ?

Le salarié recruté dans le secteur bancaire connaît l’existence des caméras et il les accepte dans l’espace de travail. Il ne peut s’y soustraire. Il peut arriver qu’il ressente malgré tout une certaine inquiétude quant à la présence d’une technologie de contrôle sur son lieu de travail. En permettant une surveillance constante, la présence de caméras peut être notamment être perçue comme une restriction de l’espace de liberté. On peut imaginer qu’un certain nombre de salariés de banques, qui se trouvent dans une situation dite « mandatory » (le système de surveillance est rendu obligatoire par la loi), pourraient être tentés d’éviter les caméras, afin de se protéger contre l’inquiétude d’être filmés dans le but éventuel d’être contrôlés.

Une étude menée fin 2016 au sein d’une banque va cependant à l’encontre de cette hypothèse. En effet, ce que la littérature décrit sous le terme de « coping » est un comportement d’évitement permettant d’échapper à une situation ressentie comme peu confortable. Certains évitent, d’autres anticipent, d’autres s’adaptent. Les salariés pourraient modifier leur comportement au travail pour s’accommoder de l’œil des caméras.

L’acceptation passe par une utilisation proportionnée

Dans la banque étudiée, où les caméras ont été déployées pour des raisons de sécurité, afin de protéger les personnes (les salariés et les clients) et les biens (dépôts), dix salariés (cadres et non-cadres) ont été rencontrées. Les objectifs du système sont la protection des collaborateurs et des fonds : il s’agit d’éviter les cambriolages ainsi que la fraude.

Ces travaux montrent que, globalement, les salariés et les managers acceptent le système et peu de questions sont soulevées à ce sujet. La totalité des personnes interrogées accepte la présence des caméras pour plusieurs raisons :

  • La nature de l’activité l’impose ;

  • les salariés font confiance à leurs managers ;

  • Les salariés ont été correctement informés ;

  • Il existe un risque perçu (fraude, braquage).

« L’acceptation est liée à l’activité, à une utilisation proportionnée au but recherché (protection des biens et des personnes). La caméra n’est donc pas perçue comme un outil de contrôle parce qu’elle n’est pas déployée dans ce but. »

Des « usages collatéraux »

L’enquête terrain révèle également des utilisations de l’outil qui n’avaient pas été anticipées : la technologie de contrôle est présentée par certains comme un outil managérial, de travail collaboratif en cas de risque potentiel à affronter.

Les résultats de cette étude ne sont cependant malheureusement pas transposables à la vidéo-protection sur la voie publique où de nombreuses stratégies d’évitement sont mises en œuvre (port de vêtement ample, capuche, angle mort).

Certains salariés interrogés ont d’ailleurs précisé que l’acceptation de la caméra sur le lieu de travail ne signifiait pas qu’ils acceptaient pour autant le contrôle en général (géolocalisation sur leur smartphone, caméras sur la voie publique). L’acceptation du contrôle sur la voie publique relève de la sociologie et de l’acceptabilité sociale (qui détermine ce qui peut socialement être toléré par les individus), tandis que l’acceptation d’une technologie de contrôle au travail relève du domaine du management.

Pour conclure, dans un contexte « mandatory », où la présence de caméras est justifiée par la nature de l’activité, les salariés ne modifient pas leur comportement et n’adoptent pas de stratégie d’évitement. Les caméras ne sont pas perçues comme stressantes, ne justifiant donc pas de besoin d’échapper à la caméra. Attention toutefois : les salariés ne sont pas pour autant prêts à tout accepter, et ils blâment toute utilisation déviante de ces technologies.

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