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Au cours des traitements des cancers, la pratique du jeûne ou de régimes restrictifs présente un risque d’aggravation de la dénutrition et de perte de la masse musculaire. braetschit/Pixabay, CC BY

Cancer : l’intérêt du jeûne n’est pas démontré

Ne pas manger pour « affamer » la tumeur. Cette image, particulièrement forte, contribue à un certain succès du jeûne auprès des patients atteints d’un cancer. De manière plus large, la pratique se développe en France depuis une quinzaine d’années dans le but de prévenir ou guérir des maladies, parmi lesquelles le diabète ou l’hypertension.

Ainsi, la chaîne Arte a rediffusé une nouvelle fois, le 6 janvier, le documentaire à succès, Le jeûne, une nouvelle thérapie ? Si le film de Thierry de Lestrade et Sylvie Gilman n’est pas un manifeste militant mais une enquête solide, il faut noter qu’il est sorti en 2011, ce qui en fait une source… un peu datée. Les nombreux ouvrages grand public, articles de presse et sites web sur le sujet, à la fois témoignent de cet engouement et contribuent à l’amplifier.

Aussi il nous a paru utile de revenir sur le travail d’expertise collective réalisé par notre groupe de chercheurs spécialisés dans l’alimentation et le cancer, membres du réseau NACRe (réseau National Alimentation Cancer Recherche). Pour la première fois au monde, des scientifiques ont passé en revue l’ensemble des études publiées sur le sujet depuis la fin des années 1940. Le rapport, rendu public en novembre 2017, conclut qu’il n’existe pas de preuve scientifique des bénéfices du jeûne vis-à-vis du cancer.

De nouvelles attentes chez les patients

Des livres, mais aussi des cliniques ou des organisateurs de randonnées, font la promotion du jeûne dit « thérapeutique ». Ils allèguent des effets bénéfiques à l’égard du cancer, notamment sur la tolérance et l’efficacité des traitements anticancéreux. Ces allégations suscitent de nouvelles attentes chez les patients atteints de cancer.

Portés aussi par les résultats d’expériences récentes sur des cellules en culture ou des animaux de laboratoire – mis en avant par les chercheurs qui les ont obtenus et qui ont été largement médiatisés –, des patients espèrent que ces pratiques amélioreront le pronostic de leur cancer.

Certains malades sollicitent les professionnels des services d’oncologie pour mettre en pratique le jeûne pendant leur traitement. D’autres s’intéressent à des régimes restrictifs tels que le régime cétogène, qui repose sur la diminution des glucides avec maintien de l’apport calorique, ce qui en fait un régime hyperlipidique. D’autres encore s’engagent dans ces régimes sans que les professionnels de santé qui les suivent en soient informés.

Pourtant, les travaux de recherche ne permettent pas d’être affirmatif quant aux effets bénéfiques du jeûne et incitent, au contraire, à la plus grande prudence.

Plus de 220 études pertinentes analysées

Notre groupe de travail est constitué d’experts de différentes disciplines, développant des approches de recherche épidémiologique ou clinique, d’expérimentation animale et de sciences humaines et sociales. Il a effectué une recherche exhaustive, dans la littérature scientifique internationale, des données sur le jeûne, les régimes restrictifs (restriction en calories, en protéines ou en glucides) et le cancer. Au total, plus de 200 études réalisées chez les animaux de laboratoire ont été identifiées et analysées, ainsi qu’une vingtaine d’études cliniques réalisées chez l’Homme, auxquelles s’ajoutent deux études épidémiologiques.

Ce travail a été publié sous le titre « Jeûne, régimes restrictifs et cancer : revue systématique des données scientifiques et analyse socio-anthropologique sur la place du jeûne en France ». L’Institut national du cancer a publié dans le même temps une fiche synthétisant les données du rapport.

Pas de preuve d’un effet bénéfique du jeûne

La majorité des données scientifiques proviennent d’études chez les rongeurs (souris ou rats). Ces études fournissent des résultats hétérogènes : aussi bien des effets favorables, qu’une absence d’effet ou encore des effets délétères. Elles présentent des limites importantes dans leur méthodologie, qui ne permettent pas d’extrapoler directement les résultats à l’Homme.

Les données issues d’essais cliniques, à savoir menés sur l’Homme, sont peu nombreuses et de faible qualité :

  • le plus souvent, les essais cliniques incluent moins de 20 patients ;

  • ils ne sont pas « contrôlés » : si l’étude ne comporte pas de groupe « contrôle », c’est-à-dire sans intervention, on n’est pas en mesure de différencier ce qui relève d’une évolution naturelle ou de l’intervention ;

  • ils ne sont pas « randomisés » : en l’absence de tirage au sort des patients pour les répartir de manière aléatoire dans le groupe avec intervention et le groupe « contrôle », il n’existe pas de comparabilité entre les groupes.

Les résultats de ces essais cliniques n’apportent pas de preuve d’un effet favorable sur l’évolution de la tumeur. Par ailleurs, certains essais mentionnent une perte de poids et de masse musculaire chez les patients.

Hormis ces essais cliniques dont les résultats sont disponibles, d’autres ont été initiés ces dernières années. Deux d’entre eux ont été suspendus en raison d’un trop petit nombre de participants ou de leur difficulté à suivre les régimes restrictifs. Onze sont terminés, mais leurs résultats ne sont pas publiés. Vingt-quatre sont en cours, avec des résultats impossibles à prédire.

Actuellement, il n’y a donc pas de preuve chez l’homme d’un effet protecteur du jeûne et des régimes restrictifs en prévention primaire, c’est-à-dire dans le but d’éviter le développement d’un cancer. Il n’y a pas plus de preuve d’un effet thérapeutique pour les patients ayant déclaré la maladie, qu’il s’agisse d’un effet direct ou d’un effet sur l’efficacité des traitements anticancéreux administrés.

Au cours des traitements d’un cancer, la pratique du jeûne ou de régimes restrictifs présente par contre un risque d’aggravation de la dénutrition, avec une perte de poids, ainsi que de la sarcopénie, c’est-à-dire une diminution de la masse et de la fonction musculaire. Ces deux facteurs sont reconnus comme facteurs pronostiques péjoratifs. En effet, la dénutrition peut gêner ou empêcher le traitement. À pathologie égale, un patient dénutri a un risque de mortalité plus important qu’un patient non dénutri. La perte de masse musculaire entraîne une diminution de la tolérance des traitements de chimiothérapie, qui oblige à diminuer les doses utilisées.

Sensibiliser aux risques de ces pratiques

Ainsi, les allégations sur les effets préventifs ou curatifs du jeûne vis-à-vis du cancer ne correspondent pas à l’état actuel des connaissances scientifiques.

Pour la prévention des cancers, il n’est pas justifié de pratiquer le jeûne ou un régime restrictif. En revanche, les objectifs prioritaires de prévention des cancers par la nutrition sont de réduire la consommation d’alcool et d’avoir une alimentation équilibrée et diversifiée, tout en pratiquant une activité physique régulière.

Au cours de la prise en charge d’un cancer, il est actuellement recommandé de ne pas pratiquer le jeûne ou un régime restrictif. Ce choix relevant cependant de la liberté individuelle, il est important, si un patient souhaite le faire malgré tout, qu’il en informe son médecin traitant et son oncologue référent, afin de mettre en place une évaluation et une surveillance diététique et nutritionnelle. Dans le même temps, les professionnels de santé doivent être à l’écoute des attentes de leurs patients. Ils jouent un rôle essentiel dans leur information et leur accompagnement.

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