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Carillion, une faillite pas si imprévisible

Le siège de Carillion, à Wolverhampton. Roger Kidd/Geograph, CC BY-SA

Lundi 15 janvier 2018, le groupe britannique de BTP et de services Carillion s’est déclaré en faillite après l’échec de discussions avec les banques et le gouvernement pour maintenir à flot la société, numéro deux du secteur en Grande-Bretagne. Cette chute, qui semble avoir pris de court les observateurs, a un retentissement politique important dans le pays. L’inquiétude est telle que la nationalisation de l’entreprise a même été envisagée. Ce désastre était-il prévisible ? Certains indices semblent le suggérer.

Une entreprise du BTP très liée au secteur public britannique

Avec 5,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires, Carillion emploie 43 000 personnes dont 19 500 au Royaume-Uni. Le groupe est comparable, même si sa taille est beaucoup plus modeste, à Vinci ou Bouygues en France (qui ont des chiffres d’affaires respectifs de 38 et 32 milliards d’euros environ).

Le groupe a deux d’activités principales. La prestation de services supports (ou facility management : gestion et maintenance de bâtiments, d’infrastructures routières ou ferroviaires, etc.) représente 52 % de ses occupations. La construction de bâtiments et d’infrastructure de génie civil (bureaux, commerces, hôpitaux, écoles, routes, etc.) compte quant à elle pour 42 % de ses activités.

A ce titre, Carillion a passé de nombreux contrats avec le gouvernement et les collectivités locales britanniques. Le groupe sert 32 000 repas scolaires par jour, gère des prisons, assure la maintenance et la propreté dans certain hôpitaux, s’occupe de 50 000 logements dans les casernes de l’armée, est membre du consortium qui doit construire la deuxième ligne à grande vitesse du pays, entre Londres et Birmingham, etc. Au point que l’éditorialiste du Guardian Aditya Chakrabortty surnomme Carillion « l’entreprise qui gère le Royaume-Uni ». Cette situation se traduit par un chiffre d’affaires très centré sur le Royaume-Uni (74,9 %, tandis que le Moyen-Orient et Afrique du Nord représentent 11,8 %, le Canada, 12,2 % et les autres pays, 1,1 %).

Une situation financière apparemment saine au début de l’année 2017

Étonnamment, le 1er mars 2017, lorsque Carillion présente ses résultats annuels, rien ne laisse présager un tel séisme. Le président de Carillion, Philip Green, indique ainsi dans le rapport annuel :

« Compte tenu de la taille et de la qualité de notre carnet de commandes, des perspectives d’opportunités contractuelles, de notre culture orientée client et de notre modèle d’affaires intégré, nous disposons de bonnes bases pour nous développer en 2017. Nous accélérerons le rééquilibrage de nos activités vers des marchés et secteurs où nous pouvons obtenir des contrats de haute qualité et atteindre nos objectifs de marge et de cash-flows tout en gérant activement nos engagements dans les marchés les plus difficiles. Nous commencerons également à réduire notre endettement net en intensifiant notre plan de réduction des coûts et notre politique d’amélioration de la gestion de notre besoin en fonds de roulement. »

De fait, l’examen des comptes au 31 décembre 2016 ne laisse pas apparaître de faille majeure, l’entreprise est en croissance et demeure tout à fait profitable en dépit d’une légère baisse de ses marges. L’entreprise annonce même une petite augmentation de son dividende.


Seule la lecture de son passif de son bilan attire l’attention, sans conséquence à l’époque, en raison d’une augmentation brutale des engagements de retraite et une baisse consécutive des capitaux propres tandis que l’endettement financier est stable et contenu.


Le passif d’engagements de retraite est la différence entre l’argent placé à ce jour et les engagements contractés à l’égard des salariés actuels et passés. Il est destiné pour faire face aux paiements des pensions actuelles et futures dans le cadre de plans à prestations définies ou defined benefits. Ceux-ci impliquent que le montant des retraites est défini à l’avance, et non fonction du rendement des investissements effectués. Cela signifie également que l’entreprise doit abonder si nécessaire ; la révision comptable périodique permet de calculer régulièrement cet écart qui, s’il est négatif, se traduit par un passif pour l’entreprise.

À l’époque, Carillion explique cette dégradation par une baisse du rendement des investissements et une actualisation du calcul des engagements.

Le 10 juillet 2017, le début de la fin

Carillion publie le 10 juillet 2017 un avertissement sur résultat en passant une provision sur des contrats de construction de 845 millions de livres en même temps que l’entreprise annonce le départ de son directeur général, Richard Howson et suspend le versement des dividendes.

Le 29 septembre, à la suite d’une revue stratégique et financière avec le concours de KPMG, une nouvelle provision de 200 millions de livres est annoncée sur les activités de facility management. Les comptes semestriels au 30 juin 2017 montrent l’ampleur de la dégradation dues aux charges de restructurations. Le tout se traduit par une envolée de la dette financière (5 banques ont accepté d’accorder une ligne de crédit supplémentaire de 140 millions de livres), même si le déficit de son fonds de retraite baisse un peu (de 663 à 587 millions de livres). Un plan de restructuration stratégique est initié, fondé notamment sur des réductions de coûts, une focalisation sur le cœur de métier, des ventes d’actifs non stratégiques et un nouveau leadership.


Dans le même temps, le cours boursier de Carillion s’effondre passant de 192p début juillet à 45p à la fin du mois d’août, notamment à la faveur de très nombreuses positions shorts d’investisseurs (ceux-ci empruntent des titres, les vendent et espèrent les racheter moins chers avant de devoir les rendre. Au cours de l’été 2017, jusqu’à 25 % des titres ont pu faire l’objet de telles positions).

Le 17 novembre 2017, dans un nouvel avertissement sur résultat, Carillion annonce qu’elle va violer des clauses contractuelles relatives à ses emprunts (covenants), ce qui se traduit normalement par leur exigibilité immédiate ou par une renégociation à la hausse des taux d’intérêts. Le prix de l’action baisse à 18p et clôture à 14p le vendredi 12 janvier juste avant l’annonce de la faillite, soit 17 fois moins qu’un an plus tôt.

Des difficultés pas si imprévisibles

On note tout d’abord que si les positions shorts des investisseurs ont considérablement augmentées depuis juillet, elles se sont développées depuis le début de l’année 2015. Comme l’indique le site Walbrock Research en août 2017, plusieurs raisons permettaient d’émettre des doutes sur la situation de Carillion.

Il signale notamment 1,2 milliards de livres d’acquisitions d’entreprises dont les résultats décevants ont contribué à la dégradation de l’endettement. Par ailleurs, le niveau de la dette a fait l’objet d’une présentation « optimisée » : il apparaît beaucoup plus faible lors des arrêtés des comptes (689 millions de livres au 31 décembre 2016) qu’en moyenne au cours de l’année (plus de 1 milliard de livres).

Le quotidien britannique Guardian ajoute également quelques signaux annonciateurs. La Fédération britannique des PME avait notamment écrit en juillet à Carillion, après que des fournisseurs se soient plaints de délais de paiement de 120 jours au lieu des 60 jours usuels.

En outre, le groupe avait utilisé des méthodes de financement inhabituelles, un signe que l’accès aux ressources traditionnelles (banques, obligations) était difficile. Ainsi, Carillion avait émis en janvier 2017 des obligations Schuldschein pour 112 millions de livres, un marché qui requiert moins d’informations financières publiques. Il avait également eu recours à l’affacturage inversé (reverse factoring) : moyennant une commission, les banques payent les fournisseurs et permettent à Carillion de les rembourser plus tard.

Enfin, un des contrats les plus problématiques était la construction de l’hôpital universitaire de Liverpool Royal. Le projet a été retardé notamment après que de l’amiante a été retrouvée. Alors que l’hôpital était supposé être achevé en mars 2017, il est toujours inachevé. C’était une des questions centrales de l’avertissement sur les bénéfices de juillet 2017.

Des conséquences potentiellement désastreuses pour l’économie britannique

La faillite laisse éventuellement sur le carreau 43 000 salariés. Le gouvernement a demandé aux employés de Carillion travaillant dans les services publics (externalisés auprès de l’entreprise) de poursuivre leur activité, leur assurant qu’ils seront payés (les autres ne seront payés que pendant 48 heures), le temps de mettre en place des solutions pérennes (autre contractant ou reprise de la gestion en direct). Tout ceci, sans compter les 33 000 salariés des sous-traitants dont certains ont commencé à licencier pour faire face à leurs propres difficultés, faisant peser le risque de défaillances en chaîne.

Treize banques britanniques seraient exposées à 1,6 milliards de livres, qu’elles ont commencé à provisionner tandis que des gestionnaires d’actifs comme BlackRock, n°1 mondial, ont enregistré de grosses pertes.

Des chantiers importants sont arrêtés et des solutions vont devoir être trouvées pour poursuivre les constructions comme dans le cas de la LGV Londres-Birmingham, pour laquelle le gouvernement a confirmé qu’elle se ferait avec les autres membres du consortium dont les français Bouygues, Eiffage et Vinci.

Cette faillite fragilise également les politiques de partenariat public-privé et de délégation de services publics au secteur privé, extensivement mises en œuvre au Royaume-Uni. D’intenses critiques sont adressées au gouvernement conservateur, tant par l’opposition travailliste que par les syndicats. Le gouvernement a annoncé que des enquêtes seraient initiées pour comprendre rapidement les raisons de cet effondrement, et tenter d’identifier d’éventuelles irrégularités dans le contrôle des comptes de Carillion avant juillet 2017. Celles-ci pourraient mettre en cause KPMG, qui avait validé les comptes 2016, ainsi que les dirigeants de l’entreprise.

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