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Hip Hop Management

Carlos Ghosn ou la stratégie du chantage

carlos ghosn.

Comme tout le monde, j’en suis resté sur le cul.

D’un côté, par cette assemblée générale d’actionnaires qui vote à une très large majorité contre la rémunération du PDG qui lui était soumise – à simple titre consultatif, of course – pour approbation. D’un autre côté par ce conseil d’administration qui a confirmé la rémunération du PDG et les décisions du comité des rémunérations.

Je ne reviens pas sur les arguments évoqués par Carlos Ghosn, du type « les membres du CA sont ceux qui ont été élus par les actionnaires et donc blablabla… » Je ne m’attarde pas davantage sur les réponses hallucinantes disponibles en ligne sur le site même du groupe Renault : franchement, c’est du never seen before en termes d’arrogance.

Je ne reviens pas non plus, même si pour le coup je pouvais, sur une chronique ancienne consacrée à une autre affaire et que j’avais sobrement intitulée « 25 % de CA, 75 % de conneries ». Puisqu’on sait maintenant qu’un CA dominé par le PDG à 100 % ça suffit largement à vous déclencher des décisions délirantes à 1000 %.

Gouvernance et rémunérations des PDG : les « bonnes pratiques »

Revenons-en plutôt aux faits stratégiques. Nom : Ghosn. Prénom : Carlos. Signe particulier : grosse tête et pas franchement réputé pour son humour. Je crois qu’on a tout dit.

Et donc fervent pratiquant d’une religion que nombre d’autres ont pratiqué avant lui et devant laquelle tant d’autres continuent de se prosterner en attendant l’ostie de leurs stock-options : l’enracinement managérial par la mise en place d’une stratégie et d’une organisation qui rend de facto le dirigeant too big to fail.

On ne s’attarde pas non plus sur les motifs divers et variés qui nous viennent de la théorie positive de l’agence, laquelle part du bon sentiment selon lequel la meilleure façon de protéger les actionnaires c’est d’aligner l’intérêt de leur principal mandataire (le PDG) avec le leur. Théorie dont l’impact académique comme sur les pratiques aura été absolument considérable si l’on en juge par l’inflation des salaires des top-managers et autres CEOs.

Et en France particulièrement par la magie de la Sainte Trinité : ouverture du capital des vieilles entreprises publiques, codes de bonnes pratiques de gouvernance AFEP-Medef (ah, le rapport dit Bouton !), loyauté du « tu m’tiens, je te tiens par la barbichette » à la française via les mandats croisés dans les divers conseils d’administration de nos champions appelés à devenir européens et même mondiaux ! « Wesh, Wesh, bien oué-j la magouille… » comme diagnostiquerait peut-être l’éternel ami de ces chroniques Hip-Hop Management : B2OBA !

Pour mesurer le chemin accompli par les élites qui peuplent les équipes de direction de nos « champions » industriels, rien de mieux que de se souvenir qu’au milieu des années 1990, on était encore un jeune conducteur. Qu’à l’époque, il n’y avait pas de téléphones portables et puis pas d’Internet. Bref, on en était encore au Minitel (rose) de Xavier Niel (lequel n’était pas encore l’un des actionnaires de référence du Monde…) et on vivait ce moment, unique : Renault ouvrait son capital de Renault avec des parts sociales à acquérir comme autant de « Mistral gagnant » et de nos dimanches F1 x Prost.

Que de chemin parcouru donc, depuis, sous la houlette en particulier de Carlos Ghosn, et de cette alliance Renault-Nissan partout célébrée puisqu’elle allait enfin permettre de « peser dans l’game » des constructeurs qui devaient vendre quelques millions de véhicules sauf à risquer d’être avalés (industrie en voie de concentration oblige !).

Bon, on espère ne pas vous avoir perdu, et on vous invite plutôt, si vous en avez le courage, à vous cogner les deux heures d’AG où, après un démarrage très keynote à l’Hollywoodienne, on ne comprend plus rien puisque le doublage fait écho à la voice du big boss.

Et retour à la théorie de l’agence avec son impact absolument considérable, mais avec des succès plus mitigés : d’un côté d’indéniables succès pour inspirer les pratiques d’inflation salariale des CEOs ; de l’autre, des scandales à répétition, à n’en plus finir, sur fond de survalorisation bourisière, d’overvalued equity et autres maquillages comptables esprit Enron.

Et on en revient donc à Renault pour s’étonner de quelques points qui n’ont été visiblement que très indirectement abordés.

D’abord, rien ne dit que l’automobile soit une industrie qui ait réellement de si beaux jours devant elle puisque ça coûte quand même vachement cher les bagnoles. Surtout si vous avez eu le bonheur d’être l’heureux propriétaire d’une Espace IV 3.0 DCI (avec moteur Isuzu)… Pourquoi ? Tapez le nom sur Google, allez lire les forums, vous allez comprendre !

Ensuite, rien ne dit non plus que Renault ne va pas avoir un jour ou l’autre des histoires en matière de respect des normes antipollution, c’est de notoriété publique. Dans ce contexte, on serait PDG de l’entreprise depuis quelques années, on prendrait plutôt soin de faire plutôt attention… et de ne pas être trop gourmand.

Enfin, il y a cette affaire du pétrole. Avec la chute dramatique du cours du baril. Et qui pourrait différer quelque peu l’intérêt économique d’une bascule trop rapide dans le tout électrique, sans oublier qu’il y a quand même tout un écosystème qui reste aussi à bâtir autour… pour que l’offre électrique soit réellement attractive pour le grand nombre.

Voilà, on s’arrête là parce qu’on n’y connaît pas grand-chose à l’industrie automobile, à ses problématiques actuelles, et que d’autres sont sans doute bien mieux placés pour commenter les risques stratégiques pris par Renault qui rendent pas idiote du tout cette idée qu’un PDG qui fait tout pour être irremplaçable dans ce contexte, c’est un peu limite… Surtout quand après tant d’années on n’a rien été capable de faire de mieux qu’une bonne vieille médaille en chocolat de 4e constructeur mondial, au surplus par croissance externe.

Voilà. Bon, on ne rentre pas plus dans le débat, on l’a dit. On regrette juste le temps où diriger une entreprise comme Renault, c’était d’abord vécu comme un honneur plutôt qu’une manière de remplir jusqu’à plus d’hubris son compte en banque. Et où, pour l’honneur, un vote négatif des actionnaires aurait conduit un PDG à présenter plutôt sa démission au lieu de pratiquer ce truc si bien connu en théorie de la gouvernance : la stratégie du chantage.

Parce qu’après tout, s’il est si bon Carlos Ghosn, alors pourquoi il ne se libère pas de lui-même de ces chaînes insupportables qui le condamnent à devoir diriger Renault et Nissan ? Il y a plein de start-up qui l’attendent. Et il va découvrir un truc : à la base, les stock-options, c’était plutôt elles que ça concernait pour compenser les salaires qu’elles ne pouvaient verser. Pas Bernard Arnault chez LVMH ou Carlos Ghosn chez Renault Nissan. Ou les autres du CAC 40 et d’ailleurs.

Allez, sur ce on vous laisse lire le dernier numéro de la Revue Française de Gestion. Avec un papier signé Jacques Barraux qui vous retrace les origines de la revue ; un dossier « Innovation et numérique » coordonné par Pierre-Jean Barlatier à consommer sans modération ; et puis un papier « Grand-Angle » sous le signe d’abord de l’humilité : « Managers et espions : l’affaire Renault ». Avec comme fil conducteur du numéro cette idée : si à l’heure de l’innovation numérique, on peut aussi faire disparaître des enregistrements compromettants du web (souvenez-vous, l’entretien d’anthologie dans le bureau du Directeur juridique de Renault désormais introuvable sur le web…), on n’a pas encore inventé le procédé qui permettra d’effacer la mémoire des chercheurs en management. N’en déplaise.

Et pour conclure cette trop brève chronique, on érigera donc plutôt au rang d’exemple managérial neuf l’acte du président Obama au moment de quitter l’estrade lors du 2016 White House Correspondents’ Dinner ; plutôt que celui du « bad CEO » Ghosn, dont l’Histoire retiendra l’obstination et le réel talent à gérer d’abord son seul enracinement ; quoi qu’il puisse prétendre de l’intérêt de ses diverses entreprises.

Parce qu’après tout, « sur le plus haut trône du monde, on n’est jamais assis que sur son boule » pour filer une punch-line de B2OBA (in « Pitbull », album Ouest Side), remixant… Renaud par Montaigne.

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