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Ce que « bachelor » veut dire

Il faut multiplier les offres de licence à l’université. Pierre Andrieu/AFP

Est-ce vraiment une question de mot ? Assurément, « bachelor » est la traduction anglaise de « Licence » : cette seule raison justifierait-elle de réglementer administrativement l’usage du terme « bachelor », comme le revendique la Conférence des présidents d’université (CPU) ?

Croit-on vraiment qu’en formulant un interdit protecteur de la « Licence », on aura tari la source du développement de ces bachelors ?

Le diagnostic fait ressortir quatre constats.

Effet de substitution

Les programmes en deux ans perdurent à grande échelle dans le système public, dix-huit ans après l’adoption d’un cycle de Licence en 3 ans (le « L » de LMD). Si les universités ont su passer du DEUG à la Licence, la persistance des filières post-bac en deux ans concerne encore près de 450 000 étudiants, inscrits dans les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), dans les BTS et dans les IUT.

Du même coup, le « bac + 3 » se faufile subrepticement. Le système public a conçu une troisième année, baptisée « licence pro », qui cultive une spécialisation excessive, contradictoire avec la polyvalence des cadres intermédiaires et avec l’évolution des métiers et additionne un public hétéroclite d’étudiants issus de parcours très différents.

Des BTS, publics ou privés, s’adjoignent une troisième année de complaisance fourguée par un « partenaire » étranger à but très lucratif. Les Bachelors in Business Administration (BBA) deviennent un marché dynamique. Des Écoles d’ingénieurs se penchent sur le lancement de bachelors d’assistant-ingénieur.

Il devient difficile de ne pas voir dans cette nouvelle offre un effet de substitution aux lacunes du premier cycle des établissements publics d’enseignement supérieur. Même les classes prépas n’échappent pas à la pression des « 3 ans » : les Grandes Écoles recrutent une part croissante de leurs effectifs en dehors des prépas, parmi les diplômés des meilleures licences universitaires.

Il s’ensuit que le dispositif post-bac en deux ans accuse de plus en plus son décalage avec le modèle LMD (Licence-Master-Doctorat), dont le premier étage est la licence en trois ans.

Taux d’échec

La licence universitaire reste marquée par un taux d’échec excessif : 40 % seulement des inscrits en première année obtiennent le diplôme en trois ou quatre ans. Le couperet de la première année témoigne de la défaillance de l’orientation de nombreux bacheliers qui n’ont pas trouvé de filière adaptée à leurs attentes ; c’est particulièrement vrai des bacheliers technologiques et professionnels qui ne sont respectivement que 20 % et 4 % à atteindre la licence en trois ou quatre ans.

Le taux d’inscription des bacheliers généraux en première année à l’université (hors IUT) a baissé de 8,4 points en dix ans. Dans le même temps, le taux des étudiants (tous bacs) inscrits à l’université a chuté de 4,6 points, tandis que la part des effectifs étudiants inscrits dans les écoles post-bacs (médico-social, commerce, média, ingénierie) a augmenté de 5,6 points : vase communicant ?

Il serait dérisoire de contester la dynamique à l’œuvre, et de traiter comme un épiphénomène des écoles dont le poids atteint désormais 28 % du total de la population étudiante.

Adapter le public

Les universités contournent péniblement l’interdiction de la sélection des bacheliers, afin d’adapter leur public étudiant aux exigences des licences (licences à double parcours, licences à capacité limitée, collèges de droit ou d’économie, etc.) Ce choix est validé par les bacheliers : dans le dispositif APB (Admission Post Bac), ceux des premiers vœux qui ciblent les universités sont en augmentation pour les licences sélectives et en baisse pour les licences non sélectives : à tel point que la procédure d’inscription APB a été modifiée cette année, pour obliger les candidats à passer, avant tout autre choix, par le portail d’une filière universitaire non sélective et non limitée.

Ainsi, tout se passe comme si l’expérience de l’échec massif en premier cycle avait deux conséquences : les licences universitaires évoluent vers des conditions d’admission resserrées d’une part, une partie des bacheliers évite l’université, pour faire le choix des écoles post-bacs, d’autre part. Le résultat de cette polarisation, paradoxale au regard des objectifs du service public, est d’abandonner au secteur privé la réponse aux attentes d’une population étudiante non préparée à une Licence générale et à des études longues.

Polyvalence

Les entreprises sont en quête de cadres intermédiaires polyvalents, ceux qui sont formés à bac + 3. Or, l’étude des emplois des diplômés souligne le décalage entre la structure des qualifications dans les entreprises d’une part, et l’organisation de l’enseignement supérieur d’autre part. Alors que les diplômes de Masters sont censés préparer au statut de cadre, 40 % des titulaires de Masters sont employés dans les professions intermédiaires.

De fait, la licence n’est pas reconnue comme un niveau de qualification et d’entrée sur le marché du travail. Si les entreprises pâtissent de cette inadaptation structurelle, les premières victimes en sont les jeunes eux-mêmes, pour l’accès à l’emploi, pour la qualité de leurs emplois et pour l’évolution de leurs carrières. Et la sociologie des jeunes en souffrance reproduit fidèlement la hiérarchie des positions sociales ; les laissés pour compte de l’offre de formation sont toujours les mêmes.

C’est donc un enjeu d’ouverture sociale et de démocratisation du système que de valoriser le professionnalisme des formations au niveau Licence. La défense du statu quo est devenue l’alibi du renoncement à la démocratisation sociale de l’enseignement supérieur.

Des entreprises en manque de cadres intermédiaires, un enseignement supérieur court organisé sur un cycle de deux ans, un cycle supérieur long qui se protège : la demande de formation de premier cycle qualifiante se tourne donc vers l’offre privée. Si celle-ci répond à une partie des besoins, elle contraint les familles à un effort financier difficile, et il ne dédouane pas le service public de ses responsabilités.

Diversité

Une politique publique démocratique devrait donc assumer la diversité des voies de formation en Licence. Il conviendrait d’offrir dans l’université la voie d’une Licence préparant aux professions intermédiaires, bâtie sur un programme cohérent en trois ans, non pas un « 2 + 1 ». Il faut une Licence qualifiante, pas une hyper spécialisation rapidement exécutée en un an.

Une telle licence, appelons-la « licence technologique », délivrerait dès la première année un programme de qualification professionnelle assez concentré pour répondre à l’offre d’emplois et assez ouvert pour assurer l’employabilité des jeunes tout au long de la vie. Elle redonnerait au système le souffle que les IUT ont su créer à leur création. Ce pourrait être l’occasion de donner aux IUT l’opportunité d’une meilleure intégration aux universités, en contrepartie du portage des licences technologiques.

La Licence technologique serait moins sélective que l’actuel diplôme des IUT, si elle offrait aux candidats un plus grand nombre de places. Dans cet esprit, le choix de l’orientation n’est pas celui de l’élimination, il est au contraire associé au développement d’une voie de réussite assumée, en particulier pour les bacheliers technologiques et professionnels.

À côté de ces licences qui prépareraient aux professions intermédiaires, il existe les filières préparant à un cursus long, conclu par le Master, parfois même par le Doctorat : il s’agit des licences universitaires et des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE).

Il convient de reconnaître aux CPGE le statut de première et deuxième année de Licence, et de libérer le droit pour les universités d’ouvrir des classes équivalentes. On faciliterait ainsi la convergence et le rapprochement des corps professoraux de ces niveaux post-bac.

Il s’agit aussi d’inscrire progressivement ces deux premières années de « prépa » dans la perspective d’un cycle cohérent en trois ans et d’offrir ainsi aux grandes écoles un vivier d’excellence en fin de Licence. Cette évolution inciterait les grandes écoles à se repositionner sur leur vocation : celle de « graduate schools » formant aux diplômes de Masters et de Doctorat.

Filières d’excellence

Les licences universitaires doivent gagner le droit d’assumer leurs filières d’excellence partout où elles existent. Combien de temps obligera-t-on les universités à développer leurs Licences sélectives dans la semi-clandestinité ? Là où elles devraient afficher la fierté de l’excellence, elles sont condamnées à avancer masquées. Ce n’est pas le meilleur moyen d’attirer les très bons étudiants.

La demande sociale de formation emprunte les voies libres, quand elle ne rencontre pas d’offre attractive. Elle ne se laisse pas endiguer par les interdits. L’urgence pour le service public d’enseignement supérieur n’est pas à « faire le ménage » dans les appellations contrôlées, mais à construire une offre de licence adaptée.

Cet article a été co-écrit avec Bruno Magliulo, inspecteur d’académie honoraire.

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