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Ce que révèlent les récents discours de Trump sur ses tendances autocrates

Le discours du 30 janvier et ses suites en disent long sur la personnalité tyrannique du président américain. Nicholas Kamm/AFP

« Vous êtes là, vous avez la moitié de la salle complètement à fond, ils adorent tout, ils veulent faire quelque chose de grandiose pour le pays, et vous avez l’autre moitié, qui, malgré ces bonnes infos, vraiment bonnes infos, restent comme morts, et non-Américains. Non-Américains. Quelqu’un a parlé de “traîtres”, oui, c’est peut-être de la trahison, pourquoi pas ? En tout cas, ils n’avaient pas l’air de tellement aimer notre pays. »

Voilà ce que le président Trump déclarait ce 4 février en parlant des démocrates qui, selon lui, n’ont pas applaudi son discours sur l’état de l’Union du 30 janvier 2018. Donald Trump a critiqué ceux qui ne l’ont pas explicitement acclamé, les accusant d’avoir un comportement de traître, ce qui n’a pas manqué de susciter l’indignation de plusieurs sénateurs..

De telles déclarations sont révélatrices des tendances autocrates qui transparaissent dans le ton et les mots utilisés par le 45e président des États-Unis.

Ainsi son discours sur l’état de l’Union se détourne complètement de la tradition rhétorique de ses prédécesseurs.

Trump s’applaudit à son propre discours.

Discours alarmiste sur le « danger » intérieur

Malgré un appel à l’unité entre démocrates et républicains et à un compromis « au centre », le ton et les thèmes de son discours sont essentiellement nationalistes et autoritaires.

L’acceptation de l’autoritarisme, c’est-à-dire de la subordination complète de l’individu envers l’autorité, est souvent déclenchée par une perception exagérée du danger.

Au-delà des suspects habituels (l’Iran et la Corée du Nord), la plus grande menace évoquée par le président Trump dans son discours est sans surprise l’immigration illégale. Les immigrés sont ici associés à la drogue, au crime et à la baisse des salaires :

« Pendant des décennies, l’ouverture des frontières a permis à la drogue et aux gangs d’affluer dans nos communautés les plus vulnérables. Elle a permis à des millions de travailleurs à faibles revenus de concurrencer le travail et le salaire des plus pauvres américains. Et le plus tragique est qu’elle a causé la perte de nombreuses vies innocentes. »

Trump amplifie le danger en le localisant à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la nation. Le gang criminel MS-13 incarne ainsi les criminels étrangers qui agissent aux États-Unis et représentent l’invasion d’un Autre sauvage. Tout en offrant « généreusement », un « accès à la citoyenneté à plus d’1,8 million d’immigrés illégaux », Donald Trump conditionne cette offre à un certain nombre d’exigences, comme avoir « une bonne moralité », sans expliquer ce qui constitue celle-ci.

Sa façon de traiter de l’immigration bouleverse également les normes par certains silences clefs dans son discours. Ainsi, il ne fait pas une seule référence positive à l’immigration. Même le terme « dreamers », utilisé pour parler des enfants entrés illégalement aux États-Unis avec leurs parents sans-papiers – en référence au DREAM Act – se retourne contre eux.

Les seules « dreamers » mentionnés par le président sont les citoyens américains qui sont, insiste-t-il « eux aussi des « dreamers ».

Abandon d’un grand classique américain

Tous les présidents des 30 dernières années ont également promis plus de protection des frontières contre la drogue et les terroristes, mais aucun n’avait une vision entièrement négative de l’immigration. Celle-ci était toujours présentée comme bénéfique pour l’économie et au cœur de la conception même de l’identité américaine. Qu’il s’agisse de George Bush senior en 1990 :

« Notre nation, c’est le rêve tenace de chaque immigrant qui a accosté ici et des millions qui continuent de se battre pour être libres. »

Discours de George Bush en 1990.

De Bill Clinton in 1995) :

« Nous sommes une nation d’immigrés. »

De George Bush junior en 2006 :

« [Cette] économie ne pourrait pas fonctionner sans les [immigrés]. »

Ou de Barack Obama en 2010 qui promet de :

« réparer notre système d’immigration qui dysfonctionne, sécuriser nos frontières et faire appliquer la loi et nous assurer que tous ceux qui respect les règles peuvent contribuer à notre économie et enrichir notre nation. »

Jusqu’ici les présidents avaient distingué la « bonne » et la « mauvaise » immigration en se focalisant sur le droit. A contrario, Donald Trump promet de créer un « système d’immigration légal » sans reconnaître aucun avantage lié à cette immigration, même légale.

Il parle au contraire de restrictions. Il promet ainsi d’arrêter « la migration en chaîne », à savoir le regroupement familial, en déclarant à tort qu’« un seul immigré peut amener un nombre quasiment illimité de parents éloignés » ou en s’appuyant sur des allégations non fondées que le système actuel a déjà laissé rentrer des terroristes dans le pays.

Outre cette rhétorique chargée en émotion, Trump a défié les normes en mettant en avant des parents dont la fille a été assassinée par des membres du gang MS-13. La reconnaissance d’invités spéciaux qui illustrent des choix politiques lors des discours sur l’état de l’Union est une pratique courante depuis Ronald Reagan. Mais faire applaudir et ovationner des victimes de gang va un cran au-dessus d’une pratique qui se veut normalement exaltante et positive..

Vendre la guerre des mots

Les personnes aux tendances autoritaires s’appuient souvent sur l’affirmation que l’ordre social est fragile et attaqué de toute part et que les normes sociales doivent être protégées. Donald Trump met en avant cette peur de façon répétée et parfois diffuse. Il célèbre par exemple des héros qui « défendent l’espoir, la fierté et le mode de vie américain ». Cette même métaphore guerrière (« défendre » signifiant qu’on est attaqué) se retrouve quand il parle de sujets qui divisent comme le contrôle des armes ou la liberté religieuse.

« Nous défendons entièrement notre second Amendement et nous avons pris des mesures historiques pour protéger la liberté religieuse. »

Le président utilise également une métaphore guerrière plus directe pour parler de la réglementation environnementale. Il parle de « la guerre contre l’énergie américaine » et « la guerre contre le magnifique charbon ». De façon similaire, il qualifie le passé d’« une époque de reddition économique » lors de laquelle « la richesse a été perdue » et « la prospérité sacrifiée ».

L’attaque contre les gouvernements précédents est plus subtile : il accuse les « frontières ouvertes » d’être responsables de « la perte de nombreuses vies innocentes », une accusation sérieuse qui va bien au-delà de la critique habituelle envers la politique d’un opposant.

Cette rhétorique est révélatrice non seulement de l’esprit de parti mais également de ce que le journaliste Carl Berstein a appelé « une guerre civile froide », une guerre culturelle et politique entre progressistes et conservateurs qui s’est envenimée au cours de ces dernières années, notamment à cause de médias comme Fox News.

Pourtant, Donald Trump semble peu embarrassé par l’incohérence entre sa rhétorique agressive et sa définition de la communauté nationale comme « une seule famille américaine », une métaphore déjà utilisée par Barack Obama en 2011.

L’éloge du patriarcat

La famille est l’un des thèmes de prédilection de Trump, mais, contrairement au discours traditionnel d’unité des autres présidents, il l’emploie pour encourager les querelles intestines au sein de la nation, en opposant par exemple famille et religion au service public et à l’État :

« En Amérique, on sait que la foi et la famille, et non le gouvernement et la bureaucratie sont au centre de la vie américaine. »

La famille idéale de Donald Trump : un modèle des années 50 ?

La nation-famille de Donald Trump a nombre de caractéristiques du patriarcat traditionnel. C’est le lieu de la domesticité (« le même foyer ») et des émotions (« le même cœur ») au sein duquel la nation est unie autour d’un totem sacré (« le même drapeau ») pour célébrer les vertus viriles de la force incarnées par les héros des forces de l’ordre et militaires :

« Et nous célébrons notre police, nos militaires et nos incroyables anciens combattants, des héros qui méritent notre soutien total et inébranlable. »

Ce qui compte, c’est donc l’obéissance totale et la soumission à la nation, au détriment de la liberté individuelle, y compris de la liberté d’expression pourtant si chère aux Américains :

« Ceux qui ont servi note nation nous rappellent pourquoi nous saluons le drapeau, pourquoi nous mettons la main sur le cœur lors du Serment d’allégeance et pourquoi nous restons fièrement debout pendant l’hymne national. »

Cette pique a été notamment lancée à l’intention de la Ligue nationale de football américain. En effet, fin septembre 2017, des joueurs des Green Bears avaient mis un genou à terre durant l’hymne national avant une rencontre pour dénoncer les brutalités policières contre les Noirs. C’est aussi un rappel que dans la nation-famille de Trump la dissidence et les désaccords ne seront pas tolérés. Il s’agit d’un autoritarisme qui exige, au contraire, de la discipline à travers une combinaison de récompenses et de punitions. Il faut ainsi :

« récompenser les bons travailleurs et éliminer les employés fédéraux qui sapent la confiance du public et déçoivent le peuple américain ».

Le président Trump conclut son discours en réaffirmant l’exceptionnalisme américain (« il n’y a rien que nous ne puissions réussir ») et en s’appuyant sur un récit héroïque dans lequel les citoyens ordinaires sont des héros en raison de leur travail, de leur sacrifice et de leur courage.

Il termine en définissant ses objectifs pour la nation : la sécurité, la force, la fierté, la puissance et la liberté. Ces objectifs reflètent la vision de Donald Trump : une nation d’abord centrée sur la puissance et la force plutôt que sur la vertu et les valeurs. Il promet ainsi de rétablir la force de l’Amérique et, comme c’est souvent le cas chez les populistes, il prétend redonner le pouvoir au peuple. Si « l’état de l’Union est fort », dit-il ainsi, c’est parce que « le peuple est fort », mais un examen approfondi de sa rhétorique montre que « le peuple » est ici uniquement « son » peuple, c’est-à-dire sa base électorale.

This article was originally published in English

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