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Une aspirine par jour? C'est dépassé. Mais votre médecin l'ignore peut-être. Changer les pratiques médicales et les attentes des patients, c'est long, complexe, chargé d'émotions. Sans oublier la simple force d'inertie. Shutterstock

Ce qu'on sait désormais sur l'aspirine, et pourquoi votre médecin tarde à s'en rendre compte

Depuis des décennies, des millions de patients prennent quotidiennement de l'aspirine pour prévenir les crises cardiaques et les accidents vasculaires cérébraux.

Mais en mars 2019, l'American College of Cardiology et l'American Heart Association ont publié des lignes directrices claires: les adultes en santé présentant un risque moyen de maladie cardiaque ne tirent aucun avantage de prendre une aspirine tous les jours.

En termes simples, l'aspirine, ou acide acétylsalicylique, est maintenant un « soin médical à faible valeur ajoutée ».

Le terme a été inventé pour classer les tests et les médicaments qui sont inefficaces et qui n'apportent aucun bénéfice à un patient. Au lieu de cela, les soins à faible valeur ajoutée peuvent en fait exposer les patients à des préjudices, détourner leur attention sur des soins réellement bénéfiques et entraîner des coûts inutiles tant pour eux que pour le système de santé.

Depuis mon entrée à l'école de médecine, il y a presque 10 ans, et maintenant en tant que médecin de famille, j'ai remarqué qu'il y avait un besoin croissant d'identifier et d'éliminer ces soins médicaux à faible valeur ajoutée.

Dans le cas de l'aspirine, la recherche montre que les patients à risque moyen sont exposés à des risques de saignement plus élevés et que sa prise quotidienne fait croire, à tort, qu'elle est la meilleure forme de prévention.

En fait, la meilleure protection contre les maladies du coeur est l'exercice régulier, une alimentation saine et la prévention du tabagisme.

Les systèmes de soins de santé sont lents à réagir

Convaincre les médecins de cesser de faire une recommandation pour un médicament à faible valeur ajoutée est une tâche lente et ardue.

Ce n'est un secret pour personne que les systèmes de soins de santé tardent à intégrer les nouvelles recherches dans la pratique clinique. Une étude historique du début des années 2000 a montré qu'un délai de 17 ans est nécessaire avant que les résultats d'une recherche soient implantés dans les soins réguliers.

Quand il s'agit de votre cœur, l'exercice régulier est une des meilleures formes de médecine. (Shutterstock)

L'évolution de la pratique clinique va également au-delà de l'intégration de nouvelles informations. Il faut désapprendre des pratiques cliniques désuètes et inefficaces, ce que tentent de faire avec beaucoup de difficultés les systèmes de santé.

Cela explique en partie pourquoi les soins de santé à faible valeur ajoutée continuent de prospérer - à hauteur de 765 milliards de dollars en 2013 aux États-Unis et deviennent des dépenses improductives.

Les médecins pratiquent la médecine défensive

Une partie du défi du désapprentissage résulte du fait qu'il interrompt le statu quo, tant pour les médecins que pour les patients. Par exemple, au cours des décennies précédentes, les médecins de famille faisaient subir à tous leurs patients un examen physique annuel et des analyses sanguines de routine. Nous pensions que ce contrôle annuel permettrait de détecter les maladies et d'améliorer la santé des patients.

Au lieu de cela, la recherche a montré que les examens annuels sont très peu efficaces. Ils n'apportent aucun bénéfice pour la santé, du moins pour la majorité de la population en santé.

Mais essayez de convaincre les médecins qui ont investi des années à faire ces examens - souvent en réservant des plages horaires de trente minutes pour leurs patients et en croyant qu'ils fournissaient un précieux service - de s'éloigner de cette pratique tout aussi ancrée que désuète.

Des études portant sur la complexité du désapprentissage chez les médecins mettent en lumière la honte et la perte de l'estime de soi professionnelle qui survient lorsque les pratiques antérieures sont abandonnées et considérées comme désuètes.

De plus en plus de médecins se protègent des poursuites pour faute professionnelle en pratiquant la (Shutterstock)

L'impact de l'élimination de vieilles pratiques est encore plus puissant chez les patients. Notre culture met fortement l'accent sur le mantra « plus, c'est mieux ». Examens, tests et procédures foisonnent.

Lorsque les médecins refusent de fournir des soins qui étaient auparavant considérés comme bénéfiques et importants, la réaction des patients peut être forte. En tant que médecin de famille, j'informe souvent mes patients que je ne fais pas de bilan de santé annuel. La plupart sont surpris et certains sont contrariés. Je mentirais si je disais que je n'ai pas pensé à me plier aux exigences des patients pour leur donner du réconfort et faciliter mon travail.

Pour compliquer encore davantage la situation, la sur-utilisation des services de santé permet aux médecins de se protéger contre les poursuites pour faute professionnelle. C'est ce qu'on appelle la « médecine défensive ».

Le jugement et le raisonnement cliniques sont de plus en plus remplacés par des algorithmes. L'absence de tests et d'interventions est de plus en plus difficile à justifier.

Mais le coût de la médecine défensive est incroyable. En moyenne, le système de santé américain dépense 46 milliards de dollars pour des soins qui n'ont d'autres objectifs que de prévenir la responsabilité médicale.

L'aspirine n'est pas la meilleure option

Des initiatives telles que la campagne internationale Choisir avec soin s'efforcent de mettre un frein aux soins à faible valeur ajoutée en sensibilisant le personnel médical et les patients aux inconvénients occasionnés par l'abus de tests.

La campagne a publié des listes de produits à faible valeur ajoutée propres à chaque spécialité médicale. Elle vise à briser la culture « c'est comme ça que ça a toujours été fait », dominante en médecine.

Pourtant, malgré le lancement de la campagne en 2012, les habitudes de pratique des médecins ont peu changé .

Bien qu'il soit évident que, pour de nombreux patients à risque moyen, l'aspirine n'est pas la meilleure option pour prévenir les crises cardiaques, il sera difficile de convaincre les patients, les médecins et les administrateurs de soins de santé de la même chose.

Le processus de désapprentissage et de désengagement de vieilles pratiques est entravé par un amalgame complexe d'émotions, d'attentes individuelles, de responsabilité juridique, de structure organisationnelle et de simple inertie.

This article was originally published in English

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