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Le laboratoire créatif

Ces histoires qui marquent : des récits ancestraux aux scénarios d’Hollywood

Kevin Angelso/Unsplash

Cette chronique est dans la droite ligne et se nourrit des recherches et rencontres publiées sur mon site Les cahiers de l’imaginaire.


Les réseaux sociaux ont bouleversé notre façon de communiquer et de percevoir le monde qui nous entoure. Et ce, dans tous les domaines de l’activité humaine.

L’industrie touristique n’échappe pas à cette règle. Une destination touristique est devenue un lieu virtuel où l’on partage les expériences de ceux qui l’ont visité. Plusieurs nomades digitaux en ont fait un blogue ou une chaîne YouTube à succès.

Si le compte rendu en ligne du voyage – sous forme d’images, de vidéos, de brefs témoignages écrits – nous satisfait, alors il se pourrait que nous planifiions à notre tour un périple vers cette destination.

Pour ceux qui tentent de mettre en valeur les attraits touristiques de leur région, se contenter d’expliquer et d’illustrer ce qui constitue sa valeur intrinsèque, la richesse de son patrimoine culturel ou sa géographie ne suffit plus.

Une analyse critique a récemment été menée par un organisme danois du tourisme VisitDenmark afin de déterminer comment celui-ci devait désormais envisager son développement.

Les cinq conclusions de l’étude

  • Les usagers de la plate-forme en ligne doivent avoir l’impression que leurs participations virtuelles ont un impact sur leurs propres expériences et une influence sur celles des autres. Un lien étroit et continu doit s’établir entre eux et les responsables des campagnes de marketing de VisitDenmark.

  • VisitDenmark et ses usagers doivent élaborer conjointement des récits qui façonneront l’image de marque de VisitDenmark afin de lui donner un caractère spécifique et original. Ces récits seront construits en étroite collaboration. Ils évolueront et, à l’aide de photos, de vidéos et de témoignages écrits, ils façonneront progressivement l’image de la marque.

  • Un dialogue constant avec les usagers de la plate-forme doit être maintenu, alimenté sur une base quotidienne. Les usagers doivent sentir qu’ils participent pleinement et qu’ils ont une influence réelle sur l’élaboration des contenus. Le rapport recommande de se concentrer d’abord, par souci d’économie, sur les influenceurs les plus performants.

  • Les usagers sont l’élément clé du dispositif de mise en marché. Ils seront d’autant plus motivés qu’ils tireront un gain, un sentiment de reconnaissance ou pourront compter sur l’appui de la plate-forme pour obtenir de l’information additionnelle. Les usagers d’Instagram, par exemple, participeront d’autant plus aisément à une campagne qu’ils seront en mesure d’être eux-mêmes mis en valeur et d’élargir ainsi leur réseau d’influence.

  • La création d’une marque est devenue une entreprise à la fois individuelle et collective. Le rôle de VisitDenmark devrait alors être celui d’un médiateur. Le médiateur qui tente de transmettre une expérience personnelle et émotionnelle. Les usagers doivent pouvoir s’identifier avec le profil social, le rôle incarné par VisitDenmark. À leur tour, les usagers doivent être perçus comme des conteurs qui personnifient le récit ou les récits incarnés par VisitDenmark.

Dans les recommandations, un des éléments qui ressort avec le plus de force est le storytelling.

Les usagers sur les réseaux sociaux sont à leur manière, et à une échelle très variable selon l’intensité de leurs interventions, des conteurs. Ils partagent leur histoire avec d’autres. S’il s’agit d’une bonne histoire, elle sera rapidement partagée. Une bonne histoire, compte tenu de sa possibilité d’essaimage rapide, recèle un énorme pouvoir d’influence.

Certains affirment que nous ne sommes pas des homo sapiens, mais des homo narrans : celui qui raconte.

Historiquement, l’homme a toujours partagé des récits avec ses semblables. Ces récits ont contribué à définir les rôles de chacun au sein d"une communauté. Ils ont permis le partage des connaissances. Ils ont fixé les interdits, inculqué le sens des valeurs. Sans oublier un élément essentiel : ces récits ont su divertir.

Certains chercheurs insistent pour que l’on distingue deux termes. En anglais, il s’agit de Story et de Narrative.

  • Story : ce que l’auteur d’un récit raconte à son auditoire, le compte rendu d’un événement, d’une série d’événements.

  • Narrative : ce qui est reçu, compris, interprété par celui qui lit, qui écoute ou qui voit. L’auditeur, le spectateur ou le lecteur réagit, interprète, et s’accapare un récit selon son bagage de connaissances, sa personnalité et son degré d’attention.

Ainsi, le storytelling est constitué du dipôle suivant : le conteur et celui qui écoute. Les deux sont indissociables.

On peut aussi distinguer deux styles. Un storytelling orienté vers celui qui écoute. Il s’agirait alors d’un storytelling extroverti dirigé principalement vers l’auditeur : un dispositif cherchant principalement à construire des récits en sollicitant la participation active des participants.

Ou un storytelling introverti orienté vers la médiation d’un récit à partir d’un ou de plusieurs conteurs qui ont une histoire à transmettre.

Pour le storytelling extroverti, dans le cas de VisitDenmark par exemple, l’image de marque est construite à partir de ce que des visiteurs ont vécu en tant qu’étrangers à un territoire donné, le Danemark, dans ce cas-ci. Le storytelling permet le développement de liens émotionnels avec une marque. Il induit un processus d’identification avec le récit et ses protagonistes. Un récit convaincant permet de susciter l’achat du produit.

L’époque actuelle avec ses changements sociaux et culturels effrénés est propice à la revitalisation des modes traditionnels de storytelling.

Une tradition ancestrale

Ethan Hu/Unsplash.

Des chercheurs finnois, en collaboration avec des organismes nationaux, remettent au goût du jour le storytelling au sein même des sociétés qui l’ont depuis longtemps pratiqué.

Ils utilisent le storytelling comme instrument de médiation pour ériger des ponts entre un récit (basé sur une tradition ancestrale) et la revitalisation d’un patrimoine écologique (préservation de certaines espèces animales) ou culturel. Il s’agit dans ce cas d’un système introverti.

Le storytelling a joué un rôle déterminant dans l’évolution de l’espèce humaine. En tant que système de transmission des savoirs, il a permis de développer des avantages concurrentiels déterminants par rapport à d’autres espèces. D’ailleurs, cette pratique est ancrée dans notre patrimoine génétique. Il suffit qu’on nous raconte une bonne histoire pour que nous recevions notre dose de dopamine, ce neurotransmetteur qui nous procure une sensation de plaisir.

Dans sa forme traditionnelle, le storytelling se présente dans sa forme orale. Il s’agit de raconter une histoire dans l’espace public. Le groupe auquel s’adresse le conteur est restreint. Sa prestation incite le public à interagir. Il s’agit de participants qui réagissent, interrogent et parfois donnent leur avis. Le récit évolue dans le temps, il s’adapte.

Sous cette forme ancestrale, le storytelling est un dispositif narratif holistique qui prend en considération un contexte large : l’environnement dans son ensemble, la nature, la survie de la communauté, etc.

Parmi les exemples cités par les chercheurs finnois : À Madagascar, Akon’ ny ala (l’écho des forêts). Une série radiophonique en dix épisodes qui a pour objectif d’illustrer, sous forme de récits, les points de convergences entre les traditions propres aux communautés de l’île et la préservation des lémuriens.

Ou encore au Kenya, sous la coordination de l’université d’Helsinki, la réhabilitation d’anciennes coutumes de storytelling au sein de la communauté Dassanetch pour favoriser la passation des savoirs traditionnels entre les générations. Les sessions de storytelling sont enregistrées et ensuite diffusées dans les écoles.

Les sociétés traditionnelles ont développé le storytelling en tant que dispositif de transfert de connaissances et de consolidation sociale et culturelle. Le caractère intégrateur des récits permet de synthétiser de manière particulièrement efficace les connaissances à transmettre. Leur contenu émotionnel facilite l’appropriation des contenus transmis. Il suscite l’émotion et incite l’auditeur ou le spectateur à se projeter dans la vie du ou des héros du récit.

Enfin, le caractère interactif, la mise en scène des récits, qui se déroule en groupe, permet aux participants d’interagir. Le storytelling favorise ainsi les échanges et les débats.

La pratique du storytelling crée des espaces de rencontre, renforce les liens au sein d’un groupe. Tout en demeurant un espace plus libre et plus permissif que, par exemple, un simple groupe de discussion.

Cette semaine j’ai assisté à la conférence de Matthew Luhn à la soirée de lancement du Coopérathon. Il possède plus de 20 ans d’expérience dans la création d’histoires et de personnages pour les Studios d’animation Pixar. Matthew a participé, entre autres, à la conception d’Histoire de jouets et Le monde de Nemo.

Avec plus de 20 ans d’expérience et des dizaines de films, séries télévisées et jeux vidéo à son actif pour Pixar (Les Simpsons, ILM, etc.), Matthew Luhn est devenu un expert pour aider des marques comme Adidas, Target, Coke, Procter & Gamble, Facebook, Warner Brothers, Sony et Google à développer des histoires qui auront du succès. Il conseille les personnes qui souhaitent améliorer leurs qualités de concepteurs d’histoires ou apprendre les techniques de persuasion d’un conteur remarquable.

Pour l’exercice de cette semaine, j’ai préparé un exercice basé sur les secrets et techniques qu’il a confié lors de sa conférence pour avoir de nouvelles idées et construire vos personnages. C’est ici.

Vous pouvez aussi lire la série sur le Storytelling de cet été : Vous voulez innover ? Essayez le storytelling !, Quelle est votre histoire ? et j’en publierai un autre d’ici quelques semaines sur la mise en images.

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