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Ces raisons pour lesquelles Trump a ordonné l’élimination du général Soleimani

Le président américain Donald Trump pendant un meeting de campagne à Milwaukee, 14 janvier 2020. Saul Loeb/AFP

Le 3 janvier, le haut responsable iranien Ghassem Soleimani est tué dans une attaque de drone américain : Donald Trump plonge les États-Unis dans une nouvelle crise majeure avec l’Iran. Ce choix du président ne fait pas consensus : les Démocrates, accompagnés d’une poignée de Républicains, remettent en cause le bien-fondé de cette opération aux conséquences potentiellement calamiteuses. Le Pentagone affiche lui aussi sa réserve : s’il est vrai qu’il est à l’origine de cette proposition jugée « extrême », il n’imaginait pas qu’elle retiendrait l’attention du locataire de la Maison Blanche au détriment d’options alternatives qui semblaient plus acceptables. Dès lors, comment peut-on expliquer la décision de Trump ?

Une fillette chiite pose à Lahore, au Pakistan, avec un portrait de Ghassem Soleimani, le 12 janvier 2020. L’assassinat du général iranien a provoqué des manifestations anti-Donald Trump dans de nombreux pays. Arif Ali/AFP

L’origine de l’animosité entre les États-Unis et l’Iran

Il convient tout d’abord de rappeler que la haine que voue l’Amérique à l’Iran date de 1979 lorsque son « meilleur ami » au Moyen-Orient se transforme subitement en pire ennemi. La révolution islamique, qui renverse le régime du Shah installé au pouvoir en 1953 par la CIA, consacre la fin de l’alliance entre Washington et Téhéran : l’Ayatollah Khomeini qualifie désormais la superpuissance occidentale de « Grand Satan ». Le 4 novembre 1979, la théocratie iranienne prend 52 Américains en otage dans l’ambassade des États-Unis et les détiendra pendant 444 jours, humiliant quotidiennement la superpuissance. Cet épisode a constitué un profond traumatisme pour cette dernière, si bien que l’Iran devient dès lors une obsession nationale.

Comme l’explique Graham Fuller, ancien fonctionnaire de la CIA, « l’Iran constitue l’enjeu de politique étrangère le plus passionnel auquel Washington doit faire face depuis le Vietnam ». Il faut dire que cette révolution bouleverse la stratégie américaine au Moyen-Orient, région vitale à la fois dans le conflit qui l’oppose à l’URSS et pour la sécurité de l’approvisionnement pétrolier. En outre, l’inquiétude des Américains provient de ce qu’ils avaient vendu de nombreuses armes à l’Iran, armes qui se trouvent désormais aux mains de leurs ennemis. Dans ces conditions, les États-Unis redoutent la propagation de la révolution iranienne dans les monarchies du Golfe persique : Khomeini n’appelle-t-il pas les peuples de la région à se soulever ?

Tout début 2020, cette inquiétude ne faiblit pas et le traumatisme reste intact. Les États-Unis ne peuvent se résoudre à voir la théocratie iranienne répandre son influence dans son voisinage, ce qu’elle parvient à faire grâce notamment à Soleimani.

L’éliminer reviendrait donc, selon l’administration Trump, à mettre à mal le soft power régional de Téhéran. Surtout, c’est la mort d’un sous-traitant américain à la suite d’une frappe iranienne le 27 décembre 2019, couplée aux manifestations de militants pro-Iran devant l’ambassade américaine en Irak le 31 décembre 2019 qui ont guidé Trump vers le choix de l’assassinat du haut responsable iranien : la prise d’otages de 1979 (sur laquelle s’est ensuite greffée celle de Benghazi en 2012) est toujours présente dans les mémoires. Trump a donc voulu éviter une nouvelle humiliation américaine au Moyen-Orient.

Otages photographiés à l’intérieur de l’enceinte de l’ambassade des États-Unis, les yeux bandés et menottés, au premier jour de la prise d’assaut de l’ambassade des États-Unis par les partisans de l’ayatollah Khomeini, le 4 novembre 1979 à Téhéran. AFP

L’influence des faucons évangéliques de l’administration Trump

Outre l’impact de ce traumatisme largement partagé par la classe politique, la décision de Trump semble avoir été influencée par les faucons évangéliques présents dans son administration, tels le vice-président Mike Pence et surtout le secrétaire d’État Mike Pompeo, qui auraient convaincu le président américain d’éliminer celui qu’ils qualifient de « terroriste », malgré les risques de guerre que cette action aurait pu entraîner.

Car pour les évangéliques, l’Iran est un ennemi prioritaire, non seulement en raison des humiliations infligées à la superpuissance américaine mais aussi à cause des menaces qu’il fait peser sur Israël. Dans un contexte de campagne présidentielle, frapper l’Iran vise aussi à permettre à Trump de renforcer encore davantage le soutien dont il bénéficie parmi les évangéliques, qui constituent une partie considérable de sa base électorale.

Cet aspect a pu sembler d’autant plus important qu’une minorité d’évangéliques s’est désolidarisée du président dans le cadre de sa procédure de destitution, conduisant Trump à annoncer que sa coalition des « évangéliques pour Trump » débuterait le 3 janvier.

Donald Trump en prière, en compagnie de plusieurs leaders religieux, lors d’un événement tenu dans le cadre de la campagne « Evangelicals for Trump » au King Jesus International Ministry le 3 janvier 2020 à Miami, en Floride. Jim Watson/AFP

Seulement, ces arguments électoralistes à destination des évangéliques n’auraient pu à eux seuls, décider le président à ordonner l’assassinat de Soleimani. Ses conseillers ont dû le convaincre que l’Iran, conscient que Trump ne cherche pas l’affrontement armé, en profite pour mener des actions contre les intérêts américains dans la région, et ce depuis plusieurs mois. Pour briser cette spirale, Trump devrait donc envoyer à la République islamique un message fort qui la dissuaderait de mener ses activités déstabilisatrices.

De surcroît, en agissant décisivement et en éliminant Soleimani, le président renforcerait son image de « tough guy » protégeant l’Amérique et restaurant son leadership ; un discours susceptible de séduire les Républicains et les vétérans de l’armée lors de la campagne présidentielle. Cette opération permet en outre à Trump de se distinguer d’Obama, ce qui constitue chez lui une obsession : il peut désormais se targuer d’avoir éliminé deux terroristes, al-Baghdadi et Soleimani, quand le 44e président n’aura « eu » que Ben Laden.

Un président non interventionniste

C’est donc une conjugaison de facteurs qui a conduit Trump à choisir l’élimination de Soleimani : traumatisme iranien, calculs électoraux, attachement à Israël de la part des évangéliques et interventionnisme de la part des faucons. La décision du président, elle, ne résulte pas d’une politique idéologique ou interventionniste.

Trump n’a en fait que peu d’appétence pour les interventions militaires et avait promis lors de sa campagne de 2016 de rapatrier les troupes américaines et de mettre fin aux guerres coûteuses. N’avait-il pas, d’ailleurs, annulé ses frappes contre l’Iran dix minutes avant le début prévu des opérations au mois de juin ? Ne s’est-il pas séparé de son conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, au motif qu’il cherchait la guerre avec l’Iran ? En réalité, en politique étrangère, Trump privilégie le principe « America First » et la politique des sanctions.

Cette préférence nationale et non-interventionniste n’est toutefois pas singulière à l’actuel président : Obama favorisait également le « nation-building at home », George W. Bush appelait à l’humilité sur la scène internationale avant le 11 septembre, et Bill Clinton clamait « It’s the economy, stupid ! » face à son concurrent internationaliste, le sortant George H.W. Bush.

Le positionnement de Trump s’inscrit donc dans une tendance longue : les États-Unis ré-adoptent progressivement les dogmes de politique étrangère qui prévalaient avant la Seconde Guerre mondiale. Ils réorientent graduellement leurs politiques vers l’hémisphère occidental, se désengageant petit à petit du Moyen-Orient mais aussi de l’Europe. On remarque d’ailleurs que les alliés de l’OTAN n’ont pas été prévenus de l’attaque américaine contre Soleimani ni pris en considération, alors même que certains ont des troupes dans la région, risquant donc de mettre à mal leur sécurité.

Là encore, Trump n’innove pas complètement : à l’été 2013, Obama n’avait-il pas annulé au dernier moment son opération contre le régime syrien d’Al-Assad sans prévenir au préalable ses alliés, notamment la France, prête à intervenir ? Il faut dire que depuis la fin de la guerre froide, le lien transatlantique s’érode progressivement sur fond d’évolution démographique aux États-Unis (la descendance européenne est la plus éloignée) et, surtout, d’intérêts et de lecture du monde divergents.

Au total, la présence de certains interventionnistes, notamment chez les Républicains, est à l’origine d’une politique étrangère qui oscille entre, d’une part, volonté de repli sur le continent américain et pivotement vers le Pacifique (en raison des débouchés économiques qu’offrent les puissances émergentes) et, d’autre part, opérations à l’étranger. C’est un pays qui, en 2020, ne peut pas, ou n’ose pas, encore complètement rompre avec un instinct interventionniste développé depuis 1945 ; d’où des soubresauts et des politiques qui apparaissent parfois incohérentes.

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