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Chercheurs : quels services rendus à la cité ?

Conférence biennale de la Fire Island aux Etats-Unis. National Park Service

Nos collègues suisses possèdent une très belle expression pour identifier ce que les universitaires doivent concevoir comme un prolongement naturel de leur activité d’enseignants-chercheurs au-delà des murs de nos universités : « service à la cité ».

En effet, dans l’évaluation des activités annuelles, ils sont interrogés sur la façon dont ils s’emploient à diffuser, au-delà d’un public d’étudiants et de confrères et consœurs, leurs savoirs et les fruits de leur réflexion. C’est loin d’être injustifié, surtout si on est salarié de l’État. Comment en effet imaginer que le haut niveau d’expertise acquis par les académiques ne contribue pas aussi au débat public ? Et la question vaut aussi pour la France.

C’est dans ce cadre que le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation s’est associé à The Conversation pour élaborer un questionnaire afin d’appréhender les modalités d’interventions des chercheurs dans la cité et les formes de démocratisation du savoir, tout en comprenant mieux les pratiques, les motivations et les freins de chacun.

Les modalités possibles sont si nombreuses que chacun, selon son tempérament, sa discipline, ses objets précis d’étude, peut trouver matière à intervention dans la cité.

Nous tenterons ici d’en dresser les contours et les motivations possibles.

La science hors les murs

Un chercheur, par sa soif de connaissance, est forcément animé aussi de la soif de la transmettre – par des publications, des participations à des colloques, séminaires, etc. – à plus forte raison lorsqu’il est aussi enseignant et que la transmission du savoir est une obligation de service.

Ce désir de transmettre peut donc trouver un prolongement naturel dans l’extériorisation du savoir vers d’autres lieux, auprès d’une population de plus en plus diplômée et qui aspire à continuer à apprendre durant sa vie professionnelle ou sa retraite. On a vu ainsi se multiplier ces lieux de curiosité intellectuelle que sont les « cafés scientifiques », les « universités populaires » (dont les racines historiques sont anciennes), les « universités inter-âges ». Ce sont des lieux d’une science ouverte, où des citoyens viennent écouter mais aussi débattre avec les intervenants. Débats souvent riches, parfois passionnés et engagés. Les académiques sont souvent sollicités pour ces tiers lieux de la transmission des connaissances et rendent la science plus vivante et accessible au grand public en acceptant d’y participer.

L’étape suivante est d’organiser une participation des citoyens motivés à la collecte collective de données, via des sciences dites participatives.

La science autrement

L’accès au savoir peut emprunter des voies buissonnières, en comparaison aux usages académiques. Les nouvelles technologies, le jeu vidéo, la bande dessinée, l’art peuvent sembler des chemins de traverse, mais qui s’ajoutent pourtant aux explorations du chercheur.

Le désir de trouver de nouveaux publics, de faire passer des connaissances de façon ludique, dans un contexte d’éveil culturel (expositions) est un autre moyen de jouer la carte de l’extériorisation des savoirs. Universcience, à Paris, a acquis un véritable savoir-faire en la matière, mobilisant des savants pour inventer des dispositifs pédagogiques pour intéresser, pour éveiller les consciences, pour titiller la curiosité des petits mais aussi des grands.


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Et n’est-ce pas aussi une des missions du chercheur d’élever le niveau global de curiosité, de surprendre et de transmettre un désir de science, une vocation ? Certaines formes d’extériorisation répondent à une salvatrice logique de long terme, en entretenant la flamme du plaisir de la découverte auprès de celles et ceux qui prendront ainsi le chemin d’une formation académique les conduisant un jour à prendre la relève. Dans un monde académique où la rentabilité immédiate et court-termiste l’emporte de plus en plus, le contexte n’est hélas pas favorable à ce genre d’engagement pour le long terme, très mal reconnu dans l’évaluation des carrières. Heureusement, la passion de sa discipline, l’envie d’y croire et de convaincre contrebalancent encore, pour certains chercheurs, le contexte désincitatif.

La science dans les médias

Le chercheur peut aussi être sollicité pour son expertise par les médias. Le débat sur l’acceptation de ce type de sollicitation est ancien. D’un côté celles et ceux qui trouvent cela évident, prolongement logique d’une conviction que leurs compétences peuvent éclairer le débat public. De l’autre, celles et ceux qui se méfient d’une parole experte mal digérée par la machine médiatique, d’un temps de parole insuffisant pour expliquer la complexité des choses, d’une interview téléphonique qui deviendrait un répertoire de trahison au moment de sa maigre et médiocre restitution écrite.

Reconnaissons néanmoins que si un expert reconnu d’un sujet refuse les sollicitations médiatiques, il aura mauvaise grâce à se plaindre après coup que les médias donnent la parole à d’autres bien moins experts que lui et qui diront selon lui des « âneries ».

L’ambition d’un site d’information comme The Conversation est justement d’abattre ces murs entre la recherche et le journalisme, en proposant un dispositif maîtrisé d’une prise de parole experte qui a l’espace pour exposer la complexité des choses et chasser les « âneries » des colonnes des journaux.

Le scientifique dans l’espace numérique

D’autres dispositifs similaires peuvent exister et offrir un point de réassurance aux chercheurs qui craignent une déformation de leur parole, une mauvaise vulgarisation. Certains profitent du développement des blogs et des réseaux sociaux pour en faire leur propre média et maîtriser ainsi de bout en bout le processus de fabrication et de diffusion des informations qu’ils ont envie de transmettre au grand public.

Il n’y a aucune raison pour considérer les académiques comme enfermés dans une bulle professionnelle hors du temps. Si l’ère numérique permet une démocratisation de la parole par de nouveaux outils, il y a forcément des chercheurs et chercheuses qui se sentent attirés par le même désir d’exploiter ces dispositifs au profit d’une insertion personnelle dans l’espace public numérique.

Mais on peut aller plus loin, et se dire que c’est justement parce qu’il y a une démocratisation de la prise de parole que les chercheurs doivent être vigilants et actifs. Dans un monde où cette démocratisation vaut égalisation apparente des points de vue et vaut même, aux yeux de certains internautes, écrasement des niveaux de compétences, une parole mal assurée et mal informée peut être perçue comme ayant la même valeur qu’un discours reposant sur des faits et des preuves et non sur de simples convictions déclamées haut et fort, dans une scénographie aussi alléchante que captieuse.

Face à ce défi, difficile d’imaginer les savants se réfugier avec dédain dans une tour d’ivoire du savoir, laissant le terrain numérique à celles et ceux qu’ils jugent sots et crédules. L’immersion, le plongeon dans le grand bain numérique, semblent devenir une impérieuse exigence collective. Et c’est jugé d’autant plus nécessaire s’il s’agit de lutter contre les fake news et les théories complotistes, où souvent les faits et les données scientifiques sont mobilisés de façon tordue, déformée, mensongère et manipulatrice.

Le scientifique dans les mondes politiques et économiques

Impossible de conclure ce panorama des lieux et enjeux possibles de l’intervention du chercheur dans la vie de la cité, sans aborder le sujet qui fâche le plus : les relations avec les milieux politiques et économiques. Pas celles imposées par un contexte de quête de financements qui place le chercheur en posture de possible domination, mais celles d’une ouverture à un autre univers professionnel sur des bases réellement collaboratives.

Souvent par conviction idéologique, parfois à cause de mauvaises expériences passées vécues ou racontées, de nombreux chercheurs se méfient instinctivement de tout ce qui peut ressembler à une collaboration trop poussée avec des mondes aux rationalités différentes, vécues dès lors comme divergentes. La crainte d’être instrumentalisé par un pouvoir politique, la crainte d’être exploité et économiquement pillé par un univers industriel font partie de l’imaginaire de chercheurs qui privilégient le retrait prudent sur leur Aventin. Crainte liée aussi à la perception (parfois très justifiée) d’une asymétrie de pouvoirs et de moyens.


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Pour autant, la participation à la formation d’élus autour de ses thématiques de recherche, la participation à des comités de définition des priorités scientifiques d’une instance politique, l’acceptation d’être auditionné pour l’élaboration d’une loi ou la redéfinition d’une politique publique, peuvent être des moments d’échanges instructifs (fut-ce pour se rendre compte parfois hélas que le fossé mental n’est pas que dans l’imaginaire du chercheur mais bien réel). C’est aussi le moyen, sans franchir le seuil du franc engagement militant (ce qui relève de la conscience politique individuelle de chacun), de pouvoir partager ses convictions scientifiques avec un monde politique souvent généraliste dans ses approches et qui peut rater pour cela des détails pourtant fort signifiants.

Le dialogue avec le monde de l’entreprise oblige aussi le chercheur à décentrer son propre regard, à sortir de sa zone de confort pour accepter de voir les choses autrement, de façon plus appliquée, moins théorique souvent. De façon générale, le dialogue avec des interlocuteurs possédant un autre agenda, une autre vision du monde (on sait bien le dire pour la collaboration scientifique internationale) peut toujours être une contribution au schéma intellectuel qui sous-tend les convictions du chercheur. Et ce n’est pas fatalement signer un pacte faustien que de contribuer par sa réflexion de chercheur au développement économique et industriel d’une idée à laquelle on croit.

La personnalité de chacun et chacune, son expérience de vie, son parcours professionnel, l’étape où on se trouve dans sa carrière, sa discipline et ses thématiques de recherche, sont autant de motifs à se saisir de l’une ou l’autre de ses modalités d’extériorisation de la science. Choix de se rendre utile à la cité qui reste un acte de liberté académique et qui ne peut s’exiger de tous, un pistolet évaluateur sur la tempe, si l’on veut qu’il conserve sa force et sa grandeur, porté par le désir de conviction que toutes celles et ceux qui sont en quête de vérité ont chevillé au corps.

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