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Clap de fin pour le très controversé « temple des tigres » de Thaïlande

Monnayer la pose à côté de grands fauves, un business lucratif qui se fait au détriment des animaux. Diego Azubel/EPA

Le célèbre « temple des tigres » a finalement été contraint à la fermeture, après presque vingt ans de polémique. Située dans les environs de Bangkok, cette attraction bien connue des touristes permettait aux visiteurs de toucher et de se faire prendre en photo avec les félins ; si vous avez vus de tels clichés sur les comptes Facebook ou Tinder de vos amis et connaissances, ils venaient sans doute de là.

Une descente de la police thaïlandaise a permis de découvrir une quarantaine de carcasses de bébés tigres entreposés dans des congélateurs ; au cours de cette intervention, un moine qui tentait de s’échapper avec des peaux et des crocs a été arrêté. Certains individus, qui avaient été pucés, manquaient à l’appel. La police a inculpé en tout 22 personnes, dont trois moines bouddhistes, pour trafic d’espèces sauvages. Les autorités procèdent actuellement au transfert et à la relocalisation de plus de 100 félins dans des lieux sûrs à travers tout le pays ; une décision prise à la suite d’informations révélant que ce centre pratiquait le commerce, illégal et hautement lucratif, de parties du corps des tigres – ce que la direction du centre a formellement démenti.

Un officier présente les carcasses de bébés tigres découvertes lors de la descente de police du 1er juin 2016. EPA

J’ai visité le temple pour la première fois en 2008, dans le cadre d’un projet plus vaste de suivi de la multiplication des élevages de tigres à travers la Chine et l’Asie du Sud-Est. Je voulais enquêter sur l’apport de ces tigres élevés en captivité à leurs congénères sauvages dont la population diminuait. À cette époque, on entendait parler à tord et à travers de la conservation. Les pancartes le long de la route disaient en différentes langues que le temple recueillait les tigres chassés par une vague de braconnage qui visait la Thaïlande et ses derniers espaces sauvages. Les devises des touristes devaient aider les moines à prendre soin de leurs protégés.

Certains tigres étaient exhibés chaque jour, enchaînés dans une zone en plein air du centre, le plus souvent dans une chaleur accablante ; ils permettaient ainsi aux touristes de faire des selfies et d’approcher au plus près à quoi la vie sauvage en captivité. Les petits étaient nourris au biberon par les moines, autant d’occasions de se faire prendre en photo. Les autres tigres, ceux que l’on ne pouvait pas montrer, restaient tenus à l’écart dans des enclos de béton surpeuplés et insalubres.

Les enquêtes menées par des ONG ont révélé que les tigres utilisés pour les selfies avaient été conditionnés et entraînés à l’aide de toute une série de techniques utilisées dans les cirques, qui comprenaient notamment des coups et des punitions. Une des méthodes identifiées consistait à vaporiser de l’urine prélevée sur d’autres mâles ; il s’agit là d’une méthode particulièrement brutale, l’urine d’un adversaire agissant comme un terrible répulsif pour ces animaux territoriaux.

Certaines informations indiquent que les animaux présentés au public étaient sous sédatif et tenus enchaînés de manière à ne présenter aucun risque pour les touristes. Le temple nie également cette pratique.

À quoi servent vraiment ces animaux ?

Fondé en 1990 comme sanctuaire pour animaux, le temple s’agrandit et proposa de développer un programme d’élevage de tigres. Mais ces individus ne présentent que peu d’intérêt en matière de conservation, puisqu’on ne sait pas à quelles sous-espèces ils appartiennent et que nombre d’entre eux seront des hybrides. Il n’y a ainsi presque aucune possibilité de les réintroduire dans la nature. Les tigres sont en effet très difficiles à réensauvager et, même lorsque cela est envisageable, le fait qu’ils aient été habitués aux hommes posent de sérieux problèmes de sécurité.

Ainsi, à mesure que la population féline du centre croissait, croissaient aussi les rumeurs sur la vraie nature de ses activités.

Fourrures et os de tigres récemment saisis en Indonésie. Hotli Simanjuntak/EPA

Les parties du corps des tigres et leurs dérivés ont pendant longtemps tirés leur valeur de l’usage qu’en faisait la médecine chinoise traditionnelle. Leurs os peuvent se vendre jusqu’à plus de 400 dollars le kilo, tandis qu’une peau complète peut atteindre des dizaines de milliers. Un pénis en vaut environ 1 300.

Les rumeurs de disparitions de tigres au temple ont persisté. En avril 2015, les autorités ont ainsi fait une descente à la suite des révélations d’un vétérinaire qui avait déclaré qu’au moins trois individus manquaient à l’appel. Quelques mois auparavant, National Geographic et l’ONG Cee4life avaient déclaré que sous sa mince couche de respectabilité, le temple n’était en fait qu’une couverture permettant de dissimuler un commerce plus insidieux et illégal d’espèces sauvages.

Des tigres transformés en vaches à lait

Si la fermeture du centre a été largement félicitée, le « temple des tigres » n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, où des centaines de félins s’entassent dans des élevages qui abritent des milliers de félins non déclarés. Les conditions dans ce vaste réseau sont tout aussi barbares, voire pires, même si la raison avancée pour justifier de leur existence est partout la même, à savoir, la conservation.

Les partisans de ces élevages avancent qu’ils permettent de s’approvisionner légalement en peaux, os et mâchoires, réduisant ainsi la pression sur les populations sauvages. Mais il s’agit là d’un argument économique assez simpliste : inonder le marché avec des biens provenant de bêtes en captivité et les braconniers se retrouveront au chômage…

Les opposants de ces élevages soulignent que ce commerce « légal » légitime la demande de tels produits et induit également que les gens voudront à terme se procurer des peaux d’animaux sauvages à moindre coût. Il faut dissuader la demande et instaurer la tolérance zéro pour ce commerce, comme pour toute autre forme de trafic illégal.

La maltraitance animale a concentré la plupart des critiques dont le temple des tigres a fait l’objet. Mais si la preuve du commerce illégal de parties d’animaux venait à être établie, cela irait clairement à l’encontre des lois du pays qui s’alignent sur celles de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES).

Cette fermeture se doit d’être la première d’une longue série. Il est désormais possible de viser d’autres centres à travers l’Asie, où les tigres sont transformés en autant de ressources exploitables à des fins lucratives. Ces structures n’ont aucune plus-value sur le plan de la conservation ; ils justifient d’autre part une sorte de tourisme qui est loin d’être responsable et ne procurent aucune expérience permettant véritablement d’apprécier la vie sauvage.

Il est aujourd’hui nécessaire de s’assurer que cette fermeture est le début d’un effort plus concerté pour mettre fin à la cruauté envers les animaux, de même qu’au commerce illégal de la vie sauvage. Sans quoi, cet épisode retentissant restera sans effet.

This article was originally published in English

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