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Malgré un certain nombre d'instruments juridiques et politiques, la politique globale de la France en matière climatique demeure en incohérence avec ses objectifs. Gérard Julien

Climat : le Haut Conseil livre un premier rapport très critique sur l’action française

Dans la nuit du 27 au 28 juin dernier, l’Assemblée nationale a voté l’inscription de l’état d’urgence écologique et climatique à l’article 1er de la loi énergie-climat. Deux jours plus tôt, le Haut Conseil pour le climat, créé formellement par décret le 14 janvier 2019, rendait son premier rapport, intitulé Agir en cohérence avec les ambitions. Il y pointe la nécessité urgente de mettre en cohérence les politiques et les objectifs climatiques de la France avec l’objectif de la neutralité carbone, inscrit également dans la loi en projet.

Comment comprendre d’une part la déclaration d’un « état d’urgence climatique et écologique » et de l’autre, la nécessité pointée par le Haut Conseil de repenser et restructurer nos politiques climatiques ?

Pour mieux saisir les enjeux, il faut analyser en profondeur le rapport publié. Sous forme de bilan et de propositions, le texte souligne trois points essentiels.

La France n’atteint pas ses objectifs

Le premier constat pointe la carence de la France dans la poursuite de ses objectifs, et ce malgré l’existence d’un cadre structurel. Le rapport constate ainsi que :

« L’action nationale et internationale face au changement climatique est largement insuffisante pour contenir le réchauffement planétaire à 1,5 ou 2 °C. Les engagements pris jusqu’ici dans le cadre de l’Accord de Paris et de la première stratégie nationale bas-carbone (SNBC) de la France adoptée en 2015 sont insuffisants. Si des actions supplémentaires ne sont pas rapidement mises en œuvre, le rythme du réchauffement climatique pourrait s’accélérer. »

Selon le document, les engagements pris sont largement insuffisants pour atteindre les objectifs fixés. Au niveau national, estime-t-il, la SNBC est isolée et peu opérationnelle : juridiquement, elle n’est contraignante que pour la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) – qui définit les grandes orientations énergétiques du pays sur dix ans – ce qui limite son effet structurant dans le développement d’autres lois et programmes.

Si l’objectif correspond à celui de l’Accord de Paris, il ne tient pas compte de tous les domaines de responsabilité de la France : les émissions liées aux transports aériens et maritimes internationaux ainsi que celles liées aux importations n’y sont par exemple pas incluses. Selon le Haut Conseil, la France ne maintiendra sa position parmi les grands leaders qu’en tenant compte de ces éléments.

Le rapport recommande également de soumettre des propositions complémentaires concernant les émissions importées et celles provenant du transport aérien international, pour l’heure trop ambiguës puisqu’il n’existe pas de méthodologie commune dans leur calcul. Ces orientations stratégiques devraient dès maintenant être priorisées et accompagnées d’un calendrier d’échéances.

Accélérer les changements structurels

Le document s’applique ensuite à repérer les blocages et à présenter des pistes de solutions. Deux types de propositions sont faites : l’une concerne les changements structurels à mettre en place à long terme, l’autre décrit les facteurs socio-économiques associés à la transition décarbonée.

S’agissant de changements structurels, le document pointe les transformations du système d’infrastructures, les investissements vers les options bas-carbone et l’efficacité énergétique, les désinvestissements dans les filières intensives en émissions de GES, l’adaptation des chaînes d’approvisionnement, l’éducation et la formation. Une approche systématique devrait être développée pour couvrir tous les secteurs, ainsi que les facteurs sous-jacents tels que les investissements, les grands projets, ou les entreprises gouvernées par l’État.

Le rapport souligne un manque de vision à long terme dans la progression des changements structurels visant la neutralité carbone. Dans le secteur des transports, les évolutions structurelles associées au scénario de la SNBC, ne sont en grande partie pas mises en œuvre, ou trop lentement. Quant aux bâtiments, les transformations ne sont pas assez rapides alors qu’elles auraient dû être mises en place depuis 2017. De plus, l’action se concentre uniquement sur la consommation d’énergie pour le chauffage des bâtiments existants – le plus grand gisement de réduction des émissions de ce secteur, et non sur d’autres éléments comme l’isolement thermique ou les matériaux employés.

S’agissant de l’énergie, les facteurs structurels n’ont pas évolué suffisamment vite par rapport aux objectifs visés par la programmation pluriannuelle de l’énergie. Le Haut Conseil invite à augmenter les puits de carbone par un accroissement des forêts et par une meilleure utilisation des sols. Quant à la finance, si les investissements climat ont augmenté sur la période du premier budget carbone, ils restent à un niveau insuffisant par rapport à la trajectoire de la SNBC.

Une transition juste et perçue comme juste

Dans le cadre de la transition bas-carbone, la prise en compte des implications sociales et économiques est essentielle. Cette démarche ayant des impacts hétérogènes sur les secteurs d’activité, la transition doit à la fois être juste et « perçue comme juste ».

De la même façon, les mesures de réduction des émissions doivent considérer leurs co-bénéfices – emploi, santé, sortie de la pauvreté – et leurs éventuels effets pervers pour la santé, la biodiversité, la qualité de l’air, de l’eau et des sols. Les impacts environnementaux – usage de sols, méthodes d’agriculture, pêche électrique, implantation des éoliennes – doivent aussi être anticipés, suivis, et des mesures pour y remédier doivent être planifiées le cas échéant.

Des lois incohérentes

Enfin, le Haut Conseil s’intéresse à la cohérence entre politiques publiques et objectifs. Dans cette perspective, les lois cadre – comme les lois LOM, ALUR, ELOM, EGALIM – et la manière dont elles intègrent la SNBC et ses budgets carbone sont passées en revue.

Le constat est affligeant. Hormis les lois spécifiques sur le climat, la question n’est pas prise en compte, ce qui engendre inévitablement un manque de cohérence systémique à l’intérieur de notre corpus juridique et jurisprudentiel. De nombreux textes votés aujourd’hui ne tiennent pas compte de leur impact sur le climat, notamment via les émissions de GES générées par certaines activités.

Le rapport remarque ainsi que les lois sur les finances ne sont pas à jour sur la question du changement climatique : la loi de 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, par exemple, ne tient pas suffisamment compte de la contrainte climatique concernant l’isolation et les matériaux utilisés. La mise en cohérence de ces lois avec la SNBC devrait ainsi être une priorité pour les prochains mois.

Sont ensuite examinés les instruments disponibles, tels que la taxe carbone, et leur mise en place. Pour le Haut Conseil, il s’agit de les régler au bon niveau d’incitation ou de contrainte. La réussite de la lutte contre le changement climatique dépend du niveau d’incitation ou de contrainte de chaque instrument, de son évolution dans le temps, et de sa compatibilité avec des objectifs de justice sociale. En ce qui concerne l’instauration d’une taxe carbone, elle est largement encouragée : « C’est un instrument efficace pour réduire les émissions de GES, mais son assiette, ses modalités et les mesures d’accompagnement doivent faire l’objet d’une réflexion approfondie ».

Enfin, les plans climat territoriaux et locaux constituent des leviers forts pour articuler la SNBC aux échelles régionale et locale. C’est dans les territoires que se construit de manière effective la transition. Ces dispositifs permettent également la sensibilisation et l’appropriation d’un certain nombre de ces sujets en France, en tenant compte des inégalités existantes. Les dynamiques émergentes dans certaines régions qui ont déjà mis en place des plans climat-énergie (Région de Loire, Aquitaine, Bretagne Ouest) sont prometteuses mais nécessitent davantage de suivi et de coordination.

Tout en soulignant les difficultés qui font aujourd’hui obstacle à l’objectif de neutralité carbone, le rapport demeure néanmoins constructif en expliquant ces blocages et en proposant des leviers pour les dépasser. Un document qui vient à point nommé pour éclairer le juge tandis que les actions en justice climatique contre l’État se multiplient en France.

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