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Clinton, Sanders et la métamorphose du Parti démocrate

Deux démocrates, mais deux progressistes de tradition bien différente. Mike Segar /Reuters

Le débat qui opposait Hillary Clinton et Bernie Sanders, la semaine dernière dans le New Hampshire, pour savoir qui était le plus progressiste des deux en dit long sur l’évolution des candidats et du Parti démocrate au cours des cinquante dernières années. Quand Clinton et Sanders se sont engagés politiquement, au milieu des années 1960, ils ne correspondaient pas vraiment à ce que les démocrates symbolisaient à l’époque.

Pour comprendre les divergences philosophiques qui divisent, aujourd’hui, ce parti, il peut être intéressant d’examiner le cheminement de ces deux personnalités bien différentes, et celle du mouvement qu’elles entendent représenter.

Hillary, du Midwest républicain aux idéaux progressistes

Dans les années 1960, Hillary Clinton, fille d’un couple de républicains issus de la classe moyenne supérieure, n’avait rien d’une démocrate.

À l’époque, Park Ridge, la petite ville des environs de Chicago où elle habitait et le comté tout entier votaient majoritairement républicain. Pour la plupart des habitants de la région, le Parti démocrate était celui de Richard Daley Sr, l’ex-maire de Chicago, un politicien de la vieille école dont l’administration, entachée par divers scandales de corruption, se préoccupait essentiellement des blancs de la classe ouvrière ou de la classe moyenne inférieure qui résidaient à Chicago même.

Hillary et Bill en 2000. Reuters photographer

Dans les dix années qui ont suivi, la guerre du Viêt Nam et le mouvement des droits civiques ont radicalement transformé la jeune femme et le parti. Au milieu des années 1970, Hillary est devenue une démocrate progressiste, acquise à la « Grande Société » de Lyndon Johnson et aux idées de George McGovern, candidat malheureux à l’élection de 1972 face à Nixon. Elle milite pour des nouvelles causes progressistes : les droits civiques, le féminisme, l’écologie et la détente avec l’Union soviétique.

A la fin des années 1970 et dans les années 1980, tandis que le pays se droitise, Hillary apparaît comme une démocrate plus tempérée. Elle fait preuve de plus de fermeté vis-à-vis de la criminalité, elle approuve le recours à la force pour tenter de dissuader les agressions militaires, et elle affiche un certain scepticisme envers les programmes gouvernementaux les plus ambitieux et les plus onéreux. Une position qu’elle partage avec son mari, Bill, et qui n’a guère évolué depuis.

Bernie, l’ancien socialiste de Brooklyn devenu indépendant

Bernie Sanders a eu un parcours politique encore plus étrange que celui d’Hillary Clinton.

Il a grandi dans un quartier très soudé de Brooklyn où les immigrés juifs restaient fidèles aux idéaux socialistes de leurs aînés, même s’ils avaient voté pour le modéré Franklin Delano Roosevelt dans les années 1930. À leurs yeux, le candidat du Parti progressiste à l’élection présidentielle de 1948, Henry Wallace, hostile à la relation conflictuelle que le pays entretenait avec l’URSS, incarnait mieux l’idéal du New Deal que le démocrate Harry Truman.

Élevé dans ce milieu très à gauche dans les années 1940 et 1950, Bernie Sanders n’a eu aucune difficulté à intégrer la « Nouvelle gauche » des années 1960 et 1970 – un mouvement qui jugeait les démocrates trop « conservateurs ».

Bernie Sanders en 2006. Brian Snyder/Reuters

Une bonne partie des adhérents de cette Nouvelle gauche ont choisi de s’installer dans le Vermont, dans les années 1970, avec le projet d’y bâtir une véritable démocratie progressiste. C’est grâce à eux que Bernie Sanders a pu remporter trois élections importantes en tant que candidat indépendant : maire de Burlington, représentant au Congrès puis sénateur.

Ces deux dernières fonctions l’ont amené à nouer des liens avec le Parti démocrate afin de ne pas être exclu du système d’ancienneté en vigueur dans les commissions – ce qui explique qu’il ait choisi de figurer à leurs côtés lors des primaires, tout en restant officiellement indépendant. Ce n’est que lorsqu’il s’est décidé à faire campagne pour l’investiture démocrate à la présidence des États-Unis qu’il a pris sa carte du parti.

« Le parti qui ne meurt jamais »

Aux États-Unis, l’allégeance politique est bien plus flexible que dans des pays comme la Grande-Bretagne ou le Canada. Preuve en est que Hillary et Bernie, des candidats au profil bien différent, ont tous deux trouvé leur place au sein du Parti démocrate. Un fait très révélateur de la façon dont ce mouvement a évolué ces dernières décennies.

Les politologues l’ont affublé d’un surnom – « le parti qui ne meurt jamais » – car ce dernier n’a jamais cessé d’exister depuis sa création, à la fin des années 1820, alors même que ses principes et ses partisans n’ont plus rien à voir avec ce qu’ils étaient à l’origine. Cela fait plus d’un siècle que les démocrates se targuent d’être « progressistes ». Durant la campagne présidentielle de 1912, Woodrow Wilson se définissait lui-même comme un « progressiste réticent ».

Quand Clinton et Sanders sont entrés en politique, il y a 50 ans, le Parti démocrate était celui des citadins et des États du Sud. Il représentait alors une coalition quelque peu bipolaire, qui s’était forgée sous la présidence de Roosevelt. Depuis, il est devenu le parti des grandes agglomérations, des villes et des banlieues, et ses électeurs n’appartiennent plus aux mêmes classes sociales.

Il y a un demi-siècle, c’était le parti des ouvriers et de la classe moyenne inférieure. Aujourd’hui, c’est moins le cas, en particulier chez les hommes. Les électeurs démocrates appartiennent majoritairement à la classe moyenne supérieure (version années 70) et vivent dans les banlieues aisées, ou bien sont des électeurs vieillissants de la Nouvelle gauche qui préfèrent de loin – malgré leurs fortes réticences – le Parti démocrate aux républicains actuels.

Plusieurs façons d’être de gauche

Cet éclairage nous aide à comprendre pourquoi, aujourd’hui, Clinton et Sanders se disputent le titre de candidat le plus « progressiste » en vue de l’investiture démocrate. Qui sera le plus à même de changer la société, et de quelle manière ?

Le peuple décidera. Gretchen Ertl/Reuters

Pour Hillary Clinton, les progressistes – dont elle serait la parfaite incarnation – sont des réformateurs modérés qui appartiennent à la classe moyenne. Pour Bernie Sanders, le « progressisme » évoque plutôt l’esprit de l’aile gauche de la coalition du New Deal.

Cette distinction montre bien que la définition du mot « progressiste » varie en fonction des individus, comme c’est le cas depuis longtemps aux États-Unis.

Traduit par Maëlle Gouret et Bamiyan Shiff/Fast for Word

This article was originally published in English

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