tag:theconversation.com,2011:/columns/antoine-arjakovsky-220388La foi et les faits – The Conversation2019-04-29T12:44:05Ztag:theconversation.com,2011:article/1159522019-04-29T12:44:05Z2019-04-29T12:44:05ZFaut-il réhabiliter la notion de civilisation européenne ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/271496/original/file-20190429-194620-cnup67.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C4%2C998%2C736&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le frontispice de 'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/fd/Encyclopedie_frontispice_full.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Dans un essai récent, <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/la-religion-des-faibles-jean-birnbaum/9782021346497"><em>La religion des faibles. Ce que le djihadisme dit de nous</em></a> (2018), l’essayiste Jean Birnbaum montre de façon convaincante que la redécouverte de la puissance de la croyance djihadiste pousse en retour les Européens, surtout depuis la vague d’attentats de 2015, à devoir défendre les fondements de la civilisation européenne, en y incluant ses postulats religieux. Nous nous pensions modernes, affranchis de toute dépendance à l’égard d’un dieu transcendant, indemnes de toute croyance. A l’inverse, comme le reconnaissent Peter Berger, Charles Taylor, Marcel Gauchet ou Jürgen Habermas, nous découvrons que nos modes de vie, – de la sociabilité des cafés à l’expérience des piscines municipales –, sont les marques vivantes de choix profonds, longtemps enfouis dans la profondeur de nos inconsciences collectives, et dont il nous faut retrouver au plus vite la pointe métaphysique si nous souhaitons les préserver et les enrichir.</p>
<p>Jean Birnbaum rappelle que dès 1955 Albert Camus suggérait que la tâche des intellectuels était de donner <a href="https://www.youtube.com/watch?v=syNYq-6iIb">« un contenu aux valeurs européennes, même si l’Europe n’est pas pour demain »</a>.</p>
<p>Toute la difficulté cependant, comme le rappelle le philosophe chrétien <a href="https://www.amazon.fr/Dieu-chr%C3%A9tiens-dun-deux-autres/dp/2081232553">Rémi Brague</a>, consiste en ce que les valeurs des croyances séculières peuvent fluctuer au gré des passions collectives ou des saisons idéologiques tandis que les fondements de la foi religieuse sont arrimés à des corps de doctrine et à des traditions interprétatives.</p>
<p>Or le fondamentalisme, qu’il soit laïc ou religieux, a pour caractéristique majeure de vouloir séparer la foi et la raison, le sens de la transcendance et celui de l’expérience immanente, le projet civilisationnel et l’expression de la différence.</p>
<p>Mais on n’élimine pas <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/18152/les-dieux-criminels">« les dieux criminels »</a> selon l’expression d’Antoine Fleyfel par la seule force militaire. Pour contrer la violence fondamentaliste, celle du califat comme celle de l’État agnostique, il est donc indispensable de retrouver les passerelles, invisibles à l’œil nu, qui unissent, dans les deux sens, la conviction religieuse aux postulats rationnels.</p>
<p>Il convient pour cela de sortir d’une vision présentiste de notre époque et de prendre un peu de recul historique. L’âge post-moderne qui est le nôtre est celui de la désillusion en un progrès continu de la civilisation. Il est marqué par une blessure narcissique : la perte de la croyance dans les valeurs humanistes définies par l’époque moderne. Celles-ci furent de fait, malgré tous les efforts de certains philosophes, d’Emmanuel Kant à Edmond Husserl, pour préserver le monde des noumènes du monde de la raison pratique, incapables de résister à la montée des totalitarismes et des fondamentalismes. Pour éviter de sombrer dans la faiblesse de cet âge désenchanté le journaliste du <em>Monde</em> invite son lecteur à reconnaître le retour de la croyance en politique, la marque gnostique de nos convictions, les <em>a priori</em> existentiels de nos pratiques politiques, économiques et culturelles.</p>
<p>Ce travail de reconnaissance pourrait conduire dans un premier temps le monde universitaire à prendre au sérieux le fait qu’il existe, au-delà de la seule connaissance compréhensive, un « savoir qui sauve » selon l’expression de Philippe Sollers. <a href="https://eglise.catholique.fr/sengager-dans-la-societe/culture/455624-francois-jullien-ressources-du-christianisme/">François Jullien</a> fait le même constat et appelle à dépasser les rayons « développement personnel » en librairie pour accéder aux ressources vivantes que fournissent les traditions religieuses, du taoïsme au christianisme. Dans un second temps, une fois qu’aura été accompli ce travail de lucidité auto-critique auquel <a href="https://www.revue-etudes.com/article/foi-et-raison-17943">Jean‑Marc Ferry</a> invite chacun, il conviendra de s’interroger sur les chemins les plus sûrs permettant d’affronter dans la paix l’époque nouvelle, néo-gnostique et ultra-violente qui s’ouvre devant nous. On pourra consulter sur cette époque la revue littéraire <em>Ligne de risque</em> animée par François Meyronnis et Yannick Haenel, en particulier le n°24, « La sagesse qui vient », de <a href="http://www.pileface.com/sollers/spip.php?breve873">février 2009</a>.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/04/23/l-organisation-djihadiste-etat-islamique-revendique-les-attentats-commis-au-sri-lanka_5453846_3210.html">L’attentat de l’État islamique</a>] contre les chrétiens au Sri Lanka qui a fait 253 morts le dimanche de Pâques 21 avril 2019 est un rappel dramatique de cette tâche immense. En plus de la cinquantaine de conflits qui sont dénombrés sur la planète il faut ajouter les menaces systémiques croissantes à commencer par le <a href="https://www.futura-sciences.com/planete/questions-reponses/rechauffement-climatique-consequences-rechauffement-climatique-1298/">dérèglement climatique</a> et la conscience, croissante du fait de l’extension médiatique, des <a href="https://www.oxfam.org/fr/egalite/cinq-chiffres-chocs-sur-les-inegalites-extremes-aidez-nous-redistribuer-les-cartes">inégalités croissantes générées par le mode de développement ultra-libéral</a>.</p>
<p><a href="https://www.collegedesbernardins.fr/content/quel-avenir-pour-la-civilisation-europeenne?fbclid=IwAR2gm1MaxYTIxC5-exvwy2eMmL3vFQmnJN1M5xFW6SV68HN02SV-d6jXfUs">Le colloque du 15 mai 2019</a> au Collège des Bernardins sur l’avenir de la civilisation européenne sera une occasion de poursuivre sans tarder l’appel venu à point nommé de Jean Birnbaum au <a href="http://confrontations.org/nos-recommandations/les-conditions-de-la-renaissance-europeenne/">nécessaire sursaut de la conscience européenne</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115952/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Antoine Arjakovsky travaille comme directeur de recherche au Collège des Bernardins</span></em></p>Les attentats islamistes conduisent les Européens à devoir s'interroger sur leurs propres convictions.Antoine Arjakovsky, Historien, Co-directeur du département «Politique et Religions», Collège des BernardinsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/809762017-09-07T20:45:50Z2017-09-07T20:45:50ZPeut-on se passer de la Providence pour comprendre l’histoire de France ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/185055/original/file-20170907-8355-1l02ymu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Gravure représentant le séisme qui ravagea Lisbonne le 1er novembre 1755.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/c/ce/1755_Lisbon_earthquake.jpg/640px-1755_Lisbon_earthquake.jpg">Museu da Cidade, Lisbon/Wikimedia</a></span></figcaption></figure><p><a href="http://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20170328.OBS7228/histoire-mondiale-de-la-france-pierre-nora-repond-a-patrick-boucheron.html">L’académicien Pierre Nora</a> a expliqué, le 30 mars 2017, dans <em>L’Obs</em> que l’histoire chronologique, « faussement classique », de Patrick Boucheron, le directeur de l’<em>Histoire mondiale de la France</em>, était une trahison de son projet initial d’histoire de France à travers ses <em>Lieux de mémoire</em>. Pour lui, même si Patrick Boucheron s’en défend, la cavalcade des événements inscrite dans le plan même de l’ouvrage constitue une résurgence du <a href="http://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20170328.OBS7228/histoire-mondiale-de-la-france-pierre-nora-repond-a-patrick-boucheron.html">roman national</a>.</p>
<p>De plus, P. Nora reproche aux auteurs de proposer une histoire incohérente, voire « une histoire alternative », avec tous les risques que ce terme comporte à l’époque du retour des propagandes, en faisant l’impasse sur des dates essentielles de l’histoire de France (telle que la victoire de F. Mitterrand en 1981 à l’élection présidentielle). Mais, surtout, il accuse P. Boucheron de prendre l’histoire en otage au nom de son projet politique multiculturaliste. « De la grotte Chauvet à la France des sans-papiers, s’exclame-t-il, même combat ! »</p>
<h2>Défense d’une approche anti-identitaire</h2>
<p>P. Boucheron a répondu, le 6 avril dernier, à cette sévère critique en associant les quatre co-responsables de l’édition de l’<em>Histoire mondiale de la France</em> dans une tribune intitulée <a href="http://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20170404.OBS7541/faire-de-l-histoire-aujourd-hui-la-reponse-de-boucheron-a-nora.html">« Faire de l’histoire aujourd’hui »</a>. Les cinq historiens y affirment se situer en continuité avec l’approche anti-identitaire de Pierre Nora mais expliquent que, dans la continuité de Jules Michelet et de Lucien Febvre, ils souhaitent réhabiliter une histoire comparée. Celle-ci permet de décentrer le regard de l’historien, souvent préoccupé de sa seule identité et qui ne manque pas de resurgir dans l’approche mémorielle de P. Nora, afin d’éviter le piège de l’affirmation triomphante par l’historien d’une vérité absolue.</p>
<p>La nouvelle génération d’historiens cherche donc à croiser les points de vue pour faire surgir les incohérences et les blessures enfouies du passé et pour s’ouvrir à l’histoire de l’Europe et du monde afin de vaincre précisément le récit impérialiste et colonisateur.</p>
<p>Mais, ceci étant posé, cette nouvelle génération intellectuelle est-elle réellement en mesure de proposer un récit capable, non seulement de confronter, mais aussi de réconcilier les mémoires, comme le voudraient aussi <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/documents/biographies-memoires/ils-mont-appris-lhistoire-de-france_9782738134875.php">Jean‑Pierre Rioux</a> et <a href="http://www.grasset.fr/le-sens-de-la-republique-9782246858225">Patrick Weil</a> ? Parviennent-ils vraiment à s’extraire de nos catégories de pensée, « sexisme, racisme, colonialisme, machisme, dominants/dominés », comme <a href="http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2017/09/01/31003-20170901ARTFIG00265-berenice-levet-qui-arretera-les-grands-epurateurs-de-l-histoire.php">s’interroge la philosophe Bérénice Levet</a> ? Ces nouveaux historiens sont-ils conscients que l’histoire globale et de longue durée n’est pas en mesure, à elle seule, de répondre aux attentes existentielles des individus sur leurs origines et sur leurs possibles avenirs ?</p>
<h2>Revenir à Michel Foucault</h2>
<p>En réalité, il faut revenir à l’œuvre de Michel Foucault pour être en mesure de répondre à ces questions. Car ce qui permettait à l’homme de connecter les mots et les choses avant la grande rupture de la Modernité c’était sa conscience, au double sens de <em>con-scientia</em> et de conscience morale. Le philosophe français a écrit des pages célèbres sur l’ordre de l’Histoire qui donne lieu aux organisations analogiques (tout comme l’Ordre ouvrait autrefois le chemin des identités et des différences successives).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/185054/original/file-20170907-10812-jc3apk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/185054/original/file-20170907-10812-jc3apk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=720&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/185054/original/file-20170907-10812-jc3apk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=720&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/185054/original/file-20170907-10812-jc3apk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=720&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/185054/original/file-20170907-10812-jc3apk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=905&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/185054/original/file-20170907-10812-jc3apk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=905&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/185054/original/file-20170907-10812-jc3apk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=905&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le philosophe Michel Foucault.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://3.bp.blogspot.com/_6sjisX1rGKY/StmQa6rMcqI/AAAAAAAAFuY/KazyLYkbfLs/s320/foucault.jpg">DR</a></span>
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<p>Mais il n’a pas imaginé une configuration épistémologique qui puisse combiner, à partir de la conscience des individus, la capacité à saisir, dans la succession des faits, des événements capables de donner lieu à des organisations analogiques de la connaissance. Pour cela, il aurait fallu comprendre l’événement, comme le faisaient les Romains, (<em>ex venire</em>) – comme « ce qui vient d’ailleurs ». Ou comme le pensent les Russes (<em>sobytie</em>) comme « un être-avec ».</p>
<p>Le malheur de l’histoire médiévale fut d’avoir écrasé la liberté humaine par l’action d’un Dieu Tout-Puissant, d’un <em>Pantocratôr,</em> dans l’histoire des hommes. La « Lettre à Voltaire sur la Providence » de Jean‑Jacques Rousseau, écrite le 18 août 1756 après la publication par le philosophe français de son traité <em>Sur la loi naturelle et sur le désastre de Lisbonne</em>, et la publication de <em>Candide ou l’Optimisme</em> à Genève en 1759 représentent des jalons importants de la critique de la théologie chrétienne providentialiste et de la métaphysique « théologo-cosmolo-nigologique ».</p>
<p>Mais une théologie renouvelée, proprement trinitaire, de la Providence divine, capable de disculper Dieu de toute pensée du mal, comme dans l’<a href="https://christus.fr/comment-dieu-connait-il-le-mal-dont-il-n-a-pas-idee-jean-miguel-garrigues/">œuvre</a> du père Jean Miguel Garrigues, capable aussi d’associer la toute-puissance divine avec la liberté humaine à travers la conscience sapientielle de Jésus Christ, comme dans l’<a href="https://philitt.fr/2016/09/21/le-pere-serge-boulgakov-une-vie-sous-le-regard-de-la-sophia/">œuvre sophiologique</a> du père Serge Boulgakov, une telle théologie permet de répondre à la critique acérée des Lumières et de retrouver le fil de la philosophie eschatologique de l’histoire.</p>
<h2>Main invisible et main de la justice</h2>
<p>Il en est de même dans le domaine des sciences humaines. Le philosophe Dany Robert Dufour, dans <a href="https://www.scienceshumaines.com/le-divin-marche-la-revolution-culturelle-liberale_fr_21776.html"><em>Le divin marché</em></a>, a critiqué <em>La Fable des abeilles</em> de Bernard de Mandeville à partir de la redécouverte de la dimension spirituelle et donc éthique de l’activité économique. L’économiste et ancien directeur du FMI Michel Camdessus a présenté également la <a href="http://www.cetri.be/IMG/pdf/Le_marche_la_culture_et_la_religion.pdf">dimension trinitaire de la Providence dans l’économie de marché</a>. Celle-ci ne dispose pas en effet, selon lui, de la seule « Main invisible », mise au jour par Adam Smith, capable de réguler l’offre et la demande de façon parfaitement harmonieuse. Elle met en œuvre, également, la main de la justice, c’est-à-dire de l’État, et accueille la main fraternelle de la solidarité, celle des citoyens du monde s’unissant ensemble pour combattre la pauvreté.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/185058/original/file-20170907-25933-yjyapt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/185058/original/file-20170907-25933-yjyapt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=770&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/185058/original/file-20170907-25933-yjyapt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=770&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/185058/original/file-20170907-25933-yjyapt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=770&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/185058/original/file-20170907-25933-yjyapt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=968&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/185058/original/file-20170907-25933-yjyapt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=968&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/185058/original/file-20170907-25933-yjyapt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=968&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Portrait (anonyme) de l’économiste Adam Smith.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/4/43/Adam_Smith_The_Muir_portrait.jpg/187px-Adam_Smith_The_Muir_portrait.jpg">Scottish National Gallery/Wikimedia</a></span>
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<p>C’est à ce niveau de compréhension de l’événement comme lieu de rencontre entre la liberté humaine et la toute-puissance divine, mais aussi comme espace d’expérience entre les pôles identité et altérité de l’intelligence, que peuvent se rencontrer les historiens appartenant à différentes traditions intellectuelles, spirituelles et politiques. Les articles de Juliette Sibon sur « Troyes capitale du Talmud » ou de Guillaume Cuchet sur Lourdes comme « Terre d’apparitions » dans l’<em>Histoire mondiale de la France</em> révèlent une ouverture nouvelle de l’historiographie contemporaine à l’action de l’Esprit dans l’histoire. Inversement, les pages que consacre Jean Sévillia à l’affaire Dreyfus et à l’aveuglement des élites politiques et religieuses de son temps montrent que le roman national n’empêche pas l’intelligence critique de se déployer.</p>
<p>On peut, dans cette perspective, mentionner l’<a href="https://www.collegedesbernardins.fr/publications/histoire-de-la-conscience-europeenne"><em>Histoire de la conscience européenne</em></a> qui a réuni en 2016 une trentaine d’historiens européens venant de quinze pays différents avec le même objectif de faire se croiser des regards différents afin de tenir ensemble le discours de l’identité et celui de l’altérité. Cette vaste mosaïque, qui s’ouvre aujourd’hui au dialogue avec les millions de citoyens européens grâce à un <a href="https://my-european-history.ep.eu/myhouse/timeline?locale=fr">site Internet</a>, fait progressivement apparaître, par des récits traumatiques ou par des mémoires heureuses, les linéaments scintillants d’une conscience mutuelle partagée.</p>
<p>À une « conscience éveillée et inquiète du savoir moderne » (M. Foucault) succède donc, sous nos yeux, une conscience confiante et ouverte en la méta-histoire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/80976/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Antoine Arjakovsky travaille pour le Collège des Bernardins</span></em></p>Les nouveaux historiens sont-ils conscients des limites de l’histoire globale et de longue durée ? Il faut revenir à l’œuvre de M. Foucault et à une théologie renouvelée de l’histoire pour répondre.Antoine Arjakovsky, Historien, Co-directeur du département «Politique et Religions», Collège des BernardinsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/809742017-08-27T19:42:49Z2017-08-27T19:42:49ZLe rôle de l’historien est-il de ressusciter le passé ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/183333/original/file-20170824-18691-ou9zwj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Vercingetorix jette ses armes aux pieds de Jules César », tableau de Lionel Royer (1852-1926).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Siege-alesia-vercingetorix-jules-cesar.jpg">Musée Crozatier du Puy-en-Velay/Wikimedia</a></span></figcaption></figure><p>Il existe en France aujourd’hui au moins quatre écoles historiques différentes. Fondées sur des visions du monde différentes (historicisme-providentialisme) et des méthodes divergentes (identité-altérité), elles jettent des regards opposés sur l’histoire de France. Comme la récente période électorale l’a montré, leurs désaccords trouvent des prolongements dans les positionnements des principaux candidats à la présidence de la République non seulement en rapport avec le « roman national » mais bien plus encore sur l’avenir de la France en Europe et dans le monde. Cette absence de consensus ne résulte-t-elle pas d’une faille initiale ? Et peuvent-elles au moins s’accorder sur le rôle de l’historien au sein de la nation ?</p>
<h2>Le tournant historiciste</h2>
<p>Il y a environ 200 ans, pour la première fois dans l’historiographie, s’est produite en Europe une déconnexion entre l’histoire des hommes et l’histoire des dieux. Dans <em>Les mots et les choses</em>, Michel Foucault a montré qu’entre 1775 et 1825, avec E. Kant, G. Cuvier ou C. Darwin, les savants européens ont découvert une historicité propre à la nature, au travail et au langage. La connaissance sapientielle de la vérité, ouverte à l’action de l’Esprit divin dans l’histoire, telle qu’elle apparaissait encore dans l’œuvre de Bossuet, se transformait en une connaissance chronologique des rythmes propres au développement des choses et des hommes.</p>
<p>L’historiographie républicaine française, de Jules Michelet à Ernest Lavisse, a mis un siècle à tirer toutes les conséquences de ce tournant historiciste tout en conservant un aspect providentialiste à l’histoire de France. Mais, après la Seconde Guerre mondiale, après la découverte simultanée de la terrible « dialectique de la raison » (Adorno/Horkheimer) et du troublant matérialisme dialectique, avec surtout la prise de conscience du danger que représentait une vision par trop nationaliste du passé de l’État républicain, le paysage de l’historiographie française éclata.</p>
<p>L’histoire de France la plus connue aujourd’hui est celle qu’a coordonnée Pierre Nora entre 1984 et 1992 à travers la publication des <em>Lieux de mémoire</em>, une histoire des lieux et des objets symboliques de la nation française (Paris, Gallimard, I, II, III, 1997). Comme Pierre Nora l’a lui-même affirmé à de nombreuses reprises, cette approche historiographique est entrée très tôt en crise du fait de son caractère intrinsèquement désordonné (Henry Rousso a parlé à son sujet d’un « jeu de l’oie de l’identité française » dès 1987).</p>
<p>De plus la récupération de la méthode par quantité de communautés faisant la promotion de leurs propres mémoires a brouillé encore plus la mission de l’historien. Ce qui était posé dans le titre même du dernier volume de la trilogie « Les France », avec cette faute d’orthographe assumée qui en disait long sur la fragilité épistémologique du projet, conduisit au grand dam de son auteur principal, à une vision « sociale » ou « patrimoniale » de l’histoire de France.</p>
<h2>Le risque de « criminalisation générale du passé »</h2>
<p>Ainsi, onze après la loi Gayssot de 1990 qui reconnaissait la Shoah comme crime contre l’humanité, en continuité avec le tribunal militaire de Nuremberg, et réprimait tout acte raciste, antisémite et xénophobe, la loi Taubira de 2001 reconnut la traite et l’esclavage comme crimes contre l’humanité. Ces deux lois, auxquelles on peut ajouter la loi de 1999 sur « les opérations effectuées en Afrique du Nord » ou la loi de 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien, représentent des jalons importants de cette radicalisation du projet initial de Pierre Nora.</p>
<p>Ce dernier réagit vigoureusement avec la publication en 2004 chez Gallimard du livre d’Olivier Pétré Grenouilleau sur <em>Les traites négrières</em> afin de stopper le mouvement de repentance de l’historiographie nationale, et avec la publication, en 2008, de son manifeste intitulé <em>Liberté pour l’histoire</em> coécrit avec Françoise Chandernagor. Pierre Nora écrit :</p>
<blockquote>
<p>« Deux mille ans de culpabilité chrétienne relayée par les droits de l’homme se sont réinvestis, au nom de la défense des individus et la disqualification radicale de la France. Et l’école publique s’est engouffrée dans la brèche avec d’autant plus d’ardeur qu’à la faveur du multiculturalisme elle a trouvé dans cette repentance et ce masochisme national une nouvelle mission. »</p>
</blockquote>
<p>Pierre Nora en est venu à déconnecter le rôle de l’historien de toute mission éthique pour éviter le risque de « la criminalisation générale du passé ». Or, de Homère à Léopold van Ranke, l’historien était reconnu en tant qu’il était capable de formuler un récit réconciliateur, et donc vertueux, du passé d’une communauté partagée par des mémoires concurrentes.</p>
<h2>Le roman d’une nation en perpétuelle formation</h2>
<p>Le livre de Michelle Zancarini-Fournel, <em>Les luttes et les rêves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours</em> (paru aux éditions Zones–La Découverte, en décembre 2016) est venu couronner deux décennies de contestation à gauche du projet de Pierre Nora. Au point que le journal <a href="http://www.humanite.fr/l-histoire-monde-de-france-face-au-pretendu-roman-national-628060"><em>L’Humanité</em> considère ce livre comme « un véritable monument de savoirs »</a>. L’auteure, professeure en histoire contemporaine à l’université Claude Bernard Lyon-I, se réfère explicitement au magistère intellectuel du philosophe italien marxiste Antonio Gramsci et à la démarche analytique de l’historien britannique Edward Palmer Thompson, spécialiste de l’histoire sociale et culturelle du Royaume-Uni, pour faire le récit d’une histoire de France entachée dès 1685, sous Louis XIV, par la révocation de l’Édit de Nantes et par la promulgation du Code noir régularisant aux Antilles l’esclavage colonial.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/183334/original/file-20170824-18141-1trmj71.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/183334/original/file-20170824-18141-1trmj71.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=880&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/183334/original/file-20170824-18141-1trmj71.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=880&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/183334/original/file-20170824-18141-1trmj71.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=880&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/183334/original/file-20170824-18141-1trmj71.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1106&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/183334/original/file-20170824-18141-1trmj71.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1106&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/183334/original/file-20170824-18141-1trmj71.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1106&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Révocation de l’édit de Nantes (document datant de 1685).</span>
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<p>En raison de cette évolution de l’historiographie, l’histoire de France à l’ancienne, qui privilégiait la continuité et la cohésion de la nation française depuis Clovis, fut de plus en plus marginalisée. Certes, cette vision « continuiste » de l’histoire de France a fait elle-même l’objet de reproches divergents. Les uns estiment que la reddition volontaire des armes de Vercingétorix devant César à Alésia en 52 avant J.-C. a été exagérée par les historiens du passé pour mieux masquer une romanisation volontaire de la part de la part des élites celtes de Gaule. D’autres considèrent que la fusion gallo-romaine décrite par les manuels d’histoire de la troisième République ne faisait que préparer, par un mécanisme d’agglutinement des mémoires, le ralliement de la France de Vichy au Troisième Reich.</p>
<p>Rares furent ceux, comme Jean Sévillia, à oser continuer écrire l’histoire de France, comme une histoire faite de mythes et d’événements bien réels, et à ce titre comme le roman d’une nation en perpétuelle formation, en cherchant à éviter autant l’anachronisme que la naïveté du point de vue surplombant. En 2013 il publia une <em>Histoire passionnée de la France</em> dont l’objectif était de réconcilier les Français avec leur histoire en réintroduisant un récit rythmé par des événements s’enchaînant les uns après les autres dans une cohérence globale faisant apparaître la lente constitution de la nation française.</p>
<p>Faisant le récit de la fin de la guerre des Gaules, Jean Sévillia écrit :</p>
<blockquote>
<p>« Environ 600 000 Gaulois ont été tués – soit le dixième de la population de la Gaule indépendante –, et 500 000 prisonniers vendus comme esclaves par les Romains. Villes et campagnes sont dévastées. Vercingétorix, avec sa tentative d’unifier les Gaulois, a été prophète, même s’il ne faut pas lui attribuer une vision politique qu’il n’avait pas. Car l’unité de la Gaule va s’opérer mais, pour son plus grand bien, sous l’égide de Rome. »</p>
</blockquote>
<h2>Radicalisation de la profession</h2>
<p>L’absence de dialogue entre – d’une part – les historiens privilégiant la diversité des mémoires, et donc l’hétérogénéité de la nation française, et – d’autre part – les historiens insistant sur la continuité et donc sur l’identité métahistorique de la France, conduisit cependant à une certaine radicalisation de la profession historique. Les historiens français défenseurs du roman national furent en effet de plus en plus irrités d’être considérés comme des ultraconservateurs du seul fait de leur refus de l’approche « impressionniste » et par trop « idéologique » des premiers.</p>
<p>Pierre Nora, heurté par l’utilisation à gauche de l’échiquier politique de son projet éditorial se rapprocha de plus en plus d’historiens réputés conservateurs et se fit de plus en plus mélancolique et désabusé. Jean Sévillia, quant à lui, bien que regrettant lui aussi la condamnation de l’histoire coloniale française, en vint à défendre des positions proches du Front national, dans plusieurs ouvrages critiques de l’idéologie post-marxiste mais aussi de l’approche structuraliste voire nihiliste de l’historiographie dominante.</p>
<h2>La mission « imaginante » de l’historien</h2>
<p>C’est dans ce contexte qu’on peut tenter de comprendre l’âpreté des débats autour de la publication en janvier 2017 de l’<a href="http://www.lopinion.fr/edition/politique/jean-pierre-rioux-l-oxygene-l-histoire-france-117654"><em>Histoire mondiale de la France</em> par un collectif de 122 auteurs dirigés par Patrick Boucheron, professeur au Collège de France, en association avec N. Delalande, F. Mazel, Y. Potin et P. Singaravélou</a>. Dans son « ouverture », P. Boucheron n’hésite pas à affirmer, contre les tenants du roman national, que cette histoire est « politique dans la mesure où elle entend mobiliser une conception pluraliste de l’histoire contre l’étrécissement identitaire qui domine aujourd’hui le débat public. »</p>
<p>Comme il l’a expliqué lors d’une rencontre de la Fondation Jean Jaurès au Collège des Bernardins, le 29 mars 2017, il est sensible à l’approche de M. Zancarini-Fournel tout en rappelant que l’histoire des luttes sociales ne peut à elle seule former le tout du récit. Enfin, Patrick Boucheron se prononce contre l’approche de Pierre Nora qui oppose perpétuellement une histoire « toujours objective » de la vérité commune avec des mémoires « nécessairement partielles et divergentes ». Les mémoires peuvent en effet être convoquées, selon lui, par l’historien afin de produire non pas un récit intangible du passé mais « une image exacte incommode ». P. Boucheron ne cherche donc pas à ressusciter le passé tout comme l’art authentique n’a pas comme visée principale d’imiter la nature.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/P7EMtBZTusA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>L’historien véritable doit être capable, selon lui, de rappeler, à travers le récit chronologique des événements, ce qui aurait pu se produire dans le passé et ce qui constitue encore un réservoir caché de blessures ou de développements créateurs potentiels, au sein d’une communauté de communautés. C’est pourquoi Patrick Boucheron se prononce en faveur d’une histoire « ouverte, diverse, peuplée et entraînante ». Finalement, le professeur du Collège de France ne nie pas la puissance du mythe dans l’histoire et le désir des peuples d’un roman national. Mais son récit vise à accorder au mythe sa juste place, <a href="http://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1987_num_28_4_2466">comme le recommandait autrefois Raoul Girardet</a>. Le résultat de cette approche aboutit à une histoire de la France enfin ouverte à sa dimension européenne et internationale et consciente du souci d’universalité qui anime toute communauté nationale digne de ce nom.</p>
<p><em>L’Histoire mondiale de la France</em>, devenue en quelques mois un best-seller et l’objet d’âpres polémiques, peut être critiquée. Mais la méthode proposée et la mission « imaginante » assignée à l’historien feront, selon toute vraisemblance, l’objet d’un consensus croissant. Il ne reste plus qu’à croiser cette méthode réconciliatrice avec celle des regards croisés proposée en son temps par Paul Ricœur. <a href="https://my-european-history.ep.eu/myhouse/story/798">L’<em>Histoire de la conscience européenne</em>,</a> publiée en 2016 par un collectif de 30 historiens, en est un premier essai.</p>
<p>Cette prise de distance européenne permettra peut-être aussi de trouver des convergences possibles, au niveau des partis politiques, entre les récits des insoumis et ceux des patriotes, ainsi qu’entre ceux qui privilégient les mémoires de communautés précises et ceux qui comprennent l’histoire de France comme un tout capable de transcender les groupes spécifiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/80974/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Antoine Arjakovsky travaille pour le Collège des Bernardins</span></em></p>Les désaccords entre les quatre grands courants de l’historiographie française trouvent des prolongements dans les positionnements des principaux candidats à la présidence de la République.Antoine Arjakovsky, Historien, Co-directeur du département «Politique et Religions», Collège des BernardinsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/775172017-05-11T22:43:28Z2017-05-11T22:43:28ZLa théologie a-t-elle sa place à l’université ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/168939/original/file-20170511-32593-12ixldt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Bible.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f/photo/7893963766/79815f525e/">Visualhunt.com </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Depuis la Révolution française, il existe en France une sorte de consensus au sein des élites dirigeantes pour considérer la conviction religieuse comme appartenant au domaine de l’opinion, et non pas à celui de la rationalité.</p>
<h2>Une place à part dans l’université républicaine</h2>
<p>Ce consensus a été largement intégré par la communauté chrétienne qui a fini par se convaincre, au XIX<sup>e</sup> siècle, que la foi se consacre à répondre aux questions essentielles, dites métaphysiques, sans être en mesure de leur apporter des explications rationnelles. De plus, comme l’a révélé la crise moderniste, la vérité ne pouvait avoir comme ultime sanction que celle du magistère romain.</p>
<p>Il faut ajouter à cet état de fait une lutte, autant politique qu’académique, jusqu’au début des années 1870, entre le Vatican et la République sur la question des modalités de reconnaissance des diplômes de théologie délivrés par la Sorbonne. Celle-ci aboutit à l’éviction de la théologie de la Sorbonne, et à la création, en 1886, de la V<sup>e</sup> section de sciences religieuses de l’École Pratique des Hautes Études, hors de tout contrôle et donc de toute participation de l’Église.</p>
<p>C’est ainsi que les notions d’âme, d’esprit ou d’hypostase, qui ont pourtant marqué des siècles de recherches savantes de Platon à Thomas d’Aquin et René Descartes, furent, au mieux, prises en charge par les philosophes et, au pire, reléguées dans le domaine du paranormal. La loi de 1905, qui sépara l’État et les religions, consacra cette opinion selon laquelle la foi devait relever exclusivement de la sphère subjective tandis que l’État était seul en mesure de se hisser au niveau de la vérité objective.</p>
<h2>La théologie, base de l’université médiévale</h2>
<p>La théologie a pourtant constitué la matrice de l’Université née en France entre 1200 et 1231 sur la base de la faculté de Notre Dame à Paris par la volonté des <em>scholares</em> parisiens, du roi Philippe Auguste et des papes Innocent III et Grégoire IX. Les statuts de l’Université de Paris, promulgués en 1215, ont permis la création de 4 facultés (Arts, Théologie, Médecine, Droit canon).</p>
<p>La théologie se situait au sommet d’une organisation du savoir intégrant les arts du langage (<em>trivium</em>) et du calcul (<em>quadrivium</em>). L’originalité de cette épistémologie était qu’elle n’était fondée ni sur le seul concept, comme ce fut le cas à partir du XVIII<sup>e</sup> siècle, ni sur la seule communication, qui permet l’art du consensus, mais sur le symbole, en tant qu’il est capable d’associer de façon cohérente, expérimentable et sensée, le référent, le signifiant et le signifié.</p>
<p>En continuation avec la pensée antique, qui savait lier les vérités célestes aux vérités terrestres, la pensée scolastique sut s’affranchir cependant de la seule référence aux autorités du passé pour mieux répondre aux nouveaux questionnements de son temps. Dans cette conception de la connaissance, la proximité entre les enseignants et les apprenants, fondatrice de <em>l’universitas magistrorum et scholiarum</em> était essentielle car, à l’image des relations entre le Christ et son Père, mais aussi entre le Christ et ses disciples, la vérité ne pouvait être objectivée de façon servile, ni être subjectivée de façon dominatrice.</p>
<p>Elle ne pouvait se faire jour de façon sapientielle qu’à travers les liens de l’amitié selon les paroles mêmes du Christ. « Je vous appelle amis car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître » (Jn 15,15).</p>
<h2>Vers une intégration des universités catholiques</h2>
<p>Le XXI<sup>e</sup> siècle pourrait bien changer la donne à la conception moderne de la théologie. Premièrement parce que, en France, les universités catholiques disposent d’un succès grandissant et qu’elles ont su s’intégrer dans le système européen, dit de Bologne, de <a href="http://www.lemonde.fr/campus/article/2016/10/10/le-boom-discret-des-universites-catholiques_5010788_4401467.html">reconnaissance des diplômes.</a></p>
<p>Les universités catholiques, mais aussi les universités britanniques, étroitement liées à l’Église anglicane et qui possèdent également des facultés de théologie, disposent d’une excellente réputation dans le monde. Avec la mondialisation croissante des échanges de savoir, la situation française de non-reconnaissance de la théologie apparaît de plus en plus anachronique. Du reste, l’État français a fait en 2008 un premier pas en acceptant, certes avec encore beaucoup de <a href="http://www.la-croix.com/Actualite/France/L-accord-France-Vatican-sur-les-universites-catholiques-remis-en-cause-_EP_-2012-12-16-887933">précautions,</a> la reconnaissance des niveaux de diplômes accordés par les instituts catholiques pour ses formations canoniques (théologie, philosophie, droit canonique et sciences sociales).</p>
<p>Mais surtout l’exemple des universités concordataires de Strasbourg et de Nancy montre qu’il est devenu possible, pour l’État républicain et pour les Églises, de s’entendre sur un enseignement de haut niveau de la théologie qui soit respectueux des traditions, des épistémologies et des hiérarchies ecclésiales.</p>
<h2>Une conception moderne de la théologie</h2>
<p>Ensuite, la critique de Martin Heidegger à l’égard de l’épistémologie médiévale a été globalement intégrée par la théologie chrétienne contemporaine. Au point que, du père Henri de Lubac à Charles Taylor, s’est produit un renouvellement en profondeur de la pensée théologique et philosophique chrétienne.</p>
<p>La publication en 1973 du livre de Marie-Joseph Le Guillou, <em>Le Mystère du Père</em> a été saluée comme une redécouverte en profondeur de toute l’histoire de la théologie à partir de la prise de conscience d’une déviation, à partir de Jean Duns Scot (1266-1308), de la compréhension orthodoxe de l’unicité de la personne divine. L’ouvrage de Jean Borella, <em>La crise du symbolisme religieux</em>, publié en 1990 et réédité en 2009, a ouvert de nouvelles perspectives aux philosophes conscients des limites de la pensée phénoménologique.</p>
<p>Grâce aux rapprochements œcuméniques et aux dialogues interreligieux, de plus en plus de théologiens sont aujourd’hui en mesure de sortir de leur pré carré et renouent un dialogue avec les disciplines scientifiques <a href="https://www.revue-etudes.com/blog/terre-nouvelle-1">(François Euvé)</a>, la science politique <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/3364/theologie-et-theorie-sociale">(John Milbank)</a>, ou les arts (<a href="http://www.paris.catholique.fr/texte-de-la-conference-de-careme-a-40274.html">Olivier Boulnois</a>).</p>
<p>Enfin, de plus en plus d’universitaires commencent à se sentir à l’étroit dans une vision purement positiviste des faits religieux voire, plus généralement, dans une vision quasi religieuse de la raison. Jean‑Paul Willaime, directeur d’études à l’EPHE, a montré comment le point de vue croyant <a href="http://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/Jean%E2%80%91Paul-Willaime-Une-forte-demande-sociale-connaissance-fait-religieux-2017-02-28-1200828113">doit être intégré</a>. Le philosophe Jean Marc Ferry redécouvre dans un essai récent « La raison et la foi », que la foi est une source puissante d’intelligibilité du monde pourvu qu’on veuille bien ne pas la mettre en opposition systématique avec la raison. En effet, selon Husserl, la foi comme la raison disposent d’une source commune, à savoir la <a href="https://www.revue-etudes.com/article/foi-et-raison-17943">confiance</a>.</p>
<p>De son côté Philippe Meirieu, professeur des universités en sciences de l’éducation, plaide le fait qu’on ne peut pas distinguer de façon étanche le savoir et le croire comme on l’a fait <a href="https://www.meirieu.com/LIVRES/eduquer_attentats.htm">pendant des décennies</a>. Même s’il continue à considérer que « les croyances relèvent de la sphère privée », la montée des radicalisations en France le conduit à estimer qu’on ne peut plus continuer à poser une chape de plomb sur les convictions religieuses dans l’école de la République.</p>
<blockquote>
<p>« L’accès aux connaissances scientifiques ne permet pas systématiquement d’échapper à la radicalisation et au fanatisme dont Edgar Morin a bien décrit les composantes : la réduction du monde et de l’autre à ce que l’on en décide, le manichéisme qui rejette toute altérité dans le “mal absolu”, et la réification qui enkyste le sujet dans une vision totalisante dont l’emprise est telle qu’elle peut lui faire commettre les <a href="http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2016/02/19022016Article635914645011723844.aspx">pires exactions</a>. »</p>
</blockquote>
<p>Cette prise de conscience devrait favoriser la création, demandée par un grand nombre d’experts comme Claude Thélot, d’une éducation à la culture éthique et religieuse à l’école et d’une formation des maîtres réalisée en coopération avec des universitaires et <a href="https://enseignement-catholique.fr/pour-une-laicite-qui-laisse-une-place-aux-religions/">des responsables de culte.</a></p>
<hr>
<p><em>Elle justifie aussi le lancement d’une nouvelle chronique pour Theconversation.com sur « La foi et les faits » !</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/77517/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Antoine Arjakovsky travaille au Collège des Bernardins. </span></em></p>Analyse des rapports entre la théologie et le monde académique français et de leur histoire… jusqu’à la situation actuelle où la théologie, renouvelée, y a une place originale.Antoine Arjakovsky, Historien, Co-directeur du département «Politique et Religions», Collège des BernardinsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.