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Image obtenue à partir du satellite « Deep Space Climate Observatory » prise à un million de kilomètres de distance. NASA, CC BY-SA

Comment démontrer (facilement) que la Terre est bel et bien ronde

La Terre, ronde ? Non, mais sérieusement, avez-vous regardé autour de vous ? Dans le genre idée saugrenue, on a rarement connu pire… En astronomie, historiquement, c’est la première d’une longue série d’idées étranges. Alors comment diable en est-on arrivé là ? Et comment en avoir la preuve facilement ?

En fait, la courbure terrestre n’est pas simple à voir à cause des dimensions colossales de notre planète : le périmètre terrestre atteint 40 000 kilomètres, soit plus de vingt millions d’humains bout à bout ! Seule solution pour voir la courbure « en direct » : monter, mais de beaucoup. Les avions de ligne ou les hautes montagnes ne suffisent pas – même si des fenêtres incurvées ou les aberrations des objectifs photo semblent parfois nous la dévoiler dans ces circonstances. La courbure terrestre devient en fait réellement décelable à environ une vingtaine de kilomètres d’altitude et devient absolument inévitable depuis la station spatiale internationale. Mais pour prendre une photo complète de la boule, en un seul cliché, il faut s’éloigner encore, vers la Lune par exemple – la première photo de ce genre nous vient d’ailleurs des missions Apollo. Ce n’est pas une expérience à la portée de tous, hélas (quoiqu’avec l’essor du tourisme spatial, peut-être le sera-ce un jour prochain…).

Évidemment, si la Terre est ronde, impossible de voir les objets très lointains, ils se cachent derrière l’horizon courbé ! Sur un monde plat, au contraire, les choses vont certes rapetisser à mesure de leur éloignement mais elles ne peuvent jamais disparaître. C’est ici qu’entre en scène le fameux « bateau qui disparaît d’abord par sa coque en sortant du port », dont vous avez certainement déjà entendu l’antienne. Mais, allez, avouez : vous ne l’avez jamais vu avec vos yeux… Forcément, ce n’est pas si simple de le voir ! Il faut une météo clémente, un air clair peu turbulent, et une bonne longue-vue ou un télescope : pas accessible à tous (de nouveau).

Vous pouvez cependant jouer un peu avec cet horizon car il recule quand on monte : il est ainsi possible de voir le Soleil se coucher deux fois, une première fois en bas d’un immeuble, une seconde si vous montez très vite au sommet de celui-ci, ce qui ne serait pas possible sur une Terre plate. Ensuite, comme le savant Al-Biruni, on peut remarquer que plus on s’éloigne de la surface terrestre, plus l’horizon est lointain… mais aussi plus bas !

Lorsque Felix Baumgartner s’élance pour un saut à 39 kilomètres d’altitude, il a pu apercevoir la courbure de la Terre. Red Bull

Il suffit alors de mesurer de combien il faut baisser les yeux pour avoir l’horizon en face, ce qui est faisable par tout un chacun (par exemple en jouant avec une application de théodolite lors de votre prochain trajet en avion). Attention, cependant, des choses censées être cachées derrière l’horizon sont parfois visibles, à cause de la réfraction. Comment être sûr qu’il s’agit bien d’un mirage atmosphérique ? Changez de place (cet effet recule l’horizon, mais ne l’élimine pas) ou observez un certain temps (l’atmosphère turbulente provoque des images distordues et changeant rapidement et les variations de météo font que l’effet est plus fort certains jours que d’autres)…

Jouer avec les ombres

Vous pouvez aussi jouer avec les ombres, en refaisant la célèbre expérience d’Ératosthène. Historiquement, l’Alexandrin remarqua qu’au solstice d’été, un obélisque portait une ombre à Alexandrie alors que le fond d’un puits était éclairé à Syène. Il utilisa ces deux observations pour déterminer la taille d’une Terre sphérique éclairée par un Soleil très éloigné. Mais attention : cette expérience peut tout aussi bien s’interpréter avec une Terre plate et un Soleil proche… Pour vraiment utiliser ce jeu d’ombres pour prouver la rotondité de la Terre, il faut toute une série de mesures en de nombreux endroits, ce qui implique beaucoup de monde ou beaucoup de voyages – pas si simple !

Et si vous aimez les ombres, observez les prochaines éclipses lunaires, quand la Lune passe dans l’ombre de la Terre et quelle forme a cette ombre, visible sur la face lunaire ? Une zone noire avec un bord courbé. Alors évidemment, à première vue, c’est tout aussi compatible avec un globe qu’un disque, sauf que… l’éclipse de Lune peut avoir lieu dans n’importe quelle configuration (au zénith, bas sur l’horizon, à une hauteur intermédiaire) et la seule forme qui porte une ombre ronde quel que soit l’angle, c’est… une sphère.

Il faudrait voyager

Une autre façon de se rendre compte de la courbure terrestre est de voyager, beaucoup et surtout d’un hémisphère à l’autre (quoique là encore, ce n’est pas à la portée de toutes les bourses…). Ainsi, en se rapprochant de l’équateur depuis la France métropolitaine, vous verrez l’étoile Polaire se rapprocher doucement de l’horizon. Et si vous dépassez l’équateur et allez à la Réunion, en Patagonie, ou en Tasmanie, l’étoile Polaire aura disparu derrière l’horizon. En plus de voir des constellations inconnues, le ciel semblera tourner au fil des heures, mais autour d’un point situé non loin de la constellation de la Croix du Sud et non autour d’une étoile polaire située sous l’horizon. Impossible avec une Terre plate, où il n’y a qu’un centre de rotation (marqué par la Polaire) et où les constellations peuvent certes se rapprocher de l’horizon mais jamais disparaître ou apparaître.

Et puis, vous pouvez entamer un tour complet de la boule terrestre, ce qu’on appelle une circumnavigation. Mais attention, ne citez pas le voyage de Magellan ou le dernier Vendée globe comme preuve unique que la Terre est ronde : on peut faire ces tours-là aussi sur une Terre plate… Par contre, pouvoir faire des circumnavigations dans n’importe quel sens (passant par les deux pôles ou longeant l’équateur) est évidemment uniquement possible sur une Terre ronde.

Pourquoi la rotondité de la Terre est-elle remise en question ?

En résumé, en restant dans son pied-à-terre et en utilisant ses propres yeux, il est quasi impossible de se rendre compte de la courbure terrestre, ce qui en fait une idée plutôt difficile à avaler a priori. Et comme les expériences à mener ne sont pas simples, pas étonnant qu’il a fallu si longtemps à l’humanité pour se convaincre de la courbure terrestre !

Et depuis le milieu du XIXe siècle, la platitude effectue un retour en force – surtout ces dernières années, grâce aux réseaux sociaux. Désormais, on compte des milliers voire des millions d’adeptes de la Terre plate de par le monde et il existe des conférences où ils se rassemblent, des t-shirts dédiés, des modèles à l’échelle, des manuels ou vidéos de prosélytisme… Un documentaire (Behind the Curve, 2018) et plusieurs études scientifiques se sont penchés sur ce qui est devenu un phénomène.

Dans un monde qui ne saurait se passer de satellites, où l’ère du « NewSpace » privé fait régulièrement la une des médias, et où l’habitabilité des autres planètes, couplé au rêve colonisateur, ne quitte plus l’avant-scène, tout cela peut paraître étrange, voire absurde. Se moquer est cependant un peu facile… En effet, beaucoup de platistes veulent comprendre, expérimenter or, en sciences, peut-on vraiment blâmer la curiosité ? Le problème est donc ailleurs.

Dans un manque de formation : beaucoup de cours assènent encore les « vérités » sans trop s’embarrasser du processus suivi, des erreurs commises, et des incertitudes restantes, or le plus intéressant dans la science, la façon dont elle progresse, c’est justement par la correction de nos errements « naturels ». Connaître cette aventure s’avère aussi intéressant que le résultat, et prémunit aussi d’une pensée trop rapide. Cela permet aussi de comprendre que, si le scepticisme est sain, un peu de confiance est tout aussi nécessaire car on ne peut refaire en une seule vie toutes les expériences de toutes les sciences, tant « dures » qu’humaines, pour ré-obtenir personnellement toutes les connaissances humaines acquises à ce jour.

Dans les biais cognitifs de notre cerveau : le « bon sens », un raisonnement simple, une « preuve » bien visible, un témoignage convaincant sont bien plus facilement acceptés par notre organe de tête que des pages de math couplées à des observations de choses micro ou macroscopiques invisibles à l’œil nu. Ajoutez-y la confiance souvent indue en nos sens et la foi sans borne en l’expérience personnelle directe.

L’affiche du documentaire « Behind The Curve » de Daniel J. Clark. IMDB

Dans le rejet, aussi. Souvent laissés pour compte du « système », les platistes couplent tout cela à un rejet des institutions qui les ont lâchés, frustrés. Cela permet plus facilement d’accepter une composante indispensable à la croyance platiste : le complot, qui est la seule façon de pouvoir rejeter toutes les preuves accumulées par le monde savant. La NASA ? Un cercle produisant numériquement des images fantaisistes de terre ronde et inventant des trajets spatiaux imaginaires.

Bien sûr, il existe d’autres agences spatiales, mais elles aussi sont « dans le coup », malgré l’entente exécrable entre les gouvernements chinois, russes, indiens, américains, coréens, et autres. Malgré aussi le nombre énorme de personnes qui devraient être « dans le coup » et l’absence de lanceur d’alerte depuis toutes ces années, pourtant incompatible avec les observations de complots connus.

L’Antarctique ? Inaccessible car les militaires veulent protéger le mur du bord du monde – les compagnies de tourisme faisant visiter le coin, les explorateurs l’ayant traversé, ou les savants y séjournant régulièrement apprécieront (les manchots empereurs aimeraient, eux, qu’on les laisse un peu tranquilles).

Dans la perversité informatique, enfin. Il suffit de chercher « terre plate » ou « flat earth » sur YouTube et vous voilà bombardé de vidéos à sens unique, grâce aux algorithmes ciblant vos « préférences »… Il ne faut que quelques clics pour s’enfermer dans une réalité alternative, où le point de vue opposé n’est jamais mentionné ni même facilement accessible. Il faut un effort spécifique, une recherche volontaire, que notre paresse naturelle ne nous incite pas à faire (que celui qui recherche toujours la diversité des opinions jette la première pierre).

Tout est-il perdu, alors ? Non, il faut continuer d’informer tout le monde, grand et petits, par tous les canaux possibles et pas seulement sur les résultats scientifiques mais aussi sur les méthodes employées et leur raison profonde (notre subjectivité naturelle). Parfois, la multiplication de résultats négatifs finit par instiller le doute et faire changer l’esprit courageux – il existe ainsi des ex-astrologues, des ex-homéopathes… et pourquoi pas des ex-platistes ? En attendant, ne vous fâchez pas sur un ami ou un parent parce qu’il a des croyances que vous jugez excentriques : la compassion et l’amour humains doivent rester nos armes les plus fortes.


Cet article est un résumé d’une des petites histoires dans le livre « Astronomie de l’étrange », Belin, ISBN 978-2-410-01629-1, à paraître en septembre 2020.

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