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Comment la France aide les chercheurs ukrainiens qu’elle accueille

La Tour Eiffel illuminée de jaune et  bleu, couleurs du drapeau ukrainien
La Tour Eiffel s'illuminait aux couleurs de l'Ukraine en signe de soutien dès le 25 février 2022. THOMAS COEX /AFP

Au-delà de son coût humain – le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme en Ukraine estimait à la date du 8 août le nombre de victimes civiles à 12 867, celui des déplacés internes à 7,1 millions et celui des personnes ayant quitté le pays à 8,7 millions –, la guerre en Ukraine est marquée par des dégâts matériels considérables.

Les bombardements russes ont détruit bon nombre de villes, de villages, d’exploitations agricoles… Les établissements scolaires et universitaires ne sont pas épargnés : les chiffres les plus récents font état de 2 116 établissements d’enseignement bombardés dont 216 complètement détruits.

Dans ce sombre contexte, des milliers d’universitaires et étudiants ukrainiens ont fui leur pays, essentiellement vers les pays adjacents, à commencer par la Pologne. Une certaine partie d’entre eux sont allés plus loin, jusqu’en France. Concrètement, comment et dans quel cadre y sont-ils accueillis et aidés ?

Le programme PAUSE au secours des universitaires

La France s’est rapidement mobilisée pour faciliter l’accueil des réfugiés ukrainiens sur son territoire. Le milieu académique français a été particulièrement actif pour accueillir au plus vite et au mieux les scientifiques fuyant les bombardements, grâce au Programme national d’accueil en urgence des scientifiques en exil (PAUSE).

Avec ce programme, la France renoue avec la période d’avant la Seconde Guerre mondiale. En 1933, l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir en Allemagne avait incité le gouvernement français à créer un « Comité des savants » destiné à venir en aide aux scientifiques juifs allemands fuyant le nazisme. En 1936 lui succède, à l’initiative du biochimiste Louis Rapkine, le Comité français pour l’accueil et l’organisation du travail des savants étrangers.

Créé en 2017 par le ministère de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, sur le modèle de la Philipp-Schwartz-Initiative de la fondation Humboldt en Allemagne et porté par le Collège de France, le programme PAUSE a d’abord été pensé et mis en œuvre pour venir en soutien aux universitaires en danger dans le contexte de la guerre en Syrie, puis aux universitaires turcs lourdement menacés par le gouvernement d’Erdoğan et dont certains ont été contraints de quitter la Turquie.

Mais il est bien sûr dès le départ ouvert aux scientifiques en danger de toutes nationalités et a été étendu depuis peu aux artistes en exil. Concrètement, le programme aide à l’insertion des chercheurs ou des artistes exilés dans des établissements d’enseignement supérieur et de recherche français ou des établissements culturels. Dans la majorité des cas, ce sont les établissements d’accueil qui constituent et déposent les dossiers de candidature des chercheurs en exil, après s’être assurés que ces derniers remplissent bien les critères d’urgence et de qualité scientifique requis par PAUSE.

Lorsque son dossier est retenu, un chercheur (ou un artiste) bénéficie d’un soutien financier (jusqu’à 20 000 euros pour un doctorant ou assistant de recherche, 40 000 euros pour un postdoctorant ou un maître de conférence, et jusqu’à 60 000 euros pour un professeur d’université ou un directeur de recherche) sur une période pouvant aller jusqu’à 1 an renouvelable une fois, dont 60 % est pris en charge par PAUSE et les 40 % restants par l’établissement qui l’accueille. Le programme est financé par les pouvoirs publics, le Fonds asile migration intégration (FAMI) de l’Union européenne et des dons. À ce jour, près de 400 chercheurs et 40 artistes ont été soutenus par le programme dans le cadre de ses appels réguliers (trois à quatre par an).


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Dès le début de la guerre en Ukraine, le programme PAUSE a complété ce dispositif en créant un fonds d’urgence nommé Solidarité Ukraine grâce à un financement octroyé notamment par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation pour pouvoir prendre en charge rapidement le séjour de scientifiques ukrainiens et de leur famille le cas échéant, pour une durée de trois mois avec une enveloppe globale de 5 700 euros.

Là encore, cette aide associe les établissements d’accueil qui sont récipiendaires des fonds, et permet aux chercheurs en exil de préparer dans les meilleures conditions possibles, en lien avec ces établissements d’accueil, une candidature au programme PAUSE « classique ».

Un bâtiment universitaire en ruine
L’université pédagogique de Kharkiv détruite par un missile pendant l’invasion russe. Photo prise le 6 juin 2022. Sergey Bobok/AFP

L’objectif à moyen et long terme ne se résume pas à l’accueil : il s’agit de permettre aux scientifiques de continuer à exercer une activité de recherche en France et de nouer des liens professionnels durables, avant de retourner en Ukraine lorsque cela sera possible, et contribuer ainsi à la reconstruction des capacités de recherche dans le pays.

Le rôle de la FMSH

Si de nombreuses initiatives de soutien à la communauté scientifique ukrainienne ont vu le jour sur le territoire national, la Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH) qui depuis sa création par Fernand Braudel en 1963 est une institution engagée dans la défense des libertés académiques et dans le soutien des milieux intellectuels évoluant dans des pays autoritaires, s’est rapidement mobilisée pour venir en aide aux chercheurs affectés par l’invasion russe de l’Ukraine.

En 2021, avec la multitude des tensions et crises géopolitiques, la FMSH a lancé des appels à candidature ad hoc à destination des jeunes chercheurs et des chercheurs confirmés dont les terrains et les recherches sont entravés.

Si les premières candidatures sont venues de scientifiques et universitaires éthiopiens fuyant le conflit dans l’État du Tigré, dans le nord de l’Éthiopie, ils ont rapidement été rejoints par des chercheurs ukrainiens, russes et biélorusses.

Dès le début du conflit et face au nombre croissant de demandes d’accueil, la FMSH a ouvert un programme d’urgence à l’ensemble des chercheurs affectés par l’invasion russe en Ukraine. En complémentarité du programme PAUSE, où ce sont les établissements qui déposent la demande d’accueil, la FMSH a souhaité donner la possibilité aux chercheurs réfugiés n’ayant pas de contacts au préalable avec les scientifiques et institutions en France de demander directement une aide d’urgence.

La FMSH leur accorde un soutien financier de 1 600 euros par mois pendant quelques mois et, si besoin, un hébergement à la Maison Suger, le lieu de résidence et de recherche dont elle dispose au centre de Paris, le temps pour eux de nouer des liens, de pouvoir éventuellement rechercher d’autres demandes de financement et de déposer éventuellement une candidature auprès du programme PAUSE. Là encore, l’objectif est de permettre aux chercheurs accueillis de rebondir, de continuer leurs travaux, produire et partager des savoirs, et s’exprimer librement.

Le réseau MEnS

Aux côtés des scientifiques, près de 600 étudiants ukrainiens ayant fui leur pays rejoindront l’une des 42 universités et écoles françaises membres du réseau Migrants dans l’enseignement supérieur (MEnS) à la rentrée de septembre.

Ce réseau fédère l’ensemble des établissements de l’enseignement supérieur et de la recherche qui se sont engagés à accueillir et accompagner les étudiants et les chercheurs en exil en mettant en œuvre des programmes de reprise d’études, de formation et d’insertion professionnelle pour les premiers, et des dispositifs d’accueil pour les seconds. À noter que ces dispositifs sont également accessibles aux chercheurs non ukrainiens qui étaient en poste en Ukraine et ont quitté le pays après le début de l’attaque russe.

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Le réseau MNES est financé grâce aux cotisations de ses membres et des subventions de la DIAIR (Délégation interministérielle à l’accueil et l’intégration des réfugiés) et du MESRI. 33 établissements du réseau ont notamment créé des programmes d’études spécifiques appelés Diplômes d’Université (DU) « Passerelle » (1500 étudiants en exil accueillis par an). Gratuites pour les étudiants en exil, ces formations comprennent des cours de français, des activités culturelles, un accompagnement socioprofessionnel et une aide pour la reprise d’études en France.

Ne pas oublier les revues scientifiques et leurs acteurs

Pour finir, les professionnels de l’édition scientifique ont réagi tout aussi rapidement, en attirant l’attention sur les effets de la guerre sur l’activité de leurs confrères ukrainiens (rédacteurs en chef de revues, secrétaires d’édition, secrétaires de rédaction, éditeurs, traducteurs et personnels techniques et administratifs).

Au moment du déclenchement du conflit, 740 revues savantes étaient hébergées sur la plate-forme Ukrainian Research and Academic Network (URAN) et 393 revues ukrainiennes en accès ouvert étaient référencées sur le Directory of Open Access Journals (DOAJ). Pour aider ces revues à continuer de fonctionner, une trentaine d’acteurs de l’édition savante en France se sont associés à plusieurs institutions, infrastructures et organisations européennes pour lancer l’initiative « Supporting Ukrainian Editorial Staff » (SUES).

L’objectif de cette initiative est de collecter des dons pour que les revues soient en mesure de rémunérer leurs rédactions et publier leurs prochains numéros ou leurs prochains livres, tout en assurant la préservation des serveurs hébergeant les publications scientifiques. À la date du 24 juin 2022, 73 000 euros ont ainsi été levés grâce à 157 donateurs, qui ont servi à soutenir 45 revues et éditeurs en Ukraine.

Les acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche français ont donc été particulièrement prompts à apporter un soutien aux scientifiques et universitaires ayant fui l’Ukraine, ainsi qu’à l’édition scientifique ukrainienne. Il ne faut toutefois pas oublier les scientifiques toujours sur place, que ce soient les hommes qui participent à l’effort de guerre, ou les femmes qui ont également pris les armes.

À l’instar de l’initiative SUES, le réel enjeu serait d’intervenir, à large échelle, directement sur le terrain en soutenant les universités ukrainiennes et en finançant à distance les universitaires, et en participant ainsi au soutien de la recherche et du développement dans un pays européen sous les feux, pour penser et anticiper sa reconstruction.

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