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Comment les élèves interprètent-ils les écarts de réussite en classe ?

Élèves de l'école primaire qui font leurs devoirs ou passent un examen scolaire
De nombreuses recherchent suggèrent que le regard des enfants sur les différences qu’ils observent dans la classe est biaisé. Shutterstock

Léa, Nina et Jules sont en CP depuis déjà 2 mois. Aujourd’hui, leur maîtresse leur annonce qu’ils vont découvrir un nouveau son. La maîtresse écrit au tableau la lettre « s », se retourne et demande aux enfants « Quel son fait cette lettre ? ». Aussitôt, une petite main se lève. C’est celle de Léa. Elle est bien vite suivie de trois autres mains.

Nina et Jules, qui ne connaissent pas la réponse, se retournent en voyant ces mains se lever. Ils espèrent ne pas être les seuls dans ce cas. La maîtresse interroge Léa qui connaît déjà le son de toutes les lettres. Elle donne la réponse attendue par la maîtresse qui lui sourit et la félicite : « C’est très bien ! ». De leur côté, Nina et Jules se demandent bien comment fait Léa pour toujours connaître les bonnes réponses. Pourquoi eux n’y arrivent-ils pas ?

Comme dans cet exemple, les contextes de classe mettent en évidence de nombreuses différences entre les enfants. Cela peut concerner les résultats aux devoirs et contrôles, la rapidité et la facilité avec lesquelles les enfants exécutent diverses tâches, leurs préférences pour certains domaines scolaires, la façon dont ils parlent, dont ils sont habillés, etc.

Mais comment les élèves interprètent-ils ces différences qui sont données à voir quotidiennement ? Répondre à cette question est fondamental puisque de nombreuses recherches en psychologie montrent aujourd’hui que la façon dont les élèves expliquent ces différences a des conséquences importantes sur la motivation, les performances scolaires et la construction des inégalités.

Biais cognitifs et culturels

De nombreuses recherchent suggèrent que le regard des enfants sur les différences qu’ils observent dans la classe est biaisé. Ils ont tendance à expliquer les écarts par des caractéristiques internes des personnes (comme leur intelligence ou leur motivation), plutôt que par des causes externes ou situationnelles (telles que les stéréotypes, les pratiques éducatives parentales).

Ce biais (inherence bias) est dû à une combinaison de choses. Tout d’abord, il est favorisé par les propriétés du système cognitif, notamment le fonctionnement du système attentionnel et de la mémoire. Par exemple, comparés à des facteurs tels que l’origine sociale, les facteurs intrinsèques sont plus saillants et observables – ils viennent à l’esprit plus facilement et ils sont plus simples à mémoriser.


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Au-delà des propriétés du système cognitif, cette tendance est également renforcée par les caractéristiques du contexte culturel. Ainsi, en Europe et en Amérique du Nord, les individus sont plutôt perçus comme des entités autonomes, séparées, indépendantes les unes des autres. Par conséquent, les différences de comportements en général, et de réussite en particulier, y sont perçues comme le produit de caractéristiques individuelles, dégagées de l’influence du contexte social.

Mais dans les contextes culturels où les gens sont considérés comme plus interdépendants et reliés, en Asie par exemple, les individus sont plus sensibles aux effets des facteurs situationnels sur le comportement.

Les biais en faveur des explications internes sont également encouragés par les caractéristiques des salles de classe. En effet, dans une classe, les enfants ont généralement le même âge, le même enseignant, ils bénéficient généralement du même enseignement et réalisent les mêmes tâches.

Cette apparente homogénéité de l’environnement de la classe, renforcée par la croyance dans l’égalité des chances, fait ressortir les différences de réussite, tout en détournant l’attention des contraintes externes qui peuvent agir sur les performances, comme les stéréotypes, les différences de temps et de ressources que les familles des enfants peuvent consacrer à leur aide.

Enfin, les comportements et le langage des adultes peuvent renforcer par inadvertance ce biais. Par exemple, il n’est pas rare de donner des feedbacks sur les performances ou le comportement des élèves d’une façon qui met en évidence explicitement ou implicitement leurs caractéristiques personnelles. Utiliser des termes tels que « brillants » pour décrire les élèves très performants ou consoler les élèves en difficulté en disant, par exemple, que « tout le monde ne peut pas être bon en maths » peut accentuer cette tendance.

Risques d’inégalités

Ce phénomène a des conséquences négatives pour la motivation et la réussite. La salle de classe génère de nombreuses comparaisons sociales, et ce biais en faveur des explications internes rend le fait de moins bien réussir que ses camarades particulièrement menaçant pour l’image de soi.

Interpréter sa difficulté ou sa moins bonne réussite comme le fait d’être moins intelligent amène les élèves à ressentir du stress et des pensées négatives, ce qui peut détériorer la motivation et la réussite. Étant donné que les élèves issus de milieux populaires sont davantage susceptibles que les autres d’éprouver des difficultés et de faire l’expérience de comparaisons sociales qui leur sont défavorables (en partie en raison du fait qu’ils possèdent un « capital culturel » plus éloigné des savoirs et attendus scolaires), le biais en faveur des explications internes creuse les inégalités dans la classe.

De façon similaire, le fait de penser que les filles réussissent moins bien que les garçons en mathématiques et en sciences parce qu’elles seraient moins « douées » pour ces domaines peut diminuer leur intérêt à s’engager dans ces matières et dans les carrières scientifiques ultérieures.

De plus, au-delà de l’amplification des inégalités, le fait d’expliquer les écarts de réussite dans la classe comme la conséquence de l’intelligence ou de la motivation des élèves tend à faire paraître ces différences entre les enfants comme légitimes et justes, ce qui peut être un frein à la volonté à les réduire.

Ce biais explicatif qui émerge de façon précoce chez les enfants pourrait également être l’un des facteurs qui amènent certains élèves à développer une conception fixe concernant les capacités ou la motivation, considérant ces caractéristiques comme stables et immuables. Croire que les caractéristiques personnelles (intelligence, effort, etc.) sont fixes – ce que l’on appelle « l’état d’esprit fixe » – a des conséquences négatives pour les enfants qui éprouvent des difficultés à l’école. Ils ont tendance à réagir négativement – se sentir impuissants et abandonner – en partie parce qu’ils interprètent les erreurs comme un signe qu’ils n’ont pas les qualités nécessaires pour réussir.

En revanche, croire que les caractéristiques personnelles sont malléables – ce que l’on appelle « l’état d’esprit malléable »- permet d’être plus résilient face à l’échec et la difficulté, en partie parce que les élèves voient dans leurs difficultés une opportunité de progresser.

Peut-on contrecarrer les effets négatifs de ce biais ? Et comment ? Des recherches menées auprès d’étudiants ont ainsi démontré que mettre en lumière le rôle des facteurs contextuels dans les différences de performance est bénéfique pour la réussite, notamment la réussite des étudiants de milieux populaires. En discutant avec des enfants, parents et enseignants peuvent essayer de mettre en évidence le rôle des stéréotypes, des pratiques éducatives parentales, etc.

Ensuite, il est important de déconstruire la croyance selon laquelle les différences de capacités seraient immuables, croyance aujourd’hui contredite par les recherches en psychologie et neurosciences. Par exemple, il est possible d’enseigner aux élèves que la difficulté est un élément nécessaire – mais temporaire – du processus d’apprentissage ou bien que les capacités sont malléables, et cela a des conséquences positives sur la réussite. Enfin, il est possible d’inciter les élèves à focaliser leur attention sur leur progression individuelle plutôt que sur la comparaison avec les autres, ou bien encore de favoriser des contextes mettant l’accent sur la coopération plutôt que sur la compétition.

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