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Comment les forêts tropicales parviennent à se régénérer rapidement

Allée dans une forêt au Costa Rica
Dans le nord-est du Costa Rica, une forêt âgée de 32 ans ayant poussé sur d’anciens pâturages. Robin Chazdon, CC BY-NC-ND

Covid-19, urbanisation galopante, péril sur la biodiversité… la forêt apparaît ces dernières années comme le refuge par excellence, un lieu pour retisser des liens avec le vivant, une « nature » en voie de disparition. Dans un monde chahuté, quelle place allons-nous accorder aux forêts, s’interroge cette série. Après un premier épisode sur l’état des espaces forestiers en France et le rôle clé que peuvent jouer les arbres dans les champs, direction les forêts tropicales pour ce nouvel épisode.


Les forêts tropicales comptent parmi les meilleurs outils au monde pour lutter contre le dérèglement climatique et le recul de la biodiversité : elles emmagasinent d’énormes quantités de carbone, abritent des milliers de plantes et d’animaux et constituent le lieu de vie des peuples autochtones qui les entretiennent.

Toutes ces raisons éclairent l’engagement pris lors de la COP26 de Glasgow fin 2021, par plus d’une centaine de dirigeants mondiaux, de mettre fin à la déforestation d’ici à 2030.

De nombreuses organisations et communautés s’efforcent de leur côté de restaurer les forêts en récupérant les terres improductives ou abandonnées pour y mener d’ambitieux programmes de reboisement. Ces initiatives visent à encourager le retour des plantes et animaux indigènes, et à rétablir les fonctions et bienfaits écologiques que ces forêts fournissaient jadis.

Pourtant, et cela dans de nombreux cas, ces forêts peuvent se reconstituer naturellement, sans intervention humaine ou presque.

En tant qu’écologistes forestiers et membres d’un réseau de chercheurs spécialisés dans l’étude des forêts dites « secondaires » – c’est-à-dire celles qui repoussent après qu’une zone a été défrichée et cultivée ou pâturée –, nous avons publié en décembre 2021 une étude dans la revue Science où une nouvelle méthodologie nous a permis de recueillir des données sur plus de 2 200 parcelles de forêts à régénération naturelle dans les régions tropicales américaines et ouest-africaines.

Nos recherches montrent que les forêts tropicales se régénèrent étonnamment vite : elles peuvent repousser sur des terres après l’abandon de l’agriculture et retrouver nombre des caractéristiques des forêts anciennes, telles que la fertilité des sols, la structure des arbres et leur écosystème, en l’espace de 10 à 20 ans seulement.

Mais pour soutenir une restauration et une planification efficaces des forêts, il est important de comprendre à quelle vitesse leurs fonctions et attributs se rétablissent.

La régénération des forêts

La plupart des forêts actuelles ont repoussé à la suite de perturbations humaines et naturelles (incendies, inondations, exploitation forestière et défrichage pour l’agriculture, etc.). Les forêts se sont ainsi « régénérées » aux XVIIIe et XIXe siècles en Europe et dans la première moitié du XXe siècle dans l’est des États-Unis. Dans le nord-est de ce pays, la couverture forestière est plus importante qu’il y a 100 ou 200 ans.

Dans les régions tropicales, les forêts repoussent sur quelque huit millions de kilomètres carrés d’anciennes terres agricoles et d’élevage. Les scientifiques et les décideurs s’accordent à dire qu’il est essentiel de protéger ces forêts en régénération, et d’empêcher la destruction et la conversion des forêts anciennes.

Les forêts tropicales ne sont pas seulement constituées d’arbres : ce sont des réseaux complexes et dynamiques de plantes, d’animaux et de microbes. La régénération prend du temps et a souvent des conséquences imprévisibles et des trajectoires variables. De plus, les modèles de reconstitution des forêts tropicales humides diffèrent des forêts sèches.

Les forêts tropicales et leur rôle environnemental. (Cirad, 2021).

À ce jour, ce domaine de recherche met l’accent sur des études s’intéressant à la manière dont les caractéristiques spécifiques des forêts, telles que le nombre d’espèces qu’elles abritent ou la biomasse des arbres, évoluent dans le temps et l’espace. Nous pensons qu’il est important d’appréhender la régénération des forêts comme un processus formant un ensemble cohérent, déterminé par les conditions locales, géographiques et historiques.

Une vision multidimensionnelle de la reconstitution des forêts tropicales

Notre étude s’est concentrée sur 12 attributs essentiels aux forêts saines :

  • Le sol : quelle quantité de carbone organique et d’azote contient-il, et dans quelle mesure est-il compacté ? Un sol trop compacté (par les sabots du bétail en pâturage, par exemple) est difficile à pénétrer pour les racines des plantes et n’absorbe pas bien l’eau, ce qui peut entraîner une érosion.

  • Le fonctionnement de l’écosystème : comment l’abondance et la taille des arbres changent-elles lorsque la forêt repousse ? Quel est le rôle, dans la régénération de la forêt, des arbres dont les racines sont associées à des bactéries fixatrices d’azote ? Comment la repousse affecte-t-elle la densité moyenne du bois et la durabilité des tissus foliaires ?

  • La structure de la forêt : comment la taille maximale des arbres, la variation de leur taille et la biomasse totale (la quantité de matière végétale au-dessus du sol dans les troncs, les branches et les feuilles des arbres) évoluent-elles au cours de la régénération des forêts ?

  • La diversité et la composition des espèces d’arbres : comment le nombre d’espèces d’arbres présentes et les modèles de diversité et d’abondance des espèces changent-ils et deviennent-ils similaires aux forêts anciennes voisines ?

Champ avec des vaches en Colombie
En Colombie, troupeau broutant sur une ancienne parcelle forestière. Raul Arboleda/AFP

Afin d’évaluer les taux de reconstitution à long terme, nous avons comparé les attributs des forêts poussant sur des terres agricoles abandonnées à différentes époques et ceux de forêts en régénération aux forêts anciennes environnantes. Nous avons aussi développé un nouveau cadre méthodologique de modélisation pour estimer la vitesse de régénération de chaque attribut.

Plusieurs de ces attributs sont interdépendants. Par exemple, si les arbres repoussent rapidement, ils produisent une grande quantité de litière de feuilles, ce qui rétablit les niveaux de carbone organique dans le sol lorsqu’elles se décomposent. Nous avons analysé ces liens en comparant le degré d’association des attributs forestiers les uns avec les autres.

La question de l’érosion du sol

Les forêts que nous avons étudiées se trouvaient dans des zones où l’utilisation des terres était d’intensité faible à modérée, c’est-à-dire là où les sols n’étaient ni épuisés ni érodés, et donc favorables à une repousse rapide de la végétation indigène.

Dans la région de la forêt atlantique du Brésil, par exemple, 2,7 millions d’hectares de forêt ont repoussé naturellement entre 1996 et 2015. Les forêts tropicales ont beaucoup moins de chances de se reconstituer dans les zones où les sols sont fortement surexploités et où il ne reste aucune forêt dans les environs.

Tous les attributs forestiers que nous avons examinés se sont régénérés en moins de 120 ans. Certains ont retrouvé 100 % de leurs valeurs passées dans les 20 premières années.

Les attributs du sol que nous avons analysés ont ainsi atteint 90 % des valeurs de l’ancienne forêt en 10 ans, et de 98 à 100 % en 20 ans. En d’autres termes, en deux décennies de repousse, les sols des forêts contenaient pratiquement autant de carbone organique et avaient une densité apparente similaire à ceux des forêts anciennes.

Cette régénération rapide a eu lieu sur des sols qui n’ont pas été fortement dégradés lorsque la forêt a commencé à repousser. Quant aux attributs de la fonction écosystémique, ils se sont aussi régénérés rapidement : de 82 % à 100 % en 20 ans.

Graphique montrant comment les forêts qui repoussent au fil du temps
Graphique montrant comment quatre groupes d’attributs forestiers – le sol, le fonctionnement de l’écosystème, la structure de la forêt et la biodiversité des arbres – se rétablissent lorsque les forêts tropicales repoussent sur d’anciennes terres agricoles et de pâturage. Pour chaque catégorie, l’image montre le pourcentage moyen de récupération par rapport aux forêts anciennes après 20, 40, 80 et 120 ans. Les pourcentages dans les carrés noirs montrent la récupération moyenne pour l’ensemble de la forêt à chaque intervalle. Pixels&Ink, CC BY-ND

Taille des arbres et nombres d’espèces

Les attributs de la structure forestière, tels que le diamètre maximal des arbres, se sont rétablis plus lentement. En moyenne, ils ont atteint 96 % des valeurs de l’ancienne forêt après 80 ans de repousse. La composition des espèces d’arbres et la biomasse aérienne se sont, quant à elles, rétablies au bout de 120 ans.

Nous avons identifié trois attributs – taille maximale des arbres, variation globale de la taille des arbres et nombre d’espèces d’arbres dans une forêt – qui, pris dans leur ensemble, fournissent un instantané fiable du degré de régénération d’une forêt.

Ces trois indicateurs sont relativement faciles à mesurer, et les gestionnaires peuvent les utiliser pour suivre la restauration des forêts. Il est désormais possible de surveiller la taille des arbres et la structure des forêts sur de vastes zones et à des échelles de temps très variables, grâce aux données recueillies par les satellites et les drones.

L’importance de la régénération naturelle

Nos résultats montrent que la repousse des forêts tropicales est une stratégie naturelle, efficace et peu coûteuse, pour promouvoir le développement durable, restaurer les écosystèmes, ralentir le dérèglement climatique et protéger la biodiversité.

Et puisque les forêts qui repoussent dans des zones où la terre n’a pas été fortement endommagée récupèrent rapidement nombre de leurs attributs clés, la reconstitution des forêts ne passe pas nécessairement par la plantation d’arbres.

Plusieurs méthodes de reboisement adaptées aux conditions des sites et des besoins de la population locale peuvent être mises en œuvre. Nous préconisons de s’appuyer sur la repousse naturelle dès que cela est possible, et de ne recourir aux mesures de reboisement que lorsque cela est nécessaire.


Masha van der Sande (Wageningen University, Pays-Bas) et Dylan Craven (Universidad Mayor, Chili) ont collaboré à la compilation et à l’analyse des données sur lesquelles s’appuie cet article.

Traduit de l’anglais par Karine Degliame-O’Keeffe pour Fast ForWord

This article was originally published in English

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