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L'équipe de recherche en train de mener des fouilles dans le bassin de Franceville au Gabon. Abderrazak El Albani, Fourni par l'auteur

Comment les scientifiques enquêtent sur l’origine de la vie sur Terre

La quête des origines de la vie sur Terre a toujours été un sujet central suscitant l’intérêt de tous. Elle n’appartient pas à un seul champ disciplinaire. Elle questionne, à la fois dans les domaines scientifiques, métaphysiques et même en théologie. Afin de répondre au mieux à ces interrogations, nous devrions, nous géologues, mener une enquête.

C’est pourquoi les recherches que mène notre équipe s’articulent autour de deux grands questionnements : le premier réside dans la définition des critères de reconnaissance et la temporalité de l’émergence de la vie pluricellulaire complexe sur Terre, dont l’interprétation des traces fossiles donne toujours lieu à de vifs débats dans la communauté mondiale des paléobiologistes. Cette question est au carrefour de plusieurs disciplines. La réponse à ce problème ne peut être étayée sur la seule base d’arguments morphologiques, par comparaison à des spécimens plus récents. En effet, les formes étudiées sont souvent simples et issues de la fossilisation de tissus mous. Par ailleurs, il s’agit d’organismes qui n’ont pas d’équivalents actuels. Dans ces conditions notre approche a été transdisciplinaire, en couplant les arguments taxonomiques à des arguments minéralogiques et géochimiques.

La seconde question posée est celle des conditions ayant été propices aux mécanismes de conservation des organismes vivants, ce qui revient à essayer de brosser un tableau des conditions paléo-environnementales qui régnaient dans le système complexe atmosphère-océan. Ainsi, l’une des questions fondamentales de la géobiologie concerne les déclencheurs post-archéens (il y a 2,5 milliards d’années) de l’évolution de la vie sur terre. Ces déclencheurs sont soit intrinsèques au vivant soit environnementaux (taux d’oxygène, nutriments…). Après l’archéen, la planète Terre va subir un bouleversement crucial lié à la montée significative du taux d’oxygène sur Terre. Ce phénomène global va impacter la mobilisation et la disponibilité des éléments nutritifs dans les océans. Ce changement majeur va impacter la biodiversité.

Une évolution liée à l’oxygène ?

Des contrôles biologiques et environnementaux intrinsèques ont été proposés. Parmi ces derniers, la teneur en oxygène dans l’atmosphère est considérée parmi les plus critiques. En effet, la complexification et la propagation à grande échelle des organismes pluricellulaires au cours du Néoprotérozoïque (environ 600 millions d’années) sont contemporaines d’une augmentation significative de la teneur en oxygène de l’atmosphère.

À l’inverse, le « boring billion » (1,9-0,8 Ga) est apparemment associé à une stagnation de l’évolution biologique, qui se limite à l’activité bactérienne. Par conséquent, si comme il le semble, l’élévation du taux d’oxygène atmosphérique a eu un impact critique sur la complexification des organismes. Mais, jusqu’à présent, faute de preuves tangibles dans les archives fossiles, le concept d’une biodiversification précoce associée au phénomène de l’oxygénation maximale n’a été que faiblement étayée.

Restes fossilisés des macro-organismes coloniaux du Gabon datés de 2,1 milliards d’années. A. El Albani et A. Mazurier, Fourni par l'auteur

L’instauration de conditions atmosphériques oxydantes, qui en a découlé sur l’ensemble de la planète, a induit des changements drastiques dans les cycles biogéochimiques des éléments chimiques. Elle a aussi conduit à la formation de forts gradients d’oxygène entre les écosystèmes terrestres et marins, qui ne se sont oxygénés que de manière stratifiée et très progressivement. Dans ce scénario, la libération de nutriments a augmenté la productivité biologique des océans, notamment aux voisinages des zones émergées et des plates-formes continentales. Les augmentations de la teneur en oxygène atmosphérique sont associées à l’émergence de deux mondes : le Gabonionta (2,1 milliards d’années et l’Édiacarien (environ 600 millions d’années) et de leur incroyable biodiversité. Notre compréhension de la dynamique paléobiologique au cours du Protérozoïque (avant 420 millions d’années) et le lien avec l’oxygène a considérablement progressé ces dernières années grâce à une série de découvertes et d’approches analytiques innovantes. Néanmoins, certains aspects pertinents restent mal compris, voire inexplorés.

Des sédiments passionnants au Gabon

Cependant, au Gabon, les sédiments du Groupe Francevillien, daté de 2,1 Ga dans des conditions de teneurs atmosphériques en oxygène relativement élevées (de 15 à 50 % de la teneur atmosphérique actuelle (PAL), selon les estimations), contiennent les restes des plus anciens de macro-organismes (organismes visibles à l’œil nu) signalés à ce jour.

Ils sont en outre associés à des microfossiles, y compris des eucaryotes et des bactéries. Ce contexte unique offre une occasion extraordinaire de mettre en évidence l’influence des variations de teneur en oxygène sur la complexité de la vie au Protérozoïque. Il est possible d’estimer les teneurs en oxygènes passées sur la base de modélisations.

Trace de mouvements de macro-organismes du Gabon datés de 2,1 milliards d’années. Image 3D obtenu par Microtomographie à Rayon X. El Albani et A. Mazurier, Fourni par l'auteur

Afin de répondre à ces questions fondamentales, nous nous sommes concentrés sur les séquences paléo-, méso- et néoprotérozoïques (Ediacara) dans les contextes géologiques les plus représentatifs : Paléoprotérozoïque du Gabon (Francevillien, 2,1 Ga), Mésoprotérozoïque de Mauritanie (Groupes Atar et El Mreiti, 1,1 Ga), Néoprotérozoïque d’Ukraine (bassin de Podolia, 557 Ma) et également au Maroc (570 millions d’années). Ces quatre gisements, bien datés et en excellent état de conservation, sont parmi les très rares roches précambriennes non transformées dans le monde. Ils offrent donc les meilleures conditions pour une étude intégrée.

Partager les connaissances au plus grand nombre

Depuis 2010, notre consortium fédératif de recherche transdisciplinaire s’est peu à peu étoffé de nouveaux participants et a étendu ses domaines d’investigations. Un des engagements forts de l’ensemble des partenaires est la valorisation scientifique des pièces de la collection à travers la publication des résultats dans des revues internationales et le partage avec le grand public et les établissements scolaires.

Rabelais disait « Science sans conscience ni que ruine dans l’âme ». Nos recherches nous amènent à partage le savoir. Selon Edgar Morin, « La science intervient en permanence dans les choix de vie et de société des citoyens en influant sur la connaissance, la technique, l’économie, l’industrie et les décisions politiques. »

Réciproquement, les citoyens posent des questions aux chercheurs, certes souvent sur des aspects technologiques, mais la connaissance de la démarche scientifique et importante pour ne pas se méprendre sur le rôle des scientifiques dans la société. Le dialogue entre la science et les citoyens aujourd’hui, plus que jamais, est indispensable pour aider ceux-ci à éclairer les choix de société ».

Faire connaître auprès des spécialistes et du public l’importante collection de roches et de fossiles, rassemblée à l’Université de Poitiers et provenant des sites protérozoïques d’exception, est soumis à des contraintes très particulières. En effet, il s’agit toujours de pièces uniques et très fragiles dont la manipulation peut entraîner la dégradation irréversible. Néanmoins, la demande d’accès à cette collection s’accroît tant pour des investigations scientifiques détaillées que pour des expositions au grand public.

Devant ce dilemme entre besoin de connaissance et nécessité d’assurer l’intégrité des spécimens, une action systématique a été entreprise depuis plusieurs années afin de reproduire virtuellement et à haute résolution tous ces objets et d’en archiver les spécificités sans limitation de temps. Cela est rendu possible par le développement d’une nouvelle génération d’outils analytiques non invasifs permettant la restitution extrêmement fine d’informations morphostructurales. La principale est la microtomographie de rayons X. Elle permet la reconstruction 3D d’objets encore prisonniers de leur gangue sédimentaire.

Les données acquises constituent une base de données disponible aux membres de la communauté scientifique. Elles servent d’autre part à créer les images d’animation 2D et 3D du Musée virtuel, qui est accessible librement au grand public, aux Musées et à d’autres institutions y compris les lycées-collèges. La traduction de tous les documents du Musée virtuel en anglais est en cours d’achèvement.

Outil de diffusion de la culture scientifique, la médiation scientifique nécessite du temps et repose sur une volonté individuelle ou collective de s’impliquer auprès des citoyennes et citoyens. La transmission des connaissances est une des missions du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, il était donc naturel de partager le savoir, non seulement avec le grand public, mais également avec le public scolaire « Parler de science et expliquer la démarche scientifique à un large public sont des actions essentielles et légitimes pour lutter contre les fake news et toutes les formes d’obscurantismes ».

En partenariat avec les Académies et la Région Nouvelle-Aquitaine, on a élaboré un programme pédagogique transversal innovant intitulé : Sous les pas de Darwin. Ce projet a un double objectif : susciter des vocations dans les domaines de l’enseignement et de la recherche et amener les jeunes à faire confiance à une science basée sur les faits et à regarder d’un œil critique les dogmes créationnistes. Ce dispositif pédagogique s’inscrit dans la durée. Les actions d’avant-garde menées jusqu’à présent font de ce projet un chantier inédit dont le pilote a pour vocation d’être étendu à toute la France.

Une de nos missions est également est la protection du patrimoine. Les sites sur lesquels nous menons nos recherches au Gabon ont été inscrits officiellement sur la liste indicative du Patrimoine mondial de l’Unesco. Cet aboutissement leur permet d’avoir un rayonnement international.


Science et Société se nourrissent mutuellement et gagnent à converser. La recherche peut s’appuyer sur la participation des citoyens, améliorer leur quotidien ou bien encore éclairer la décision publique. C’est ce que montrent les articles publiés dans notre série « Science et société, un nouveau dialogue », publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

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