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Comment limiter le pouvoir du lobbying auprès des politiques ?

Emmanuel Macron avec le CEO de Renault Carlos Ghosn en rendez-vous avec le leader de la Plateforme automobile Luc Chatel lors du salon auto 2018. Ian LANGSDON / POOL / AFP

The Conversation a inauguré depuis septembre 2019 un nouveau format d’article : « Au Quotidien » où nos contributeurs tentent d’éclairer par la recherche une question de lecteurs ayant un impact sur la vie quotidienne. Le précédent article portait sur la solidarité de chacun.


Scandales Monsanto ou Coca-Cola, démission de Nicolas Hulot… En France, le lobbying est fréquemment stigmatisé comme nuisant à l’intérêt général. De nombreux articles ou ouvrages contribuent à alimenter cet imaginaire collectif. Certains d’entre eux vont jusqu’à considérer que les lobbies « empoisonnent nos vies et la démocratie ». Selon un sondage Ifop réalisé pour les ONG Transparency International France et WWF France, et publié le 30 septembre, pour 79 % des Français, les responsables politiques seraient trop influencés par ces « représentants d’intérêts ».

Comment alors vraiment limiter le pouvoir du lobbying auprès des politiques ?

La réponse est loin d’être aisée : en effet les décideurs publics ont une vision plutôt positive de la pratique du lobbying. Une étude menée en 2016 auprès d’élus, de membres de cabinets et de personnel administratif met en évidence que 98 % des individus interrogés estiment que le dialogue avec des parties prenantes est « utile » et 56 % des sondés considèrent que ce dialogue, avec les représentants d’intérêts, est insuffisant.

La perception du lobbying

Ainsi, la perception de la pratique du lobbying par les citoyens et par les décideurs publics est contradictoire, certains la considérant néfaste alors que d’autres y trouvent une source d’information.

Ces divergences poussent certains à poser la question de la restriction ou de la limitation du pouvoir des lobbies quand d’autres essayent de dresser plus de ponts entre les décideurs publics et leurs parties prenantes. Pour éclaircir ces questions, il nous paraît donc important de rappeler ce qu’est le lobbying ainsi que les réels enjeux de cette pratique pour les années à venir.

Les définitions du lobbying sont très nombreuses, et diffèrent selon les acteurs les formulent. Pour cet article, nous allons retenir celle proposée sur le site ViePublique.fr selon laquelle le lobbying correspond à

« toute communication directe ou indirecte avec des responsables publics afin d’influencer la décision publique en fonction d’intérêts particuliers. Le lobbying recouvre le démarchage politique qui peut prendre diverses formes : rencontrer des responsables politiques, fournir des expertises aux ministères, participer à des auditions ou des comités d’experts, créer des coalitions de groupes plus influents, etc. »

Nous pouvons également assimiler le lobbying aux pratiques de plaidoyer ou à la représentation d’intérêt.

Le recours aux experts

Si le déploiement d’action d’influence de la décision publique pour améliorer sa propre situation est une pratique ancestrale, le développement et l’institutionnalisation du lobbying date du début du XIXe siècle. Les premières traces de l’emploi de ce terme remonte d’ailleurs à 1808 aux États-Unis.

Dans nos sociétés contemporaines, la quasi-totalité des décisions publiques font suite à des interactions avec diverses parties prenantes. Une étude publiée en octobre 2019 met en évidence que 90 % des agents publics souhaitent s’appuyer sur des experts pour prendre leurs décisions.

Le niveau d’expertise requis tout au long du processus de la prise de décision publique nécessite un recours à des acteurs externes spécialistes de la problématique traitée pour éclairer les décideurs.

Limiter le lobbying reviendrait à limiter l’accès à ces sources d’expertises, et impliquerait que les décideurs publics prennent leurs décisions en autonomie. Ces mêmes décideurs devraient donc être omniscients afin de réaliser leurs arbitrages en toute connaissance de cause.

Une forte diversité parmi les « lobbyistes »

En outre, il est important de rappeler que, contrairement à de nombreuses idées reçues, les parties prenantes menant des actions de lobbying sont diverses.

Notre étude, présentée au colloque Politiques et Management Public en décembre 2018, nous éclaire sur ce sujet à travers le cas de la loi du 30 décembre 2017 dite hydrocarbures.

Sur cette loi, 31 organisations ont déclaré avoir mené des actions de représentations d’intérêts, dont 5 étaient représentées par des tiers (notamment des cabinets de lobbying).

Parmi ces organisations, nous comptons 17 sociétés commerciales, 5 organisations non gouvernementales, 1 coopérative, et 8 syndicats ou associations professionnelles.

Organisations ayant mené des actions de représentation d’intérêts sur la loi Hydrocarbures d’après le répertoire de la HATVP. Étude à paraître

La transparence publique

Ainsi, si vouloir limiter ou interdire le lobbying semble inapplicable et non souhaitable, la question de la transparence de la décision publique est un réel enjeu. D’après Ann Florini la transparence se définit comme :

« la mesure dans laquelle les informations sont disponibles pour les personnes extérieures qui leur permettent d’avoir une voix informée dans les décisions et/ou d’évaluer les décisions prises par les initiés. »

Avec la multiplication des acteurs au cours du processus de prise de décision publique, et le foisonnement des stratégies de lobbying, il est plus en plus compliqué pour le citoyen de décrypter ce processus et, par conséquent, de se forger une opinion sur les décisions publiques prises.

Pour y parvenir, il est nécessaire, pour le citoyen, de pouvoir connaître les pressions exercées sur les décideurs publics au cours du processus décisionnel.

De nombreuses mesures déployées

De nombreuses initiatives émanant de différentes sources ont été déployées ces dernières années pour renforcer la transparence de la décision publique.

En France, nous pouvons notamment citer les lois de 1988 sur le financement des partis politiques, et celle de 2013 créant la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Mais c’est la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Sapin II, qui a permis de profondes avancées sur la transparence de la décision publique.

Ce texte impose la tenue d’un registre des représentants d’intérêts pour toute organisation réalisant au moins 10 actions de représentation d’intérêts par an. Ce dernier est accessible à tous sur le site de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.


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Un périmètre d’action limité

Toutefois, ce registre connaît de nombreuses limites et demeure perfectible.

Tout d’abord, le périmètre des décideurs publics pris en compte dans ce répertoire est limité au gouvernement et aux parlementaires, les actions d’influence visant décideurs publics locaux ou territoriaux n’ont pas à y être déclarées.

En outre, si les organisations doivent déclarer leurs actions de représentation d’intérêt, et y préciser quelques détails, l’objectif poursuivi par l’action n’est pas renseigné.

Pour illustrer cette problématique, nous pouvons prendre l’exemple de la fédération du bâtiment et des travaux publics de Haute-Garonne. Cette dernière a établi, durant une période inconnue comprise entre le 1er janvier et le 31 décembre 2018, une correspondance avec des parlementaires pour « proposer des modifications du Crédit d’impôt transition energétique sur les fenêtres ». Toutefois, la lecture du registre ne nous renseigne pas sur les modifications proposées par cette organisation.

Nous pouvons donc connaître les pressions exercées sur le décideur public mais pas la nature de celles-ci. Nous pourrions également imaginer instaurer une recherche par décision publique plus que par mot-clé sur le registre de la HATVP. Cette option permettrait au citoyen de voir en un seul clic toutes les actions d’influence déployées sur une même décision.

Un autre exemple autour du vin, dénoncé en juin 2018 sur Brut par le député Richard Ramos (MoDem).

Initiatives citoyennes

Des initiatives prônant la transparence de la décision publique existent aussi au sein de l’Union européenne. En janvier 2019, le Parlement européen a modifié son règlement intérieur et impose désormais aux députés de publier leur agenda, en précisant toutes les réunions prévues avec des représentants d’intérêts qui relèvent du champ d’application du registre.

Ce type de démarche pourrait voir le jour en France, c’est en tout cas la demande de plusieurs associations telles que WWF et Transparency International France qui se sont associées dans une pétition afin de demander au gouvernement la mise en place d’une telle mesure. Au 5 novembre 2019, cette pétition recueille environ 19 300 signatures.

Le rôle des associations et des organisations privées est d’ailleurs central lorsqu’on aborde la question de la transparence de la décision publique. En effet, l’écosystème de la CivicTech se développe fortement et propose aux citoyens de nombreux outils pour mieux appréhender la décision publique. Nous pouvons citer les initiatives françaises de Make.org, RegardsCitoyens, Projet Arcadie, ou celles internationales mais actives dans l’hexagone que sont Transparency.org ou Change.org.

Le site NosDéputé.fr, créé par Regards Citoyens, permet, depuis 2009, de « donner aux citoyens de nouveaux outils pour comprendre et analyser le travail de leurs représentants ». NosDéputés.fr

L’érosion de la confiance

La question de la transparence de la décision publique est d’autant plus importante sur certains sujets sensibles. Le cas du prolongement de l’autorisation du glyphosate est particulièrement intéressant sur ce point.

Alors que l’opinion publique y était farouchement opposée, tout comme de nombreuses associations de citoyens, et des députés, le gouvernement a tranché en faveur de cet herbicide.

Cette décision est d’autant plus incompréhensible pour les citoyens que la suspicion quant à sa dangerosité subsiste, et que les manœuvres opérées par le géant Bayer-Monsanto, notamment via des fichages de personnalités publiques, restent très impopulaires et opaques.

Ainsi, sans un travail de transparence de la prise de décision publique, et de pédagogie autour de ces dernières, la confiance des citoyens envers le pouvoir public et les institutions risque de continuer à s’éroder.

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