Les jeunes dramaturges connaissent tous le célèbre conseil de l’auteur russe Anton Tchekhov : « Si, dans le premier acte, vous avez accroché un fusil au mur, alors dans le suivant, il doit être utilisé ».
Depuis 20 ans, Vladimir Poutine – un mégalomane des plus paranoïaques qui s’est aujourd’hui complètement isolé de son peuple, sans parler du reste du monde – a progressivement détourné les richesses considérables de la Russie pour bâtir un État privilégiant la sécurité à tous égards.
Et depuis que le massacre de l’école de Beslan en 2004 a fourni le prétexte initial à ce détournement, le président russe n’a cessé d’accrocher des fusils aux murs, faisant fi de tout autre projet national. Ledit massacre était une attaque terroriste islamiste, principalement ingouche et tchétchène, qui a entraîné la mort de 333 personnes, dont 186 enfants.
Cette étroite canalisation des ressources du pays vers les services de sécurité s’est traduite par un déclin constant du niveau de vie des citoyens ordinaires. En effet, la plupart d’entre eux n’ont pas la chance d’être employés par divers ministères du gouvernement comme le MVD (les Affaires internes, dont le rôle ressemble en partie à celui du FBI), les forces de sécurité (lessiloviki, réputés pour agir dans l’ombre, y compris le Service fédéral de sécurité ou FSB), l’armée ou la police, ou encore d’être membres des réseaux d’entreprises dirigés par des oligarques et liés à Poutine.
Un agent du FSB peut s’attendre à gagner l’équivalent en roubles de 1 100 $ US par mois et un policier, environ 600 à 700 $ US par mois, en plus d’avantages tels qu’une allocation de logement, une éducation universitaire gratuite pour les membres de sa famille ainsi que des vacances gratuites ou à prix fortement réduit.
Les emplois les mieux payés sont hors de portée de la majorité
Par contre, un chirurgien peut toucher entre 200 et 300 $ US par mois en cumulant plusieurs emplois, tandis qu’un enseignant devra joindre les deux bouts avec une centaine de dollars ou moins. Les salaires des employés de bureau se situent quant à eux quelque part entre les deux. En règle générale, tout poste qui en vaut la peine ne peut être obtenu qu’au moyen du népotisme, du patronage ou de la corruption.
Dans la société paternaliste qui prévaut en Russie, un homme qui dispose des compétences requises peut parfois décrocher un poste de mécanicien ou de travailleur de la construction. Les emplois non spécialisés et peu rémunérés se trouvent notamment dans les secteurs des services alimentaires, de la sécurité privée et de la vente au détail. Les personnes qui possèdent une voiture travaillent souvent comme chauffeurs de taxi non officiels.
Incapables d’obtenir un emploi, certains hommes tentent de survivre en pariant sur des événements sportifs. D’autres dépendent du soutien financier de leur femme ou de leur petite amie – s’ils en ont une –, qui travaillent dans un salon de beauté ou qui achètent et revendent clandestinement des vêtements, des cosmétiques ou des produits d’entretien domestique.
Mais sans relations influentes nécessaires ni volonté de participer à des activités entachées de corruption et souvent criminelles, il devient de plus en plus difficile, voire impossible, pour le Russe moyen de mener une vie un tant soit peu normale.
Coût de la vie
Le coût de la vie en Russie – exception faite de Moscou et de Saint-Pétersbourg, des villes de calibre mondial où les prix s’en ressentent – est légèrement moindre qu’en Occident, mais de peu. Et compte tenu des salaires beaucoup plus élevés dans les villes en question, la moyenne nationale de 660 $ US par mois devrait être considérablement révisée à la baisse pour la plupart des régions.
La chute du rouble entraîne une hausse du coût de la vie, mais les salaires ne suivent pas. Les pensions suffisent à peine à payer les services publics mensuels. L’assistance sociale, y compris les primes accordées aux travailleurs de la santé épuisés par la pandémie de Covid-19, est mystérieusement détournée en chemin et ne parvient jamais aux personnes qui en ont besoin. Les services de santé subissent régulièrement des coupes et les hôpitaux ferment dans le but de « maximiser l’efficacité ».
Poutine prétend constamment « opérer dans le cadre de la loi », mais le système juridique russe est manipulé à seule fin de soutenir et de protéger les puissants.
La Russie est une nation hautement éduquée et avancée, à la fois riche en ressources naturelles et humaines, ce qui lui assure un potentiel économique considérable. Pourtant, son leadership a choisi de ne pas investir cette richesse dans le développement du pays, mais plutôt dans celui d’un imposant appareil de sécurité qui ne sert que les intérêts du président et de ses proches.
L’État russe est une kleptocratie au sens le plus pur du terme, et depuis des années, ses kleptocrates et les milliards qu’ils ont dérobés au peuple russe sont accueillis à bras ouverts par les pays de l’Ouest comme le Royaume-Uni et les États-Unis.
Les Russes ordinaires n’ont aucun pouvoir
Les Russes ordinaires n’ont pas eu leur mot à dire dans la décision d’envahir l’Ukraine, qui constituait de longue date l’obsession personnelle d’un président que la plupart d’entre eux n’appuient pas, mais auquel ils ne sont pas libres de s’opposer.
Des conscrits adolescents, à qui on avait dit qu’ils allaient participer à des « exercices », ont apparemment été choqués de se retrouver au front d’une guerre contre un peuple qu’ils n’avaient jamais considéré comme un ennemi.
Tandis que nos dirigeants se tordent les mains et déplorent le sort des Ukrainiens, ils devraient en profiter pour réfléchir à la manière dont ils ont permis à Poutine et à son entourage de bâtir une machine de guerre qui s’est tout naturellement déchaînée sur la victime la plus proche et la plus commode.
Les fusils ne pouvaient rester accrochés aux murs indéfiniment, et les voilà qui tirent à présent sur des milliers de victimes innocentes.