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Comprendre le projet terroriste d’Alain Feuillerat, ancien militaire radicalisé

Meeting de l'Air d'Évreux à la Base Aérienne 105 à Fauville, 2018. L'avion présidentiel stationne régulièrement sur cette base militaire, objet d'une tentative d'attaque en 2017. Frédéric BISSON/Flickr, CC BY-SA

Un militaire de 19 ans aurait tenté d'agresser au couteau le personnel de la gendarmerie de Dieuze en Moselle. Si ses motivations ne sont pas encore connues, le parquet de Metz n’exclut pas un acte terroriste.

En France, on compterait une trentaine de militaires radicalisés.

Ainsi, ce 5 février 2020 c'est un autre militaire qui sera jugé à Paris, un ancien caporal-chef du régiment d’artillerie de la Valbonne (Ain) pour « entreprise individuelle terroriste ».

Alain Feuillerat, 34 ans au moment des faits, avait été arrêté le 5 mai 2017 au petit matin « en tenue de combat » près de la base militaire d’Evreux où il avait tenté de s’introduire.

Quelques jours plus tard, l’AFP et le journal belge L’Avenir recevaient un courrier contenant une revendication d’attentat « Je m’appel [sic] Alain Feuillerat, soldat musulman défendant ma patrie : l’État islamique. C’est moi qui est [sic] préparé avec l’aide d’Allah l’attaque contre la base militaire aérienne (BA 105) d’Évreux Fauville ». Un message auquel était adjoint un texte de 116 pages, « le Livre d’Alain Feuillerat », « l’œuvre d’un homme à qui Allah a manifesté sa voix ».

Le document – dont j’ai pris connaissance grâce à Alain Wolwertz, journaliste de L’Avenir – est un extraordinaire témoignage de la manière dont des processus psychiques (pathologiques) peuvent conduire un individu à s’engager dans une idéologie extrémiste et à préparer une action violente. Il montre l’intrication entre radicalisation et psychopathologie.

Radicalisation violente

Lorsqu’Alain Feuillerat se convertit à l’islam en 2014, il est convaincu par l’idée de djihad, comme la présentent les sites islamistes qu’il se met à consulter de manière compulsive. À cette époque, il tente de convertir ses proches. En 2015, il se réjouit de l’attentat contre Charlie et écrit beaucoup sur Internet :

« J’ai déclaré mon attachement à mes frère [sic] de l’État islamique en Syrie, j’ai condamné le pape à une décapitation fictive, et j’ai dis [sic] que Dieu m’a parlé, si les gens me croient pas qu’importe, pour moi, le message est passé. »

S’en suivront des poursuites pour apologie du terrorisme et deux perquisitions.

« Je n’était [sic] pas très discret » dit celui qui craint surtout d’avoir mécontenté Dieu. S’il ferme son compte Facebook, il n’a aucune intention de renoncer et se dit « fier » de sa fiche S. En vérité, il n’a pas de fiche S, mais une inscription au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT)et un suivi discret.

Courant 2016, Feuillerat, dont les velléités de départ en Syrie n’ont pu aboutir, envisage finalement une action sur le sol français. En deux ans, il s’est de plus en plus isolé : « À la mosquée je ne prie plus en groupe mais seul avec Dieu ». Et puis il restera chez lui où « il y a deux salles, une pour la prière – [sa mosquée « agréée par Allah »] – Et une pour l’atelier de préparation ». La préparation d’un attentat.

Conversion, consultation de contenus extrémistes en ligne, apologie du terrorisme, retrait des relations sociales, tentative de départ en Syrie, échec, préparation d’attentat. Les étapes très communes d’un parcours de terroriste acteur solitaire. Mais cette radicalisation apparemment si « banale » s’est entièrement bâtie à partir du développement d’une paranoïa.

Deuil impossible et désir de vengeance

Depuis 2009, Feuillerat vivait avec sa compagne une relation fusionnelle :

« Elle était si belle, que je ne voulais pas qu’elle sorte. J’étais très jaloux, mais grâce à Dieu elle étais [sic] très jalouse aussi et nous étions donc un couple solide. »

La disparition soudaine de la jeune femme fin 2011 déclenche chez le militaire une dépression, mais aussi un sentiment de rage (il a été dépossédé) et de persécution. Il est envahi par l’idée que la mort guette et d’un Dieu « bien plus redoutable et imprévisible que les gens pensent ». Ces sentiments aigus qui ne se résorberont pas, marquent une personnalité fragile et constituent les prémisses d’un trouble psychiatrique.

Alain Feuillerat cherche alors un réconfort dans le christianisme. Baptisé en 2013, il dispense des prêches sur « le fait que [Jésus] était autoritaire et qu’il fallait que nous soyons nous aussi ». Il veut faire « éclater » son projet : rassembler les Juifs, les chrétiens et les musulmans. Mais sa personnalité violente et mégalomaniaque transpire déjà dans son ambition œcuménique qui ne trouve pas d’écho dans le groupe de chrétiens qui l’entoure.

Délire mystique

Tout bascule en 2014. Feuillerat explique dans son livre qu’il a vu à la télévision un « homme se faire exploser au nom de l’islam ». Le soir même, il se met à lire le Coran en ligne, s’endort et entend Dieu lui dire « Allahou Akbar ». Suivront d’autres rêves, où l’homme entendra encore Dieu lui parler, que ce soit à propos de son départ en Syrie, quand Allah lui dit « pars, je pars avec toi » ou lorsqu’il cherche à se procurer un fusil et que le Très-Haut lui accorde, un autre « Allahou Akbar ». Alain Feuillerat alias « Ultimo Reborn » (pseudo qu’il utilise sur le site Archiv.org) ne boit plus, ne fume plus, ne connaît plus ni le doute ni l’angoisse. Il se consacre entièrement à Dieu qui le gratifie aussi de visions, dont celle de la lune scindée en deux comme « Mahomet fut appuyé de ce signe pour le créditer devant son peuple ».

La conviction avec laquelle Feuillerat voit dans ses rêves des messages divins sont autant de « moments féconds » qui marquent la progression de son délire mystique. À la fin 2015, celui qui se réclame désormais de la « branche de l’islam pur et originel […] de ceux qui se battent pour la vérité » tente une auto-circoncision et est interné. À sa sortie, il sera suivi de très près.

Le marchandage avec le Divin

Après le décès de sa compagne, terrorisé par la perte et la mort mais empli de méfiance paranoïaque, Alain Feuillerat avait d’abord craint d’être dupé par la religion. « Je veux pas [sic] que la science puissent contredire la religion mais au contraire l’avérer, et je veux être sur [sic] à 100 % que je ne perds pas mon temps ».

Ce sont les images du kamikaze djihadiste qui vont conduire Feuillerat à transformer sa peur, sa dépression et son doute en un marché avec Dieu.

« Oui, je veux mourir Seigneur […]
Je veux profiter de votre marché merveilleux,
La vie d’ici-bas, contre votre pardon, et la belle vie de l’au-delà […]
Je vous suis reconnaissant de ce beau marché que vous proposez,
Alors oui, je veux combattre pour Vous et mourir ».

Sans la citer, Feuillerat fait référence à la Sourate du Repentir et son verset 111, très souvent utilisée par les djihadistes d’Al Qaida ou de l’État Islamique.

Comme nombre de djihadistes, il adhère à l’idée perverse d’un marchandage possible avec Dieu : s’il tue au nom d’Allah, il pourra mourir en martyr et aller directement au paradis sans avoir à rendre de comptes. Déterminé, Feuillerat prête allégeance au « prince des croyant Abu Bakr Al Baghdadi ».

Début 2017, il a presque achevé la confection d’un gilet qu’il nomme « Souffle de l’enfer… créé pour une seule et unique fonction : Tuer. ». Il part vers la base d’Evreux – (qui abrite une unité de la DGSE et où stationne l’avion présidentiel le vendredi 5 mai 2017, avant la levée du jour. Auparavant il a envoyé par courrier sa « revendication d’attentat » et « son bien le plus précieux », son livre, au journal belge l’Avenir.net ainsi qu’à l’AFP.

Le Général Kenneth McKenzie, commandant en chef de l’armée américaine annonce la mort d’Abou Bakr al-Baghdadi le 30 octobre 2019 au Pentagone, à Arlington, Virginie. Alex Wong/AFP

La question de l’expertise

Au procès, les experts devront statuer sur l’éventuelle abolition ou altération du discernement (code pénal article 122-1) au moment des faits, question qui détermine celle de la responsabilité et de la peine encourue.

Or, un délire paranoïaque offre une difficulté de taille : il est raisonné, n’implique aucun affaiblissement de l’intelligence et peut permettre à une personnalité pathologique (rigide, mégalomaniaque et violente) de se déployer dans le champ d’une idéologie extrémiste au goût du jour.

Reconnaître l’implication d’un trouble psychique chez un radicalisé ne veut pas dire l’excuser ni le soustraire à la justice. Feuillerat, hospitalisé après une tentative de suicide alors qu’il était incarcéré fin 2017, est d’ailleurs le dernier à vouloir reconnaître ses troubles : « Il n’y a pas de troubles mentaux avérés, il n’y a strictement rien », s’est-il défendu

« Si je suis à l’isolement, c’est parce que je suis assidu à la prière ». « Si j’ai fait ça, c’était un coup de gueule […] parce que j’ai été persécuté par des perquisitions. »

Davantage de prévention

Au-delà du procès, la véritable question reste celle du suivi et de la prévention. Le récent rapport d’Europol souligne qu’« En 2018 toutes les attaques terroristes en Europe furent perpétrées par des individus ayant agis seuls […]. Souvent la motivation de l’acteur et ses liens à d’autres individus radicalisés étaient peu clairs. Des questions de santé mentale ont contribué à la complexité du phénomène ».

En France, l’attentat de Villejuif (3 janvier 2020) ou l’attaque de la préfecture de police de Paris (2 octobre 2019) – qui firent plusieurs morts –, impliquaient toutes des individus radicalisés mais aussi au psychisme très troublé.

Le sujet reste difficile pour le politique, les magistrats et pour les psychiatres. Certains chercheurs peuvent encore propager une vision qui fait fi de la dimension psychologique dans la synergie des déterminations qui mènent à l’action terroriste ou au djihadisme. Maîtriser le phénomène, nécessiterait au contraire une meilleure réflexion sur les processus psychiques qui mènent à la radicalisation, plus d’études de cas accessibles aux professionnels de la prévention et au public (comme le développe le réseau RAN), un meilleur accès aux soins psychiatriques des groupes fragiles et traumatisés (réfugiés) et la nécessaire vigilance de l’environnement (familles, proches, églises, mosquées, ou partis politiques).

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