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Compter les manifestants : il faut associer policiers, syndicalistes et journalistes

Comment les compter ? Jules78120/Wikipédia, CC BY-SA

Cet article pourra être relu après la polémique concernant le comptage des manifestants pour François Fillon au Trocadéro.

Ce soir, à l’issue de la manifestation contre la Loi Travail, il faut s’attendre aux empoignades traditionnelles sur le nombre de participants. Avec peut-être, comme on avait pu l’observer le 9 avril dernier pour une manifestation parisienne, un grand écart des chiffres : « 20 000 manifestants selon la Préfecture… 110 000 selon les syndicats… ». Les épisodes du conflit social de ce printemps 2016 ont donné lieu aux habituelles polémiques sur le comptage des manifestants. On ne s’en étonne même plus. Et pourtant ! Est-il si difficile, dans un pays développé, au début du XXIe siècle, de déterminer combien de personnes ont participé à une manifestation déclarée et autorisée ?

En 2015, la revue « Statistique et Société » a consacré deux articles au comptage des manifestants. De même, un Café de la Statistique s’était penché sur ce problème en novembre dernier. Pierre Muller, ancien inspecteur général de l’Insee, et membre de la commission d’étude sur le comptage des manifestants mise en place en mai 2014 par le Préfet de police de Paris, y était intervenu. Cette commission comportait aussi Dominique Schnapper, ancienne membre du Conseil constitutionnel, et Pierre Gaxie, professeur de sciences politiques à Paris. Ces trois personnalités avaient produit un rapport en avril 2015.

Les policiers savent compter

Pour l’essentiel, la commission avait validé les méthodes de comptage de la préfecture de police. La presse nationale y avait très largement fait écho à l’époque, et aucune voix ne s’était élevée pour contester cette conclusion. Libération avait même titré « Et les meilleurs en comptage de manifestants sont… Les policiers » (édition du 13 avril 2015). Une expérience menée par des journalistes de Médiapart avait d’ailleurs conclu dans le même sens quelques années auparavant.

Préfecture de police de Paris : c’est elle qui a la responsabilité du comptage des manifestants. Tiraden/Wikimédia, CC BY-SA

Pourtant les méthodes de la Préfecture n’ont rien de moderne : ce sont des fonctionnaires de police, placés en hauteur dans plusieurs locaux en bordure du parcours des cortèges, qui comptent « à vue », manuellement, les rangées qui défilent, pendant toute la durée de la manifestation. Ce travail est recommencé quelques jours après, en bureau, en visionnant des vidéos de l’évènement. Les différents comptages sont confrontés, et une estimation finale est produite et diffusée à la presse par la Préfecture.

Bien sûr, il existe des méthodes alternatives fondées sur des outils plus actuels : photos aériennes, téléphones portables, par exemple. Mais l’expérience montre, à l’étranger comme en France, qu’elles restent bien moins fiables que les bons vieux comptages.

Question de confiance

Alors pourquoi cette polémique resurgit-elle, un an après le rapport de la commission ? C’est que le problème n’a rien de technique. C’est, en réalité, une question de bonne foi et de confiance. Dans le passé, le pouvoir politique n’a pas toujours fait un usage rigoureux du travail de l’administration : c’est le moins qu’on puisse dire, selon certains acteurs ! Ainsi, le doute sur les chiffres de source administrative demeure dans beaucoup d’esprits, quelles que soient les preuves qu’on apporte du contraire. Et ce n’est pas plus clair du côté des organisations syndicales. Seule, la CGT diffuse encore régulièrement des chiffres. Or, cette confédération ne commente pas ses chiffres, et n’a pas accepté d’être entendue par la commission. On en est donc réduit à s’interroger sur ses sources et sur ses méthodes.

Comment en sortir ? Il est intéressant de regarder comment les trois personnalités composant la commission se sont convaincues de la qualité satisfaisante des comptages policiers : en faisant l’exercice de comptage elles-mêmes. Pendant quelques heures, devant des vidéos, elles ont fait le travail, en confrontant leurs résultats ensuite avec ceux des fonctionnaires de police.

Manifestation à Belfort : comment faire la différence entre manifestants et passants ? Thomas Bresson/Wikimédia, CC BY

L’exercice permet de comprendre immédiatement de quelles conventions on a besoin pour compter – qu’est-ce qu’un manifestant ? que fait-on des gens qui ne font que regarder ?, etc.- et de s’assurer que les conventions des policiers sont raisonnables. Et il donne une idée des ordres de grandeur des erreurs qu’on peut commettre. Celles-ci peuvent atteindre facilement 10 %, voire 20 %, mais n’ont rien à voir avec une multiplication par 3, 5 ou 7 !

A la recherche d’une vérité commune

Si on veut véritablement établir une estimation réaliste, il y a donc une solution simple : associer les organisations syndicales, et les journalistes, aux comptages de la Préfecture. C’est peut-être difficile pour les comptages « à chaud », mais c’est certainement faisable en différé. Et cela ne demande ni renfort d’effectifs, ni budget supplémentaire : seulement quelques heures de travail consacrées à rechercher une « vérité » commune. Soit dit en passant, c’est un des grands mérites de la statistique que de rechercher un accord sur des définitions et des méthodes consensuelles, pour produire ensuite un résultat qui puisse être partagé.

Alors, chiche ?

Jean-François Royer est membre du groupe « Statistique et enjeux publics » de la SFdS, qui organise les Cafés de la statistique. Il est seul responsable du contenu de cette tribune.

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