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Conseils d’administration du CAC 40 : l’éviction des polytechniciens (mais pas des HEC Paris), l’autre effet de la loi Copé-Zimmermann

En 2017, il y avait 43,3 % d’administratrices au sein des entreprises du CAC 40, selon les chiffres de l’Observatoire Skema de la féminisation des entreprises. Shutterstock

À l'occasion du 10e anniversaire de la loi Copé-Zimmermann, nous vous proposons de (re)découvrir les derniers enseignements de l’Observatoire Skema de la féminisation des entreprises.


Les entreprises du CAC 40 sont des lieux centraux du pouvoir économique dans lesquels prédomine une présence masculine, souvent diplômée de très grandes écoles (TGE) : ENA, ENS Ulm, HEC Paris et Polytechnique. En 1989, dans La Noblesse d’État, Grandes écoles et esprits de corps, le sociologue français Pierre Bourdieu montra comment ces institutions constituent des écoles du pouvoir et garantissent un accès privilégié aux instances de gouvernance des grandes entreprises.

En 2008, les conseils d’administration du CAC 40 sont composés à 88 % d’administrateurs (12 % d’administratrices) et à 36,36 % de diplômé·e·s de TGE.

Or, cette Noblesse d’État dans la sphère économique des grandes entreprises connaît actuellement une perte d’influence, notamment en raison des bouleversements dans la composition des conseils d’administration liés à l’instauration, par la loi Copé-Zimmermann en 2011, d’un quota de 40 % de femmes.

Le pourcentage d’administratrices au sein du CAC 40 a ainsi fortement augmenté pour passer de moins de 10 % au début des années 2000 à 43,3 % en 2017, selon les chiffres de l’Observatoire Skema de la féminisation des entreprises.

Figure 1 : Pourcentage d’administratrices au sein du CAC 40. Auteur

Les administrateur.rice.s du CAC 40 étaient 550 en 2008 et 552 en 2017. Il n’y a donc pas eu une augmentation du nombre de postes d’administrateur.rice.s qui aurait permis aux hommes de garder leurs positions tout en atteignant le quota par l’ajout d’administratrices. L’accroissement de la proportion d’administratrices s’est effectivement fait au détriment des hommes dont le nombre a baissé de 35,12 % passant de 484 à 314 (- 170) alors que celui des femmes a augmenté de 260,61 % en passant de 66 à 238 (+ 172).

Mais ce n’est pas le seul effet de la loi Copé-Zimmermann, puisque son application s’est également accompagnée d’une diminution des diplômé·e·s de TGE (ENA, ENS Ulm, HEC Paris et Polytechnique). En 2008, il y avait 200 diplômé·e·s de TGE qui représentaient 36,36 % des 550 administrateur.rice.s du CAC 40. Parmi ces diplômé·e·s, 95 % étaient des hommes (190 hommes et 10 femmes). En 2017, ils n’étaient plus que 149 (- 51), soient 26,99 % des 552 administrateur.rice.s.

En ce qui concerne les hommes, en 2017, il ne restait plus que 97 administrateurs issus des TGE contre 190 en 2008 (- 48,95 %). La disparition des 170 hommes administrateurs des conseils d’administration du CAC 40 s’explique en partie par l’éviction de 93 diplômés de TGE ; soit plus de la moitié (54,70 %) de la diminution du nombre d’administrateurs. En 2008, les hommes diplômés de TGE représentaient 34,26 % des administrateur.rice.s et seulement 26,99 % en 2017.

Figure 2 : Répartition des diplômé·e·s de TGE au sein des conseils d’administration des entreprises du CAC 40. Auteur

En revanche, le nombre d’administratrices diplômées de TGE a fortement augmenté en passant de 10 en 2008 à 52 en 2017 (+ 420 %). Ces diplômées représentent 24,41 % de l’augmentation du nombre d’administratrices. Si en 2008, les diplômées de TGE ne représentaient que 15,15 % des 66 administratrices, elles représentaient 21,85 % des 238 en 2017. Les diplômées de TGE ont constitué un vivier de recrutement d’administratrices.

La baisse du nombre d’hommes administrateurs diplômés de TGE (- 48,95 %) a été plus forte que ceux non-issus de TGE (- 26.19 %). En revanche, la hausse du nombre d’administratrices provenant de TGE (+ 420 %) est supérieure à celle des administratrices qui n’en sont pas issues (+ 232 %).

La réduction du nombre de diplômé·e·s de TGE est donc liée à la forte diminution des hommes qui en sont issus. Cette diminution n’a été que partiellement compensée par l’accroissement du nombre d’administratrices diplômées de ces écoles.

Moins de 10 % de polytechnicien·ne·s

La comparaison de Polytechnique et d’HEC Paris explique et illustre les enjeux auxquels font face les grandes écoles pour maintenir leur présence dans les conseils d’administration du CAC 40 lorsque ceux-ci sont soumis à des quotas de femmes.

Entre 2008 et 2017, le nombre de polytechnicien·ne·s dans les conseils d’administration du CAC 40 est passé de 90 à 54 (- 40 %). En 2017, ils ne représentaient plus que 9,78 % des administrateur.rice.s, contre 16,36 % en 2008. Cette diminution a concerné exclusivement les hommes.

En 2008, les 89 polytechniciens représentaient 99 % des polytechnicien·ne·s administrateur.rice.s ; une seule polytechnicienne était présente dans les conseils d’administration du CAC 40. En 2017, le nombre de polytechniciennes avait fortement augmenté en passant de 1 à 13 (+ 1200 %).

Figure 3 : Répartition des diplômé·e·s de l’École polytechnique dans les conseils d’administration des entreprises du CAC 40. Auteur

En revanche, les diplômé·e·s. d’HEC Paris ont quasiment maintenu leur présence dans les conseils d’administration du CAC 40 entre 2008 (43) et 2017 (40), soit une baisse limitée de 6,98 %. En 2008, les diplômés d’HEC Paris prédominaient sur les diplômées (95,35 % contre 4,65 %). Si le nombre d’hommes administrateurs issu de cette école a baissé (- 12) il a quasiment été compensé par l’augmentation des administratrices diplômées de l’école (+ 9).

Figure 4 : Répartition des diplômé·e·s d’HEC Paris dans les conseils d’administration des entreprises du CAC 40. Auteur

La capacité d’HEC Paris à remplacer ses diplômés par des diplômées lui a permis de maintenir sa présence dans les conseils d’administration du CAC 40. En revanche, c’est l’incapacité de Polytechnique à permettre un tel remplacement qui explique l’éviction de ses diplômé·e·s.

La mixité des étudiants au sein des TGE détermine à terme la capacité de ces institutions à fournir des administrateur.rice.s. Moins les effectifs étudiants sont féminisés et moins une TGE est en capacité de fournir des administratrices au marché du travail.

Or, historiquement, l’École polytechnique est peu féminisée. Elle s’est ouverte aux femmes en 1972 et en 2012, les filles ne représentaient encore que 13,4 % des étudiant·e·s. HEC Paris s’est ouverte aux femmes en 1973 et en 2012, les effectifs étudiant·e·s étaient proches de la parité avec 44,5 % de filles.

Des effectifs à féminiser dans les TGE

Au-delà de la mixité, la mise en œuvre de la loi Copé-Zimmermann a donc modifié l’origine éducative des administrateur.rice.s en entraînant une éviction des diplômé·e·s de TGE. La faible féminisation des effectifs étudiants réduit le vivier de potentielles administratrices que ces écoles peuvent offrir.

La promotion de la mixité par les grandes écoles, notamment d’ingénieurs, ne concerne pas uniquement leur responsabilité sociale de lutte contre les discriminations mais également leur capacité à maintenir leur présence au sein des lieux de pouvoir que sont les conseils d’administration des grandes entreprises.

L’exemple des conseils d’administration montre que trois facteurs influencent la mixité : la contrainte économique du marché du travail qui fournit des administrateur.rice.s qualifié·e·s des deux sexes, la contrainte sociétale qui impose une norme sociale en faveur de plus de diversité et, la contrainte légale qui promeut par la loi l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Les trois mécanismes sont nécessaires et complémentaires.

Pierre Bourdieu aurait sûrement apprécié à sa juste valeur que la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes se traduise par une forte diminution des membres de la Noblesse d’État au sein des conseils d’administration du CAC 40 et, corollairement, une plus grande diversité des origines éducatives des administrateur.rice.s.

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