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Entre ruée sur les supermarchés et engouement pour le drive ou les circuits courts, le confinement a provoqué des changements de consommation notables. Martijn Baudoin / Unsplash

Consommation : les intentions d’aujourd’hui ne seront pas forcément les comportements de demain

La date du déconfinement, fixée au 11 mai, approche. C’est le moment d’engager une réflexion quant à l’évolution des comportements de consommation observée ces dernières semaines au niveau des commerces essentiels. Huit semaines de confinement contribueront-elles à rendre les consommateurs plus responsables et pourront-elles impacter durablement leurs comportements d’achats alimentaires ?

Les Français continueront-ils à privilégier ou fréquenter plus souvent les magasins de proximité et circuits courts, pour respectivement 22 % et 14 % des consommateurs (selon une étude menée par l’institut d’études Mobeye) ?

On peut estimer que les consommateurs continueront à acheter plus souvent et en plus grande quantité des produits bio et/ou des produits locaux (comme l’envisagent respectivement 17 % et 21 % des consommateurs selon une étude menée par l’entreprise Bonial). Par ailleurs, les Français plaident aujourd’hui, pour 38 % d’entre eux, en faveur d’un retour de la production en France.

Depuis le début de la crise sanitaire et du confinement, les circuits d’approvisionnement des Français et leurs paniers d’achat ont changé, comme le récapitule le tableau ci-dessous :

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Mais ces perspectives seront-elles durables ? Il convient en effet de les relativiser en tenant compte des profils des consommateurs, notamment de leur sensibilité à la consommation socialement responsable (CSR) et de leur sensibilité aux prix. La CSR regroupe tous les comportements de consommation pour lesquels l’individu prend en compte les conséquences publiques de sa consommation privée et utilise son pouvoir d’achat pour induire des changements dans la société.

L’achat de produits locaux et/ou bio et le soutien aux petits commerces font partie intégrante de cette logique. Les prix des produits responsables sont toutefois généralement plus chers.

Il en est de même des prix des circuits de proximité ou courts comparativement à ceux des grandes surfaces et du drive. Il peut ainsi exister un écart entre les intentions comportementales déclarées des consommateurs et leurs comportements responsables effectifs – un des freins majeurs étant effectivement le prix et la sensibilité des consommateurs aux prix qui représente le degré avec lequel ils font des efforts pour trouver des prix bas.

Le retour des contraintes antérieures

L’approche croisée de ces deux concepts laisse ainsi apparaître moins une tendance univoque que plusieurs segments de consommateurs aux problématiques quotidiennes bien différentes.

Pour ceux qui avaient déjà adopté des comportements de consommation responsables et qui resteront peu ou moins sensibles au prix, l’expérience vécue contribuera probablement à légitimer plus encore ou à renforcer leurs comportements antérieurs (fréquentation de circuits de proximité ou courts, achats de produits biologiques et/ou locaux).

Il n’est par contre pas sûr que les convertis de circonstance puissent les reproduire durablement même s’ils adhérent (désormais) à leurs valeurs sous-jacentes (respect de l’environnement, soutien aux petits producteurs, qualité des produits, etc.).

Dès leur déconfinement, la plupart d’entre eux seront à nouveau confrontés à leurs contraintes d’emplois du temps (vies privées et professionnelles), qui favorisent les achats groupés en grandes surfaces, et/ou à des contraintes financières, qui limiteront leurs comportements d’achat responsables. Il en sera de même pour les consommateurs qui ont choisi, ou ont été contraints, de continuer à fréquenter les hyper et supermarchés pendant la crise.

Craintes sur le pouvoir d’achat

Le confinement a en effet exacerbé la sensibilité aux prix des consommateurs qui, pour beaucoup, ont eu l’impression que cette période a impacté à la hausse leurs dépenses. Dans les faits, ils ont effectivement acheté plus de produits pour stocker (avec une hausse du panier moyen de 89 % pour un trafic en baisse de 48 %) et faire face aussi à une augmentation des repas pris à domicile dans un contexte de fermeture des établissements scolaires, restaurants et de télétravail ou de chômage partiel.

De surcroît, ils ont été contraints parfois d’acheter des produits plus qualitatifs que d’habitude dans des rayons de grandes surfaces dévalisés, ou dans des circuits de proximité ou courts. Ils n’ont pas pu en également bénéficier de promotions prix stoppées dès le début du confinement.

Sur le plan de la perception, les prix ont augmenté pendant le confinement selon les consommateurs, même si ce n’est objectivement pas le cas : 55 % le pensent alors que les panélistes pointent une stabilisation globale, hormis pour certains produits tels les fruits et légumes (hausse moyenne de 9 %), en raison d’un référencement plus important de produits nationaux et locaux pour assurer les approvisionnements et soutenir les filières.

Enfin, beaucoup de Français ont peur de l’impact de la pandémie sur leur pouvoir d’achat (perte d’emploi partielle ou totale) (56 % anticipent une baisse de leurs revenus) et sont très pessimistes sur la reprise économique.


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Dans ce contexte, les enseignes de la grande distribution communiquent actuellement sur le gel des prix des produits de marques nationales ou de marques de distributeurs (MDD). Cela sera-t-il suffisant pour rassurer les consommateurs dont les contenus et montants des paniers d’achats ont changés, brouillant ainsi leurs repères et les images-prix qu’ils ont des enseignes ?

Ne devront-elles pas continuer aussi à s’adapter à la diversité des profils de leur clientèle pour permettre aux plus sensibles aux prix de maîtriser leurs dépenses, tout en accompagnant ceux qui le pourront économiquement vers des achats plus « responsables » ?

La carte de la RSE et de la proximité

Les prix et les promotions, les offres de MDD engagées notamment dans le bio ou le « made en France », ou encore leurs actions concertées de soutien réel aux producteurs locaux, régionaux et/ou nationaux, pourront être des leviers importants. Il leur faut toutefois au préalable continuer de rassurer les clients sur les mesures sanitaires mises en place durablement dans leurs magasins physiques et leurs drives. Certains consommateurs ont encore peur, à l’heure actuelle, de toucher les produits en magasins.

Carrefour teste par exemple des portiques désinfectants à l’entrée de ses magasins.

Quant aux acteurs des circuits de proximité et courts, il conviendrait peut-être qu’ils rappellent à leurs clients convaincus, solidaires, ou opportunistes les moins sensibles au prix, de ne pas oublier leurs engagements et de continuer à les soutenir dans leurs actes d’achat.

Ces différentes actions constituent autant d’opportunités pour les commerçants de valoriser leur image RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise) sur les volets respect des salariés et de la santé des consommateurs notamment. Elles leur permettraient aussi de répondre aux attentes des consommateurs à la recherche de proximité, qui, conceptuellement et dans le contexte actuel, peut prendre différentes formes :

  • Proximité d’accès : facilité et praticité, dont accès à des commerces au plus près de chez soi,

  • Proximité fonctionnelle : efficacité pour faire ses courses,

  • Proximité relationnelle : interrelations avec le personnel de vente,

  • Proximité identitaire : adhésion aux valeurs du commerçant, perçu comme un acteur social,

  • Proximité de processus : fonctionnement du magasin garant de la qualité des produits ou du service, dont la mise en place de mesures sanitaires rassurantes.

La valorisation de leurs engagements et actions en matière de RSE et de proximité pourraient permettre aux acteurs de la distribution alimentaire de renforcer les relations avec leurs clients, clef majeure de leur fidélisation.

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