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Contre Daech, l’introuvable coalition

La Tour Eiffel en tricolore, comme de nombreux monuments à travers le monde. Ludovic Marin/AFP

Trois jours après les attentats, le président de la République et chef des Armées, François Hollande, a détaillé la riposte que la France entendait mener sur plusieurs fronts. Paris veut mobiliser tous azimuts ses partenaires, notamment européens, pour intensifier la lutte contre Daech. Mais cet effort, pour louable et nécessaire qu’il soit, risque de se heurter aux agendas et intérêts contradictoires des puissances régionales, acteurs clés du règlement de la crise syrienne.

Quelle alliance contre Daech ?

Les événements majeurs, tels les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis ou ceux de janvier dernier à Paris, constituent une occasion – certes tragique mais bien réelle – de faire bouger les lignes du point de vue diplomatique. Paris essaie d’exploiter l’élan naturel de solidarité en provenance de différentes parties du monde. Cet élan offre la possibilité de constituer une coalition politique et militaire, dont la priorité serait la lutte contre Daech.

Mais le chemin pour atteindre cet objectif sera long, car les principaux acteurs concernés ont des intérêts contradictoires. Prenons le cas de la Russie : va-t-elle faire des concessions concernant le sort de Bachar al-Assad, et s’insérer dans une coalition se concentrant sur Daech et non plus sur l’opposition au régime de Damas (comme cela a été le cas pour l’essentiel jusqu’ici) ? À quels ajustements la Turquie, l’Iran, les pays du Golfe vont-ils procéder ?

Même si la France ne fait plus du départ de Bachar al-Assad un préalable, la mise en place d’une coalition « large et unique », selon le souhait exprimé par François Hollande, prendra du temps. À cet égard, le premier test sera le vote d’une résolution du Conseil de sécurité voulu par Paris. S’agira-t-il d’une simple pétition de principe ou le texte donnera-t-il réellement une légitimité internationale et juridique à la future coalition contre Daech ?

Quid d’une présence de troupes étrangères ?

En réalité, elles sont déjà à pied d’oeuvre : les Occidentaux ont envoyé des forces spéciales et des conseillers militaires auprès des forces kurdes et du gouvernement irakien. Mais ce ne sont pas des forces combattantes en tant que telles. L’essentiel des troupes présentes face à Daech sont composées de soldats du gouvernement de Bagdad, des Kurdes (en Irak ou en Syrie), des troupes de l’opposition syrienne et celles du régime de Damas (soutenues par des renforts du Hezbollah et des gardiens de la révolution iraniens, et sans doute quelques conseillers russes). Il s’agit donc d’un groupe extrêmement disparate et regroupant des acteurs eux-mêmes en conflit, du moins en Syrie.

Sur le plan militaire, il est indiscutable que la guerre se gagne au sol. Mais faut-il occuper le nord de l’Irak et de la Syrie ? L’intervention américaine en Irak, en 2003, incite à la prudence : elle a en effet in fine favorisé l’émergence de mouvements radicaux. La solution passe en réalité par la montée en puissance des acteurs locaux et la mobilisation des puissances régionales arabes, plutôt que par une intervention terrestre occidentale qui risquerait d’être immédiatement assimilée à une nouvelle opération des « croisés » au Moyen-Orient. Par ailleurs, il n’est pas politiquement souhaitable de mettre en place une forme de coordination avec le régime d’Assad, laquelle ne ferait qu’attiser la propagande de Daech sur la « duplicité » des Occidentaux.

Quel rôle pour les Européens ?

Paris a décidé de recourir à l’outil de solidarité contenu dans le Traité de Lisbonne – l’article 42-7 plutôt que l’article V du Traité de l’Atlantique-Nord. Ce choix est doublement politique.

Le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, en grande discussion avec son homologue allemande, le 17 novembre. Thierry Charlier/AFP

Premièrement, Paris fait traditionnellement montre d’une grande prudence vis-à-vis de l’OTAN. Il ne faudrait pas laisser entendre que la France aurait besoin des États-Unis (via l’Alliance atlantique) et ne serait pas totalement souveraine… Ce qui est en jeu ici, c’est avant tout un choix d’affichage motivé par des raisons de politique intérieure.

Deuxièmement, se tourner vers l’UE fait davantage partie de l’ADN de la diplomatie française, tout en répondant à la volonté de mobiliser les Européens trop absents de la gestion des crises liées au terrorisme international et aux questions de sécurité internationale. Avec quelles conséquences concrètes ? Au-delà d’une expression unanime de solidarité avec la France, il est peu probable que l’UE participe activement à la coalition contre Daech.

Le clivage indépassable chiites-sunnites

Quoi qu’il arrive, ce clivage survivra à Daech, même si l’État islamique devenait un groupe de second rang, comme Al-Qaeda aujourd’hui. L’engagement de l’Iran sur le terrain pose de nombreux problèmes. La forte présence de combattants iraniens et du Hezbollah libanais aux côtés du régime de Bachar al-Assad a contribué à l’essor de Daech, qui se présente comme le protecteur des sunnites en Irak et en Syrie. C’est pour cette raison, précisément, que les pays arabes sunnites sont les plus légitimes pour mener une opération terrestre.

Les attentats commis à Beyrouth, contre l’avion russe en Égypte, puis à Paris semblent attester d’un changement de stratégie du côté de Daech qui multiplie les opérations à l’extérieur de sa zone d’action. Il faut remonter aux attentats sanglants de Madrid, en 2005, pour déplorer un tel carnage. Cette inflexion tactique majeure a lieu alors que Daech donne des signes de faiblesse sur le terrain, qu’il apparaît sur la défensive. L’EI a en effet perdu le contrôle de Sinjar, qui assurait la continuité territoriale sur l’axe Rakka (en Syrie) et Mossoul (Irak). Dès lors, Daech n’est plus en mesure d’assurer ses fonctions de proto-État. À cet égard, les attentats de Paris sont sans doute une façon de mettre en scène sa capacité à monter des opérations complexes qui frappent l’imagination, alors même que l’organisation perd du terrain au plan militaire au Levant.

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