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Lutter contre les changements climatiques : pourquoi est-ce si compliqué ?

Le 6 novembre 2017, dans le parc Rheinaue de Bonn, ville hôte de la COP23. Patrik Stollarz/AFP

Les preuves des changements climatiques ne se comptent plus et l’actualité ne cesse de nous rappeler leurs effets manifestes : vagues de chaleur plus fréquentes, précipitations extrêmes plus intenses, montée du niveau de la mer, fonte des glaces…

Le réchauffement a déjà atteint 1 °C en moyenne pour la planète depuis la fin du XIXe siècle ; des centaines de millions de personnes en subissent chaque jour les conséquences.

Face à l’importance d’une action rapide, le processus des négociations peut sembler pris de vitesse. Rappelons que le GIEC – fondé pour fournir des évaluations détaillées de l’état des connaissances scientifiques sur les changements climatiques – a été lancé en 1988 et que la COP23 (qui se déroule jusqu’au 17 novembre à Bonn) est la 23e conférence de l’ONU sur ces changements. Mais les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère n’ont cessé d’augmenter pendant tout ce temps.

Conflits et résistances autour du réchauffement

Le changement climatique est un problème global : peu importe où les gaz à effet de serre sont émis, ils contribuent de façon égale au réchauffement. Une coopération internationale incluant un maximum de pays, à commencer par les plus émetteurs, est ici incontournable.

Mais l’obtention d’un accord global est malaisée du fait des nombreuses divergences dans les intérêts et les priorités des différents pays. Ainsi les pays émergents tiennent les pays industrialisés pour responsables des émissions passées qui ont permis leur essor économique et revendiquent à leur tour le droit au développement, selon le principe dit de « responsabilité commune mais différenciée ».

À cette première ligne de clivage, il faut ici superposer d’autres problématiques : celle des pays producteurs de combustibles fossiles, qui craignent de voir leurs revenus chuter ; celle des pays les plus vulnérables aux impacts du changement climatique ou encore celle des pays insulaires, pour lesquels même un réchauffement limité à 2 °C signifie un risque de disparition.

Les changements climatiques recroisent donc les questions de développement économique, de sécurité énergétique, d’attribution des émissions passées, d’adaptation aux impacts, voire de survie pour les États insulaires. Cette multiplicité de logiques et d’intérêts complexifie les négociations en introduisant conflits et résistances.

Une influence déjà sensible

Dans ce contexte multifactoriel, il convient toutefois de souligner les réussites de l’Accord de Paris, conclu le 12 décembre 2015 à l’issue de la COP21.

Il s’agit en effet du premier accord « universel », dans le sens où la totalité des parties signataires s’est engagée à agir pour contenir l’élévation de la température. À l’inverse, l’accord antérieur de Kyoto en 1997 ne fixait pas d’objectifs pour les pays en développement.

L’Accord de Paris a été signé par 197 pays ; il est entré en vigueur le 4 novembre 2016, soit moins d’un an après la signature, du jamais vu dans la diplomatie environnementale. D’autre part, il confirme et rehausse même l’objectif fixé à Copenhague en 2009 en donnant pour but de contenir l’élévation de la température moyenne « nettement en dessous de 2 °C », tout en poursuivant l’action pour limiter le réchauffement à 1,5 °C.

Mais les efforts pour atteindre cet objectif ne sont pas explicitement répartis entre les pays. A contrario, l’Accord est fondé sur le principe de « contributions nationales volontaires », c’est-à-dire d’engagements individuels de la part des États. 163 parties ont déjà soumis leurs premières contributions, la plupart incluant des objectifs climatiques pour l’horizon 2030.

L’échéance de 2030 peut sembler lointaine, surtout face aux mises en garde de la communauté scientifique. On observe cependant que les engagements contenus dans les contributions nationales peuvent constituer un point d’ancrage dont les effets sont déjà tangibles dans les débats publics.

De nombreux travaux existent et se développent pour articuler les politiques de court et de long terme. Il est alors possible d’identifier les trajectoires compatibles avec les objectifs affichés, et de faire un suivi de l’écart entre ces trajectoires et les mises en œuvre effectives. Les acteurs – politiques, ONG, citoyens – peuvent ainsi mobiliser ces engagements lointains dans leurs revendications et en faire un levier pour infléchir les politiques actuelles.

Le temps de l’expérimentation

On observe aujourd’hui un foisonnement d’expériences et de politiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Cette pluralité est d’abord observable au niveau des États. En France, on peut mentionner la hausse de la fiscalité carbone ou la fermeture annoncée des centrales à charbon ; au Royaume-Uni, un prix plancher du carbone pour les industriels ; en Allemagne, un recours important aux subventions pour les énergies renouvelables.

Plusieurs pays ont annoncé la fin des ventes de véhicules thermiques en 2030 (Inde) ou 2040 (France, Royaume-Uni), voire planifié leur interdiction de circulation en 2050 (Royaume-Uni), en passant parfois par des quotas progressifs de véhicules électriques ou hybrides (Chine).

Ce foisonnement peut générer deux effets qui se renforcent mutuellement : d’une part, une baisse des coûts des nouvelles technologies, via les effets d’apprentissage et les économies d’échelles ; d’autre part, une incitation, un effet d’entraînement sur les autres États à mettre eux aussi en place des politiques climatiques.

Les villes se mobilisent également. Elles sont de plus en plus nombreuses à vouloir bannir les véhicules thermiques, instaurant des péages ou des réglementations de plus en plus strictes. Les plus grandes villes ont d’ailleurs créé leur propre réseau pour lutter contre le changement climatique, le « C40 ».

Enfin, les entreprises ne sont pas en reste : nombre d’entre elles ont enjoint le président Trump à ne pas quitter l’Accord de Paris ; elles sont de plus en plus nombreuses à intégrer un prix interne du carbone.

Toutes ces expériences doivent permettre d’identifier les solutions les plus efficaces, car les débats sur les meilleures politiques sont loin d’être clos.

Faut-il, par exemple, recourir uniquement au prix du carbone – et ce prix doit-il être le même partout – ou lui adjoindre d’autres instruments : réglementations, subventions, objectifs de réduction de la consommation d’énergie ? Quelles doivent être les contributions des différents secteurs de l’économie : énergie, industrie, transports, bâtiments, agriculture ? Comment concilier réduction des émissions et autres objectifs de développement ou d’emploi ? Autant de questions qui suscitent des programmes de recherche et sur lesquels les économistes continuent d’être divisés.

Mais attention à ne pas chercher de remède universel. Les pays ont des impératifs socio-économiques et des potentiels différents. Il faut donc explorer et tester un faisceau de solutions combinant les échelles internationales, nationales et locales.

Combler le fossé

L’Accord de Paris inclut un élément clé : le mécanisme de bilan et de révision. Tous les cinq ans en effet sera réalisé un bilan mondial du niveau des engagements et de leur mise en œuvre. Les États auront ensuite la possibilité de renforcer leurs engagements pour 2030 et au-delà.

Ce mécanisme permet l’indispensable montée en puissance de l’Accord de Paris. Le premier bilan aura lieu en 2018, et se nourrira du rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C par rapport aux niveaux pré-industriels. La première révision des contributions nationales aura lieu en 2020. La COP24, qui se tiendra à Katowice en Pologne en 2018, sera donc particulièrement importante.

La COP23 qui se tient actuellement à Bonn vise à préparer le terrain des négociations à venir. De nombreux points techniques doivent en effet être décidés en amont et, comme souvent, le diable se niche dans les détails. Par exemple, selon la façon de comptabiliser les émissions liées à l’agriculture et à la forêt, les affichages des efforts fournis par certains pays peuvent paraître très différents.

Clarifier les définitions et les modes de comptabilité, un sujet à la fois scientifique et politique, constitue donc l’un des grands enjeux de la COP23 – étape plus technique mais nécessaire avant de réaliser le bilan mondial en 2018.

Un autre sujet de débat important porte sur les financements. À Copenhague, en 2009, les pays développés se sont engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par an à partir de 2020. Mais le montant total des fonds effectifs et les contributions de chaque pays sont encore incertains, a fortiori avec le recul des États-Unis, actuellement premier contributeur. De plus, ces montants sont d’après les évaluations disponibles très insuffisants, puisqu’il s’agit, comme le résume le slogan « Moving the Trillions », de déplacer de l’ordre de 5 à 6 mille milliards par an.

Il est bien sûr impossible de le faire – dans le respect du principe de responsabilité commune mais différenciée – par simple ponction sur les budgets publics des pays du Nord. C’est pourquoi, depuis une dizaine d’années, beaucoup de travaux étudient la possibilité de réorienter l’énorme épargne disponible dans le monde (assurances, fonds de pension) via des garanties publiques par les États du Nord pour des investissements incorporant une valeur sociale des émissions évitées (voir à ce propos l’article 108 de l’Accord de Paris).

Il faut enfin insister sur le fait que l’objectif des 2 °C tient de la gageure. En ligne avec les résultats de nos travaux, un nouveau rapport des Nations unies souligne ainsi le fossé « d’une ampleur alarmante » entre les engagements des États et les trajectoires compatibles avec l’objectif des 2 °C.

Et l’annonce en juin 2017 d’une future sortie des États-Unis de l’Accord de Paris a souligné sa fragilité, faisant écho à la non-ratification du protocole de Kyoto par les États-Unis.

Figure présentant les trajectoires types d’émissions de gaz à effet de serre pour différents niveaux de réchauffement climatique et intervalle d’émissions résultant des engagements des pays exprimés dans les NDC. L’écart entre notre évaluation et celle de l’UNEP provient du fait que l’UNEP inclut des modélisations des changements en cours alors que nous ne considérons que les engagements en émissions explicités dans les NDC. GICN, UNEP

L’Accord de Paris a marqué une étape importante des négociations, fixant un objectif commun et un cadre aux discussions. Mais il constitue plus un point de départ qu’une arrivée. Les trois années à venir, avec le bilan mondial en 2018 et la révision des engagements en 2020, seront donc essentielles pour espérer combler le fossé qui nous sépare encore des 2 °C.


Patrick Criqui, Philippe Ciais, Hervé Le Treut, Thierry Lebel, Jean‑Charles Hourcade, François-Marie Bréon, Sandrine Mathy et Hélène Benveniste ont contribué à l’élaboration de cet article.

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