Menu Close

Coq Maurice et autres « bruits de la campagne », une vision fantasmée de la ruralité

Sur l’île d’Oléron, le coq Maurice a été autorisé par la justice à poursuivre ses vocalises… malgré la colère de ses voisins. Xavier Leoty / AFP

Ces dernières semaines, plusieurs faits divers survenus dans de petits villages de France ont attiré l’attention médiatique. On a suivi le procès intenté sans succès au coq Maurice, accusé de chanter trop fort ou trop souvent dans l’Ile d’Oléron, les plaintes contre le chant des grenouilles dans une commune du Pas de Calais, ou encore les doléances contre le bruit des cloches… Mardi 19 novembre, un éleveur du Cantal a été condamné à payer 8 000 euros à ses voisins, anciens citadins, en raison d’un « trouble anormal du voisinage » provoqué par l’odeur de ses vaches.

En réaction à ces excès, on a aussi parlé d’initiatives visant à protéger les bruits ou les odeurs des villages ou à les classer au patrimoine historique, comme celles du député de la Lozère Pierre Morel-À-L’Huissier, qui veut faire définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises par la loi.

On a beaucoup entendu dans la presse et sur les réseaux sociaux que ces conflits de voisinage seraient le signe d’une opposition croissante entre les habitants des campagnes et les nouveaux arrivants dans ces territoires, qualifiés de néo-ruraux, ou nouveaux ruraux. Ces nouveaux habitants seraient incapables de s’adapter aux conditions de la vie rurale. Sitôt arrivés, ils tenteraient d’imposer leur manière de vivre aux habitants des campagnes, provoquant ce type de conflits de voisinage.

Ces histoires nous font beaucoup rire, nous scandalisent et nous distraient. Mais sont-elles vraiment révélatrices des conflits à la campagne ? Ou sont-elles très marginales ?

Des relations plus apaisées qu’on ne le croit

Notre équipe de recherche, à l’INRA et AgroParistech, a lancé depuis une vingtaine d’années, un programme de recherche sur les conflits d’usage, de voisinage, etc. dans toute la France, et tout particulièrement dans les espaces ruraux.

Ce projet porte sur des zones représentatives de l’ensemble des territoires ruraux, en plaine, en montagne, sur le littoral, proches ou éloignés des villes, dans le sud ou le nord de la France, dans les zones périphériques et jusqu’en Corse ou à la Réunion. Ses résultats reposent sur de nombreuses enquêtes de terrains, mais aussi sur l’étude des conflits retracés dans les quotidiens de la presse régionale, ainsi que sur l’analyse minutieuse d’innombrables jugements ou recours aux tribunaux.

Nos conclusions suggèrent qu’il faut tordre le cou à cette idée reçue des conflits entre habitants des campagnes et néo-ruraux. Les petits évènements dont la presse se fait l’écho sont en réalité très anecdotiques et ne reflètent pas l’ambiance et les relations qui régissent les campagnes.

Des conflits d’une tout autre nature

Plusieurs raisons peuvent l’expliquer. En zone rurale, les conflits sont plutôt rares, en tout cas bien moins nombreux que dans les villes ou les zones périurbaines ! Cette relative rareté s’explique probablement par la faible densité de population dans les campagnes, qui limite la concurrence entre les personnes ou sur les espaces.

Les tensions ne sont pas pour autant absentes des campagnes, mais elles portent sur des enjeux plus sérieux que le chant du coq ou les vaches du voisin. Selon nos travaux, ils reposent la plupart du temps sur des questions d’infrastructures. Installation d’usines de traitement de déchets, tracé de routes, de voies ferrées, construction de tunnels (comme le tunnel du Somport, dans le Béarn), d’aéroports (avec le cas emblématique de Notre-Dame-des-landes), prisons, usines polluantes, carrières, installation de parcs d’éoliennes… plus généralement, la production d’énergie cristallise régulièrement les tensions.

Une large partie de ces conflits touche à l’occupation des sols, et donc aux arbitrages entre activités agricoles, espaces naturels, tourisme et activités industrielles. Les Plans locaux d’urbanisme (PLU), font très souvent l’objet de contestation par les habitants de communes ou d’intercommunalités insatisfaits de la destination de leurs terres, trop souvent réservées à un usage agricole alors qu’on espérerait par exemple les lotir pour la construction et en retirer une meilleure valorisation foncière.

Dans ce contexte, les « vrais » conflits de voisinage proviennent alors le plus souvent de l’inquiétude de riverains autour de la pollution générée par une usine ou une carrière voisine. Vis-à-vis de l’agriculture, les conflits portent plus souvent sur l’épandage de produits phytosanitaires que sur les bruits et les odeurs de la ferme.

Une vision bucolique de la ruralité

Par ailleurs, locaux et néo-ruraux s’opposent peu, car en réalité, très peu d’urbains viennent s’installer ou se réinstaller en zone rurale. Cette tendance migratoire demeure minoritaire, la plupart des mouvements s’opérant toujours de la campagne vers les villes – ou alors de la ville vers des zones périurbaines, et qui restent accessibles facilement en voiture ou en train. Reste les déplacements temporaires pour les voyages ou les vacances, très anecdotiques au demeurant.

Ces histoires de coq, de cloches ou de grenouilles, qui nous distraient d’une actualité souvent plus lourde, sont avant tout révélatrices du regard que les habitants des villes portent sur le rural ou ce qu’ils en imaginent. C’est pour cette raison qu’elles rencontrent un tel succès. La vision qui domine est avant tout celle de l’allégorie d’un rural très bucolique, de petits villages blottis autour d’un clocher, de champs de blé et de forêts profondes. Un rural très agricole aussi, qui correspond davantage à l’image patrimoniale, donnée par les émissions de Stéphane Bern ou les films de Walt Disney, qu’à la réalité.

Il y a pourtant bien longtemps que l’activité agricole n’est plus la première source de revenus en France. Dans les campagnes, l’activité économique repose principalement sur les services de tous types, y compris les services à la personne. Et ce devant les productions industrielles incluant l’agroalimentaire. L’agriculture n’arrive qu’en troisième position en termes d’occupation des personnes.

Dans les territoires où elle est restée dominante, situés le plus souvent dans le Grand Ouest ou le Grand Est, elle prend un aspect très différent de l’image d’Épinal que l’on en a souvent. On y trouve d’immenses champs cultivés, de soja, de maïs ou de blé, ou alors de grandes fermes de production laitière (on se souvient des discussions au tour de la dite « ferme des 1000 vaches »), voire de gigantesques poulaillers, plutôt que de petits bocages.

Aujourd’hui, les ruraux sont des citoyens comme les autres, avec les mêmes intérêts et les mêmes passions. Ils regardent les mêmes émissions à la télé que l’ensemble de la population, sont actifs sur les réseaux sociaux, se meublent chez Ikea et vont au supermarché pour faire leurs courses comme tout le monde.

Simplement, le quotidien de ces habitants des espaces ruraux n’est pas le même que celui des personnes qui habitent dans les villes. Ils vivent généralement dans un environnement plus protégé, dont l’air est moins pollué et les paysages mieux préservés, et sont intégrés à des communautés de taille plus restreinte mais souvent plus solidaires car moins anonymes.

Ce mode de vie n’est pas sans inconvénients. Les déplacements sont plus longs, plus difficiles, non seulement parce qu’une bonne partie des voies ferrées et des transports collectifs a été démantelée au cours des 70 dernières années, mais également parce que des services publics y sont supprimés tous les jours. Postes, écoles ou maternités, tribunaux sont de moins en moins accessibles… ce qui contraint à une mobilité bien plus longue et plus coûteuse.

Ces problématiques affectent réellement le bien-être et la qualité de vie des habitants des campagnes. Pas de quoi tordre le cou à un coq ! Profitons de l’opportunité des discussions sur les microconflits de voisinage pour s’intéresser aux vrais défis qu’affronte aujourd’hui la ruralité.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 181,800 academics and researchers from 4,938 institutions.

Register now