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Coronavirus : mais pourquoi les consommateurs ont-ils pris peur de la bière Corona ?

Les intentions d'achat de la célèbre bière mexicaine ont plongé depuis le début de l'épidémie. LinaOli / Shutterstock

Un slogan très connu de la bière Corona, « Miles away from ordinary » (« à mille lieues de l’ordinaire »), souligne que cette boisson est une bière extraordinaire qui « fait de vous un roi ». La stratégie de communication, autour de l’image du soleil et de la mer, associe la marque au sentiment d’évasion. D’ailleurs, les publicités de cette bière, dans les pays où il est possible de faire la publicité de boissons alcoolisées, sont généralement tournées sur une plage paradisiaque.

Il semble qu’aujourd’hui cette bière, fierté de l’industrie mexicaine, soit entrée dans une tempête qui fait chavirer dangereusement le navire. Comme le signale YouGov Ratings, une organisation spécialisée qui mesure la popularité et la notoriété de tout en se basant sur des millions de réponses du public américain, l’image de la bière Corona connaît une chute vertigineuse auprès des consommateurs. En cause : l’arrivée du coronavirus et la crainte globale qui l’accompagne qui a fait chuter les intentions d’achat à un peu plus de 5 % des Américains, le pourcentage le plus bas depuis deux ans.

Les intentions d’achat de Corona n’ont jamais été aussi basses aux États-Unis. Yougov.com

L’une des caractéristiques de notre civilisation reste la vitesse avec laquelle circulent non seulement les informations mais aussi les peurs et les tragédies. Parmi ces phénomènes, l’apparition d’un virus, d’un « tueur de masse », constitue l’une des craintes les plus terrifiantes. Cette frayeur globalisée se répercute non seulement sur la vie quotidienne de nous tous, mais aussi sur les affaires, la finance, la politique et même les relations internationales.

Bière et image, un lien étroit

En peu de temps, le monde entier a été plongé dans une forme de paranoïa globale, entraînant des dégâts sur l’économie mondiale. Les marchés financiers et les entreprises multinationales ont été frappés de plein fouet par cette crainte globale. Et l’une des victimes collatérales de cette crise a été le bateau insigne de l’industrie mexicaine à travers le monde, la bière Corona.

La bière est aujourd’hui la troisième boisson la plus populaire au monde après l’eau et le thé. Selon Business Insider, l’industrie de la bière a vendu pour 661 milliards de dollars de bière en 2017. Corona se classe parmi les dix bières les plus consommées au monde avec 28,8 millions d’hectolitres vendus à l’année.

Historiquement, l’industrie de la bière a fait de la publicité son fer de lance pour conquérir de nouveaux marchés ou consolider ses positions. Traditionnellement, l’industrie brassicole investit d’importantes sommes d’argent dans la communication. En 2018, les deux premiers annonceurs parmi les fabricants de bière aux États-Unis étaient Anheuser-Busch InBev (AB InBev) et Constellation Brands qui produit la Corona. Cette dernière a dépensé 368 millions de dollars pour sa communication dans l’ensemble des médias.

La stratégie commerciale dans l’industrie brassicole repose en grande partie sur la publicité, car la consommation du produit reste étroitement liée à l’image créée par l’annonceur. Lorsqu’on boit une bière, on ne consomme pas uniquement une boisson, mais une forme de vie qui peut être associée à des représentations vastes et variées, passant par la fête, la convivialité, l’été, la plage, voire la santé ou l’engagement politique.

Cette représentation de la bière dans l’inconscient collectif a eu, à force d’une stratégie marketing globale et assez agressive, rapidement des résultats positifs en créant une image claire et nette pour les consommateurs. Néanmoins, cette représentation peut se retourner contre le produit, comme on le constate actuellement pour Corona.

La puissance d’un simple mot

Dans un monde où la vitesse règle nos vies au quotidien, les mots ont acquis une importance capitale. De la même manière qu’un seul mot peut créer une représentation puissante d’une marque, il peut aussi l’entraîner vers la faillite. Une marque devient une icône à partir des représentations qu’elle génère autour d’elle.

Ainsi, pour créer une identité de marque forte afin d’implanter un produit durablement dans l’esprit du consommateur, il faut utiliser, parmi d’autres éléments, un seul mot, simple et à forte connotation symbolique. Le choix du mot jouera un rôle encore plus crucial pour l’avenir d’une entreprise lorsqu’il se prononce de la même manière partout dans le monde.

Dans nos cours de droit des marques, nous soulignons l’importance en termes de valeur de mot choisi par une entreprise pour communiquer sur un produit, ainsi que l’importance de construire une stratégie de protection légale autour du mot choisi.

Outre la contrefaçon, une marque doit en effet faire face à de nombreux dangers pouvant nuire à son image. Parmi les risques figure notamment le parasitisme, qui consiste à promouvoir un produit ou un service similaire à celui d’un autre fournisseur clairement identifié. L’objectif est là d’inciter délibérément le consommateur à penser que le produit ou le service provient de ce fournisseur alors que tel n’est pas le cas.

Spot publicitaire pour Corona (2010).

Afin de se prémunir contre toutes ces manœuvres, nombre d’entreprises, notamment dans le secteur du vin et spiritueux, ont mis en place des services spécialisés dans la veille et surveillance partout dans le monde. Les cas des vins français protégeant leurs marques sur le marché chinois ont par exemple été récurrents ces derniers temps.

Et le mot « corona » alors ? Dans ce cas, l’épidémie a entraîné une forme de « parasitisme inverse », c’est-à-dire que le nom de la marque s’est retourné contre elle-même, en abîmant son image, en détruisant sa représentation positive, à cause d’un événement externe et global.

Face à cette crise de réputation, Corona devra donc sans doute engager de nouveaux efforts de communication. Pourquoi pas en expliquant que boire une bière bien fraîche dans un verre propre est si extraordinaire qu’on peut se passer d’embrasser ses amis… mais ça, c’est le boulot des marketeurs !

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