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Des Burundais attendent pour aller voter aux élections présidentielles, qui se sont tenues le 20 mai. Le pays est en déni face à la menace de la Covid-19. AP Photo/Berthier Mugiraneza, File)

Covid-19 : le commerce, la démocratie et les droits humains en recul dans la région des Grands Lacs africains

Le président du Burundi, Pierre Nkurunziza, est mort la semaine dernière à l’âge de 55 ans, victime d’une crise cardiaque selon un communiqué de son gouvernement. Mais la semaine précédente, sa femme a été hospitalisée au Kenya, apparemment atteinte de la Covid-19. Les commentateurs ont donc vite conclu que Nkurunziza pourrait avoir été emporté par le coronavirus. Depuis le début de la pandémie, il a eu tendance à minimiser, voire nier la gravité de la maladie.

Une photo prise en 2018 du président du Burundi, Pierre Nkurunziza, mort le 9 juin d’une supposée crise cardiaque. AP Photo/Berthier Mugiraneza, File

La situation de la pandémie dans cette région d’Afrique, celle de la région de Grands Lacs, qui comprend la République Démocratique du Congo (RDC), le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda, demeure confuse. Les derniers bilans (11 juin 2020) font état de 204 000 cas confirmés sur l’ensemble du continent, dont 5 530 décès. L’Afrique des Grands Lacs n’enregistre pour sa part que 6 157 cas confirmés. Bien des observateurs croient cependant que le bilan pourrait être bien plus lourd.

Ma recherche en cours sur l'Afrique face aux défis de la Covid-19 me permet de constater que la pandémie ravive des tensions déjà existantes dans cette région.

Fermeture des frontières

Pour prévenir la propagation du coronavirus, la plupart des pays ont unilatéralement adopté des mesures allant jusqu’à la fermeture des frontières sans égard pour la géopolitique locale.

Dans la région des Grands Lacs africains, cette action a dégradé les relations entre les pays limitrophes. Elle met à rude épreuve les efforts en cours pour le retour à la paix et aggrave la crise économique et humanitaire dans la région. À la suite des premiers cas de Covid-19 enregistrés respectivement au début mars au Rwanda et en RDC, les pays voisins ont fermé leurs frontières pour mettre leur population à l’abri de la contamination. Le Burundi a fermé les siennes le 15 mars, poussant le Rwanda à la réciprocité le 21, la RDC le 22 et l’Ouganda le 23 mars 2020.

Ces trois derniers pays ont toutefois laissé la possibilité aux camions transportant les marchandises d’entrer sur leurs territoires. Le Burundi a cependant interdit les marchandises transitant par le Rwanda. En réponse, le Rwanda a fermé ses frontières aux marchandises destinées au Burundi. Des populations sont ainsi privées des biens essentiels. Le gros des produits manufacturiers consommés à l’est de la RDC, au Burundi et au Rwanda provient principalement des ports de Mombasa au Kenya et de Dar Es Salam en Tanzanie. Ces marchandises, pour atteindre la RDC, transitent par les trois autres pays voisins.


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Un pays en plein déni

Le blocus frontalier a énormément préjudicié les voyageurs et les populations riveraines. Toutes les entrées et les sorties étant interdites, les personnes persécutées dans leurs pays ne peuvent pas sortir et celles qui travaillent ou étudient de part et d’autre des frontières sont coincées en dépit de la vulnérabilité dans laquelle se trouvent certaines d’entre elles. En mars, le HCR a rappelé l’urgence de protéger les réfugiés, les demandeurs d’asile y compris les déplacés et de les inclure dans les plans de riposte contre le coronavirus.

Cela n’a pas empêché à la Tanzanie de rapatrier les réfugiés burundais en pleine crise sanitaire. Le Rwanda a aussi reçu « les demandeurs d’asile », notamment des Burundais dont le pays est pourtant l’un des états décriés actuellement pour la répression politique et le déni de la pandémie.

Les dirigeants croient en la force de la nature, sinon à la prière pour combattre le coronavirus et ne tolèrent pas les critiques. Les cas suspects de Covid-19 sont cachés, dont celui de la première dame, et les décès attribués à une pneumonie ou encore, une crise cardiaque, comme c’est le cas pour Nkurunziza. L’équipe de riposte de l’OMS a été expulsée du pays.

En RDC, pendant ce temps, une manifestation qui s’est tenue le 16 juin contre les abus des policiers chargés de faire respecter les mesures barrières contre le coronavirus a occasionné la vandalisation du centre d’isolement des cas positifs dans la ville de Bukavu. Des malades auraient pris fuite.

Une mobilisatrice communautaire congolaise, volontaire pour la Croix-Rouge, Katungo Methya, donne des informations sur la prévention du coronavirus, le 7 avril, à Beni, dans l’est du Congo. AP Photo/Al-hadji Kudra Maliro

Des tensions ravivées

Bien que salutaire, la décision du Rwanda d’ouvrir le couloir humanitaire aux Burundais recouvrerait pour certains des motivations politiques qui pourraient à court terme déstabiliser son voisin.

Ces deux États ont des relations tendues depuis 2012. Le Burundi accuse le Rwanda de soutenir les violences contre le régime en place et d’entraîner des combattants sur son territoire. En retour, le Rwanda reproche au Burundi de prêter main-forte aux groupes armés hostiles au président Paul Kagame, comme les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) qui opèrent à partir de la RDC. L’armée rwandaise à la poursuite de ces combattants a été signalée sur le sol congolais en avril en dépit de la fermeture des frontières.

Par ailleurs, depuis le début de la pandémie, la médiation entreprise par l’Angola et la RDC pour mettre un terme au conflit qui oppose l’Ouganda et le Rwanda a été suspendue. Les frontières entre ces deux États sont fermées depuis mars 2019. Le Rwanda reproche à l’Ouganda d’assassiner ses ressortissants et de soutenir les rebelles contre son régime alors que l’Ouganda accuse le Rwanda d’espionnage. Ces deux voisins sont, en outre, fortement engagés dans les conflits en RDC depuis 1996.

Une pandémie qui a le dos large

Depuis 2015, les dirigeants des quatre pays riverains des Grands Lacs prennent des mesures pour se maintenir au pouvoir ou garder la mainmise sur les institutions après leurs mandats. Outre la modification des constitutions, ils ont retiré leurs signatures ou menacent de sortir des instances judiciaires internationales entre autres : la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) et la cour pénale internationale (CPI).

En raison de la pandémie, l’Ouganda a reporté les élections présidentielles prévues en 2021 alors que le Burundi a profité de la crise pour organiser les scrutins sans témoins indépendants. Les observateurs internationaux n’ont pas été accrédités

L’arrivée de la pandémie a ainsi renforcé la violation des droits humains, les tensions diplomatiques et sécuritaires dans la région des Grands Lacs. Les États se reprochent mutuellement d’ingérence dans les affaires internes des autres.

La crise actuelle devrait être l’occasion pour les dirigeants de cette région de repenser leurs politiques, d’élaborer des stratégies de lutte contre l’insécurité et de gestion des crises, voire faire la promotion du commerce transfrontalier. Pourtant, il semble que ce soit le contraire qui se déroule.

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