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L'écrasante majorité des décès liés à la Covid-19 ont été des personnes âgées. Shutterstock

Covid-19 : le prix d’une vie et les choix de société lors d’une deuxième vague

Les gouvernements provinciaux et fédéral de tout le pays ont réagi, au printemps 2020, à la Covid-19 par deux mesures : l’introduction de mesures dites de distanciation sociale et de confinement, accompagnées de soutien financier (notamment la Prestation canadienne d’urgence) et le rationnement de l’accès aux soins de santé non relié à la Covid, soit les chirurgies électives et les soins dits non urgents.

Ces mesures ont été mises de l’avant afin de protéger la population et éviter une surcharge du milieu hospitalier ainsi qu’un marasme économique. Mais plusieurs les ont décriés comme nuisant à l’économie.

Quels sont les avantages et coûts associés à cette mesure qui a mené à la première récession délibérée de l’histoire économique canadienne ?

Je suis un expert en analyse et conception de politiques publiques auprès d’institutions québécoises, canadiennes et internationales (dont la Banque Mondiale et le FMI) et j’ai de l’expérience dans l’utilisation des outils économiques pour évaluer la vie humaine.

La valeur d’une vie

La récession causée par le confinement et l’arrêt des activités économiques visait la réduction du nombre de morts prévus. Ce nombre résulte du taux de mortalité de la Covid-19 applicable à une population canadienne de 38 millions de personnes.

Il y a une incertitude sur ce taux de mortalité, qui dépend du taux de transmission et de la sévérité de la maladie. La prévision officielle du gouvernement du Canada du nombre de morts de la Covid-19 implique un taux de 0,9 % ; deux autres études indiquent un même taux générant un maximum de 350 000 morts. Ce scénario catastrophe ne s’est pas produit.

Comment mesurer les bénéfices de réduire le nombre de morts ? Dire qu’une vie n’a pas de prix est faux, car les politiques gouvernementales dans divers domaines tels la sécurité routière ou le traitement de diverses maladies indiquent que la société doit allouer des ressources limitées à sauver des vies.

L’économiste dispose de deux outils pour faire des choix. Ce sont respectivement la valeur statistique d’une vie humaine (VSVH) et la valeur d’une année de vie ajustée pour la qualité de vie (QALY).

La VSVH serait de l’ordre de cinq-six millions de dollars. C’est un outil utile lorsqu’on examine des choix visant la population dans son ensemble. Mais ce n’est pas l’outil usuellement utilisé pour évaluer la pertinence de financer ou non un nouveau traitement pour une maladie. En général, les victimes d’une maladie spécifique ne sont pas l’ensemble de la population mais des groupes spécifiques par sexe (certains cancers) ou âge.

On utilise donc le gain en années de vie, corrigé pour la qualité de ces années. En effet, gagner cinq ans en pleine santé peut être plus valable que six années en mauvaise santé.

Qui est mort de la Covid-19 ?

Pour examiner ce qu’une récession délibérée apporte à la société, il faut connaître, par groupe d’âge : la distribution des décès, l’espérance de vie et le QALY associé à chaque groupe d’âge.

Ceci s’établit par des données de diverses sources. Les décès liés à la Covid-19 sont concentrés chez les plus de 80 ans (72 % au 10 juin 2020), un groupe dont l’espérance de vie (6 ans) est faible et la qualité de vie moindre. Au total ce sont 2 522 000 QALY qui sont associés aux 350 000 morts ; ceci signifie que le nombre moyen d’années de vie en santé d’une personne décédée de la Covid-19 était de 7,8 années. Ce faible nombre d’années s’explique par l’âge élevé associé à ces décès et par le fait que des [facteurs qui réduisent la qualité de vie augmentent le risque de la Covid-19](https://l-express.ca/covid-19-lage-nest-pas-le-seul-facteur-de-risque/.

Quelle est la valeur économique de ces QALYs ? Ceci dépend de leur valeur unitaire. Il n’y a pas de chiffre officiel, mais une étude en 2019 d’un organisme gouvernemental met de l’avant 60 000 dollars par QALY pour le Canada. Si l’on examine d’autres pays, on trouve des valeurs plus ou moins élevées. De façon à ne pas sous-estimer les pertes de vie associées à la Covid-19, nous utilisons 75 000 dollars. Donc une année de vie perdue pour une personne en excellente santé correspond à une perte pour la société de 75 000 dollars. Comme on calcule 7,8 QALY perdus par décès Covid-19 au Canada, on a donc une perte moyenne pour ce type de décès de 585 000 dollars. La valeur économique de ces décès est donc 190 milliards de dollars soit environ 10 % du PIB canadien en 2019.

Établir des critères clairs

Il ne faut donc pas, selon moi, en toute justice à la fois pour les victimes d’autres maladies et pour la société en général, dépenser plus que ceci sur la Covid-19.

La mesure des ressources réelles dépensées est la réduction du PIB causée par les politiques gouvernementales. Il s’agit d’une partie de la récession qui sera observée en 2020 ; celle-ci résulte des politiques canadiennes, des politiques de nos partenaires économiques, des choix de distanciation des entreprises et consommateurs et de la baisse OPEC du prix du pétrole. Nous ne connaissons pas pour le moment ni l’importance totale de la récession qui est estimée comme variant entre 6 % du PIB (FMI), ni la partie qui résulte des politiques canadiennes. Selon moi, on peut attribuer les deux tiers de la récession observée aux politiques canadiennes.

Il nous faut donc calculer pour septembre 2020 quel est le montant déjà dépensé pour savoir la marge de manœuvre restante face à une possible deuxième vague. J’estime qu’il est probable qu’on ait gaspillé des ressources au printemps 2020.

Une deuxième vague potentielle à l’automne 2020 doit être gérée sans provoquer une récession délibérée. À l’instar de ce qu’a déjà dit le Dr Horacio Arruda, il n’y aura pas de confinement mur à mur. Seules les personnes les plus à risques devraient, à mon point de vue, réduire leurs interactions sociales le temps que cette vague passe. Pour atteindre un tel résultat, il faut entre autres prévoir des mécanismes ciblés pour offrir des services (achat en ligne et livraison notamment) facilitant ceci.

Il faut aussi prévoir, si nécessaire, rationner l’accès aux ressources de santé. Il est vrai que lors de la première vague, la grande majorité des décès se sont produits dans les CHSLD et les résidences pour aînés, avec de simples — et peu coûteux — soins de fin de vie. Mais on ignore ce que sera la seconde vague. Comment rationner ces soins fait l’objet de diverses opinions.

Le consensus dans la profession médicale semble être qu’il faut établir des critères clairs afin d’éviter la situation en Italie, à l’hiver 2020, où des choix déchirants où dû être faits. Privilégier les gains en santé, mesurés par les années de vie les plus élevées est éthiquement, sinon désirable, du moins acceptable.

Utiliser les gains en QALY par type de patient traité est donc un indicateur pertinent même s’il est déplorable de devoir l’utiliser. Selon moi, cela est la meilleure façon d’assurer une justice intergénérationnelle au Canada, car ce sont les jeunes qui souffrent de façon disproportionnée de la distanciation sociale au Canada.

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