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Des membres du personnel du ministère congolais de la Santé effectuent un test de Covid-19 dans une résidence privée à Goma, au nord-est de la République démocratique du Congo, le 31 mars 2020. Alexis Huguet/AFP

Covid-19 : pourquoi la RDC doit investir dans la recherche en santé

Au début du mois de mars, le premier cas importé de Covid-19 d’Europe à été confirmé à Kinshasa, la capitale densément peuplée de la République démocratique du Congo (RDC).

La RDC se trouvait encore, à ce moment-là, en pleine riposte contre d’autres épidémies causées par des pathogènes tout aussi dangereux. Elle n’avait certainement pas intérêt à voir cette pandémie causée par le SARS-coronavirus-2 (SARS-CoV2) débarquer sur son territoire. En effet, le pays était déjà surchargé avec la riposte contre la deuxième épidémie d’Ebola la plus meurtrière de l’histoire de cette maladie, la pire épidémie de rougeole au monde, ainsi qu’une épidémie de choléra en cours.

Compte tenu de la fragilité du système de santé de la RDC, la Covid-19 était donc un lourd fardeau supplémentaire. Avant même que le pays n’ait un plan et une stratégie de réponse approuvés, il comptait déjà ses cas de contamination à deux chiffres tout en luttant pour rassurer sa population.

Alors que des mesures et des protocoles restrictifs visant à lutter contre la propagation de la maladie ont finalement été annoncés, il était évident que plusieurs de ses mesures n’étaient pas adaptées au contexte local du pays.

Néanmoins, l’équipe d’intervention – composée de professionnels hautement expérimentés – a élaboré un plan basé sur le suivi et le dépistage des cas suspects, l’isolement des cas confirmés et l’admission des cas graves dans les hôpitaux ou centres de traitement. Mais la mise en œuvre de ce plan a été difficile.

Les plus gros obstacles ont été le manque d’infrastructures, d’équipements, de fonds et d’informations. En outre, les partenaires sur lesquels le pays s’est toujours appuyé lors des précédentes flambées de maladie étaient également submergés par la Covid-19. La RDC a donc été obligée de mener et de gérer sa réponse à la pandémie avec beaucoup moins d’implication opérationnelle de ses partenaires internationaux habituels.

Compte tenu des événements liés à la Covid-19 et aux autres flambées épidémiques, il est de plus en plus évident que la RDC souffre d’une carence de capacité locale à anticiper, prévenir et réagir de manière autonome face à ces problèmes de santé publique. On devrait, en effet, s’attendre à ce qu’avec l’expérience du pays en matière de lutte contre les maladies infectieuses acquise au cours des quatre dernières décennies, ses institutions soient suffisamment équipées pour développer et réaliser spontanément une surveillance et une réponse adéquate. On s’attendrait également à ce que ces institutions s’appuient sur la recherche pour mettre en place des mesures fondées sur des données probantes.

Malheureusement, cela n’est pas toujours le cas.

Au fil des années, les dirigeants de la RDC ont manifesté très peu d’intérêt à le doter de meilleurs laboratoires et capacités hospitalières, de meilleures conditions de travail et de financement pour la formation, la recherche et les développements biomédicaux.

Même s’il paraît évident que la politisation à outrance de plusieurs secteurs vitaux du pays est à blâmer, il est indéniable que les scientifiques partagent également la faute. Ces derniers ont été incapables de communiquer haut et fort d’une seule voix, comme une communauté unie autour d’un objectif commun, aux dirigeants du pays ainsi qu’à la population.

Il est irréfutable qu’une cure de jouvence est nécessaire pour une amélioration du secteur de la santé en RDC ainsi que de sa capacité à prévenir et à lutter plus efficacement contre les maladies.

Alors, que faut-il faire ?

Au-delà de la Covid-19

Tout d’abord, le pays doit développer une industrie solidement structurée et soutenue de la recherche scientifique et de l’innovation dans le domaine de la santé.

Une telle industrie permettrait au pays de mieux comprendre ses défis, contribuant ainsi à la mise en place des stratégies de prévention, d’intervention et de développement adaptées à ses besoins locaux à court et à long terme.

À ce jour, le pays s’est basé passivement sur les avis (parfois douteux) et assistances extérieures pour des décisions vitales. La RDC ne devrait pas continuer à s’appuyer ainsi sur des mesures universelles presque toujours établies ailleurs. Cela est encore plus important à prendre en compte considérant l’immense diversité et la spécificité génétique de la RDC en particulier et de l’Afrique en général.

L’artiste congolais Chris Shongo en train de peindre sur le mur extérieur de l’Académie des Beaux-Arts à Kinshasa le 18 juin 2020.

En fait, la RDC a joué un rôle clé dans les études qui ont conduit à la découverte et au développement récents de traitements et de vaccins contre le virus Ebola. Cette contribution majeure a toujours été, malheureusement, le résultat des efforts individuels de certains scientifiques congolais qui luttent pour faire la différence, généralement sans un soutien significatif de l’État.

L’absence d’un système national harmonisé pour soutenir la science et la recherche en santé expliquerait le manque des perspectives construites sur base des acquis et de l’expérience découlant des nombreuses épidémies d’Ebola en RDC. Ces acquis dont il est question aideraient à établir et entreprendre des programmes de recherche et d’innovation permettant de proposer des solutions à effet durable en réponse à d’autres défis sanitaires.

Si elle veut avancer, la RDC devra apprendre à identifier ses faiblesses, les reconnaître, et s’appuyer sur celles-ci pour s’améliorer et mieux se projeter dans l’avenir.

Pour rattraper ce retard, la RDC doit envisager plusieurs réformes.

Créer une industrie de la recherche en santé

Une industrie de la recherche strictement réglementée et structurée est la clé d’un programme efficace de prévention et d’intervention. Le pays doit donc créer une institution (ou agence) chargée de collecter et de gérer des fonds pour soutenir la recherche biomédicale et sanitaire. Une de ses tâches importantes serait également de normaliser les priorités de recherche en santé du pays selon un plan préalablement établi et fondé sur des évidences scientifiques.

Cette institution devrait être composée et dirigée par des scientifiques et des experts biomédicaux et de la santé.

Une telle organisation doit rester à l’écart de toute ingérence politique. Il faudra développer un système transparent pour gérer les programmes et s’assurer que des protocoles discrets sont utilisés pour évaluer les propositions. Cette approche créerait également un environnement stimulant pour les vrais scientifiques et chercheurs du domaine. En retour, cela les motiverait à repousser les limites et vivre pour l’avenir.

Parallèlement, les institutions académiques et non académiques de recherche existantes et œuvrant dans le domaine de la santé doivent être revitalisées. Ces institutions devront être transformées en plates-formes favorisant la collaboration entre scientifiques et experts locaux. Cela favoriserait le renforcement de cette communauté et des capacités scientifiques du pays, ce qui, à son tour, stimulerait des projets de collaborations internationales plus significatifs pour toutes les parties impliquées.

En outre, une telle approche favoriserait des innovations et développements adaptés au contexte national, puisque poussés par des experts connaissant les défis locaux.

Les réformes proposées doivent être soutenues par le gouvernement grâce à une planification et à une budgétisation claires et détaillées.

Le nouvel organisme d’harmonisation et de gestion du secteur de la recherche en santé devra soumettre son plan et sa demande de budget au gouvernement, où il sera discuté avant d’être abordé et voté par le Parlement. Ce processus prendrait en considération les priorités de santé publique pour l’année à venir, établies en collaboration avec les experts et le ministère de la Santé publique. Cette institution pourrait aussi entreprendre des campagnes de levée de fonds.

Il ne s’agit pas ici de réinventer la roue. C’est plutôt ainsi que tous les pays dotés d’une forte stature dans le domaine de la santé, de la recherche et du développement ont progressé au fil des ans pour devenir des leaders de la santé et de l’innovation dans le monde. Des exemples d’institutions similaires à celles proposées ici incluent le National Institute of Health (NIH) aux États-Unis ou encore les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), pour n’en nommer que quelques-uns.

Une approche aussi audacieuse visant des réformes systémiques nécessite d’être soutenue par des réformes profondes qui doivent être solidifiées par des lois votées au Parlement pour accompagner ces transformations critiques. Le Parlement doit comprendre l’importance de l’industrie de la recherche scientifique dans le domaine de la santé et ouvrir ce débat ensemble avec les universités et la communauté scientifique nationale.

L’ère post-Covid-19 verra-t-elle le vent tourner en faveur de la RDC ? La réponse dépendra entièrement de sa capacité, en tant que pays, à anticiper et à réagir de manière innovante, à évaluer objectivement ses performances, à tirer les leçons de ses erreurs et à mettre en œuvre les réformes qui s’imposent.

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