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Diplo-focus : politiques étrangères

Crise de leadership, crise de politique étrangère : les Alliés dans la tourmente

Angela Merkel et Therea May, à La Vallette (Malte), le 3 février 2017. Matthew Mirabelli / AFP

Quels sont les liens possibles entre un leadership politique fort et une action efficace de l’État à l’étranger dans une démocratie occidentale libérale ? La force de l’exécutif, dans ce type de régime, se manifeste entre autres par l’existence d’une légitimité reconnue, une stabilité de la situation politique interne, une popularité sondagière, une perspective d’action à long terme, y compris par un renouvellement de mandat… Lorsqu’une telle solidité est observable, elle peut contribuer de plusieurs manières au développement d’une politique étrangère efficace.

Le leadership politique national, une ressource de politique étrangère

D’abord, un exécutif fort et reconnu permet de bénéficier d’un consensus interne, véritable socle de légitimité pour agir à l’extérieur au nom d’un pays tout entier, et non d’une seule vision partisane. Thème cher à la rhétorique gaullo-mitterrandienne en France, ce consensus de politique étrangère est plus souvent qualifié de « front domestique » par la science politique anglo-saxonne, par exemple dans la célèbre étude de Robert Putnam et de ses collègues sur la « double-edged diplomacy » (« diplomatie à deux faces », qui met en lumière l’importance de la construction négociée d’un accord interne sur la politique étrangère avant son déploiement sur la scène internationale.

Ensuite, et bien au-delà des seules démocraties occidentales, des dirigeants dont la position est bien assise et qui inspirent la confiance sur leur vision stratégique, parviennent mieux à réduire les doutes en cas de crise internationale, et peuvent même se permettre quelques revers ou retards temporaires dans l’action, par exemple lors d’une opération extérieure longue ou risquée. Plusieurs leaders du Sud (le roi Hussein de Jordanie, le roi Hassan II du Maroc, par exemple), mais aussi du monde occidental (George H.W. Bush dans la guerre du Golfe de 1991, le général de Gaulle en France…) avaient obtenu cette confiance de la part de la population, soit parce qu’ils étaient réputés avoir sauvé le pays (de Gaulle), soit pour jouir d’une réputation internationale d’habile diplomate (Hassan II, Hussein), soit pour avoir une longue expérience reconnue en la matière (George H.W. Bush).

Le roi Hussein de Jordanie en 1956.

On trouve, enfin, des cas où le chef de l’exécutif lui-même devient une icône internationale, célébrée à l’extérieur pour sa sagesse : Obama récemment, autrefois Gorbatchev à Moscou et la « gorbimania » par lui générée. Mais c’est le cas aussi, auprès d’autres segments de la population, pour une combinaison plus cynique d’habileté et de dureté : Thatcher en son temps au Royaume-Uni, Netanyahou ou avant lui Sharon en Israël, et naturellement, dans un autre cadre politique, Poutine aujourd’hui en Russie.

Dans l’absolu, le lien entre exécutif fort et politique étrangère réussie n’est pas automatique : on se souvient d’une Union soviétique aux dirigeants âgés et malades, accumulant pourtant les avancées stratégiques dans les années 1970 (au Vietnam, en Angola, au Mozambique…) ou, à l’inverse, de leaderships forts commettant des erreurs internationales tragiques. Mais en démocratie, un exécutif fort bénéficiant du soutien populaire domestique constitue, au moins initialement, une ressource de politique étrangère importante.

L’inconnue Trump

En ce début d’année 2017, aucun des trois grands pays de l’OTAN – États-Unis, Royaume-Uni, France – n’est en mesure de mobiliser cette ressource. Le quatrième – l’Allemagne – qui en bénéficie encore actuellement, est en situation plus fragile qu’il n’y paraît.

On a déjà largement commenté les dégâts occasionnés par les approximations et les provocations de Donald Trump aux États-Unis. Au-delà des conséquences sur les différents dossiers eux-mêmes (Mexique, monde musulman…), l’impression prévaut que le pays le plus puissant du monde est conduit par un individu instable et incompétent. Son comportement avalise l’hypothèse selon laquelle la machine américaine de politique étrangère ne répond plus, ou est livrée à elle-même. Des nominations étonnantes, des cohabitations entre acteurs nommés que l’on devine difficiles, leur limogeage parfois rapide, ne peuvent donner une impression de force.

Les résistances de la société américaine, de ses médias les plus reconnus, de ses experts de relations internationales les plus chevronnés, de ses institutions mêmes, aux initiatives de l’exécutif, vont à l’encontre de toute idée de consensus interne. Le « socle » évoqué plus haut n’existe plus.

Habileté tactique versus épaisseur stratégique

En Grande-Bretagne, la crise de l’exécutif dépasse le cadre d’un seul individu. La victoire du Brexit a mis en lumière l’amateurisme d’une partie de la classe politique. Celui d’abord du premier ministre sortant, David Cameron, dont la prise de risque référendaire s’est révélée désastreuse. Celui des partisans du Brexit ensuite, qui ont admis à demi-mots, a posteriori, que les résultats avaient dépassé leurs calculs et que leurs promesses étaient démagogiques. Le principal d’entre eux, pourtant, Boris Johnson, est aujourd’hui en charge de la diplomatie britannique, ce qui ne renforce pas la crédibilité du pays.

Le premier ministre Theresa May, tout comme son opposant à la tête du Labour Jeremy Corbyn, sont parvenus à faire le vide autour d’eux pour assurer (pour l’instant) leur position, mais sans que cette habileté tactique ne rassure sur leur épaisseur politique et stratégique. Par des positions souvent inquiétantes sur le fond comme sur la forme, ils ne paraissent pas être les leaders en mesure de réinventer le rapport au monde du Royaume-Uni en ces temps d’incertitude.

Quel pilote dans l’avion ?

Le cas français est encore différent. En dépit d’une action internationale jugée globalement réussie (interventions au Mali ou en Centrafrique, COP21…), de positions au final inefficaces mais souvent soutenues pour leur justesse politique (l’intransigeance sur le régime de Bachar al-Assad), le président Hollande ne fut pas en mesure de se représenter, donc de pouvoir agir sur la durée. La situation préélectorale inédite sous la Ve République inquiète désormais l’étranger : les acteurs expérimentés des partis traditionnels ont été rejetés lors des primaires (Manuel Valls, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé), les candidats survivants sont en fort mauvaise posture (François Fillon et Benoît Hamon), et le spectre d’une victoire du Front national devient vraisemblable. Là encore, c’est la question du pilote dans l’avion, pour l’un des pays clefs de l’Union européenne et du Conseil de Sécurité des Nations Unies, qui est posée.

François Hollande et Vladimir Poutine, en novembre 2015, à Moscou : l’un part, l’autre reste. Service de presse du Kremlin, CC BY

Jusqu’à présent, l’Allemagne d’Angela Merkel, face à ce marasme, faisait figure de point d’ancrage plus stable. Qualifiée de dernier rempart du monde démocratique et libéral par Barack Obama, la Chancelière a pourtant du souci à se faire. D’abord, à l’approche d’une compétition électorale « à la régulière » avec le SPD ; ensuite du fait de la polémique suscitée par ses positions sur les réfugiés en 2016, qui ont renforcé le discours populiste et extrémiste dans son pays ; enfin parce que, en Allemagne comme ailleurs, on craint désormais une déstabilisation du scrutin par d’éventuelles actions russes.

Au final, on voit mal qui pourrait, à court terme, reconstruire une cohérence de politique étrangère et de vision stratégique dans les principaux pays occidentaux, et ce dans un moment où le ciel des relations internationales s’assombrit singulièrement. Cela ne signifie en rien que les régimes autoritaires ont la partie gagnée (cette prophétie a souvent été émise, presque toujours démentie), ni encore moins que le salut passe par la personnalité autoritaire. Mais, à l’inverse, que la démocratie libérale doit retrouver le chemin d’une formulation compétente, concertée et collective de son action extérieure.

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