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Crises sismiques (2) : en Europe aussi, les activités humaines font trembler la terre

Dans la ville de Lorca, en Espagne, après le séisme du 11 mai 2011. Jorge Guerrero/AFP

La crise sismique de l’Oklahoma, objet de notre précédent article, affecte aussi d’autres États du centre des États-Unis, tels que le Colorado, l’Arkansas et le Texas. Ce problème, lié à l’injection massive dans le sous-sol des fluides produits par l’extraction du pétrole, a pris une ampleur continentale à laquelle les autorités américaines doivent désormais faire face. Qu’en est-il ailleurs, notamment en Europe, en France ? D’autres activités humaines peuvent-elles provoquer des séismes ?

On sait depuis longtemps que la mise en eau des grands barrages induit de la sismicité et peut avoir des effets dramatiques. À Koyna, en Inde, le tremblement de terre de 1967 (magnitude 6,3) fit environ 200 victimes, l’activité sismique se poursuivant dans cette zone durant des dizaines d’années. Même si les liens de cause à effet sont plus difficiles à établir, un déclenchement induit est aussi évoqué à propos du séisme catastrophique de Latur en 1993 (magnitude 6,3), toujours en Inde, qui fit presque 10 000 victimes ; c’est aussi le cas de celui qui frappa, en 2008, la province chinoise du Sichuan (magnitude 7,9), faisant 70 000 morts. Pour les barrages, les facteurs physiques en cause concernent le poids de l’eau dans la retenue ainsi que son infiltration progressive en profondeur. Comme pour l’injection des eaux pétrolières usées, ces facteurs modifient en profondeur les contraintes ainsi que la résistance des failles au glissement, ce qui peut amener certaines à rompre en avance par rapport à leur évolution naturelle.

Toute activité humaine modifiant significativement les forces en jeu dans le sous-sol peut donc induire des séismes parfois catastrophiques. Examinons deux autres cas récents, proches de la France.

En Suisse, un projet géothermique stoppé

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À la jonction des structures géologiques jeunes et actives du fossé d’Alsace et du Jura, la ville de Bâle (Suisse) possède une histoire sismique préoccupante. Elle a été partiellement détruite au Moyen-âge par le séisme de 1356, le plus puissant qu’ait connu l’Europe hors domaine méditerranéen, dont la magnitude a été estimée entre 6,7 et 7,1. La région abrite donc des failles d’ampleur suffisante pour produire de telles magnitudes. La magnitude d’un séisme dépend de la taille de la faille : si elle est longue d’une à plusieurs dizaines de kilomètres, elle pourra rompre avec des magnitudes entre 6 et 7. Le risque sismique est ainsi sérieux pour la région de Bâle où vivent plus de 700 000 personnes et qui abrite de nombreux laboratoires et centres de production chimiques et pharmaceutiques.


Le tremblement de terre à Bâle en 1356. wikipedia


Fin 2006, la consortium Geopower Basel AG, débute à Bâle un projet de géothermie. Il s’agit de forer jusqu’à 5 kilomètres sous la partie industrielle de la ville. Après avoir atteint les roches granitiques du socle cristallin, Geopower Basel commence à injecter de l’eau sous-pression dans le forage pour provoquer de la fracturation hydraulique, le fracking. Ce procédé vise à créer une multitude de fractures permettant à l’eau de circuler dans les roches chaudes et d’extraire ainsi cette chaleur. En plus des microséismes normalement provoqués par la création des fractures, on se met alors à enregistrer des séismes de plus en plus forts. Cette sismicité n’étant pas attendue, on stoppe l’injection d’eau. Quelques heures après, un séisme de magnitude 3,4, est largement ressenti par la population, car très peu profond. Préoccupés par le risque de secousses plus fortes, les autorités et le consortium décident d’arrêter provisoirement le projet. Les études sismologiques menées par la suite ont montré que l’injection d’eau a activé une petite portion d’une faille préexistante, et que le risque d’un séisme de magnitude 4.5 existe en cas de poursuite des travaux ayant recours aux mêmes techniques. Le projet n’a pas repris depuis.

En Espagne, pompage, irrigation et… séisme

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Mai 2011 : un séisme de magnitude 5,1 frappe la ville de Lorca dans la province de Murcie, au sud-est de l’Espagne, faisant neuf victimes. La faille d’Alhama de Murcia qui a rompu en partie lors de ce séisme était déjà reconnue comme active et capable de produire des magnitudes 5 à 6. Le séisme de Lorca n’était donc pas inattendu. Plus surprenant, en revanche, sa très faible profondeur (environ 3 km), alors que ce type de ruptures sismiques se déclenchent en général à une dizaine de kilomètres sous nos pieds. De très forts mouvements du sol ont ainsi affecté la ville de Lorca, située juste au-dessus du séisme, provoquant la mort de neuf personnes et d’importants dégâts matériels malgré une magnitude modérée.

Depuis plusieurs décennies, on exploite intensément la nappe d’eau souterraine de la plaine de Lorca pour l’irrigation. Une étude, publiée et objet d’un commentaire dans la revue Nature Geosciences, a relié le déclenchement du séisme et ses caractéristiques – localisation, profondeur, ampleur – à l’abaissement extrême (250 mètres depuis 1960) du niveau de la nappe souterraine. Comme pour les autres exemples de sismicité induite, l’effet du pompage d’eau aurait modifié les contraintes sur la faille, provoquant la nucléation de la rupture sismique au plus près de la zone de pompage et cela très superficiellement. Il s’agirait donc, à Lorca, d’un séisme attendu, mais probablement avancé dans le temps et dont les spécificités pourraient être en lien avec les activités humaines.

En France ?

On vient de le voir, l’Europe n’est pas à l’abri des séismes induits ou déclenchés par des activités industrielles, bien que ce soit avec un taux d’activité beaucoup plus faible qu’aux États-Unis*. Dans le prochain et dernier article de cette série sur les crises sismiques, nous verrons plus précisément ce qu’il en est pour la France.


*Depuis la publication du premier article de cette série, la situation évolue très rapidement en Oklahoma. En seulement deux semaines, plusieurs séismes supérieurs à 4 se sont produits, le plus gros atteignant la magnitude de 4,7. Les experts des services sismologiques n’hésitent plus à envisager le risque du « Big One » en Oklahoma… toute proportion gardée tout de même (ce n’est pas la Californie !). On parle ici de possibles séismes de magnitude 6, relativement modérés mais potentiellement destructeurs dans une région des États-Unis qui n’y est pas préparée. Pour tenter de contrôler cette évolution, des mesures de régulation plus strictes concernant l’injection des eaux usées viennent d’être appliquées à quelques forages.

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