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Crises sismiques (3) : la France aussi peut trembler

Le barrage de Monteynard en Isère, théâtre d’un séisme en 1963. David Monniaux/wikipedia, CC BY

Troisième et dernier volet de notre série consacrée aux crises sismiques. Après les États-Unis et l’Europe, faisons le point sur la situation en France.

Au cours de la décennie 1960-1970, lors du développement à grande échelle des retenues hydroélectriques françaises, la mise en eau de certains barrages a, comme souvent, déclenché de la sismicité. Un des cas les plus connus concerne le séisme du 25 avril 1963 au barrage de Monteynard, dans les Alpes, dont la magnitude de 4,9 a provoqué quelques dégâts. Dans un tout autre contexte, l’exploitation des hydrocarbures du gisement de Lacq, en Aquitaine, a déclenché de nombreux séismes (jusqu’à des magnitudes de 4,5), et ce de 1969 jusqu’à nos jours. De nombreux articles scientifiques, associant des chercheurs des universités de Stanford et de Grenoble, ont proposé une étude détaillée de cette sismicité induite et de son évolution dans le temps.

Quels risques pourraient présenter en France certains projets industriels, tels que le stockage souterrain du CO2 ou l’exploitation des gaz de schistes par fracturation hydraulique ?

Capture et stockage du CO2

Le stockage à grande échelle du CO2 dans des réservoirs géologiques profonds est souvent présenté comme une solution d’avenir pour lutter contre le changement climatique. Cela impliquerait évidemment d’être sûr que le réservoir envisagé ne fuira pas, ce qui pourrait, par exemple, arriver à la suite de séismes. Un article de Mark Zoback et Steven Gorelick (Université de Stanford), publié en 2012, examine spécifiquement ce problème et conclut à la « forte probabilité de déclenchement de tremblements de terre par l’injection de grandes quantités de CO2 dans le sous-sol ».

Le mécanisme de déclenchement serait le même que pour l’injection massive d’eaux usées responsable de la crise sismique actuelle du centre des États-Unis. Les auteurs ajoutent que « même de magnitude faible à modérée, ces séismes menaceront l’intégrité (étanchéité) du réservoir géologique utilisé pour le stockage du CO2 ».

On pourrait néanmoins utiliser cette technique sur quelques sites favorables, tels que d’anciennes exploitations où l’extraction des hydrocarbures a diminué les pressions qui s’appliquent au niveau du réservoir géologique. L’injection du CO2 les augmenteraient à nouveau, et la condition à respecter serait alors de ne pas dépasser les valeurs initiales pour ne pas mettre le réservoir en surpression et risquer ainsi de déclencher une sismicité importante. Une installation prototype est ainsi expérimentée depuis plusieurs années sur le site de Lacq par Total, de façon très réglementée et surveillée, y compris pour la sismicité.

Malgré tout, si l’on suit les conclusions de Zoback et Gorelick, les sites favorables sont rares et cela ne pourrait donc concerner que des quantités très limitées de CO2. Pour ces auteurs : « la capture et le stockage géologique du carbone est une stratégie risquée et probablement vaine pour réduire les émissions de gaz à effet de serre », ce spécifiquement en raison des risques de sismicité induite.

Le point sur l’extraction des gaz de schiste.

Gaz, pétrole et fracturation hydraulique

Qu’en serait-il de la mise en exploitation à grande échelle de gaz ou pétroles non conventionnels, tels que les conflictuels gaz de schistes, en utilisant largement la fracturation hydraulique ? Rappelons que cette technique est actuellement interdite en France par la loi du 13 juillet 2011, mais est en cours de développement dans d’autres pays européens tels que la Grande-Bretagne ou la Pologne. L’opportunité de son autorisation resurgit régulièrement en France.

Au regard de la crise sismique affectant le centre des États-Unis, le problème le plus évident concernerait le devenir des eaux usées produites par la fracturation hydraulique elle-même ou lors de l’extraction des hydrocarbures. Le cas de l’Oklahoma nous montre que leur injection en grandes quantités dans le sous-sol n’est pas une bonne solution. Il faudrait donc retraiter ces eaux polluées en surface, technique complexe et nettement plus pénalisante en termes économiques. C’est néanmoins cette solution qui est envisagée en Grande-Bretagne où l’injection en profondeur est interdite par l’Agence de l’environnement.

L’exemple du projet géothermique de Bâle, parmi d’autres, révèle que la fracturation hydraulique elle-même peut induire des séismes. Rappelons que ceux-ci se produisent par rupture de failles préexistantes. On doit donc considérer ce risque en priorité dans les régions coupées par de nombreuses failles géologiques. Cela concernerait essentiellement la moitié sud-est de la France – Alpes, bordures du Massif Central, Provence, Languedoc –, mais peut-être aussi le sous-sol profond du bassin parisien sous la couverture sédimentaire épaisse de quelques kilomètres.

Si l’on s’en tient seulement à la fracturation hydraulique, la quantité de fluides injectés pour produire les fractures est relativement faible, surtout comparée à l’injection massive des eaux usées telle qu’elle est pratiquée aux États-Unis. Le risque de forte sismicité induite parait donc moins préoccupant. L’exemple des États-Unis où la fracturation hydraulique a été très largement utilisée semble confirmer cette conclusion, malgré de rares cas de séismes induits ayant tout de même dépassé la magnitude 4.

Ce risque doit néanmoins être sérieusement pris en compte, car comme pour le stockage du CO2, des séismes induits de magnitude faible à modérée pourraient menacer l’intégrité du réservoir géologique, permettant ainsi la migration de fluides salés et pollués vers des aquifères d’eau potable, ou des fuites de méthane vers la surface. De plus, malgré des probabilités faibles, on ne peut complètement ignorer la possibilité de déclenchement d’un séisme ressenti en surface et potentiellement destructeur.

L’humain, force tellurique

Il est désormais reconnu que les activités humaines modifient le fonctionnement du « système Terre ». La manifestation la plus sensible en est le changement climatique en cours, sujet des récentes négociations de la COP21. Lorsque l’on fait ce constat, on ne considère en général que les enveloppes externes de la Terre : il s’agit de l’atmosphère et des océans qui pilotent l’évolution climatique à l’échelle de la centaine d’années. Mais les exemples résumés dans cette série d’articles attestent aussi d’actions des humains, avérées ou potentielles, sur la croûte terrestre elle-même. Le signe le plus marquant en est la crise sismique du cœur des États-Unis qui se produit à l’échelle du continent américain. Cette crise peut être vue comme un nouveau symptôme de l’anthropocène, ère où l’humain est devenu une force tellurique majeure avec les risques et les responsabilités que cela implique.

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