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CRISPR et les « effets hors-cible » : des risques encore peu contrôlables

Cell/Wikipedia, CC BY-SA

Deux bébés génétiquement modifiés via la technologie CRISPR d’édition du génome ont vu le jour en Chine, fin 2018, tandis qu’un troisième enfant devrait naître prochainement : si ces informations ne peuvent encore être vérifiées formellement, faute de communication scientifique validée par les pairs, elles ont néanmoins scandalisé l’ensemble de la communauté des chercheurs. L’occasion de faire le point sur les risques pour l’humain de telles modifications de l’ADN pour des objectifs thérapeutiques : par exemple, dans le cas des bébés chinois, la création d’un variant dans le génome des embryons pour les protéger d’une éventuelle infection par le VIH.

Une couverture du journal Nature sur CRISPR. Nature

Qu’est-ce que le système CRISPR-Cas9 ?

CRISPR-Cas9, ce sont deux éléments biologiques : CRISPR et Cas9. Cas9, ce sont des ciseaux à ADN : une protéine qui coupe les gènes de manière très précise. CRISPR, CRISPR – pour Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats- ce sont les « mains » qui positionnent les ciseaux à l’endroit voulu du génome. Ce système est susceptible de réparer un gène malade.

Qu’est-ce que l’effet « off target » ?

Off-target signifie hors cible. On veut dire par là que la protéine Cas9 n’est pas à 100 % précise car elle peut couper le génome à des endroits non souhaités. Ce problème de spécificité est réel et il n’est pas le seul risque. Par extension, off-target fait référence à tous les effets non voulus que peut engendrer l’outil CRISPR-Cas9.

Par exemple, quel sera l’impact des techniques nécessaires à l’introduction du système CRISPR-Cas9 dans les cellules ? De même, comment la cellule va-t-elle s’y prendre pour « réparer » la coupure produite par les ciseaux Cas9 ? Tout cela ne va-t-il pas créer des mutations inattendues ? Comme n’importe quel médicament, CRISPR-Cas9 pourrait avoir des effets indésirables importants. Le souci est que nous ne sommes qu’au début des recherches cliniques : nous ne connaissons encore pas les risques de la thérapie CRISPR-Cas9 pour l’être humain.

Inactiver un gène défectueux, le remplacer ou même « seulement » le réparer en le modifiant légèrement implique une précision parfaite de l’outil CRISPR car des centaines de gènes se succèdent sur chacun de nos chromosomes et toutes nos cellules contiennent 23 paires de chromosomes. Il s’agit donc de bien toucher le gène voulu et pas son voisin. De plus, un gène est constitué de différentes briques, qui jouent toutes un rôle différent et là encore, viser la bonne brique et uniquement elle est capital : changer la roue d’une voiture ne sert à rien si vous êtes en panne d’essence et vous prenez le risque d’empirer la situation en remontant mal le pneu. Sans oublier que chaque gène est présent dans chacune de nos cellules et ceci même s’il n’y est pas en fonction, le système CRISPR doit donc agir dans un maximum de cellules d’une fonction donnée pour être efficace. Et pour finir, différents gènes peuvent se ressembler et ainsi induire en erreur les ciseaux CRISPR-Cas9… L’outil parfait se doit donc d’être à la fois actif, précis et surtout contrôlable.

Déterminer les bons guides moléculaires

Créer les bons « guides » moléculaires est un premier enjeu. Ils vont permettre de cibler précisément la partie du gène visée, et placent pour cela les ciseaux Cas9 au bon endroit. Le choix des guides c’est la différence entre avoir les mains qui tremblent ou des mains bien assurées pour positionner les ciseaux. Il est donc indispensable de s’assurer qu’ils ne se fixeront qu’à l’endroit à couper. Il faut donc tester de nombreux guides pour sélectionner les plus spécifiques.

Deuxième enjeu, comprendre les mécanismes naturels de réparation des cellules. Le système de réparation cellulaire contribue à maintenir l’intégrité de notre organisme, en surveillant en permanence notre ADN. L’ADN donne toutes les recettes nécessaires à la fabrication de chaque constituant de nos cellules, donc de nos organes et de notre corps tout entier, mais tous ces constituants et nos cellules s’usent et doivent sans cesse être renouvelés. Notre ADN est donc comme un livre dont les pages sont constamment feuilletées.

Mais les pages sont parfois abîmées ou le texte n’est plus lisible, il faut donc veiller à maintenir le livre dans son état initial pour éviter les erreurs, à l’origine de maladies ou de cancers par exemple. Plusieurs systèmes de réparation existent au sein de nos cellules et veillent à ce qu’un fragment d’ADN éventuellement abîmé ne le reste pas.

Attention aux lettres mal insérées

Quand les ciseaux génétiques du système CRISPR viennent couper l’ADN d’un gène, la cellule « répare » la cassure réalisée au niveau du gène. Cela consiste à juste recoller les extrémités coupées, sans conséquence ultérieure autre que celle souhaitée par l’intervention de départ (retirer un défaut – une mutation – de ce gène ou l’empêcher complètement de s’exprimer, par exemple). Mais souvent, la coupure est imparfaite : elle a enlevé ou laissé une lettre qui suffit à empêcher la lecture correcte de l’ADN réparé. Plusieurs lettres peuvent avoir été perdues ou à l’inverse d’autres peuvent venir s’insérer dans la coupure.

Edition du génome. Elzo Meridianos, CC BY

Si un morceau entier d’ADN a été coupé, celui-ci peut venir se réinsérer dans le site de coupure, dans le bon sens ou bien inversé, voire en deux exemplaires. Il peut même arriver que deux gènes ouverts en même temps soient malencontreusement « recollés » l’un avec l’autre, parfois même sur deux chromosomes différents. La réparation de l’ADN de nos cellules n’est naturellement pas parfaite, troublant la lecture normale de notre génome. Ainsi, s’ils peuvent être sans conséquence, certains de ces évènements peuvent aussi conduire à la génération d’éléments cellulaires anormaux voir cancéreux.

Maîtriser les effets hors-cible

Aujourd’hui, il n’est pas possible de contrôler les mécanismes de réparation des cellules : il faut donc obligatoirement maîtriser le off-target. Comment ? Par l’examen approfondi du génome des cellules éditées, par exemple en séquençant leur ADN. Le nombre et la localisation exacte des évènements non voulus est ainsi évalué. Détecter ces événements avant le transfert des cellules modifiées au patient permettra d’arrêter un protocole clinique jugé trop risqué par rapport au bénéfice qu’il apporterait.

Représentation de CRISPR. Wikimedia, CC BY

Le biais de ce contrôle extensif de notre génome est que l’on peut finir par trouver ce que l’on ne cherchait pas, à savoir des défauts génétiques qui ne sont pas dus au système CRISPR. Ces mutations vont être attribuées à tort à l’édition de génome par CRISPR dans ces cellules et peuvent entraîner l’arrêt du traitement voire une hyper-surveillance ultérieure du patient qui n’avait pas lieu d’être jusqu’alors.

Cette stratégie de contrôle est valable lorsqu’on veut modifier les cellules d’un patient « ex vivo » pour les lui réimplanter une fois modifiées. Il va sans dire que l’administration éventuelle du système CRISPR directement dans l’organisme, comme un vaccin, pose des problèmes plus importants encore car ce type de contrôle n’est alors pas possible autrement qu’a posteriori.

Dans le futur, éliminer le off-target ?

Tout d’abord, l’amélioration de la précision du système CRISPR va passer par celle des outils de sélection des guides via des méthodes de bio-informatique de plus en plus fiables. Par ailleurs, il n’existe pas un seul système CRISPR-Cas9 mais des milliers. D’autres sortes de ciseaux appelés TALE ou ZFN sont également en cours de test clinique. Les études réalisées par les scientifiques montrent d’ailleurs que certains ciseaux ont des avantages sur d’autres, notamment en termes de précision de coupure. Aujourd’hui, ces études se poursuivent dans de nombreux laboratoires de recherche, privés et publics. Cette piste devrait permettre de sélectionner des systèmes plus précis, actifs et contrôlables.

Enfin, les méthodes de transfert du système dans les cellules ou l’organisme entier sont également une voie explorée. Ainsi, le contrôle des ciseaux utilisés peut se faire via une expression transitoire : l’enzyme sera présente dans les cellules suffisamment de temps pour réaliser la coupure demandée puis elle disparaîtra. Plusieurs technologies commencent à être testées en ce sens.

Ainsi, si l’outil parfait n’a pas encore été mis au point, il y a fort à parier que nous nous en rapprochons. Les recherches autour et avec le système CRISPR vont extrêmement vite et suscitent un engouement incroyable, et pour cause : ils sont l’espoir de pouvoir intervenir sur, voire de soigner, de nombreuses maladies comme les troubles d’origine génétique mais également le cancer ou le sida. Il reste à espérer que les enjeux économiques et de pouvoir n’entravent pas la bonne marche de la science, et la prudence nécessaire : contrairement à ce qui s’est passé en Chine, il est urgent de prendre le temps de bien mesurer tous les effets des manipulations génétiques, aussi porteuses d’espoir soient-elles.

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