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Culture en sous-sol : l’histoire extraordinaire des souterrains de la colline de Chaillot

Carte exposition universelle 1900. La Cigale, Author provided (no reuse)

Le Palais du Trocadéro (qui prendra plus tard le nom de Palais de Chaillot) a été édifié sur les fondations commencées dans la colline en 1813 pour le « Palais du roi de Rome » voulu par Napoléon 1er, jamais réalisé. Le 8 août 1791, avait été inaugurée (sous l’actuelle Place des États-Unis), une « pompe à feu », mue à la vapeur, qui remontait l’eau de la Seine dans une citerne aménagée dans les carrières de Chaillot pour alimenter en eau les jardins et fontaines.

Du côté de l’aile Paris du Palais de Chaillot, les excavations avaient été autrefois fréquentes : cette partie de la colline servait de carrière de « pierres à bâtir » pour la construction des immeubles de Paris. L’interdiction des carrières avait été édictée à Paris en 1813, mais pour les villages d’Auteuil et de Passy seulement en 1860, à la date de leur rattachement à la capitale. À la suite d’Héricart de Thury en 1811, l’inspecteur général des carrières (1842-1851) Chrétien-Auguste Juncker a mené une campagne de consolidation de celles-ci entre 1848 et 1850. Des arches de soutènement sont encore visibles.

Exposition Universelle 1878. Bnf/Gallica, CC BY

La construction des deux bâtiments du Trocadéro pour l’Exposition universelle de 1878 entraîna également la consolidation de nombreuses carrières à l’aplomb des quatre angles ; les murs porteurs étaient soutenus « par des maçonneries en moellons hourdés de mortier de chaux hydraulique », ou directement appuyés sur le sol de la carrière. On s’y rafraîchissait au « café des catacombes ». Pour l’Exposition de 1889, on avait été envisagé l’installation d’un Musée géologique souterrain sur 600 mètres de boyaux.

Galeries tortueuses

À l’occasion de l’Exposition universelle de 1900, des attractions avaient été installées dans les anciennes carrières du Jardin, côté Paris. Les « galeries tortueuses encombrées de déblais, où l’on ne passait qu’en se courbant » sont transformées en « salles spacieuses disposées sur un parcours de 500 mètres ».

« Le Monde souterrain », aménagé par Louis de Launay (polytechnicien, ingénieur des Mines, promotion 1881) à la demande du Comité des Houillères de France, montrait ainsi « des reconstitutions de sites archéologiques, tombes et trésors du monde connu », avec la « Mastaba de Ti », peinte et sculptée, de la nécropole de Saqqara en Égypte, près de Memphis (aménagée par Th. Rivière), le « tombeau étrusque des Volumnies » près de Pérouse « dont la décoration et les statues sont admirables », le « tombeau d’Agamemnon et d’Eurymédon » découvert à Mycènes par Schliemann, avec son armure et son casque d’or, une évocation des catacombes de Rome et de la chapelle de saint Corneille, un temple chinois de l’Annam, sans compter une évocation des grottes de Padirac, « avec lac souterrain, rivière et cascade lumineuse », une mine de pyrite cuivreuse phénicienne, avec esclaves en plâtre travaillant sous la menace du fouet et une « mine de plomb du Harz » du XVIe siècle. « Un lac français de l’époque carbonifère » montrait la faune et la flore ancienne ; des peintures présentaient divers animaux préhistoriques gigantesques.

Fausse mine d’or et mannequins animés

« L’exposition minière souterraine » présentait mines et techniques minières. Une fausse « Mine de charbon » avait été reconstituée avec ses boisages, une « Mine d’or du Transvaal », avec toutes les apparences d’une vraie, et « des mannequins animés » qui y travaillaient. Dans l’imaginaire, la fausse mine d’or devint réelle, et certains y croient encore. Les deux entrées en pente douce, une de chaque côté des jardins, étaient flanquées d’un iguanodon gigantesque.

En 1936, pour l’Exposition internationale des Arts et des Techniques de 1937, Jean Carlu réutilisa le « couloir des gazés », ainsi nommé au moment de la guerre de 14-18 pour servir de voie d’évacuation d’urgence du théâtre. On installa un aquarium dans les carrières. Les frères Jean et Édouard Niermans rasèrent l’ancien théâtre du Trocadéro pour y installer une salle-auditorium enterrée de 2 700 places (ouverte le 23 novembre 1937) : « La salle de cinéma de [la Cinémathèque française] en conserve les voûtes, et, en dessous du musée de l’Homme, se perdent encore des souterrains qui permettraient de visiter toutes les caves du XVIe arrondissement », racontait Mary Meerson avec une charmante exagération. Mais c’est un fait qu’une trentaine de caves de la rue de Passy sont des anciens vides de carrières récupérés.

Michel Leiris et Jean Rouch affirmaient également avoir visité ces espaces secrets, de grandes salles vides et disponibles, qui, de mémoire d’architecte, n’ont jamais existé. Le 24 août 1944, à la débâcle des armées allemandes, des représentants du « Front national » des deux musées voisins (le musée de l’Homme et le musée des Traditions populaires) parcourent avec Michel Leiris et sous la conduite du muséographe Roger Falck les « passages souterrains qui mettent en communication Musée des Arts et Traditions Populaires [installé jusqu’en 1972 au sous-sol de l’aile Paris], Théâtre de Chaillot et Musée de l’Homme ; cela, afin d’une fuite éventuelle au cas où les Allemands s’empareraient de l’édifice […]. Mais il est évident que, poursuivis, nous nous perdrions dans le dédale des souterrains. »

Ces souterrains ont alimenté les fantasmes. Ce sont en fait les anciennes voies d’évacuation des pierres de carrières de calcaire Lutécien, qui parcourent la place du Trocadéro pour déboucher à l’air libre sous des plaques de fonte de l’autre côté de la place, rue de Longchamp, rue de Lubeck et jusqu’à la rue Freycinet. Sous terre, la « Salle des Carriers » est l’antichambre d’un escalier en colimaçon débouchant avenue Kléber. Des « entrelacs des galeries de servitude de l’Inspection des Carrières serpentent sous l’arrondissement ». Il en reste « un réseau de 7,2 km de couloirs et galeries d’inspection », selon la carte de l’Inspection générale. Quarante et une rues de l’arrondissement reposent sur d’anciennes carrières.

Cinéma illégal

L’emplacement du Hague Bar. La Cigale, Author provided

Des fêtards cataphiles s’y étaient introduits dans les années 1980 à l’initiative du groupe « La Mexicaine de Perforation » et y avaient installé avec des planches un commode espace de rencontres improvisé à l’intersection de deux de ces passages, « un cinéma illégal » d’une quarantaine de places, « Hague Bar ». Ils y avaient installé une sonorisation et l’électricité, en piratant un réseau voisin. Les lésés avaient fini par s’étonner de l’augmentation soudaine de leur facture et avaient porté plainte. La police en tenue vint reconnaître les lieux et a admiré « matériel de projection, meubles, installation électrique, téléphone et bouteilles de whisky ». Le lendemain, 23 août 2004, au moment du passage policier, tout avait disparu : les plaisantins avaient tout évacué nuitamment. C’est de cet incident que naquit, répercutée par divers canaux en France et à l’étranger, l’Associated Press, Le Monde, Le Parisien, la fable de la découverte dans les sous-sols d’une salle de cinéma de 300 ou 400 m2, parfaitement aménagée avec sa décoration des années vingt et qui n’aurait jamais servi. Certains clandestins revinrent sur les lieux après l’oubli de leurs réunions passées.

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