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D’Athènes à l’université française : le tirage au sort à travers les siècles

Tirage au sort de la coupe Davis, le 27 juillet 1928. Bibliothèque nationale de France

La sélection par tirage au sort des bacheliers souhaitant s’orienter vers des études de médecine, de psychologie ou de sport (STAPS) fait actuellement polémique. En effet, le Conseil d’État a rejeté le 2 juin la suspension de la circulaire sur le tirage au sort, rendu utilisable lorsque le nombre de candidats pour une filière universitaire est supérieur au nombre de places disponibles.

Cette pratique du tirage au sort – qui, concernant le domaine des études supérieures, date d’au moins 2015 en France – a été régulièrement usitée au cours de l’histoire. Dans certains domaines, elle est tolérée, voire admise ; dans d’autres, elle est fortement critiquable et largement critiquée. En effet, puisqu’elle peut être définie comme le fait de faire un choix en laissant le hasard décider, les personnes concernées perdent leur pouvoir sur les événements.

Revenons sur cette pratique à travers les siècles.

Des magistrats choisis au hasard

Dans la Grèce antique, à Athènes, les sénateurs et les juges étaient tirés au sort. Cette pratique constituait une des particularités de la démocratie de l’époque. Plusieurs vocabulaires désignent cette technique : stochocratie, lotocratie, sortition (au Québec), clérocratie (du nom de la machine utilisée et nommée clérotérion). Cette méthode assurait les qualités de représentativité, de parité, et permettait de pallier le carriérisme ; en revanche, le risque d’incompétence y était, et reste, majeur.


Le tirage au sort démocratique par CNRS

Dans l’État de Florence, au XIVe siècle, un tirage au sort parmi les individus reconnus citoyens permet de pourvoir un mandat public, sauf en cas d’incompétence reconnue.

En France, au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Belgique, les jurés sont tirés au sort afin de constituer un jury populaire. L’avocat de la défense a toutefois la possibilité de refuser certains jurés. Cette participation démocratique, quasi-forcée, constitue un droit autant qu’un devoir, et est considérée comme une « corvée irrécusable pour l’homme libre ». En mettant en œuvre le phénomène de rotation des tâches, cette méthode élimine la corruption.

La loterie des conscrits

En France, de 1803 à 1872, les conscrits étaient tirés au sort afin de partir ou non à l’armée. De 1873 à 1889, le tirage au sort déterminait la période passée dans l’armée : soit 5 ans, soit seulement un an. À partir de 1890, le tirage au sort permet de déterminer l’arme d’affectation.

Cette pratique prend fin en 1905. Ce tirage au sort s’effectuait en présence du délégué du préfet, du maire et du capitaine de gendarmerie. Mais, la pratique courante et reconnue qui en découla fût celle du remplacement militaire, contre montant d’argent négocié devant notaire, qui exemptait d’armée les plus fortunés.

Le tirage au sort des conscrits a pris fin en 1905 ; ici, des appelés français, en mars 1920. Jeanne Menjoulet/Flickr, CC BY

L’attribution d’un ordre de passage dans le temps

De nos jours, l’ordre de passage des candidats à l’élection présidentielle aux émissions télévisées, ainsi que la place sur les panneaux électoraux, est effectué par tirage au sort.

Tirage au sort lors des Championnats du monde de tennis de table, à Paris, en 2013. Pierre-Yves Beaudouin/Wikimedia Commons, CC BY-SA

Dans le domaine du sport, cette pratique du tirage au sort est couramment utilisée pour définir les équipes adverses lors de matchs (sports collectifs, tennis, etc.), ou bien pour attribuer l’emplacement de départ d’une course.

De nombreux lycéens et étudiants sont confrontés à cette pratique, et ceci de manière totalement volontaire. En effet, une marque de vêtements et accessoires, au style très prisé par les jeunes, a trouvé un moyen de rendre ses produits encore plus désirables : la rareté. Pas de vente en ligne, très peu de boutiques avec des jours d’ouverture limités… et donc des files d’attente impressionnantes. Ainsi, l’entrée dans le magasin se fait-elle par tirage au sort. Toutefois, encore faut-il être présent très tôt pour s’inscrire !

Conséquence de l’exploitation astucieuse de cette rareté des produits en vente, les jeunes chanceux, qui ont pu se procurer les vêtements, revendent les biens sur Internet à prix d’or.

Dans ce contexte d’attribution d’un ordre de passage, le tirage au sort est couramment admis, soit en raison de l’évidence du besoin d’une organisation neutre (élections, sport), soit par respect d’une règle (valorisation de la rareté d’un bien).

Ce procédé d’attribution du droit d’acquérir un bien rendu artificiellement rare fait écho à l’attribution égalitaire d’un bien rare.

Un moyen d’allocation de ressources

Ainsi, aux États-Unis, pour les demandes d’immigration, la Green Card peut être délivrée suivant cette méthode de tirage de sort.

À Pékin, à cause de la pollution, l’attribution des plaques minéralogiques s’effectue par un tirage au sort. Safia Osman/Flickr, CC BY-NC-ND

Depuis 2011, à Pékin, en raison de la pollution extrême et du volume de véhicules en circulation, l’attribution des plaques minéralogiques s’effectue par un tirage au sort tous les deux mois.

Quant aux soldats romains ou aux colons américains, ils pouvaient se voir octroyer des parcelles de terrain à cultiver, par tirage au sort. Le grand nombre de malades en attente de don d’organe, a conduit pour sa part à l’utilisation du tirage au sort pour désigner ceux qui bénéficieront d’une transplantation.

Également, le droit à créer de nouveaux offices notariés est soumis à tirage au sort ; il concerne les personnes physiques comme les personnes morales. Enfin, les places des camelots sur le marché de Bordeaux sont attribuées, non pas de manière régulière, ou par ordre de demande ou d’arrivée, mais par tirage au sort.

Les places des camelots sur le marché de Bordeaux sont attribuées par tirage au sort ; ici le marché Saint-michel, en juin 2012. Thierry Ben Abed/Flickr, CC BY-ND

Le tirage au sort est donc reconnu comme étant un moyen d’allocation de ressources qui fait intervenir la notion de rareté, ainsi que, en théorie, les exigences d’égalité du processus d’attribution.

Gille Delannoi spécifie que le tirage au sort constitue, en règle générale, le « seul recours face au risque d’injustice inhérent à certains choix », et s’inscrit dans une perspective égalitaire et libérale en abolissant toute tentative de corruption et d’abus de pouvoir.

Une procédure de tirage au sort présente des qualités : elle est rapide, simple, et est peu onéreuse. De plus, elle élimine les besoins de transparence. Ainsi, le tirage au sort répond au besoin de distribuer des biens inégaux à une population d’égaux.

Le tirage au sort, une égalité artificielle ?

Si Montesquieu, dans « L’esprit des Lois », présente le tirage au sort comme ne générant ni vanité, ni rancœur, et donc n’affligeant personne, la question prégnante reste cependant la suivante : les bacheliers concernés répondent-ils au critère de population d’égaux ?

Les critiques inhérentes au tirage au sort sont fortes : il occulterait les besoins des candidats, ignorerait le mérite, générerait un niveau élevé d’incertitude pour les candidats, supprimerait la liberté individuelle, casserait les élites et les traditions, et enfin créerait une égalité artificielle.

En effet, si les compétences sont inégales, alors le tirage au sort substitue une inégalité à une autre. Il risque alors, dans ce contexte, d’être qualifié d’a-rationnel.

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