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Industrilles

De General Motors à Uber : métamorphose du capitalisme ?

Uber, un changement d'époque. Automobile Italia / Flickr, CC BY

Le Monde daté du 6 décembre indique qu’Uber « vaut » désormais plus cher que General Motors.

Même si GM n’est plus que la 21e société mondiale (et la 8e aux États-Unis) au classement Fortune 500 en chiffre d’affaires, il est significatif que dans son domaine, la mobilité, elle soit dépassée par une entreprise « immatérielle » créée il y a moins de sept ans. On peut ainsi espérer générer plus de richesse en permettant l’accès facile à un chauffeur qu’en fabriquant des voitures. On peut aussi atteindre une valorisation supérieure à celle d’Airbus, Danone ou Orange sans être cotée sur les marchés financiers.

Ce dernier exploit d’Uber peut aussi être analysé comme la montée en puissance de l’économie de la fonctionnalité, comme un bouleversement de la nature du travail et de l’emploi et peut-être comme une contribution à la nécessaire transition écologique.

GM, le symbole du capitalisme américain

General Motors est le parangon de l’entreprise américaine. En 1908, Henry Ford commercialise la Ford T, symbole des économies d’échelles permises par la production de masse. La même année, William Durant, après avoir fait fortune dans les diligences, crée General Motors en consolidant divers constructeurs (Buick, Oldsmobile, Pontiac, Cadillac). Au modèle standard de Ford, permettant de maximiser les économies d’échelles pour réduire les coûts (le client peut avoir le modèle qu’il souhaite du moment qu’il choisit une Ford T noire), GM oppose la segmentation fine du marché et une offre de variété. Sous l’impulsion de l’ingénieur du MIT Alfred Sloan, GM deviendra le premier constructeur mondial, après avoir avalé le britannique Vauxhall et l’Allemand Opel dans les années 20. Il conservera sa position de leader de 1931 à 2005 et la retrouvera temporairement au début de 2011.

L’organisation de GM, alliant diversité commerciale et couverture géographique internationale, devient un modèle pour la gestion des entreprises multinationales. D’autant plus que Sloan, inquiet qu’après son règne de 33 ans à la tête de GM on ne trouve plus de dirigeants aussi exceptionnels que lui, crée les écoles de management (business schools), comme la Sloan School du MIT. GM est aussi le symbole du capitalisme libéral triomphant, source de puissance pour son pays : « ce qui est bon pour l’Amérique est bon pour General Motors et vice-versa », déclarait au Sénat Charles Wilson, alors président de GM, auditionné lors de sa nomination comme ministre de la défense, en indiquant qu’il n’avait pas l’intention de vendre ses actions de l’entreprise.

En mai 2006, le très regretté Michel Drancourt explique dans la revue Futuribles que le déclin de GM est emblématique de l’effritement des bases de l’American way of life et de la société de consommation d’après-guerre. L’excellent économiste y voit la fin de l’ère de l’Amérique triomphante et de l’abondance insouciante, avec la montée des économies émergentes et surtout la rareté des ressources naturelles (dont la capacité de notre planète à absorber les excès d’émission polluantes et les gaz à effet de serre).

Et en effet, l’entreprise va alors très mal, au point de remettre en cause le dogme libéral des États-Unis : Barak Obama la sauvera de la faillite en la nationalisant. L’entreprise est en dépôt de bilan au 1er juin 2009 (« chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites) malgré le prêt d’urgence de 17 milliards de dollars que lui avait consenti l’État fédéral fin 2008. Les créanciers et anciens actionnaires perdront 97 % de leur créance, se partageant 10 % d’une nouvelle société, dont l’État prend 61 % du capital à l’automne 2009, accompagné par le fonds de couverture médicale du syndicat automobile (17 % du capital) et par l’État fédéral canadien (12 %). L’État fédéral américain a revendu toutes ses actions en décembre 2013 avec une moins-value de 10,5 milliards de dollars. Cependant, les conséquences de la faillite du constructeur lui auraient sans doute coûté beaucoup plus cher et auraient entravé la reprise américaine. Même les concurrents de GM qui auraient pu se plaindre de la distorsion de marché ont admis que la disparition probable d’une partie du tissu commun de sous-traitants les aurait beaucoup plus pénalisés.

Notons également que le groupe GM, qui était en 1979 le premier employeur des États-Unis, où travaillaient alors 618 000 de ses 853 000 salariés, n’emploie plus que 212 000 personnes dans le monde, soit le quart. Il est néanmoins redevenu profitable et a repris sa place sur le podium mondial des constructeurs, derrière Toyota et Volkswagen, qu’il doublera probablement.

Uber, une super licorne

L’idée des fondateurs d’Uber leur serait venue… de [la difficulté de trouver un taxi à Paris](https://fr.Wikipédia.org/wiki/Uber_(entreprise). Paris sera d’ailleurs la première destination d’implantation de la société en dehors des États-Unis en décembre 2011.

Il y aurait beaucoup à dire sur Uber, sur son modèle de travail et d’emploi en rupture avec le salariat et des sécurités associées, sur la menace qu’il représente pour un système de mutualisation des risques entre travailleurs, sur la contribution par l’impôt au fonctionnement du pays dans lequel ses services sont consommés, sur le risque de nombre d’entreprises établies de se faire « uberiser » leur modèle d’affaires et leurs sources de revenu, sur le bouleversement induit pour des professions réglementées jusqu’ici protégées de la compétition, sur les bénéfices qu’en tirent les consommateurs. Ces quelques points mériteraient plusieurs articles ou sont abondamment discutés par ailleurs.

Uber contribue également au développement de l’économie de la fonctionnalité. Posséder une voiture, pour qui vit au sein d’une grosse agglomération, n’est souvent plus la réponse la plus efficace au besoin de mobilité. Grâce au développement d’un réseau dense de transports en commun efficaces et confortables, complété par une offre abondante de taxis et VTC et par la possibilité de louer des véhicules pour des durées variables, le tout étant rendu fluide grâce à des plateformes numériques permettant de s’assurer de la disponibilité, de réserver ou de commander la solution choisie, le citoyen d’une ville « intelligente » pourra se déplacer avec un écobilan beaucoup plus favorable.

À l’heure où le monde est suspendu aux négociations de la COP 21 et surtout aux actions effectives qui seront engagées pour découpler la croissance de son impact sur l’environnement et le climat, cette révolution de la mobilité urbaine peut contribuer aux transitions nécessaires.

Dès lors, est-il si surprenant qu’une entreprise qui facilite l’accès à un chauffeur puisse présenter un potentiel de revenus plus grand qu’un constructeur de véhicules ?

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