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De la division du travail entre le président et le premier ministre

Edouard Philippe (de dos) et Emmanuel Macron, sous les yeux de François de Rugy, président de l'Assemblée nationale. Philippe Wojazer/ POOL / AFP

Comme on pouvait s’y attendre, l’intervention du chef de l’État au Congrès, le 3 juillet, n’a pas été une « humiliation » du premier ministre. Revenant à la division du travail entre les deux têtes de l’exécutif établie dès l’origine de la Ve République, le Président a tracé les grands axes politiques de son quinquennat laissant au premier ministre et au gouvernement le soin de les mettre en œuvre. Rejetant à la fois « présidence normale » et « l’hyper-présidence », il a précisé clairement son rôle en ces termes :

« Il ne s’agit pas ici pour moi de décliner l’action du gouvernement, comme certains se plaisent à le craindre ou à le souhaiter. C’est la tâche du premier ministre, (…) Le président de la République doit fixer le sens du quinquennat (…) Il revient au premier ministre qui dirige l’action du gouvernement de lui donner corps »

Une déclaration qui fait écho, à la conférence de presse du général de Gaulle, le 31 janvier 1964.

Conscient des reproches adressés à François Hollande pour n’avoir pas fixé de cap à sa politique ni d’en avoir donné les explications nécessaires, le Président Macron a préféré d’entrée de jeu tracer les grandes lignes de son quinquennat, laissant à Édouard Philippe le soin de les développer le lendemain, dans son discours de politique générale.

Le Président des grands principes au Congrès

Évoquant les circonstances de son élection et les attentes des Français, le Président a précisé ses conceptions du pouvoir et des institutions, sa vision de l’Europe et des grands défis contemporains, comme la lutte contre le terrorisme. Il a surtout insisté sur le désir de changement exprimé par le pays et a confirmé sa volonté, en dépit des difficultés budgétaires et économiques, de mener à bien les réformes promises lors de sa campagne électorale.

Pour ce faire, tout en restant au niveau des principes généraux, Emmanuel Macron a décidé d’opérer de profonds changements en matière institutionnelle. On retiendra sa volonté (partagée par ses adversaires à l’élection présidentielle) de réduire le nombre des parlementaires et de refonder le rôle du Conseil économique social et environnemental.

Il faut également noter sa volonté de restaurer les pouvoirs du Parlement, notamment dans sa fonction de contrôle et de production de la loi. D’où son désir de mettre un terme à l’inflation législative et d’en raccourcir les délais d’élaboration par son adoption en commission (à l’image du système italien des leggine).

Marronnier des promesses présidentielles il a, à son tour, promis d’introduire « une dose de proportionnelle » pour les élections législatives et de renforcer le droit de pétition. Dans un souci de respect de l’État de droit, mais aussi d’efficacité, il a également prévu la levée de l’état d’urgence à l’automne, tout en annonçant la rédaction d’une loi antiterroriste. On retiendra, également, l’annonce d’une prochaine conférence prochaine des territoires.

Un premier ministre qui redescend sur terre à l’Assemblée nationale

Intervenant le lendemain de l’intervention présidentielle au Congrès, le premier ministre a fait une déclaration de politique générale très détaillée et beaucoup plus terre à terre. Tel un inventaire à la Prévert, sa déclaration faite sur un ton monocorde a énuméré une série de mesures.

Des mesures d’ordre économique et financier : une nécessaire baisse des dépenses publiques (« Sous le regard inquiet des Français, nous dansons sur un volcan qui gronde de plus en plus fort » a-t-il déclaré) ; la suppression des charges salariales en échange d’une hausse de la CSG et du report de la réforme de l’ISF ; la suppression du RSI et la baisse de l’impôt sur les sociétés.

Édouard Philippe a également prévu de mesures de solidarité : revalorisation de l’allocation adulte handicapé et du minimum vieillesse, augmentation de la prime d’activité versée aux travailleurs à revenus modestes. Pour la jeunesse, mise en place d’un nouveau service national, réforme du baccalauréat pour 2021 et meilleure intégration des lycées professionnels.

Concernant la justice, le premier ministre a annoncé une loi quinquennale de programmation des moyens, et ce dès 2018. S’y ajouteront pour lutter contre le terrorisme l’introduction dans le droit commun de mesures prises aujourd’hui du fait de l’état d’urgence. De plus, dès 2018 sera présentée une loi de programmation militaire qui portera l’effort de défense à 2 % du PIB d’ici 2025 et permettra à la France de se battre sur tous les fronts. Enfin la question de l’immigration donnera lieu à une réforme du droit d’asile.

Mais le premier ministre a détaillé aussi un ensemble de mesures en matière de santé : augmentation du prix du paquet de cigarettes pour lutter contre le tabagisme, création d’un service sanitaire pour les étudiants des filières de santé, plan de lutte contre les déserts médicaux, obligation pour la petite enfance des vaccins jusqu’ici seulement recommandés, accès à des offres de soins sans aucun reste à charge pour les lunettes, les soins dentaires et les aides auditives, revalorisation dès 2018 de l’allocation adulte handicapé et du minimum vieillesse, amélioration du congé maternité et des questions de garde d’enfant.

Du point de vue écologique, enfin, le premier ministre a annoncé que la convergence entre la fiscalité du diesel et de l’essence serait réalisée « avant la fin de la mandature », en 2022, et qu’un plan de 50 milliards d’euros sera mis en œuvre pour la transition écologique.

L’attentisme de l’opinion

La déclaration de politique générale a été approuvée à une très large majorité par 370 voix pour, 67 voix contre (dont les Insoumis et les communistes) et 129 abstentions. Certes, la majorité LREM et le MoDem rejoints par 3 députés socialistes ont voté pour soutenir le premier ministre. Mais si le nombre des opposants a été très faible (67), en revanche les 129 abstentions appellent réflexion. En effet, malgré le discours amer de leur président de groupe, Christian Jacob, les trois quarts des Républicains se sont abstenus et la « droite constructive » s’est divisée : 12 députés sur 31 ont affirmé leur soutien au gouvernement, les 19 autres se sont abstenus.

Derrière la victoire apparemment éclatante de la déclaration de politique générale d’Édouard Philippe se font jour les interrogations et les réticences des membres des anciens partis encore hébétés par leur éprouvante défaite. Mais jusqu’à quand durera la discipline de la majorité actuelle qui doit son élection au Président Macron et joue donc, pour l’instant, le rôle des godillots des premiers temps de la Ve République ?

Toutefois, l’exécutif en est bien conscient : le nombre des abstentions, des votes blancs et nuls aux quatre tours des élections présidentielle et législatives témoigne de l’attentisme et du scepticisme d’une opinion publique, qui sous l’aiguillon des Insoumis et des communistes, pourrait un jour se manifester dans la rue dès que les promesses paraîtront impossibles à tenir.

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