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La ministre de la Santé, Patty Hajdu, en compagnie de l'administratrice en chef de l'Agence de la santé publique du Canada, Theresa Tam, et du premier ministre Justin Trudeau, lors d'une conférence de presse sur le coronavirus qui s'est tenue à Ottawa, le 11 mars. La Presse Canadienne/Adrian Wyld

De l'importance des relations entre politiciens et scientifiques

La réaction des gouvernements face à la pandémie de la Covid-19 liée au coronavirus SARS-CoV-2 illustre parfaitement l’importance vitale du maintien de liens forts entre les communautés scientifique et politique.

Au Canada, les dirigeants politiques fédéraux et provinciaux travaillent étroitement avec des experts scientifiques pour ralentir la propagation de l’infection, lutter contre la désinformation, et intervenir rapidement et efficacement.

Malheureusement, nous avons également assisté dans certains cas aux conséquences néfastes causées par la fragilisation du rôle de la science dans la société.


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Que l’on soit ou non en situation de crise, l’intégration efficace de la science dans la prise de décisions politiques améliore les projets de loi et mène à des solutions efficaces et économiquement avantageuses pour la société.

Malgré l’importance irréfutable de la science dans la société – et nous désignons ici la science dans son sens le plus large, incluant les sciences de la santé, naturelles et sociales – il existe un fossé considérable entre les sphères scientifique et politique. L’écart tend à se creuser en cette ère « post-vérité », où le rôle de la science a été affaibli par certaines institutions publiques et discrédité par des intérêts économiques et idéologiques. Il devient également difficile pour les décideurs politiques de naviguer dans un univers de recherche scientifique en pleine expansion et d’évaluer la validité de l’information.

Pour faire plein usage du savoir généré par la science, des chercheurs de toutes disciplines se doivent de participer aux processus d’élaboration des politiques publiques. Cependant, force est d’admettre qu’ils sont sous-représentés en politique et en gouvernance au niveau mondial. Le Canada ne fait pas exception : une analyse récente a démontré que certaines disciplines scientifiques sont fortement sous-représentées au sein du 43e Parlement.

Pourquoi les scientifiques sont-ils sous-représentés au Parlement ?

Les scientifiques ont souvent été dépeints comme un groupe isolé dans sa tour d’ivoire. Encore de nos jours, certains chercheurs perçoivent la science comme étant « au-dessus » de la politique et de la vie courante. Toutefois, un nombre croissant de scientifiques dans le monde sont conscients de l’importance de leur participation active au processus d’élaboration des politiques publiques afin que la société puisse profiter pleinement des connaissances générées par la science.

Alors, pourquoi la plupart des scientifiques n’osent-ils pas briguer les suffrages ou même interagir avec les élus ?

Le problème pourrait découler du manque de reconnaissance de la participation des chercheurs dans les processus politiques. En raison de leur horaire typiquement chargé, ils peuvent difficilement justifier l’investissement d’efforts soutenus dans des activités qui ne sont pas reconnues comme critères d’excellence académique par leurs employeurs ou par les agences de financement de la recherche.

En plus d’un manque de motivation professionnelle, peu de scientifiques savent comment prendre contact avec des représentants gouvernementaux ou communiquer efficacement avec les élus. Alors que les politiciens s’appuient sur les comités parlementaires pour incorporer la science dans les politiques, la majorité des chercheurs ne connaissent pas ce processus.

La Science rencontre le Parlement : un programme visant à forger des liens entre scientifiques et décideurs politiques

Nous avons eu la chance de faire partie du groupe de scientifiques qui a participé à la toute première édition canadienne du programme « La Science rencontre le Parlement », qui s’est tenue à Ottawa en novembre 2018. Cet événement non partisan a rassemblé des chercheurs universitaires, des députés et des sénateurs dans le but de promouvoir une compréhension mutuelle des rôles et responsabilités de chacun, et de fonder de nouvelles relations entre scientifiques et décideurs politiques. En s’appuyant sur le modèle australien créé il y a plus de vingt ans, le Centre sur les politiques scientifiques canadiennes et Dr Mona Nemer, la Conseillère scientifique en chef du Canada, ont coordonné l’organisation de deux jours d’activités sur la colline du Parlement.

Le programme a démarré avec des présentations par Dr Nemer et un groupe de parlementaires actuels et retraités, qui ont exprimé leur opinion sur le rôle de la science dans l’élaboration des politiques publiques. L’événement a également proposé une série d’ateliers, pendant lesquels les scientifiques se sont familiarisés avec les meilleures pratiques en communication, la structure du gouvernement et des processus législatifs, certaines problématiques nationales à l’interface science-politique, et des méthodes pouvant être utilisées par les scientifiques pour aider les députés et les sénateurs à promouvoir des politiques fondées sur la science.

Participants à la première édition du programme « La Science rencontre le Parlement » en compagnie de Dr Mona Nemer, la Conseillère scientifique en chef du Canada. Canadian Sciences Policy Centre, Author provided

Recommandations visant à renforcer les liens entre la science et la politique au Canada

Forts de l’expérience acquise au sein du programme « La Science rencontre le Parlement », nous émettons six recommandations en vue de renforcer les liens entre la science et la politique au Canada.

1) Incorporer une formation en communication politique au cursus universitaire

Les chercheurs doivent posséder de bonnes aptitudes à communiquer avec les décideurs politiques en vue de promouvoir l’élaboration de politiques fondées sur la science. Une telle formation est toutefois absente de la majorité des programmes d’études universitaires et de la formation continue des professeurs. Nous considérons que la mise sur pied de formations en communication politique pour les chercheurs permettrait aux prochaines générations de chercheurs de maîtriser les outils leur permettant d’interagir efficacement avec les politiciens.

2) Stimuler l’intérêt des scientifiques envers les processus politiques

Le manque d’incitatifs professionnels a été pointé du doigt pour expliquer le fossé existant entre les sphères scientifique et politique. Nous recommandons que les universités et les agences de financement, dans le cadre de demandes de promotions et de subventions, considèrent au même titre que les réalisations en recherche les contributions à l’élaboration de politiques, telles que la rédaction de notes d’information ou la comparution devant un comité parlementaire. Nous suggérons également le suivi de l’agenda de travail des comités parlementaires par le service des communications des institutions afin que les chercheurs demeurent prêts à faire part de leur expertise.

3) Établir des plates-formes de formation en communication scientifique

Nous nous réjouissons de la mise sur pied des Bourses pour l’élaboration de politiques scientifiques canadiennes et de nouvelles occasions de financement pour la formation des chercheurs en communication publique à l’interface science-politique. Il s’agit d’un pas dans la bonne direction. Le programme « La Science rencontre le Parlement » a également fait preuve de son potentiel dans ce domaine. À partir de sa seconde édition prévue à l’automne 2020, nous recommandons le financement du programme sur une base annuelle pour continuer à initier des scientifiques d’origines et de disciplines diverses au processus d’élaboration des politiques sur le plan national.

4) Fonder une chaire de recherche au sein du bureau de la Conseillère scientifique en chef

Nous proposons la création d’une chaire de recherche pour chercheurs invités au sein du bureau de Dr Nemer afin de permettre à des scientifiques d’apprendre et de développer de nouvelles stratégies d’intégration de la science en politique. Ce poste pourrait prendre la forme de stages d’une durée de quatre mois à un an pour les chercheurs ayant participé au programme « La Science rencontre le Parlement ». De cette façon, des chercheurs maîtrisant les bases des processus législatifs pourraient bénéficier d’une expérience approfondie en transfert de connaissances scientifiques pour les décideurs politiques.

5) Former les parlementaires à la culture scientifique

Nous considérons qu’il serait important d’offrir aux députés et aux sénateurs des occasions d’accroître leur culture scientifique, telle que des visites dans les institutions universitaires, des ateliers de formation ou un système de jumelage avec des scientifiques. De telles initiatives permettraient aux décideurs politiques de déchiffrer le paysage scientifique canadien et ainsi d’accéder plus aisément à des sources crédibles d’information. La participation de chercheurs à la préparation des Notes de la Colline pourrait également simplifier l’accès à l’information scientifique par les parlementaires.

6) Introduire le concept du programme « La Science rencontre le Parlement » dans les autres paliers de gouvernement

Au Canada, les pouvoirs législatifs sont partagés entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux, en coordination avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Alors que les municipalités relèvent directement des provinces, elles constituent le palier gouvernemental le plus proche des citoyens. S’il est important pour les scientifiques de bâtir des liens avec les législateurs fédéraux, il est tout aussi important pour eux de créer des ponts avec les membres des conseils municipaux et des assemblées législatives provinciales, et avec les dirigeants autochtones.

Les scientifiques et les décideurs politiques ayant participé à l’édition inaugurale de « La Science rencontre le Parlement » considèrent que l’événement a réellement contribué à bâtir des liens entre les sphères scientifique et politique. Au cours des prochaines années, nous souhaitons voir plus de chercheurs canadiens vivre cette expérience unique favorisant la promotion d’une culture scientifique riche, basée sur une communication efficace des étudiants, des chercheurs et des institutions scientifiques avec les élus.

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