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De minuscules crevettes pour détecter la pollution des rivières

Couple de gammares. Laboratoire d’écotoxicologie/Irstea, Author provided

Depuis 2003, Irstea développe des initiatives d’un nouveau type dans le domaine de l’écotoxicologie pour diagnostiquer la présence de substances toxiques dans l’environnement, et tout particulièrement les rivières. Ces expériences s’appuient sur la biosurveillance active, alors encore peu utilisée au début des années 2000 ; cette démarche implique une expérimentation directe dans le milieu grâce à l’encagement d’organismes sur lesquels on observe les effets de la contamination toxique.

Pour développer cette nouvelle stratégie, il a d’abord fallu sélectionner l’organisme test. Le gammare, petite crevette d’eau douce présente un peu partout en Europe, a été retenu pour son rôle majeur dans le fonctionnement des écosystèmes et sa capacité à être utilisé aussi bien au laboratoire que sur le terrain. Cette espèce se distingue également par sa grande sensibilité aux micropolluants toxiques et sa capacité à accumuler les contaminants.

Ce sont ces propriétés d’accumulateur de contaminants et de sensibilité aux polluants qui permettent de diagnostiquer le niveau de contamination et la toxicité des milieux aquatiques. Contrairement à l’approche basée sur le prélèvement ponctuel d’eau, l’utilisation de gammares permet de révéler la toxicité de la contamination sur plusieurs jours, en se basant sur une exposition dans les conditions réelles du milieu ; la forte capacité accumulatrice de cette espèce permet également de repousser la limite de la quantification observée pour de nombreuses substances.

Prélèvement en rivière. Laboratoire d’écotoxicologie/Irstea, Author provided

Les atouts de la biosurveillance

La méthode consiste ainsi à exposer des organismes pour une période définie, mesurer divers marqueurs et les interpréter à l’aide de gammes de référence développées spécifiquement pour cette espèce. Des mâles de taille homogène sont donc placés dans des cages permettant un échange direct avec le milieu. Suite à cette exposition, les organismes sont utilisés à la fois pour mesurer les teneurs en contaminants (métaux, pesticides, hydrocarbures, etc.) accumulés par les individus et des indicateurs de toxicité. Parallèlement, des femelles sont encagées sur les sites étudiés pour une période de 14 à 21 jours selon la température. Ces individus permettent d’évaluer l’impact du milieu sur la mue et la reproduction.

La spécificité de cette approche innovante réside en plusieurs points : elle consiste d’abord en un biomonitoring actif qui repose sur des organismes encagés et non des individus prélevés sur le site d’intérêt (monitoring passif), ce qui rend possible l’évaluation de la pression toxique dans des rivières déjà fortement dégradées en termes d’espèces présentes, ainsi que l’interprétation des différences de réponses biologiques constatées entre sites et entre campagnes d’étude en termes d’impact de la seule toxicité du milieu. De même, elle utilise des organismes calibrés provenant de la même population, ce qui permet des comparaisons fiables. Aussi, de par sa répétabilité entre tests, elle offre la possibilité de définir des gammes de référence auxquelles comparer les réponses enregistrées lors des tests réalisés à différentes saisons ou en différents points du territoire.

Au-delà de la mesure de marqueurs moléculaires, cette méthode offre également la possibilité de mesurer des variables clés dans le maintien des populations (croissance, reproduction, taux d’alimentation). L’une des limites de cette biosurveillance reste qu’elle concerne le seul gammare et ne permet donc pas d’intégrer les différences de sensibilité entre les espèces, critère de premier plan pour la surveillance des milieux.

Encagement des gammares en milieu naturel. Laboratoire d’écotoxicologie/Irstea, Author provided

Une grande variété d’utilisateurs

Utilisé par les acteurs de l’eau, des services de l’État en charge de la surveillance et de la restauration des milieux aux acteurs privés concernés par les rejets, ce service de biosurveillance apporte des indications sur la qualité de l’eau à l’interface entre pression chimique et impact toxique sur l’écosystème. L’état écologique des milieux naturels est en effet sous l’influence de nombreux facteurs, physiques (habitats), biologiques (espèce invasive, etc.) et chimiques (polluants). Lorsque cet état est dégradé, il est essentiel de disposer d’outils permettant de cibler les facteurs impliqués dans la dégradation pour sélectionner les approches de restauration. Face à une demande accrue, Irstea a décidé de transférer ce savoir-faire en créant, en mars 2014, une startup.

Dans le futur, le développement de cette approche passera par la prise en compte de la révolution actuelle des approches moléculaires se basant sur les nouvelles technologies d’acquisition massive d’information de séquences génétiques. Ces méthodes s’appliquent en effet aujourd’hui sur l’ensemble des espèces issues de la biodiversité des milieux naturels comme le gammare, et ne sont plus restreintes à l’étude de l’homme ou de la souris blanche de nos laboratoires. Ceci permettra de disposer de marqueurs moléculaires encore plus fins, permettant de renseigner de façon plus spécifique et systémique les modes d’action toxique à l’œuvre dans les rivières. Une autre piste concerne l’évaluation à grande échelle, nationale par exemple, de la qualification toxique dans le but de mieux comprendre l’impact de la contamination chimique sur les écosystèmes.

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