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Dendrogramma. Hugh McIntosh/Museum Victoria, CC BY-NC

De mystérieuses créatures en forme de champignons peuplent les fonds marins

Les scientifiques annoncent rarement qu’ils ont découvert une espèce animale totalement inconnue, qui n’appartient à aucun des principaux groupes : crustacés, insectes, vers, méduses, éponges, vertébrés (auxquels nous appartenons), etc.

La présence d’étranges organismes en forme de champignon dans les fonds marins du sud-est australien, à un un kilomètre sous la surface de la mer, a donc fait sensation en 2014.

Ces animaux, baptisés Dendrogramma, étaient particulièrement bizarres. Avec leur queue et leur chapeau gélatineux, ils évoquaient un champignon. La queue abritait un canal dont les ramifications rayonnaient sur le chapeau et dont la base présentait une ouverture semblable à celle d’une bouche. Ils ne présentaient ni appendices ni cellules spécialisées qui révèle leur relation de parenté avec d’autres animaux.

Encore plus intrigant, ces créatures offraient une certaine ressemblance avec des fossiles vieux de 560 millions d’années découverts à Terre-Neuve, en Russie et en Namibie, ainsi que dans la chaîne des Flinders Ranges, au sud de l’Australie.

Les premiers organismes pluricellulaires datent de cette période, bien avant que les animaux et les plantes adoptent les formes et les fonctions qu’on leur connaît aujourd’hui. Il serait stupéfiant que ces étranges créatures aient survécu en Australie pendant des centaines de millions d’années  !

Des fossiles âgés de 560 millions d’années ressemblant aux Dendrogramma.

En l’absence de données génétiques, il manquait à cette histoire un élément de preuve essentiel.

L’ADN, capable de mettre à jour des relations insoupçonnées entre des organismes ou des plantes, est en effet devenu aussi indispensable à la biologie moderne qu’à la médecine et aux enquêtes policières.

Les yeux, par exemple, ont subi de multiples évolutions et n’indiquent pas obligatoirement une ascendance commune. Mais les échantillons de Dendrogramma, collectés en 1986, ont été conservés dans du formol, qui dégrade l’ADN. Il a donc fallu commencer par trouver de nouveaux exemplaires.

Une découverte en eaux profondes

Les choses en sont restées là jusqu’en novembre 2015, date à laquelle Hugh Macintosh, du Museum Victoria, a décelé la silhouette familière du champignon, à 2 800 mètres de fond, dans la Great Australian Bight.

Embarqué sur le RV Investigator, le nouveau navire de recherche australien, il participait à un programme scientifique mené par le CSIRO pour étudier le milieu marin au sud de l’Australie.

Hugh nous a aussitôt envoyé un e-mail : « Devinez ce que j’ai trouvé ! »

Le nouveau navire de recherche australien, le RV Investigator. Tim O’Hara/Museum, Victoria

La science étant bien souvent affaire de patience, nous avons dû attendre la fin du voyage du RV Investigator, l’arrivée des échantillons, le passage par divers laboratoires pour prélever et séquencer l’ADN, puis la publication de ses travaux.

Nous ne nous sommes pas tourné les pouces pour autant. Notre spécialiste de l’évolution, Andrew Hugall, a téléchargé les génomes de dizaines d’animaux et mis en place un système capable de cataloguer les séquences ADN, depuis le protozoaire monocellulaire jusqu’à la baleine.

Puis ce fut de nouveau l’attente. Les vacances de Noël n’ont rien arrangé. Chacun de nous a même parié sur la place qu’allait occuper le Dendrogramma dans l’arbre phylogénétique. (J’ai perdu.)

Enfin, un mardi après-midi de janvier, à 16h30, les résultats ADN sont tombés. L’ordinateur d’Andrew les a moulinés et, quatre heures plus tard, nous avions une réponse. Le Dendrogramma était une sorte de siphonophore.

Le quoi ?

Un siphono-quoi ? Telle a été notre réaction, à peu de choses près. Car, même pour des biologistes marins, les siphonophores sont des créatures aussi étranges que rares.

Ce sont des cnidaires de la famille des méduses, des coraux et des anémones. Dotés de polypes, comme les coraux, ils ont les mêmes tentacules urticants que les méduses et peuvent se déplacer.

Certains polypes fonctionnent comme des unités de propulsion, d’autres servent à la nutrition ou à la reproduction. Ils possèdent parfois des appendices défensifs aplatis, les bractées.

Ils peuvent aussi avoir une forme de champignon ! Il a été démontré que les échantillons de Dendrogramma ne sont pas des animaux entiers, mais des bractées de siphonophores, c’est-à-dire des morceaux d’une créature plus importante.

Un siphonophore benthique, agrippé à l’aide de ses tentacules au rebord d’un canyon sous-marin dans le Golfe du Mexique. Okeanos Explorer/NOAA

D’un mystère à l’autre

Certains critiques ont reproché aux auteurs d’avoir publié leurs travaux sans les données ADN.

Je ne partage pas entièrement ce point de vue : j’estime qu’il est indispensable d’émettre des idées et des hypothèses, qui pourront être confrontées aux avancées de la science. Nous ne nous serions même pas mis en quête des Dendrogramma si nous n’avions pas été alertés.

Les preuves génétiques indiquent que les champignons Dendrogramma ne sont pas des animaux entiers, mais les morceaux d’un siphonophore. L’apparence de l’animal entier reste un mystère. David Paul and Rebecca McCauley/Museum Victoria

Certes, nous avons été déçus d’apprendre que le Dendrogramma n’était pas une espèce inédite. Mais nos recherches sont importantes. Une évolution indépendante sur plusieurs centaines de millions d’années aurait pu générer toutes sortes de nouveautés biochimiques, depuis les antibiotiques jusqu’aux médicaments contre le cancer.

Seule une part du mystère a été résolue. Nous savons à quoi ressemblent ses bractées, mais pas l’animal dans son ensemble.

Il existe une multitude de formes et de tailles de siphonophores.

Les grands fonds sont particulièrement vastes. Il a fallu des dizaines d’années pour obtenir des vidéos du calmar géant. Peut-être s’en écoulera-t-il autant avant que l’on puisse admirer le Dendrogramma dans toute sa splendeur.

Traduit de l’anglais par Catherine Biros pour Fast for Word.

This article was originally published in English

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