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Débat : Construire une Europe entrepreneuriale

Deuxième édition du Startup Weekend de Málaga en décembre 2014. SW Málaga/VisualHunt, CC BY-NC-SA

« Quel genre d’avenir va affronter la prochaine génération ? » Ce genre de question est encore largement tabou. Selon une étude récente de McKinsey, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la jeune génération bénéficie aujourd’hui d’un standard de vie inférieur à celui de ses parents dans les économies avancées.

En outre, leurs perspectives professionnelles ont dramatiquement changé. Avec la transition numérique en cours, il y a déjà de moins en moins de postes classiques, en particulier en col blanc (Goos, Manning, Salomons,2014). Si les technologies de l’information ont éliminé de nombreux emplois, la généralisation des robots et de l’intelligence artificielle (IA) va probablement être sans merci pour des secteurs entiers de l’emploi.

Fondamentalement il y a deux façons d’améliorer le niveau de vie des générations qui viennent. L’une d’elles est d’augmenter la productivité, ce à quoi les nouvelles technologies ont déjà prouvé qu’elles étaient très bonnes. Une autre est de créer des opportunités professionnelles. Le seul et meilleur moyen de le faire est de soutenir la création de nombreuses nouvelles entreprises ayant besoin d’embaucher pour grandir. C’est pour cela qu’il est crucial de construire une Europe entrepreneuriale.

Certains observeront que la tendance générale nous y entraîne de toute façon ; il suffit d’observer le nombre croissant de start-up arrivant sur le devant de la scène, par exemple aux États-Unis et en Chine ; l’Europe sur ce point ne paraît pas si loin derrière. Mais ce n’est peut-être qu’une impression. Pour commencer, le dynamisme commercial aux États-Unis est actuellement en baisse car l’entrepreuneriat dans le pays a régulièrement décliné au cours des dernières années. Et en Chine la plus grande partie des dernières technologies arrivées sur le marché ont été développées par des grandes entreprises ayant des liens étroits avec le gouvernement.

Embaucher seulement, ne plus avoir à « virer »

L’Europe a ses propres challenges et ceux-ci étouffent la création de nouveaux business. Il suffit d’observer la rigidité de la loi du travail dans certains pays : il est par exemple très difficile de licencier des salariés en Espagne.

Le code du travail en France comporte plus de 3 500 pages. Des lois de travail complexes dans la plupart des pays européens ainsi que certaines lourdeurs ne rendent pas seulement l’embauche de nouveaux travailleurs onéreuse, mais elles peuvent décourager aussi la création de nouvelles entreprises.

Money, money, money

L’accès au capital est un autre problème. À première vue il y a davantage de capital disponible pour les petites et moyennes entreprises (PME) en Europe qu’aux US : en 2013 on estime que l’Europe a assuré des financements à hauteur de 926 milliards de dollars pour les PME, presque le double des 571 milliards de dollars des États-Unis.

Pourtant, malgré des sommes disponibles plus importantes, de nombreuses petites entreprises en Europe ont du mal à accéder au capital. La raison : l’Europe s’appuie sur un financement en dette, tandis que le financement en capital-risque est beaucoup plus répandu aux États-Unis.

Dans notre récent livre écrit avec Xavier Rolet, le directeur de la Bourse de Londres, nous argumentons qu’une telle pénurie de capital-risque et de diversité de sources de financement vont continuer à freiner la création de jeunes firmes innovantes.

Très souvent les entrepreneurs manquent d’actifs nécessaires pouvant être utilisés comme garantie, ce qui rend le coût de l’emprunt prohibitif, voire impossible. En fait, la dépendance en financement sous forme de dette peut affecter « l’humeur » du capital : tandis que les actionnaires d’une nouvelle entreprise se soucieront plutôt des gains positifs de ses succès, les prêteurs, au contraire, se focaliseront sur le risque baissier.

Ce dernier les préoccupe beaucoup dans la mesure où il représente la capacité de l’emprunteur à honorer ses intérêts et à survivre assez longtemps afin de rembourser l’emprunt, sans considérer l’éventuel succès de l’emprunteur.

Moderniser l’éducation

Construire une Europe entrepreneuriale doit nous inciter à repenser nos systèmes éducatifs. Chaque année la vitesse d’apprentissage de l’IA centuple. Pourtant, nos écoles sont encore basées sur un format fondé il y a 250 ans, reposant sur un modèle « à la chaîne ». Celui-ci vise à former une armée d’administrateurs, et non une nation d’innovateurs. L’éducation supérieure qui est basée sur des examens par sujets organisés en silos ne pousse pas nécessairement la jeune génération à être plus entrepreneuriale.

Ce qui est de plus en plus important dans un monde qui devient automatisé est la capacité à travailler de façon collaborative, à résoudre des problèmes complexes et à gérer aussi bien des humains que des robots. Les compétences cognitives telles que l’empathie, la communication et la capacité à rapprocher des hommes mais aussi l’intelligence émotionnelle seront amenés à jouer un rôle plus que critique.

Dans un environnement professionnel dans lequel les grandes entreprises réduisent leurs effectifs et une économie de petits boulots, dénommée « gig economy », se développe, promouvoir ces compétences peut encourager l’entreprenariat dont nos sociétés ont besoin.

L’entrepreneuriat : un égaliseur

Rendre l’Europe plus entreprenante a un autre bénéfice : cela peut aider à réduire les inégalités et améliorer l’intégration. Actuellement la plupart des meilleures opportunités professionnelles sont trop souvent destinées aux plus privilégiés.

En Angleterre, par exemple, une étude récente montre que les meilleurs employeurs recrutent parmi seulement 20 – et, bien sûr, les 20 les mieux classées – des 115 universités du pays. Ce rapport met en évidence que 65 % des personnes interrogées pensent que « qui tu connais » est plus important que « ce que tu connais ».

Malgré sa devise nationale « Liberté, Égalité, Fraternité », la France des affaires est toujours dirigée par les diplômés des mêmes Grandes Écoles et des grands corps. Une priorité forte mise sur les expériences professionnelles antérieures et sur l’éducation a tendance à favoriser ces personnes, pour leurs liens étroits avec des employeurs prestigieux… et donc leurs capacités à s’offrir une éducation privée.

Les bonnes opportunités professionnelles redescendent rarement jusqu’aux échelons les plus bas de nos sociétés. Or, avec les conditions adéquates et un contexte favorable, des personnes de tous horizons – qu’ils soient natifs ou immigrants – peuvent monter leur propre entreprise et ainsi s’élever sur les échelles économiques et sociales.

Pour nous et les prochaines générations

Une nouvelle logique et de nouvelles pratiques sont indispensables afin de lever les obstacles principaux qui empêchent l’Europe de devenir plus entrepreneuriale. Des lois du travail assouplies, un financement diversifié, le recours au capital-risque et une restructuration des systèmes éducatifs afin d’enseigner les compétences qui comptent vraiment, sont autant d’étapes nécessaires pour avancer.

Étant donné qu’un nombre croissant d’activités sont automatisées, rendre nos sociétés plus entrepreneuriales est sûrement l’un des moyens les plus efficaces pour préparer les générations futures – et nous-mêmes – pour le meilleur des mondes.

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