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Débat : L’enseignement supérieur privé, un mal nécessaire ?

De plus en plus de jeunes naviguent entre public et privé au fil de leur parcours d'études. Shutterstock

Rassemblant plus d’une centaine d’écoles de management et d’ingénieurs en France, l’enseignement supérieur privé accueille aujourd’hui près d’un étudiant sur cinq. Ses effectifs ont en effet bondi entre 1998 et 2016, avec un bond de 220 000 inscriptions – soit une croissance de 88 %, contre 14 % dans l’enseignement public. Le poids des établissements supérieurs privés est tel aujourd’hui que cela cristallise un certain nombre de tensions, exacerbant une opposition manichéenne entre public et privé.

En témoignent certaines tribunes contre les écoles de management privées, comme celle incitant à la destruction des business schools dans The Guardian ou, plus récemment, le texte intitulé « Monsieur, je paie votre salaire de prof, donc je fais ce que je veux », de l’économiste Michaël Lainé, publié dans le journal Le Monde.

Pourtant, il suffit de jeter un regard sur les dernières évolutions du supérieur et la démographie étudiante pour comprendre que les enjeux sont bien plus vastes que ces interventions taillées pour faire le buzz.

Des besoins de formation croissants

Au milieu du XXe siècle, on ne dénombrait encore que 5 % de bacheliers dans une génération. Une proportion qui a considérablement évolué à partir des années 1960, avec l’allongement de la scolarité à 16 ans en 1959, puis la forte volonté du gouvernement d’amener 80 % des étudiants au baccalauréat. Cet afflux massif de jeunes dans le supérieur s’assortit d’une diversification des séries de baccalauréats et à un taux de réussite de plus en plus élevé (en 2018, 88,3 % pour 765 000 candidats).

Bacheliers. Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche 2018

Le baccalauréat n’est plus considéré désormais comme un tremplin vers la vie professionnelle mais comme un passeport pour une poursuite d’études. On peut ainsi considérer que la très forte demande a nécessité une diversification de l’offre de formation et que cela explique l’apparition d’établissements privés. Par ailleurs, il aurait été sans doute difficile pour l’État de financer des formations publiques pour répondre à cette demande. En 2014, la dépense moyenne d’éducation s’élevait à 11 834 euros. L’État a néanmoins pris en compte cette évolution de l’offre de formation et mis en place une régulation via différents labels (Visa et grade de Master pour les écoles de management, habilitation de la CTI pour les écoles d’ingénieurs, label EESPIG).

Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche 2018

Le développement de l’offre de l’enseignement supérieur privé correspond à une évolution de la demande, avec une transformation des mentalités dans les classes les plus aisées et/ou celles disposant d’un fort capital social qui considèrent l’accès à certains types de formation comme un véritable investissement dans la préservation d’un statut économique et social pour leurs enfants. Autrement dit, les mentalités se déplacent progressivement vers une considération de l’enseignement supérieur comme un investissement et non plus un coût à supporter, d’autant que les parents de la génération 2000 ont pour certains connu des établissements privés dans leur formation. Néanmoins, il convient aussi de souligner que les établissements supérieurs privés ont aussi fortement développé des parcours de formation en alternance qui permettent de recruter des étudiants disposant de moins de ressources financières.

De plus en plus de parcours mixtes

Il est erroné de penser que les écoles privées et l’enseignement public représentent deux mondes distincts. En effet, la trajectoire des étudiants dans l’enseignement supérieur n’est pas linéaire et comporte souvent, pour aller jusqu’au bac+5 qui devient une véritable norme, des changements d’établissements. Il est de plus en plus fréquent, par exemple, d’obtenir un niveau licence dans une filière universitaire puis d’entrer dans une écoles de management ou d’ingénieurs. Mais on peut également observer des doubles inscriptions pour un même niveau d’étude (des étudiants peuvent être inscrits en dernière année d’une école de management et à l’université par exemple), voire des stratégies de spécialisation après un bac+5 dans certains domaines avec le développement de l’offre de MSc ou de MS de certaines écoles de la CGE.

Les passerelles se multiplient donc entre les établissements privés et publics, conduisant à une diversité des parcours pour les étudiants et à de véritables stratégies d’orientation dans les cursus. Le cas le plus emblématique est celui des admissions parallèles (étudiants titulaires d’un BTS, d’un DUT, d’une licence professionnelle, etc.) dans certaines écoles de management qui représentent plus de 50 % des effectifs d’une même promotion.

Enfin, il ne faut pas oublier que les établissements supérieurs privés qui offrent des diplômes bac+5 constituent de plus en plus une voie pour alimenter les écoles doctorales qui souffrent d’une désaffection des parcours recherche à l’université. La dernière enquête de la CGE, qui regroupe des écoles de management et d’ingénieurs privées et publiques, montre ainsi que plus de 4 % des étudiants poursuivent leurs études en thèse. À la rentrée 2017, on dénombrait 283 écoles doctorales qui ont accueilli 73 500 doctorants, ce qui représente une baisse des effectifs de 9 % en sept ans. Certaines disciplines comme les sciences humaines et sociales ont subi une baisse de près de 14 % sur cette même période.

Il n’existe pas d’études concernant l’origine précise par type d’établissement des doctorants mais on peut constater que de plus en plus d’étudiants diplômés d’écoles de management ou d’ingénieurs choisissent de faire une thèse bien que leur inscription soit parfois compliquée selon les règles en cours dans les écoles doctorales. Une piste de travail serait là aussi d’articuler et de généraliser un dispositif facilitant le passage des étudiants issus des établissements supérieurs privés dans les écoles doctorales (possibilité de suivre les parcours recherche au niveau Master dans les universités en double cursus, accueil des enseignants-chercheurs des écoles privées au sein des écoles doctorales pour l’encadrement de doctorants, co-financement de thèses entre les établissements, etc.).

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