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Débat : Les circuits courts peuvent-ils tenir leurs promesses ?

Distribution de produits locaux par La Ruche qui dit oui. Compte Facebook La Ruche qui dit oui

Scandales alimentaires, sensibilité du consommateur aux questions environnementales, rejet de la grande distribution, volonté de soutenir les agriculteurs et la ruralité… Les circuits alimentaires de proximité – dénommés plus largement « circuits courts » – ont le vent en poupe et apparaissent comme une réponse à toutes ces préoccupations.

La proximité relationnelle (moins d’intermédiaires entre producteurs et consommateurs) et géographique (ils délivrent normalement des produits « locaux ») qu’ils revendiquent apparaît comme le gage d’une rémunération plus juste des agriculteurs et la possibilité de réduire les émissions polluantes.

On a ainsi vu fleurir nombre de start-up mettant en relation via des plates-formes producteurs et consommateurs (La Ruche qui dit oui !, Locavor, kelbongoo ou Okadran), que nous appelons ici « intermédiaires numériques ».

Ces circuits fonctionnent à peu près tous de manière identique : le consommateur s’inscrit sur le site Internet de l’intermédiaire numérique. Il commande et paye en ligne (à l’intermédiaire numérique), selon le catalogue proposé, jusqu’à 48 heures environ avant la distribution (en général les jeudis ou vendredis en fin de journée, dans un hall de gare, une place, etc.). Les producteurs concernés par cette commande la réceptionnent numériquement et la préparent. Le jour J, les producteurs rejoignent la ville pour la distribution.

Quelques jours après ce jour J, les producteurs perçoivent leur rémunération : le chiffre d’affaires moins le pourcentage revenant à l’intermédiaire numérique et, dans de nombreux cas, moins le pourcentage pour le responsable de la distribution locale (le responsable de ruche, par exemple, dans le cas de La Ruche qui dit oui !)

Le modèle économique de ces circuits alimentaires de proximité est donc sensiblement le même que les circuits passant par des plates-formes de e-commerce, à l’image d’Amazon.

Mais qu’en est-il de leurs promesses environnementales et sociales, censées les distinguer, sur le terrain ?


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Proximité et durabilité

Les commerces de proximité se revendiquent plus vertueux que les circuits conventionnels sur le plan environnemental. Qui dit proximité spatiale dit moins de kilomètres à parcourir et donc moins d’émissions de CO2.

Cet avantage est mis en avant par l’ensemble des sites Internet des intermédiaires numériques. Locavor.fr avance ainsi qu’« un fruit de saison produit localement peut consommer 10 à 20 fois moins d’énergie qu’un fruit importé hors saison ». Et pour La Ruche qui dit oui ! : « Pourquoi les aliments devraient faire cinq fois le tour de la Terre avant d’arriver dans notre assiette ? ».

Dans l’imaginaire collectif, le producteur qui part vendre quelques kilos de marchandises avec sa camionnette est plus « durable » que la semi-remorque venant réapprovisionner l’hypermarché du coin. Plusieurs études contredisent toutefois cette affirmation (comme ici, et ).

Ce débat n’est toutefois pas tranché, les différentes évaluations (voir à ce propos des études parues en 2007, 2012 et 2017) ne tombent pas d’accord sur ce point. Au regard des recherches actuelles, il ne semble pas possible de déterminer si une forme ou l’autre de circuit de distribution est plus écologique.

Comment expliquer cette absence de consensus ?

Soulignons que les différentes quantifications comparent des situations différentes, en faisant parfois l’impasse sur certains éléments – les conditionnements nécessaires au transport, par exemple – et selon un périmètre plus ou moins étendu (considération ou non du trajet du domicile du consommateur au point de distribution).

Un bilan carbone meilleur, vraiment ?

Certains éléments mis en avant dans la communication des intermédiaires numériques nous semblent ainsi parfois contredits dans les faits.

Les modes de transport utilisés (souvent un utilitaire léger), les parcours réalisés ainsi que le taux de remplissage – à l’aller comme au retour – du véhicule entre l’exploitation agricole et le point de distribution ne sont en général pas optimisés. Dans certains cas, des agriculteurs voisins s’auto-organisent afin de mutualiser le transport. L’un d’entre eux se rend au rendez-vous avec le chargement des autres. Mais ceci va à l’encontre d’une autre promesse des circuits courts, qui valorisent le contact et la rencontre avec le producteur. Nous n’avons pour l’heure que très peu de travaux conduits pour quantifier ces effets (à part une étude datant de 2014, réalisée auprès de la Ruche qui dit oui !).

Le consommateur qui se rend à un point de rencontre pour venir chercher ses produits commandés en « circuits de proximité intermédiés » risque donc d’avoir un ratio entre la quantité de produits achetés et le kilomètre parcouru moins élevé qu’en se rendant en grande surface.

Des coûts supplémentaires pour les producteurs

Les plates-formes de circuits courts mettent également en avant une meilleure rétribution des producteurs : le nombre limité d’intermédiaires, en comparaison avec les circuits conventionnels, en serait le gage. « Il nous faut reconstruire les principes de base balayés par 50 ans d’industrie agroalimentaire : la juste rémunération des producteurs… », lit-on sur le site de La Ruche qui dit oui. « La réduction des intermédiaires garantit une meilleure rémunération des producteurs », avance Locavor.fr.

Mais il faut comparer ce qui est comparable. Si l’on décortique le revenu du producteur dans le cadre d’un circuit conventionnel : au prix de vente (au grossiste, à la grande distribution…), on soustrait les coûts de production et les coûts logistiques – essentiellement liés à la préparation de la commande et au transport jusqu’au client.

Considérons maintenant le revenu du producteur en circuit court. Au prix de vente que paie le consommateur final sont soustraits les coûts de production, les coûts logistiques (préparation de commande et transport), la commission captée par l’intermédiaire numérique et les coûts de commercialisation – liés au temps passé pendant les rendez-vous hebdomadaires avec les consommateurs.

À prix de vente équivalent, par rapport aux circuits conventionnels, le producteur a des coûts supplémentaires de transport (aller/retour jusqu’au lieu de rdv hebdomadaire), des coûts de traitement et de préparation de commande supérieurs, puisque liés à de petites quantités et un coût de commercialisation.

Il faudrait donc – pour que les deux types de circuit rémunèrent également le producteur – que la perte liée au pourcentage prélevé par l’intermédiaire numérique et le coût de commercialisation en circuit court soit compensée par des coûts de logistique inférieurs à ceux des circuits conventionnels. Or il n’en est rien.

Le temps passé à préparer une multitude de petites commandes et à faire des allers-retours presque à vide génèrent d’importantes charges rapportées à l’unité de marchandise. À l’inverse des circuits conventionnels qui bien souvent se chargent de venir prélever chez le producteur l’ensemble des denrées disponibles.

En attendant les économies d’échelle

Considérons à présent les revenus des intermédiaires numériques – de 10 à 20 % de marge sur les ventes. Ces montants sont reliés directement et uniquement au chiffre d’affaires qui transitent dans les circuits courts et en aucun cas à l’efficience du circuit de distribution. À l’instar d’Uber – qui prend une commission de 25 % – dont le revenu n’est pas contingenté au montant d’assurance que paye le chauffeur ni aux performances environnementales des véhicules.

Le producteur peut ainsi passer un temps considérable à préparer de petites cagettes, effectuer de nombreux kilomètres, passer des heures à l’entrée d’une gare sans que ceci vienne grever les revenus de l’intermédiaire numérique.

Faute d’études comparatives robustes, nous ne pouvons aujourd’hui conclure que les circuits alimentaires de proximité sont plus efficaces sur les plans environnemental et économique que les circuits conventionnels. Leur marge de progression s’avère importante.

Si cette plateformisation, voire « ubérisation » de la chaîne alimentaire, offre un véritable potentiel environnemental, il pourra se déployer pleinement lorsque ces circuits dépasseront le stade de marché de niche pour grossir et permettre de véritables économies d’échelle.

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