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Débat : « Ma santé 2022 », un plan à piloter avec prudence

Le plan « Ma santé 2022 » ambitionne de réformer le système de santé. Mais en aura-t-il les moyens ? Shutterstock

Le 19 novembre dernier, la ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn a officiellement lancé le plan « Ma santé 2022 », annoncé le 18 septembre dernier par le Président de la République. Ces nouvelles mesures avaient été bien accueillies par certains professionnels de santé publique et de nombreux responsables institutionnels. Pour autant, la vigilance reste de mise.

Un diagnostic connu de longue date

Depuis le rapport fondateur du Haut conseil de la santé publique de 1994, le diagnostic concernant le système de santé français est posé. Ses bons résultats moyens cachent de profondes inégalités sociales et territoriales et entre les femmes et les hommes. Le système est déséquilibré en faveur des approches curatives, au détriment de la prévention. S’il est largement accessible, il est aussi coûteux, avec une assurance maladie généreuse qui prend à son compte 78 % de la consommation de biens et services médicaux, mais dont l’équilibre financier a demandé de multiples plans de redressement. C’est, enfin, un système de soins diversifié, mais peu coordonné, ce qui induit un gaspillage de ressources. Il pâtit par ailleurs du vieillissement de la population et du développement des maladies chroniques…

Maintes fois annoncé coulé, le navire n’a pourtant pas encore sombré, même si quelques contraintes supplémentaires l’ont encore alourdi : la crise de 2008, l’encadrement international de nos déficits, la pression accrue sur la dépense publique, l’affaiblissement du consentement à l’impôt et l’envol des thérapies innovantes, efficaces mais potentiellement ruineuses.

Un système de santé plusieurs fois réorganisé

Selon les propos de la ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn, le système de santé français serait un système

« à bout de souffle, pensé à la sortie de la Seconde Guerre mondiale et qui répondait aux enjeux de la santé publique de l’époque. »

Il a pourtant déjà été fréquemment réorganisé. Toutes ses composantes ont connu de profondes réformes et les acteurs témoignent d’une réelle résilience face à la succession parfois très rapide des lois, plans et schémas divers. Par ailleurs, l’ONDAM (Objectif national de dépenses d’assurance maladie) est respecté depuis plusieurs années et la Sécurité sociale annonce même un excédent pour 2019.

Quels sont, alors, les grands chantiers prévus par le nouvel engagement collectif « Ma Santé 2022 » ? Sur le fond, pas de grande surprise. Les annonces sont dans la continuité des mesures que l’on trouve dans la Stratégie nationale de santé de décembre 2017 et dans le Plan de transformation du système de santé de février 2018, sans oublier les préconisations du rapport CAP 22.

Elles concernent d’abord la qualité des soins et la pertinence des actes, à savoir garantir à chacun le fait d’avoir un médecin traitant à proximité, en journée comme en soirée, établir un guide de prise en charge des principales pathologies chroniques, mesurer la satisfaction des usagers et faire participer les patients à la formation et à l’évaluation des professionnels.

Le second point est lié à l’organisation territoriale, et correspond au renforcement des compétences de la Commission médicale d’établissement (CME – il s’agit, pour chaque établissement public de santé, de l’instance représentative de la communauté médicale, pharmaceutique et odontologique) et à la mise en place de 2 000 structures d’exercice coordonné conventionnées, avec une priorisation de financement pour les professionnels qui exercent collectivement entre la ville et l’hôpital.

Le 3e chantier s’attaque aux modes de financement et de régulation** (forfait, actions d’amélioration de la qualité à l’hôpital, mise à jour des nomenclatures et classifications d’actes professionnels…).

Les ressources humaines et la formation constituent un 4e objectif, avec la réforme des formations de santé, la création du service sanitaire pour 47 000 étudiants dès la rentrée 2018, la reconnaissance de la pratique avancée infirmière et le recours à l’emploi contractuel.

Enfin, le 5e chantier concerne le numérique, en rendant possible pour chaque Français dès 2022 la création de son propre espace numérique de santé et en généralisant l’e-prescription en 2021.

Mesures nouvelles et ajustements limités

« Ma santé 2022 » constitue un ensemble touffu, foisonnant, au sein duquel des mesures réellement nouvelles côtoient des ajustements plus limités. Derrière les grands objectifs précités se dessinent quelques « mesures phares » dont nous ne retiendrons ici, volontairement, que quelques-unes :

  • la création dès 2019 de financements au forfait pour la prise en charge hospitalière du diabète et de l’insuffisance rénale chronique :

  • le déploiement de 1 000 communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) pour 2022 ;

  • la création et le développement d’une nouvelle fonction d’assistants médicaux dans les cabinets médicaux de groupe, afin de libérer du temps médical aux praticiens ;

  • la labellisation dès 2020 des premiers « Hôpitaux de proximité », dont les missions seront d’assurer des prestations hospitalières de proximité, en médecine polyvalente, soins aux personnes âgées, consultations de spécialités, avec des plateaux techniques de biologie, d’imagerie et des équipements de télémédecine ;

  • la création d’un statut unique de praticien hospitalier, avec suppression du concours, reconnaissance des valences non-cliniques et facilitation de l’exercice mixte ;

  • l’élargissement des compétences de la CME pour mieux associer les médecins au pilotage hospitalier ;

  • la suppression du numerus clausus et la réforme des études de santé (dont la suppression des ECN), avec des dispositifs d’orientation progressifs et le développement de passerelles entre les formations.

Plus explicite, en fait, est l’objectif général de décloisonnement : décloisonner le financement, décloisonner l’organisation des soins, décloisonner les exercices professionnels et les formations. On comprend qu’il s’agit de mettre en branle toute une série de mouvements au sein du système (transferts de compétences, d’activités et de moyens entre les différents compartiments et acteurs du système). Car sinon, pourquoi faire tomber les murs ?

Un projet qui doit s’accompagner d’une certaine vigilance

Pour aider à la mise en œuvre de ce projet, il est prévu d’engager, d’ici 2022, 3,4 milliards d’euros. Un montant qui semble bien faible au regard des objectifs… Sur quels points, alors, se montrer vigilant ? Sans doute, sur le pilotage opérationnel d’un si vaste projet.

« Ma santé 2022 » va en effet modifier, parfois dans des délais très courts, des articulations entre acteurs, des équilibres installés, des modes opératoires divers… Ceci dans un contexte, on vient de le voir, de redéploiement actif des moyens au sein d’une enveloppe d’ensemble stable, ou peu s’en faut. Or si certains de ces modes opératoires méritent très certainement d’évoluer ou de disparaître, d’autres ne sont pas forcément dénués de pertinence. Ainsi, dans le champ du SIDA, des maladies chroniques ou de la prise en charge de la dépendance, par exemple, il existe déjà de nombreuses organisations intégrées, partenariales, prenant la forme de réseaux formels ou de coordinations de professionnels, même si elles sont loin d’être systématisées à l’ensemble du territoire.

Ainsi, si le rééquilibrage de notre système de santé vers plus de prévention est évidemment une bonne chose, il faut tenir compte des dynamiques temporelles ou organisationnelles différentes et anticiper par exemple le fait qu’un transfert de moyens du secteur curatif vers le préventif pourra déstabiliser des activités de soins avant que l’impact des actions préventives ne soit perceptible.

La question se pose en fait pour tous les transferts entre compartiments du système. « Ma santé 2022 » est bien pourvu d’un comité de pilotage ministériel flanqué d’une cellule technique, mais rien n’est dit sur les outils de pilotage à la disposition du comité. La responsabilisation des acteurs des territoires sera-t-elle une option suffisante ?

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