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Débat : PMA pour toutes, une étape sociétale qui reste à consacrer dans le droit

Dans une clinique espagnole, un docteur prélève des paillettes de sperme immergées dans du nitrogène liquide. Josep Lago/AFP

La secrétaire d'État à l'Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, avait confirmé le 29 septembre 2017 que l’ouverture de la Procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes serait proposée par le gouvernement en 2018, dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique. Cette proposition fait effectivement partie du projet de loi bioéthique présenté le 24 juillet 2019 en Conseil des ministres.

La déclaration de Marlène Schiappa faisait suite à l’avis favorable du Comité consultatif national d’éthique, en juin 2017, affirmant qu’il ne saurait y avoir d’obstacle à l’ouverture de la procréation médicalement assistée pour toutes les femmes, et non plus uniquement pour les femmes vivant en couple hétérosexuel et dont l’infertilité avait été constatée sur le plan médical.

Cet avis intervenait deux ans après que le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ait produit son avis portant contribution au débat sur la PMA dans lequel il recommandait au Gouvernement et au Parlement d’étendre l’accès à la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires.

Nous sommes ainsi à l'aube d'une évolution sociétale majeure concernant les paradigmes nouveaux de la reproduction sexuée d’une part et, d’autre part, les conditions d’exercice et de reconnaissance de parentalités « nouvelles » : la monoparentalité et l’homoparentalité.

Les enjeux du débat actuel sur la PMA nécessitent de rappeler deux éléments qui y sont liés avant d’aborder les enjeux anthropologiques de fond.

L’ingénierie de la reproduction et la parentalité

Le premier élément tient à la réalité des techniques médicales et biologiques et à ce que l’on peut appeler l’ingénierie de la reproduction : c’est un fait objectif que des pratiques spécifiques ont rendu techniquement possibles des formes de plus en plus diverses de reproduction : fécondation in vitro (FIV) et transfert d’embryon, techniques d’ovulation programmée ou provoquée, insémination artificielle, éclosion assistée, dons d’ovule, de sperme, d’embryon.

Dès leur conception, puis dans les premières phases de leur développement, ces techniques ont eu pour objectifs premiers la lutte contre l’infertilité ou la stérilité, la compensation d’une stérilité provoquée ou encore des effets de ménopause précoce. Mais les désirs non traditionnels de parentalité de plus en plus revendiqués ont trouvé dans l’existence objective de ces techniques des moyens pratiques de réalisation.

L’argument financier, réalité ou résistance ?

Le second élément tient à la dimension socioéconomique et financière. Compte tenu des coûts de mise en œuvre de ces diverses techniques, beaucoup ont pensé questionner cette évolution sociétale au nom d’une approche purement gestionnaire.

Le coût moyen pour l'Assurance-maladie d’un cycle de FIV complet est d’environ 4 100 euros et se décompose de la façon suivante :

  • 1 300 euros en moyenne pour le traitement de stimulation, comprenant l’achat des médicaments et l’intervention des infirmières à domicile ;

  • Environ 500 euros pour la surveillance hormonale et échographique ;

  • 600 euros en moyenne pour la partie biologique avec 430 euros pour la FIV classique et 750 euros pour l’ICSI ;

  • Environ 1 700 euros d’hospitalisation pour la ponction et le transfert.

Le poids de l’argument financier reste semble-t-il à relativiser : en 2015, les 24 000 naissances par PMA représentent 2,9 % des naissances en France. Il est estimé que l’extension de la PMA aux femmes seules ou en couples représenteraient 4 000 naissances par PMA de plus sur une moyenne de 780 000 à 800 000 naissances par an. Ainsi, cette nouvelle demande sociale, pour forte qu’elle soit du point de vue des désirs et des valeurs, reste assez faible numériquement.

Mais, si les techniques rendent la PMA possible pour toutes et si les coûts n’en seront pas pour autant rendus exorbitants pour les comptes sociaux, les enjeux anthropologiques de fond restent au cœur du débat.

Sexualité-procréation-filiation-parentalité : une structure « complexe »

En effet, la procréation médicalement assistée, plus encore que l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe, révèle de façon ouverte et complexe à la fois, les enjeux que notre société avait pour habitude de considérer de façon simplifiée dans une sorte de continuum logique : la sexualité hétérosexuelle se « réalise » dans l’acte de procréation qui lui-même garantit un modèle hégémonique de filiation et de parentalité.

En fait, le débat autour de la PMA révèle des impensés (à la fois impensables, ou non encore pensés) en forçant notre société à considérer la déconstruction de ce système hégémonique de représentations.

La question de la sexualité et de sa déconnexion d’avec la procréation n’est plus d’actualité depuis des décennies, y compris pour 92 % des catholiques qui en 2014, « souhaitent que l’église autorise l’utilisation de méthodes artificielles de contraception ».

Alors que la sexualité s’est dégagée de la mission qui lui avait été assignée d’être essentiellement le dispositif biologique de la reproduction, un espace s’est ouvert qui l’autorise à se penser par rapport au désir et au plaisir et ce, quelle que soit le ou la partenaire. Par la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe de mai 2013, cette autonomisation de la sexualité est consacrée socialement et juridiquement.

Ce faisant, cependant, ce sont toutes les autres constructions/représentations mentales qui sont interpellées, en particulier celles relatives à la place du père et à la filiation biologique. Dans un entretien réalisé en 2012, l'anthropologue Françoise Héritier a résumé les enjeux posés à la filiation en ces termes :

« Il existe une contradiction dans les termes mêmes qui sont utilisés lorsqu'on parle de filiation biologique. La filiation est un lien social, qui implique l’entrée dans une lignée et peut être complètement découplé de la biologie, comme dans l’adoption. Cela ne lui enlève pas sa légitimité. Il n’y a pas de pères biologiques, il n’y a que des pères (sociaux) et des géniteurs. Le plus souvent les géniteurs et les parents ne font qu’un, mais en réalité ils ne se confondent pas. L’enfantement (féminin) ou l’engendrement (masculin) peuvent être dissociés de la filiation. »

Ce qui est donné à voir dans cette évolution – au grand désespoir des un.e.s et avec une immense satisfaction pour les autres, le tout avec le consentement tacite de la grande majorité –, c’est un pas de plus vers la dissolution du lien jusque-là privilégié entre le biologique et le généalogique, qui avait déjà été amorcé avec l’officialisation du régime de l’adoption.

En termes de parenté et de filiation, c’est aussi la diversification du modèle familial hégémonique qui est mis en lumière dans l’expression de deux nouvelles formes, la monoparentalité et l’homoparentalité. Ces dernières représentent en fait ce que Françoise Héritier appelle l’avènement de « l’émotionnellement concevable ».

Ces évolutions anthropologiques et la construction de nouveaux modèles étant désormais pensables, c’est-à-dire non seulement revendiquées par des « minorités » mais aussi acceptées par la majorité, se pose la question des conditions politiques et juridiques qui rendent effectivement possibles, c’est-à-dire légales, lesdites évolutions et les nouveaux modèles familiaux.

Nous n’en avons pas pour autant terminé avec les « risques anthropologiques » selon l’expression de Françoise Héritier, risques auxquels les sociétés humaines se sont toujours exposées dans l’Histoire, qu’elles ont tour à tour niés, déplacés, atténués puis finalement assumés et accompagnés.

Avec la PMA, on peut penser qu’il sera relativement aisé et qu’il sera en définitive possible, politiquement et juridiquement, de permettre à toutes les femmes, quelles que soient leur position sociale, leur revendication d’identité ou leur orientation sexuelle, de réaliser un projet non contraint d’avoir un enfant.

Il n'en est pas de même pour la gestation pour autrui (GPA), consistant pour la gestatrice à porter un embryon formé par les gamètes d'un couple. On sent déjà que la GPA continuera d’inscrire dans le débat public d’autres interrogations aux confins de l’anthropologie de la parenté, de l’éthique, des techniques médicales, de l’économie marchande et mondialisée des corps et de ses conséquences sur les systèmes juridiques nationaux.

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