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Débat : Pourquoi l’actuelle réforme de l’islam en France risque d’échouer

Emmanuel Macron lors du dîner du CFCM l'an dernier. Benajmin Cremel / AFP

Le président Macron a ouvert les travaux visant à réformer l’islam de France. Cette initiative, annoncée depuis longtemps, a connu un certain retard, mais pour couper court aux critiques, l’opération est désormais menée tambour battant : les assises territoriales doivent rendre leurs copie dans quelques semaines. Sur ce sujet, les dirigeants du Nouveau Monde sont arrivés au pouvoir sans idée précise.

L’Institut Montaigne aurait ainsi pallié l’incapacité du jeune mouvement politique En marche à produire une pensée structurée et achevée. Mais si c’était le cas, les orientations esquissées, qui reprennent nombre de tentatives du passé et de préconisations de précédents rapports publics, risquent d’échouer à atteindre leur but.

Considérations d’ordre public

L’organisation de l’islam en France telle que la conçoit le pouvoir, qu’il soit d’hier ou d’aujourd’hui, répond d’abord à des considérations d’ordre public : il s’agit de rassurer sur le maintien des principes de la laïcité et de la lutte contre l’islam radical.

La visibilité plus affirmée de l’islam depuis deux décennies, couplée avec une offensive prosélyte et militante indéniable de certains mouvements (Frères musulmans, Tabligh, etc.), laissent penser aux plus anxieux que la dernière religion à devoir s’insérer dans le cadre laïque de la société française n’y parviendra guère. Les critiques provenant du monde musulman hors de France sur l’intolérance révélée, selon eux, par l’interdiction du port du voile à l’école et du niqab dans l’espace public renforcent leur crainte.

Or, au même moment, le président Macron multiplie les signes troublants d’un dialogue avec les catholiques, trop convivial pour ne pas éveiller les soupçons des partisans d’une laïcité sans concession. S’il ne reste que celui-là, c’est bien le principe républicain qu’il faut préserver aux yeux de sociaux-démocrates désabusés.

La laïcité apparaît également utile pour des communautés qui n’oublient pas que l’intolérance religieuse annonce les prochaines persécutions – juifs pratiquants, francs-maçons. Ils rejoignent donc l’aile conservatrice de la coalition gouvernementale et les catholiques pour demander l’établissement de règles claires délimitant une expression religieuse acceptable.

La double considération posée en février 2018 par le Président lors du lancement des travaux – organisation cultuelle et réforme de l’institution représentative – vise donc à donner un interlocuteur unique, acceptable, modéré et capable de définir une ligne théologique compatible avec la culture française et l’état de l’opinion publique.

Le pouvoir politique compte bien que cet islam « raisonnable et présentable » lui fournira la plate-forme pour contre-attaquer l’islam rigoriste, voire radical, considéré un peu rapidement par certains comme le terreau du djihadisme français. Affichant sa fermeté en amont, le Président réduirait ainsi le probable procès en inaction que les prochains attentats terroristes ne manqueront pas de nourrir.

Questions d’autorité

Mais il s’agit aussi, pour le jeune pouvoir macronien, de régler quelques questions d’autorité. Il entend, tout d’abord, rétablir une maîtrise du discours intellectuel rejetant une certaine gauche mal à l’aise avec la critique de quelques-unes des dérives de l’islam, sans s’inspirer des argumentaires de droite encore indigents sur la question.

Prenant à contre-pied l’autorité des islamologues usuels et pertinents, il laisse penser qu’il donnera suite aux propositions du consultant et banquier Hakim El Karoui, peu reconnu par ces derniers comme expert de ces questions, mais soutenu par l’Institut Montaigne. Il s’agit également de trier entre les interlocuteurs potentiels, et de désigner ceux qui bénéficient de la faveur du prince, le cas échéant en atténuant les considérations de politique étrangère (comme ce fut le cas, par exemple, pour le RPR et l’UMP en faveur des représentants de l’islam algérien).

Il doit également, sollicité assidûment en cela autant par des voix de gauche que de droite, rétablir la souveraineté française sur la vie des diasporas et sevrer ces dernières du lien avec les États d’origine (islam consulaire). Si cette démarche est bienvenue face à la mainmise de l’islamisme d’État turc sur les communautés en Europe, elle permet aussi de remettre en cause le pouvoir de fédérations musulmanes françaises considérées comme traditionnellement représentatives au niveau national. Celles-ci ont constitué l’ossature du Conseil français du culte musulman (CFCM), et les responsables confessionnels qui les dirigent n’ont pas su conduire un dialogue satisfaisant avec les pouvoirs publics, ni prouver leur représentativité et leur capacité à se faire entendre des fidèles.

Une génération de jeunes cadres, plus en phase avec les réalités de la communauté, et souvent ancrés localement, pourraient apporter une relève.

A l’origine de la crispation vis-à-vis de l’islam, l’altérité

L’islam consistorial n’existe pas. Il n’existe pas d’organisation musulmane centralisée avec un président et un conseil exécutif qui déciderait des règles cultuelles et définirait, le cas échéant, les orientations d’un islam « éclairé ». Croire cela, c’est penser que l’organisation de l’islam pourrait s’inspirer d’un modèle catholique alors qu’en islam les pratiques, les réseaux et liens d’allégeance et les orientations cultuelles sont fortement déterminées par les origines nationales (marocains, subsahariens, turcs).

S’il est nécessaire d’affaiblir l’influence extérieure de l’islam consulaire, il faut toutefois accepter la pluralité de l’islam en France, d’autant plus bienvenue que le premier mouvement ayant transcendé les origines nationales (UOIF, puis Musulmans de France) s’est d’abord caractérisé par une orthodoxie et une approche rigoriste en matière de mœurs.

La mosquée de Créteil, en région parisienne. Christophe Pinard/Flickr, CC BY-SA

Au fond, la crispation de l’opinion publique est moins provoquée par un manque d’institutions adéquates que par l’altérité inévitablement portée par la communauté confessionnelle et l’anthropologie de sociétés d’outre-Méditerranée. Les avocats d’un islam de France institutionnalisé espèrent faire triompher un « islam des lumières » sans que celui-ci apparaisse aujourd’hui évident ou majoritaire : s’exprimant par une génération nouvelle d’intellectuels, il reste encore en gestation alors que la mutation douloureuse de l’islam, devant déboucher sur une sécularisation de sa théologie, n’en finit pas.

Ce travail de gestation ne peut être conduit ni même suggéré par les autorités publiques. Celles-ci peuvent, en revanche, favoriser les conditions matérielles de la recherche et de la formation des experts et des savants, sans s’abriter hypocritement derrière les principes de la loi de 1905. Il serait logique que le rayonnement de cet islam des lumières, lorsqu’il pourra jouer à armes égales avec les bataillons de théologiens formés et financés par nos amis saoudiens, puise sa source dans l’enseignement supérieur français.

Apaiser la fièvre identitaire

En attendant, l’islam rigoriste poursuit son expansion engagée depuis les années 1980. Celle-ci se nourrit de deux facteurs : le premier, habituel et conjoncturel, voit dans l’exacerbation de l’orthodoxie un moyen pour des ambitieux de conquérir une place dans l’espace social et politique, et en ce domaine leur éviction au niveau national n’empêche pas les élus locaux de devoir composer avec des entrepreneurs politico-confessionnels.

Mais s’ils prospèrent, c’est en s’appuyant sur un second facteur, préoccupant mais réversible : la revendication identitaire d’une jeunesse défavorisée ou déclassée, se cristallisant sur le marqueur religieux. La force de ce dernier n’a d’égal que la violence du ressentiment de jeunes qui aiment autant la France qu’ils sont blessés par leurs désillusions. Croire que les décisions longuement négociées entre quelques caciques à Paris et filtrées par le censeur public puissent offrir un quelconque intérêt pour les petits frères des cités représente en soi un acte de foi.

C’est bien sur ce dernier terrain que les pouvoirs publics doivent agir. Apaiser la fièvre identitaire des quartiers ne peut se suffire d’un contre-discours, le traitement sera long et devra s’avérer global. Conforter un islam ouvert auprès des acteurs locaux, en respectant la démocratie dans l’espace privé qui est celui du religieux, en fera partie sans représenter l’essentiel de la solution.

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